Rapports de Human Rights Watch

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I) Génocide  (Article 2)

a)   Statut

            L’article 2 du Statut du TPIR est ainsi libellé :

1. Le Tribunal international pour le Rwanda est compétent pour poursuivre les personnes ayant commis un génocide, tel que ce crime est défini au paragraphe 2 du présent article, ou l’un quelconque des actes énumérés au paragraphe 3 du présent article.

2. Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

3. Seront punis les actes suivants :

a) Le génocide ;

b) L’entente en vue de commettre le génocide ;

c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide ;

d) La tentative de génocide ;

e) La complicité dans le génocide.»

b)   En général

i)  les éléments

Le Procureur c. Bagilishema, Affaire no. ICTR-95-1A-T, (Chambre de première instance), Décision du 7 juin 2001, par. 55 : La Chambre estime que «pour qu’un crime de génocide soit établi au-delà de tout doute raisonnable, il faut, premièrement, que l’un des actes énumérés à l’article 2(2) du Statut ait été perpétré, et, deuxièmement, que cet acte ait été commis contre un groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel, dans l’intention spécifique de détruire ce groupe, en tout ou en partie. Le génocide appelle par conséquent une analyse en deux parties : les actes incriminés et l’intention génocide spécifique ou dolus specialis

ii)   la répression du génocide fait partie du droit international coutumier et elle est une norme impérative du droit (jus cogens)

Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Affaire no. ICTR-95-1-T, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 88 : «[L]e crime de génocide est considéré comme faisant partie intégrante du droit international coutumier qui, de surcroît, est une norme impérative du droit.»

Le Procureur c. Rutaganda, Affaire no. ICTR-96-3, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 46 : «La Convention sur le génocide est incontestablement considérée comme faisant partie du droit international coutumier…» Voir aussi Le Procureur c. Musema, Affaire no. ICTR-96-13-A, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 15.

c) L’élément moral (mens rea) (dol spécial ou dolus specialis)

i)  en général

(1)  définition

Le Procureur c. Akayesu, Affaire no. ICTR-96-4-T, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 498, 517-522 : «Le génocide se distingue d’autres crimes en ce qu’il comporte un dol spécial, ou dolus specialis. Le dol spécial d’un crime est l’intention précise, requise comme élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à provoquer le résultat incriminé. Dès lors, le dol spécial du crime de génocide réside dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel». La Chambre relève que «le crime de génocide est caractérisé par son dolus specialis, ou dol spécial, qui réside dans le fait que les actes incriminés, énumérés au paragraphe (2) de l’article 2 du Statut doivent avoir été «commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel» […] L’agent est répréhensible parce qu’il savait ou aurait dû savoir que ledit acte qu’il a commis était susceptible de produire la destruction totale ou partielle d’un groupe.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 164.

Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 59 : «Une personne ne peut être trouvée coupable du crime de génocide que s’il est établi qu’elle a commis l’un des actes incriminés au paragraphe (2) de l’article 2 du Statut dans l’intention spécifique d’obtenir comme résultat la destruction totale ou partielle d’un groupe.»

(2)  l’intention (mens rea) doit exister avant la commission des actes

Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 91 : «La Chambre estime que pour que le crime de génocide soit constitué, il faut que la mens rea requise existe avant la commission des actes, encore que la préméditation ne constitue pas un critère au regard des divers actes perpétrés, la seule condition exigée étant que l’acte soit commis pour donner effet à l’intention génocide.»

Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 91 : «C’est cette intention spécifique qui distingue le crime de génocide d’un crime de droit commun comme le meurtre. La Chambre estime que pour que le crime de génocide soit constitué, il faut que la mens rea requise existe avant la commission des actes, encore que la préméditation ne constitue pas un critère au regard des divers actes perpétrés, la seule condition exigée étant que l’acte soit commis pour donner effet à l’intention génocide.»

(3)  l’intention peut être déduite

Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 61-63 : «La Chambre est donc d’avis que, en pratique, l’intention est déterminée, au cas par cas, par une déduction tirée des éléments de preuve d’ordre matériel qui lui ont été soumis, y compris ceux qui permettent d’établir l’existence chez l’accusé d’une ligne de conduite délibérée.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier, 2000, par. 167.

Le Procureur c. Laurent Semanza, affaire no. ICTR-97-20-T, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 313 : «La mens rea peut se déduire des agissements de l’auteur présumé du crime…»

Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 63 : «Ainsi le contexte de perpétration des actes allégués peut-il aider la Chambre à déterminer l’intention de l’accusé, en particulier lorsque ses propos et ses actes ne font pas apparaître cette intention. La Chambre relève cependant que lorsque l’on a recours au contexte pour déduire l’intention de l’accusé, on doit le faire par référence à la conduite même de l’accusé. La Chambre est d’avis que l’intention de l’accusé devrait se déduire, avant tout, de ses propos et de ses actes et ressortir clairement d’une ligne de conduite délibérée.»

(4)  les facteurs à considérer pour déterminer l’élément moral (mens rea)

Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 523-524 : «S’agissant de la question de savoir comment déterminer l’intention spécifique de l’agent, la Chambre considère que l’intention est un facteur d’ordre moral qu’il est difficile, voir impossible, d’appréhender. C’est la raison pour laquelle, à défaut d’aveux de la part d’un accusé, son intention peut se déduire d’un certain nombre de faits…» Par exemple :

  • «la perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, que ces autres actes soient commis par le même agent ou même par d’autres agents ;»

  • «l’échelle des atrocités commises ;»

  • «[le] caractère général» des atrocités commises «dans une région ou un pays ;»

  • «le fait de délibérément et systématiquement choisir les victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, tout en excluant les membres des autres groupes ;»

  • «la doctrine générale du projet politique inspirant les actes susceptibles de relever de la définition (du génocide) ;»

  • «la répétition d’actes de destruction discriminatoires ;»

  • «la perpétration d’actes portant atteinte au fondement du groupe, ou à ce que les auteurs des actes considèrent comme tels, actes qui ne relèveraient pas nécessairement eux-mêmes de l’énumération (du paragraphe (4) de l’article 2), mais qui sont commis dans le cadre de la même ligne de conduite.»

    Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 166.

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 93, 527 : En accord avec le jugement Akayesu, la Chambre reconnaît «qu’il serait difficile de prouver cette intention. Elle relève que l’intention peut être établie de manière convaincante à partir des actes de l’auteur, y compris au moyen de preuves indirectes» et qu’elle «peut être déduite soit des propos soit des actes de l’auteur et peut être établie par la mise en évidence de l’existence d’une ligne de conduite délibérée.» De manière plus concrète, la Chambre considère comme preuve d’une telle intention :

  • «le nombre des membres du groupe victimes de l’acte incriminé ;»

  • «le fait de s’attaquer physiquement au groupe ou à ses biens ;»

  • «l’usage de termes insultants à l’égard des membres du groupe visé ;»

  • «les armes utilisées et la gravité des blessures subies par les victimes ;»

  • «le caractère méthodique de la planification ;»

  • «le caractère systématique du crime ;» et

  • «l’étendue relative de la destruction, ou de la tentative de destruction, d’un groupe.»

    (5)  l’existence d’un plan précis n’est pas requise / mais peut constituer une preuve de l’intention

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 94, 276 : «[Q]uand bien même l’existence d’un plan précis visant à détruire le groupe ne constituerait pas en soi un élément du génocide, il semble, cependant, qu’il soit virtuellement impossible de perpétrer le crime de génocide en l’absence d’un tel plan ou d’une telle organisation.» «[I]l est pratiquement impossible qu’un crime de génocide soit commis sans une participation de l’État, fût-elle indirecte, compte tenu de l’ampleur de ce crime.» «[I]l n’est pas indispensable qu’une personne soit informée de tous les détails du plan ou de la politique génocide.» «[L]’existence d’un tel plan serait de nature à établir de manière concluante la présence de l’intention spécifique requise pour le crime de génocide.»

    ii)   «l’intention de détruire en tout ou en partie»

    (1) l’intention de détruire doit viser un nombre assez élevé ou au moins une partie substantielle du groupe

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 96-97 : La Chambre relève «que l’expression «en partie» semblerait indiquer un nombre assez élevé par rapport à l’effectif total du groupe, ou encore une frange importante de ce groupe, telle que ses dirigeants.»

    Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 64 : La Chambre considère «à l’instar de la CDI (Commission de Droit International), que «l’intention doit être de détruire le groupe «comme tel», c’est-à-dire comme entité séparée et distincte, et non simplement quelques individus en raison de leur appartenance à ce groupe.» Bien que la destruction recherchée ne vise pas nécessairement chaque membre du groupe ciblé, la Chambre considère que l’intention de détruire doit viser au moins une partie substantielle du groupe.»

    (2)  l’anéantissement effectif du groupe tout entier n’est pas requis

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre, 1998, par. 497 : «[L]e crime de génocide n’est pas subordonné à l’anéantissement de fait d’un groupe tout entier, mais s’entend dès lors que l’un des actes visés à l’article 2(2)(a) à 2(2)(e) a été commis dans l’intention spécifique de détruire «tout ou partie» d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.» Voir aussi Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre1999, par. 48-49.

    (3)  il n’est pas nécessaire qu’un génocide se soit déroulé dans l’ensemble du pays

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, Section 3, par. 129, note 61 : «Il est non seulement clair, de l’avis de la Chambre, qu’un accusé pourrait être innocenté du crime de génocide alors même qu’il est avéré qu’un génocide a bien eu lieu, mais également, dans un cas autre que le Rwanda, qu’une personne peut être convaincue de génocide sans pour autant qu’il soit établi qu’un génocide s’est déroulé dans l’ensemble du pays dont il s’agit.»

    (4)  la destruction

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 315 : «Les auteurs du Statut du Tribunal, qui ont repris textuellement la définition du génocide donnée par la Convention sur le génocide, ont clairement choisi de circonscrire le sens du verbe «détruire» aux seuls actes constitutifs de génocide physique ou biologique.»

    (a)  la violence sexuelle comme destruction

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 731 : La Chambre insiste sur le fait que des viols et des violences sexuelles sont «bien constitutifs de génocide, au même titre que d’autres actes, s’ils ont été commis dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe spécifique, ciblé en tant que tel […] Ces viols ont eu pour effet d’anéantir physiquement et psychologiquement les femmes Tutsies, leur famille et leur communauté. La violence sexuelle faisait partie intégrante du processus de destruction particulièrement dirigé contre les femmes Tutsies et ayant contribué de manière spécifique à leur anéantissement et à celui du groupe tutsi considéré comme tel.» Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 95.

    iii)  «un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel»

    (1)  le groupe protégé doit être stable et permanent

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 511, 516, 701-702 : «Il apparaît, à la lecture des travaux préparatoires de la Convention sur le génocide […] que le crime de génocide aurait été conçu comme ne pouvant viser que des groupes «stables», constitués de façon permanente et auxquels on appartient par naissance, à l’exclusion des groupes plus «mouvants» qu’on rejoint par un engagement volontaire individuel, tels les groupes politiques et économiques.» La Chambre considère qu’ «[u]n critère commun aux quatre ordres de groupe protégés par la Convention sur le génocide est que l’appartenance à de tels groupes semblerait ne pouvoir être normalement remise en cause par ses membres, qui y appartiennent d’office, par naissance, de façon continue et souvent irrémédiable.» «De l’avis de la Chambre, il convient de surtout respecter l’intention des auteurs de la Convention sur le génocide, qui, selon les travaux préparatoires, était bien d’assurer la protection de tout groupe stable et permanent.» «[L]a Chambre estime que les Tutsi constituaient bien, à l’époque des faits allégués, un groupe stable et permanent et identifié par tous comme tel.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 160-163.

    Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 56 : «La Chambre note que les concepts de nation, d’ethnie, de race et de religion ont fait l’objet de nombreuses recherches et qu’il n’en existe pas, en l’état, de définitions précises et généralement et internationalement acceptées. Chacun de ces concepts doit être apprécié à la lumière d’un contexte politique, social et culturel donné.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 161.

    (a)  l’appartenance à un groupe est-elle par essence une notion subjective ou objective?

    Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 56-58, 373 : «[L]a Chambre note que, dans le cadre de l’application de la Convention sur le génocide, l’appartenance à un groupe est par essence une notion plus subjective qu’objective. La victime est perçue par l’auteur du crime de génocide comme appartenant au groupe dont la destruction est visée. La victime peut elle-même, dans certains cas, se considérer appartenir audit groupe.» «La Chambre considère néanmoins que la seule définition subjective n’est pas suffisante pour délimiter les groupes victimes, au sens de la Convention sur le génocide. À la lecture de ces travaux préparatoires, il apparaît que certains groupes, tels les groupes politiques et économiques, ont été écartés des groupes protégés parce que considérés comme des groupes «mouvants», caractérisés par le fait que leurs membres font preuve d’un engagement volontaire individuel. A contrario, cela laisserait à penser que la Convention aurait pour objectif de protéger des groupes caractérisés par leur relative stabilité et permanence...» «[L]a Chambre a indiqué qu’elle estime, quant à la question de savoir si un groupe donné peut être considéré comme protégé du crime de génocide, qu’il convient de l’apprécier au cas par cas, en tenant compte à la fois des éléments de preuve y relatifs qui lui ont été présentés et du contexte politique, social et culturel.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par.160-163.

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 317 : «Le Statut du Tribunal n’apporte aucun éclairage sur la question de savoir si le groupe visé par l’intention génocide de l’accusé doit être défini selon des critères objectifs ou subjectifs ou sur la base de telle ou telle formule empruntant à chacun de ces deux critères. Les diverses Chambres de première instance du Tribunal ont conclu que la  question de savoir si tel ou tel groupe bénéficie de la protection prévue à l’article 2 du Statut doit s’apprécier au cas par cas sur la base des caractéristiques objectives du contexte social ou historique considéré et des perceptions subjectives des auteurs présumés des infractions […] La Chambre estime que c’est au cas par cas qu’il convient d’apprécier si tel ou tel groupe est protégé et ce, en s’appuyant à la fois sur les critères objectifs et subjectifs.»

    (2)  l’interprétation de l’expression «comme tel»

    Le Procureur c. Niyitegeka, Affaire no. ICTR-96-14, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 410 : «[L]a Chambre saisie a interprété l’expression «comme tel» comme signifiant que l’acte doit avoir été commis à l’encontre d’un individu, parce que cet individu était membre d’un groupe spécifique et en raison même de son appartenance à ce groupe, ce qui signifie que la victime est le groupe lui-même et non pas seulement l’individu.»

    Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 60 : «[L]’un desdits actes incriminés doit avoir été commis à l’encontre d’un ou de plusieurs individus, parce que cet individu ou ces individus étaient membres d’un groupe spécifique et en raison même de leur appartenance audit groupe. Aussi, la victime de l’acte est choisie non pas en fonction de son identité individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. La victime de l’acte est donc un membre du groupe, choisi en tant que tel, ce qui signifie en définitive que la victime du crime de génocide est, par-delà la personne qui en est victime, le groupe lui-même.»

    Le Procureur c. Nahimana, Baraygauiza et Ngeze, Affaire no. ICTR 99-52-T, 3 décembre 2003, par. 948 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (3)  le groupe national

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 512 : «[Un] groupe national qualifie un ensemble de personnes considérées comme partageant un lien juridique basé sur une citoyenneté commune, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs.»

    (4)  ethnie/ groupe ethnique

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 513 : «Le groupe ethnique qualifie généralement un groupe dont les membres partagent une langue ou une culture commune.»

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 98 : «Un groupe ethnique se définit comme un groupe dont les membres ont en commun une langue et une culture ; ou un groupe qui se distingue comme tel (auto-identification) ; ou un groupe reconnu comme tel par d’autres, y compris les auteurs des crimes (identification par des tiers).»

    (a)  application

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 122-124, 170-172, 701-702, Note 56, Note 57 : En se fondant sur de «nombreux témoignages concordants et dignes de foi» et des «classifications officielles», la Chambre soutient que «les Tutsi constituaient, au Rwanda en 1994, un groupe dénommé «ethnique» et elle estime aussi que «les Tutsi constituaient bien, à l’époque des faits allégués, un groupe stable et permanent et identifié par tous comme tel.»» De l’avis de la Chambre, les preuves suivantes illustrent qu’il s’agissait bien d’«un groupe particulier, le groupe ethnique Tutsi, qui était ciblé» :

    • l’existence des tris opérés aux barrages routiers installés dans la plupart des localités du pays qui permettaient de séparer les Hutu des Tutsi, ces derniers étant immédiatement appréhendés et tués ;
    • la propagande menée avant et pendant la tragédie par les médias audiovisuels ou écrits. «Ces médias appelaient ouvertement au meurtre des Tutsi» ;
    • la «vérification systématique des cartes d’identité [et des extraits de naissance] avec la mention de l’ethnicité» Hutu ou Tutsi ;
    • auto-identification par les individus comme Hutu ou Tutsi.

    «La Chambre prend note du fait que la population tutsie ne possède pas sa propre langue pas plus qu’elle n’a une culture différente de celle du reste de la population rwandaise. Elle considère toutefois qu’il existe un certain nombre de facteurs objectifs faisant de ce groupe une entité dotée d’une identité distincte.» Notes 56 – 57 (avec par. 122) «Si le groupe ethnique se dit généralement d’un groupe dont les membres ont la même langue et/ou la même culture, on peut difficilement parler de groupe ethnique s’agissant des Hutu et des Tutsi qui partagent la même langue et la même culture. Dans le contexte de l’époque toutefois, ils étaient considérés, reprenant une distinction opérée par la colonisation comme formant deux groupes ethniques différents aussi bien par les autorités que par les populations elles-mêmes et leurs cartes d’identité mentionnaient leur appartenance ethnique.» «Les Tutsi n’étaient toutefois pas les seules victimes des massacres. De nombreux Hutu ont été également tués mais, non pas parce qu’ils étaient Hutu, mais tout simplement parce qu’ils étaient considérés pour une raison ou pour une autre comme ayant pris le parti des Tutsi.»

