Africa - West

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VI. LES SUITES DES VIOLS ET DES AUTRES FORMES DE VIOLENCE SEXUELLE

La stigmatisation des victimes

Les femmes et les filles qui sont violées ou agressées d'une autre façon ont subi des torts psychologiques, en plus des blessures physiques causées par ces crimes. Beaucoup ne récupèreront jamais complètement. Un nombre significatif de femmes et de filles se sont retrouvées enceintes suite au viol qu'elles avaient subi et un nombre inconnu d'entre elles ont été infectées par le VIH, modifiant de façon considérable leur vie future, leurs moyens de subsistance et leurs perspectives d'avenir. D'autres membres de la famille et de la communauté ont aussi pu être affectés psychologiquement ou physiquement, suite aux actes de violence sexuelle contre des femmes et des filles. Une femme enlevée et violée par des assaillants parlant le kinyarwanda a juste déclaré après cela : "Ma tête n'allait plus."160

La situation des victimes de viol est aggravée par la stigmatisation qui va de pair avec la violence qu'elles ont subie. Dans de nombreux cas, ces femmes et ces filles sont victimes d'ostracisme et se retrouvent aux marges de la société.

Un médecin a traité une jeune fille de quinze ans qui avait été violée par plusieurs hommes comme une malade en consultation externe afin de ne pas attirer l'attention sur son cas. Il l'a également soignée gratuitement. Il a fait le commentaire suivant : "On ne peut pas faire beaucoup pour empêcher qu'elle soit rejetée. Ce n'est pas sa faute," a-t-il dit. "Physiquement, elle va probablement aller mieux bien que nous ne sachions pas encore si elle a contracté une autre maladie. Et sur le plan psychologique, cela reste un problème. Elle a perdu sa virginité, ce qui est parfois très important dans un village. Elle ne peut même pas en parler."161

Dans certains cas, des maris ont rejeté leur épouse quand ils ont appris qu'elle avait été violée, parfois sous prétexte que la femme avait dû consentir à cette relation sexuelle. Dans un tel cas, une femme violée par des soldats du RCD a raconté :

Après, je suis rentrée à la maison. J'ai tenté de le cacher à mon mari mais il l'a découvert. Il a dit que j'avais accepté ça de bon gré. Il a dit ça malgré les bleus et les marques là où les soldats avaient appuyé leurs ongles à l'intérieur de ma cuisse.162

Dans un autre cas, une femme violée espérait cacher ce crime à son mari mais a cherché conseil auprès de son pasteur. Elle a dit :

Quand je suis rentrée à la maison, je suis allée voir le pasteur pour lui dire ce qui s'était passé. Sa femme a entendu notre conversation et elle est allée partout le raconter à tout le monde. Maintenant, on me rejette. Personne ne vient me voir ni ne partage quoi que ce soit avec moi. Tout le monde savait et ensuite, ils l'ont dit à mon second mari. Mon second mari a dit qu'il n'avait pas de chance avec les femmes parce qu'il avait déjà perdu deux femmes avant moi. On ne s'entend pas bien. Des fois, il dit que je devrais retourner vers [mon premier] mari ...ou que je devrais aller avec un autre homme dans la forêt.163

Certains maris ont simplement mis leur femme à la porte, refusant tout autre contact avec elle. Dans d'autres cas, ils ont permis à leur femme de rester dans le foyer mais ont pris une seconde épouse, reléguant la victime du viol dans une position subalterne.164

La famille des maris et celle des victimes elles-mêmes ont parfois rejeté des femmes et des filles qui avaient été violées. Francine M., une jeune veuve de trente-cinq ans, mère de six enfants, a été violée par trois soldats de l'APR à Kasika, au Sud Kivu, en août 1998. Ils ont également tué son mari devant elle. Ensuite