    Le Procureur c. Ntakirutimana et Ntakirutimana, Affaire no. ICTR-96-10 & ICTR 96-17-T, (Chambre de première instance), 21 février 2003, par. 789 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 291 : «Comme […] l’immense majorité des victimes de la tragédie étaient des civils tutsis, la Chambre est convaincue que les massacres étaient dirigés contre les «membres d’un groupe», en l’occurrence un groupe ethnique.»

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 422 : «La Chambre a dressé le constat judiciaire du fait qu’ «Entre le 6 avril 1994 et le 17 juillet 1994, des citoyens natifs du Rwanda étaient individuellement identifiés à partir des classifications ethniques suivantes : Tutsis, Hutus et Twas»» et «[i]l est donc constant, aux fins de la présente cause, que les Tutsis du Rwanda constituaient un groupe «ethnique»».

    (b)  association du groupe ethnique à une cause politique

    Le Procureur c. Nahimana, Barayuguiza and Ngeze, Affaire no. ICTR-99-52-T, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 969 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (5)  le groupe racial

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 514 : «La définition classique du groupe racial est fondée sur les traits physiques héréditaires, souvent identifiés à une région géographique, indépendamment des facteurs linguistiques, culturels, nationaux ou religieux.»

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 98 : «Un groupe racial se distingue par des traits physiques héréditaires souvent définis par le milieu géographique dans lequel il vit.»

    (6)  le groupe religieux

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 515 : «Le groupe religieux est un groupe dont les membres partagent la même religion, confession ou pratique de culte.»

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 98: «Un groupe religieux recouvre les confessions ou les modes de culte ou des groupes de personnes partageant les mêmes croyances.»

    (7)  maltraiter des personnes ne faisant pas partie d’un des groupes énumérés ne constitue pas un génocide

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 720-721 : La Chambre considère que certains actes ont constitué «une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale» quand une femme a été frappée, menacée, et interrogée afin d’obtenir des informations sur une autre femme mais «bien que ces actes constituent une atteinte grave à l’intégrité physique et mentale de la victime, la Chambre relève qu’ils ont été commis à l’encontre d’une femme hutue. Par conséquent, lesdits actes ne peuvent pas être constitutifs du crime de génocide commis à l’encontre du groupe tutsi.»

    iv)  application

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 117-121, 168-169 : La Chambre estime que les conditions suivantes suffisent à démontrer «l’intention de détruire, en tout ou partie» :

    • témoignages d’experts et autres témoignages fondés sur des déclarations faites par certains dirigeants politiques, sur des chansons et des slogans populaires, prouvant l’intention d’éliminer tous les Tutsi du Rwanda ;
    • témoignages sur le fait que de nombreux blessés avaient le tendon d’Achille coupé pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir ;
    • témoignages d’experts et images montrant de «très nombreux cadavres de Tutsi […] jetés de façon souvent systématique, dans le fleuve Nyabarongo, qui est un affluent du Nil avec l’intention d’«envoyer les Tutsi à leurs origines»» ;
    • témoignages sur les meurtres de nouveaux-nés ;
    • témoignages de proverbes et de déclarations publiques appelant «à tuer des femmes enceintes, y compris des Hutu, parce que les foetus qu’elles portaient ont été conçus par des pères Tutsi. Or, dans une société patrilinéaire comme la société rwandaise, l’enfant appartient au groupe de son père.»

    Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 427 : En déclarant Niyitegeka coupable de complicité de génocide, la Chambre conclut: «Compte tenu du fait que l’accusé a assisté et participé à des réunions […] pour débattre de la mise à mort des Tutsis présents à Bisesero, qu’il a planifié des attaques contre les Tutsis présents à Bisesero, qu’il a promis et distribué à des assaillants des armes destinées à être utilisées dans des attaques dirigées contre les Tutsis, qu’il a exprimé […] son soutien au Premier Ministre Jean Kambanda et au Gouvernement intérimaire, que, par ses actes ou ses omissions, il a privé la population tutsie de protection, et qu’il a joué un rôle de responsable en dirigeant des réunions et en y prenant la parole […] la Chambre conclut que l’accusé, tout comme les autres parties à l’entente, était animé de l’intention prohibée de détruire, en tout ou en partie, le groupe ethnique tutsi.»

    Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 436-437 : En déclarant Niyitegeka coupable du crime d’incitation directe et publique à commettre un génocide, la Chambre conclut : «Considérant que par ses propos l’accusé a exhorté les assaillants à travailler, et qu’il les a remerciés, encouragés et félicités pour le «travail» déjà accompli, le mot travail voulant dire tuer les Tutsis […] la Chambre conclut que l’accusé était animé de l’intention prohibée de détruire, en tout ou en partie, le groupe ethnique tutsi.»

    Nahimana, Barayaguiza and Ngzeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 957-969 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    d) Crimes spécifiques

    i)  meurtre de membres du groupe

    (1)  les éléments

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 319 : «Pour faire déclarer l’accusé pénalement responsable de génocide à raison du meurtre de membres d’un groupe, le Procureur doit établir non seulement que l’accusé était animé de l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe visé, mais également que les éléments suivants sont réunis : (1) l’accusé a intentionnellement donné la mort à un ou plusieurs membres du groupe, la préméditation n’étant pas requise ; et (2) la victime ou les victimes appartenaient au groupe ethnique, racial, national ou religieux visé.»

    (2)  l’intention est requise

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 500-501 : «S’agissant de l’alinéa (a) du paragraphe (2) de l’article 2 du Statut, tout comme dans la Convention sur le génocide, la Chambre remarque qu’il indique «meurtre» dans la version française, et «killing» dans la version anglaise. La notion de «killing», retenue en anglais, paraît trop générale à la Chambre, puisqu’elle pourrait comprendre aussi bien les homicides intentionnels que les homicides non intentionnels, alors que le «meurtre», retenu dans la version française, est plus précis.» «[L]a Chambre est d’avis [que] la définition du meurtre [est] un homicide commis avec l’intention de donner la mort.»

    Comparer Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 50 : «L’alinéa (a) du paragraphe (2) de l’article 2 du Statut, tout comme les dispositions correspondantes de la Convention sur le génocide, fait état de «meurtre» dans la version française, et de «killing» dans la version anglaise. Selon la Chambre, l’acte de «killing» comprend aussi bien l’homicide intentionnel que l’homicide non intentionnel, alors que l’acte de «meurtre» n’est réalisé que lorsque l’homicide a été commis avec l’intention de donner la mort. Eu égard à la présomption d’innocence et conformément aux principes généraux du droit criminel, la Chambre est d’avis qu’il convient de retenir la version la plus favorable à l’accusé, et décide que l’alinéa (a) de l’article 2(2) du Statut doit être interprété conformément à la définition du meurtre donnée, par exemple, par le Code pénal rwandais, en son article 311, qualifiant le meurtre d’homicide commis avec l’intention de donner la mort». Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 155 ; Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 57-58.

    Comparer Le Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Affaire No. ICTR 95-1-A, (Chambre d’Appel), 1er juin 2001, par. 151 : «[L]a Chambre de première instance a considéré que «meurtre» et «killing» ne sont pas synonymes. Toutefois, compte tenu du chapeau de l’article 2(2) du Statut, elle a jugé qu’il n’y a presque pas de différence entre les deux versions puisque le terme «killing» renvoie à l’intention de détruire en tout ou partie.» Elle considère cependant que si l’on interprète le mot «presque» dans le sens où il existe une différence, même minime, entre ces deux termes, cela amènerait à l’interpréter les deux termes comme désignant un meurtre intentionnel mais pas nécessairement prémédité, ce qui est, selon la chambre d’appel, le sens à donner au mot «meurtre».

    (3)  lien de causalité

    Nahimana, Barayaguiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 952-953 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (4)  application

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 114-116 : La Chambre soutient que les preuves suivantes de tueries généralisées au Rwanda suffisent à démontrer «des meurtres et atteintes graves à l’intégrité corporelle de membres d’un groupe» :

    • témoignages de «tas de cadavres […] vus partout, sur les routes, les sentiers et les rivières et, notamment, la façon dont tous ces gens avaient été massacrés» ;
    • témoignages selon lesquels «dans l’hôpital de nombreux blessés […] étaient tous des Tutsi, qui avaient été frappés apparemment à coups de machette, au visage, au cou et aussi aux chevilles, derrière le tendon d’Achille, pour les empêcher de fuir» ;
    • témoignage selon lequel «[…] des éléments des FAR et de la Garde présidentielle qui, à Kigali, allaient dans des maisons préalablement choisies pour y tuer» et des témoignages d’autres meurtres ailleurs dans le pays ;
    • photographies de cadavres dans beaucoup d’églises à travers le pays ;
    • cartes d’identité jonchant le sol et qui portaient la mention «Tutsi».

    ii)   atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe

    (1)  définition générale

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 504 : «[L]a Chambre entend, par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, sans s’y limiter, les actes de torture, que cette dernière soit physique ou mentale, les traitements inhumains ou dégradants, le viol, les violences sexuelles, la persécution.»

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 108-113 : «L’expression «atteinte grave à l’intégrité physique» doit s’apprécier au cas par cas en s’appuyant sur le sens commun […] La Chambre est d’avis que, dans une large mesure, l’expression «atteinte grave à l’intégrité physique» se passe d’explication. Elle peut être interprétée comme renvoyant à un acte qui porte gravement atteinte à la santé de la victime ou qui a pour effet de la défigurer ou de provoquer des altérations graves de ses organes externes, internes ou sensoriels.» «La Chambre est d’avis que l’expression «atteinte grave à l’intégrité mentale» devrait être interprétée au cas par cas, à la lumière des principes généraux du droit.»

    Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 51 : «…la Chambre entend, par atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, sans s’y limiter, les actes de torture physique ou de torture mentale, les traitements inhumains ou dégradants, le viol, les violences sexuelles, la persécution.» Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 156 ; Baglishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 59.

    (2)  il n’est pas nécessaire que l’atteinte grave incriminée soit permanente ou irrémédiable

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 502 : «Une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ne nécessite pas, selon la Chambre, que l’atteinte soit permanente et irrémédiable.» Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 108 ; Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 51 ; Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 156 ; Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 59 ; Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 320-322.

    Comparer Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 321 : «Le Statut ne définit pas non plus l’expression «atteinte grave à l’intégrité mentale». Le Tribunal a jugé que la notion d’atteinte grave à l’intégrité mentale doit recouvrir une atteinte plus grave qu’une atteinte mineure ou temporaire aux facultés mentales de la victime.»

    Voir aussi les Sections (I) (d) (i) (4) ci-dessous.

    (3)  les viols et violences sexuelles peuvent constituer «une atteinte grave à l’intégrité physique et mentale de membres du groupe»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 706-707, 731-734, 688 : «[L]es viols et violences sexuelles constituent […] «des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale» des membres du groupe…» Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 108 ; Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier, 2000, par. 156.

    (4)  les menaces au cours des interrogatoires peuvent constituer «une atteinte grave à l’intégrité physique et mentale de membres du groupe»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 711-712 : Les menaces de mort au cours des interrogatoires, seules ou accompagnées de coups «sont constitutives d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale» du groupe. Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par 108.

    (5)  l’intention de porter une «atteinte grave à l’intégrité mentale» est requise

    Kayishema and Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 112 : «La Chambre estime que la responsabilité d’un accusé ne peut être engagée dans de telles circonstances que si, au moment des faits, il était animé de l’intention de porter une atteinte grave à l’intégrité mentale de la victime afin de donner effet à l’intention spécifique de détruire un groupe en tout ou en partie.»

    iii)  soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 505-506 : «Par les termes de soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, il faut entendre des moyens de destruction par lesquels l’auteur ne cherche pas nécessairement à tuer immédiatement les membres du groupe, mais, à terme, vise leur destruction physique […] [L]es moyens […] comprennent, sans s’y limiter, la soumission d’un groupe de personnes à un régime alimentaire de subsistance, l’expulsion systématique des logements, la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum.» Voir aussi Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 decembre 1999, par 52 ; Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 157.

    Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 115-116 : La «soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle»vise «des situations telles à condamner les membres du groupe à mourir à petit feu, notamment en les privant de logements et de vêtements adéquats, en leur refusant l’accès à des installations sanitaires et à des soins médicaux, ou en les assujettissant à des travaux excessifs ou encore à déployer des efforts physiques...» et également «des méthodes de destruction qui n’entraînent pas immédiatement la mort des membres du groupe […] Elle (la chambre) […] considère par voie de conséquence que les conditions d’existence visées incluent, notamment, le viol, la privation de nourriture, la réduction des services sanitaires en-dessous du minimum requis et la détention des membres du groupe pendant une durée excessive dans des locaux dont la surface ne répond pas au minimum requis…»

    Mais voir ausssi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 548 : La Chambre considère que bien que le groupe tutsi à Kibuye «[ait] été privé de nourriture, d’eau, de toilettes adéquates et de soins médicaux», «[c]es privations s’inscrivaient toutefois dans le cadre des actes de persécution perpétrés contre les Tutsis dans l’intention de les exterminer subséquemment en très peu de temps. Elles ne participaient nullement de la volonté de soumettre les victimes aux conditions d’existence […] dans le but de provoquer leur destruction. Au surplus, la Chambre considère la durée et l’échelle des privations auxquelles les Tutsis ont été soumis comme étant trop limitées pour entraîner la destruction du groupe…»

    iv)  mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 507-508 : «[P]ar mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, il faut comprendre la mutilation sexuelle, la pratique de la stérilisation, l’utilisation forcée de moyens contraceptifs, la séparation des sexes, l’interdiction des mariages. Dans le contexte de sociétés patriarcales, où l’appartenance au groupe est dictée par l’identité du père, un exemple de mesure visant à entraver les naissances au sein d’un groupe est celle du cas où, durant un viol, une femme dudit groupe est délibérément ensemencée par un homme d’un autre groupe, dans l’intention de l’amener à donner naissance à un enfant, qui n’appartiendra alors pas au groupe de sa mère […] [L]a Chambre note que les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe peuvent être d’ordre physique, mais aussi d’ordre mental. À titre d’exemple, le viol peut être une mesure visant à entraver les naissances lorsque la personne violée refuse subséquemment de procréer, de même que les membres d’un groupe peuvent être amenés par menaces ou traumatismes infligés à ne plus procréer.» Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de premiere instance), 21 mai 1999, par. 117 ; Rutaganda, (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 53 ; Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 158.

    v)   transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 509 : «La Chambre est d’avis, s’agissant du transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe, comme dans le cas des mesures visant à entraver les naissances, qu’il ne s’agit pas seulement de sanctionner un acte direct de transfert forcé physiquement, mais aussi de sanctionner les actes de menaces ou traumatismes infligés qui aboutiraient à forcer le transfert d’enfants d’un groupe à un autre.» Voir aussi Kayishema et Ruzindana, (Chambre de première instance), 21 mai 1999, par. 117 ; Rutaganda (Chambre de première instance), 6 décembre 1999, par. 53; Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 159.

    e)   Les actes punissables

    i)    le génocide

    Voir discussion ci-dessus.

    ii)   l’entente en vue de commettre le génocide

    (1)  définition

    Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 191: «[L]a Chambre définit l’entente en vue de commettre le génocide comme une résolution d’agir sur laquelle au moins deux personnes se sont accordées, en vue de commettre un génocide.» Voir aussi Ntakirutimana et Ntakirutimana, (Chambre de première instance), 21 février 2003, par.798; Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 423 ; Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1041.

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1042 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (2)  l’élément moral (mens rea)

    Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 192 : «S’agissant de l’élément moral constitutif de l’infraction d’entente en vue de commettre le génocide, la Chambre relève qu’il réside dans l’intention concertée de commettre le génocide, c’est à dire de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. […] [L]’intention requise pour le crime d’entente en vue de commettre le génocide […] est ipso facto l’intention requise pour le crime de génocide, soit le dol spécial caractéristique de ce dernier crime.»

    (3)  l’entente est répréhensible même si le crime n’a pas été réalisé

    Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 194 : «La Chambre est d’avis que le crime d’entente en vue de commettre le génocide est répréhensible même s’il n’a pas été suivi d’effet, c’est à dire même si l’infraction principale, en l’occurence le génocide, n’a pas été réalisé.»

    Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 423 : «La mens rea requise réside dans l’intention spécifique de commettre le génocide. Attendu qu’il s’agit d’une infraction formelle, l’entente est en soi punissable, même si l’infraction principale n’est pas consommée.»

    (4)  une entente formelle n’est pas nécessaire

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1045 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (5)  l’entente peut être déduite / à condition d’avoir connaissance des faits

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1047 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (6)  coordination institutionnelle

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1048 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (7)  le complot est une infraction continue

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1044 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (8)  jurisprudence contradictoire quant à savoir si la Cour peut oui ou non condamner le génocide et l’entente en vue de commettre le génocide pour les mêmes faits

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1042 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Mais voir Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 198 : «[U]n accusé ne saurait être reconnu coupable à la fois de génocide et d’entente en vue de commettre le génocide […] pour les mêmes faits.»

    (9)  application

    Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 428 : «Consciente du fait que l’accusé et d’autres ont, de concert, agi, en tant que meneurs dans les attaques dirigées contre les Tutsis […] tenant compte du caractère organisé des attaques perpétrées, ce qui suppose l’existence d’un plan pré-établi ; et constatant en particulier qu[e] […] l’accusé a esquissé un plan en vue d’une attaque à mener dans Bisesero, plan auquel les participants […] ont adhéré, la Chambre conclut que les faits susmentionnés prouvent l’existence d’une entente entre l’accusé et d’autres personnes […] en vue de commettre le génocide.»

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1049-1055 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    iii)  l’incitation directe et publique à commettre le génocide

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 559 : «[L]’incitation directe et publique doit être définie […] comme le fait de directement provoquer l’auteur ou les auteurs à commettre un génocide, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches, exposés aux regards du public, soit par tout autre moyen de communication audiovisuelle.»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 555 : «L’incitation est définie en Common Law comme le fait d’encourager ou de persuader une autre personne à commettre une infraction. Une certaine jurisprudence en Common Law prévoit par ailleurs que des menaces ou d’autres formes de pressions peuvent être une forme d’incitation. Les systèmes de Civil Law […] comme indiqué supra, pénalisent l’incitation directe et publique sous la forme de la provocation, cette dernière étant définie comme l’action visant à directement provoquer autrui à commettre un crime ou un délit par des discours, cris ou menaces ou par tout moyen de communication audiovisuelle. Cette provocation, telle qu’elle est définie en Civil Law […] doit être directe et publique.»

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre2003, par. 1017 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (1)  le caractère «direct»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 557 : «Le caractère «direct» de l’incitation veut que l’incitation prenne une forme directe et provoque expressément autrui à entreprendre une action criminelle et qu’une simple suggestion, vague et indirecte, soit quant à elle insuffisante pour constituer une incitation directe […] En Civil Law, on considère que la provocation, équivalent de l’incitation, est directe si elle tend à l’accomplissement d’une infraction précise : l’Accusation doit pouvoir prouver le lien certain de cause à effet entre l’acte qualifié d’incitation, ou, en l’espèce de provocation, et une infraction particulière…» «[L]a Chambre rappelle qu’une incitation peut être directe et néanmoins implicite.» Voir aussi Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 431.

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 557-558 : «La Chambre considère toutefois qu’il est approprié d’évaluer le caractère direct d’une incitation à la lumière d’une culture et d’une langue donnée.» «La Chambre évaluera donc au cas par cas si elle estime, compte tenu de la culture du Rwanda et des circonstances spécifiques de la cause, que l’incitation peut être considérée comme directe ou non, en s’appuyant principalement sur la question de savoir si les personnes à qui le message était destiné en ont directement saisi la portée.» Voir aussi Nahimana, Baraygwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1011.

    (2)  le caractère «public»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 556 : «Le caractère public de l’incitation au génocide peut être plus particulièrement examiné à la lumière de deux facteurs : le lieu où l’incitation a été formulée et le fait de savoir si l’assistance a été ou non sélectionnée ou limitée. La jurisprudence habituellement retenue en Civil Law considère que la publicité des propos résulte du fait que ceux-ci ont été tenus à haute voix dans un lieu public par nature. Selon la Commission du droit international, l’incitation publique est caractérisée par un appel à commettre un crime lancé dans un lieu public à un certain nombre d’individus ou encore un appel lancé au grand public par des moyens tels que les média de masse, radio ou télévision par exemple.» Voir aussi Le Procureur c. Ruggiu, Affaire no. ICTR-97-32-I, (Chambre de première instance), 1 juin 2000, par. 17 ; Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 431.

    (3)  l’élément moral (mens rea) du crime d’incitation à commettre le génocide

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 560 : «L’élément moral du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide réside dans l’intention de directement amener ou provoquer autrui à commettre un génocide. Il suppose la volonté du coupable de créer, par ces agissements, chez la ou les personnes à qui il s’adresse, l’état d’esprit propre à susciter ce crime. C’est à dire que celui qui incite à commettre le génocide est lui-même forcément animé de l’intention spécifique au génocide : celle de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel.» Voir aussi Ruggiu, (Chambre de première instance), 1 juin 2000, par. 14 ; Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 431 ; Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1012 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1001 :[La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (4) l’incitation n’a pas besoin d’être suivie d’effet / le lien de cause à effet n’est pas nécessaire pour prouver l’incitation

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 562 : «La question qui se pose alors à la Chambre est de savoir si le crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide peut être puni même s’il n’a pas été suivi d’effet. Les travaux préparatoires de la Convention sur le génocide révèlent que les rédacteurs de ladite Convention ont envisagé d’indiquer explicitement que l’incitation à commettre le génocide pourrait être réprimée, qu’elle soit ou non suivie d’effet.» Voir aussi Ruggiu, (Chambre de première instance), 1er juin 2000, par. 16 ; Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 431 ; Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1013 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1015 et 1029 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1007 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (5)  application

    Niyitegeka, (Chambre de première instance), 16 mai 2003, par. 436-437 : «Considérant que par ses propos l’accusé a exhorté les assaillants à travailler, et qu’il les a remerciés, encouragés et félicités pour le «travail» déjà accompli, le mot travail voulant dire tuer les Tutsis […] la Chambre conclut que l’accusé était animé de l’intention prohibée de détruire, en tout ou en partie, le groupe ethnique tutsi» et que «l’accusé voit sa responsabilité pénale individuelle engagée […] pour […] avoir incité à tuer des réfugiés […] et à porter des atteintes graves à leur intégrité physique….»

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1031-1034 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1035 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1036-1038 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1039 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (a)  la distinction entre incitation et usage légitime des médias

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1020-1021 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    a.   l’importance du ton

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1022 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    b.   l’importance du contexte

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1022 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    c.   distinguer l’utilisation à des fins d’information

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1024 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    d.   distinguer la défense civile légitime

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1025 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    e.   les expressions relatives au groupe ethnique devraient recevoir un examen plus minutieux

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1008 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    f.    le droit international est un point de référence

    Nahimana, Barayagwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1010 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    iv)  la tentative de commettre le génocide

    v)   la complicité dans le génocide

    (1)  définition

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 393, 395 : «[L]a jurisprudence antérieure a défini le terme «complicité» comme l’aide, l’encouragement, l’incitation et la fourniture de moyens (en anglais : «aiding and abetting, instigating, and procuring»).» «[L]a complicité dans le génocide visée à l’article 2(3)(e) consiste en une aide ou un encouragement qui a concouru de façon substantielle à la perpétration du crime de génocide ou qui a eu un effet important sur sa commission.»

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 537 :La Chambre définit la complicité au regard du Code pénal rwandais, en retenant les éléments suivants comme constitutifs de complicité dans le génocide : 

    • «la complicité par fourniture de moyens, tels des armes, instruments ou tout autre moyen ayant servi à commettre un génocide, le complice ayant su que ces moyens devaient y servir ;
    • la complicité par aide ou assistance sciemment fournie à l’auteur d’un génocide dans les faits qui l’ont préparé ou facilité ;
    • la complicité par instigation, qui sanctionne la personne qui, sans directement participer au crime de génocide, a donné instruction de commettre un génocide, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, ou a directement provoqué à commettre un génocide.»

    Voir aussi Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 179 ; Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 69-70.

    (a)  la complicité exige un acte positif

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 548 : «[L]a complicité exige un acte positif, c’est-à-dire un acte de commission, alors que l’encouragement peut consister en une inaction ou abstention….»

    (2)  l’élément moral (mens rea)

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 538-9, 544 : «S’agissant de l’élément moral ou intentionnel de la complicité en général, il suppose la conscience chez l’agent, au moment où il agit, du concours qu’il apporte dans la réalisation de l’infraction principale. Autrement dit, l’agent doit avoir agi en connaissance de cause.» «[I]l n’est pas nécessaire que le complice désire que l’infraction principale soit commise.» «[U]ne personne qui, ayant connaissance du dessein criminel d’une autre personne, l’aide volontairement dans la commission d’une infraction, peut être convaincue de complicité, quand bien même le résultat effectif de l’infraction lui aurait inspiré regret.» Donc, «la mens rea ou dol spécial exigée pour la complicité dans le génocide est la connaissance du plan de génocide…»

    Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 395 : «L’accusé doit avoir agi intentionnellement, sachant qu’il concourait à la perpétration du crime de génocide, y compris de tous ses éléments matériels….»

    (a)  la complicité dans le génocide n’exige pas l’intention spécifique du génocide

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 540, 545 : «[L]’intention propre au complice est […] d’aider ou d’assister, en connaissance de cause, une ou plusieurs autres personnes à commettre un crime de génocide.» «La Chambre considère que le complice dans le génocide n’a donc pas nécessairement à être lui-même animé du dol spécial du génocide, qui requiert l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel.» «[…][U]n accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’Accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel.» Musema, (Chambre de première instance), 27 janvier 2000, par. 183 ; Bagilishema, (Chambre de première instance), 7 juin 2001, par. 71.

    (3)  il faut établir qu’un crime de génocide a été commis

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 529-530 : «[L]a complicité n’existe qu’à partir de l’existence d’un fait principal punissable, auquel le complice est venu s’associer. La complicité suppose donc qu’une infraction ait été commise, à titre principal, par un autre que le complice.» «Par conséquent, la Chambre considère que, pour qu’un chef d’accusation de complicité dans le génocide puisse être retenu, il faut d’abord que soit établi au-delà de tout doute raisonnable qu’un crime de génocide a effectivement été commis.»

    (4)  il n’est pas exigé que l’auteur principal de l’infraction soit identifié ou condamné

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 531 : «[U]n complice peut être jugé, même si l’auteur principal de l’infraction n’a pas été retrouvé ou si une culpabilité ne peut pas, pour d’autres raisons, être établie.»

    (5)  la même personne ne peut être coupable de génocide et de complicité pour le même fait

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 532 : «[U]ne même personne ne peut certainement pas être à la fois l’auteur principal et le complice d’un fait spécifique. Le même fait reproché à un accusé ne peut donc être à la fois constitutif de génocide et de complicité dans le génocide pour cet accusé. Cette exclusion mutuelle des qualifications de génocide et de complicité dans le génocide a pour conséquence qu’une même personne ne peut pas se voir déclarée coupable de ces deux crimes pour le même fait.»

    Nahimana, Baraygwiza et Ngeze, (Chambre de première instance), 3 décembre 2003, par. 1056 : [La version française de cette décision n’était pas à la disposition du public au moment de la publication de ce recueil.]

    (6)  la différence entre la complicité et la responsabilité pénale individuelle du génocide

    Akayesu, (Chambre de première instance), 2 septembre 1998, par. 546-548 : «[L]’article 6 du Statut TPIR, intitulé «Responsabilité pénale individuelle» […] dispose que «quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 4 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.»» «La conséquence en est que, lorsqu’on est en présence d’une personne accusée d’avoir aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un génocide, la preuve devra être apportée que cette personne était bien animée du dol spécial du génocide, à savoir qu’elle a agi dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel; tandis que, comme indiqué supra, la même exigence n’est pas requise dans le cas du complice dans le génocide.» «Une autre différence entre la complicité dans le génocide et l’encouragement à planifier, préparer ou exécuter un génocide, prévu à l’article 6(1) est que, en principe, la complicité exige un acte positif, c’est à dire un acte de commission…»

    Mais voir Semanza, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 394 : «De l’avis de la Chambre, il n’y a pas par essence de différence entre la complicité visée à l’article 2(3)(e) [la complicité dans le génocide] du Statut et la définition au sens large donnée à l’expression «aider et encourager» à l’article 6(1). La Chambre retient en outre que la mens rea requise pour la complicité dans le génocide prévue à l’article 2(3)(e) correspond à celle qui est exigée pour l’aide et l’encouragement et les autres formes de responsabilité du complice visées à l’article 6(1).»


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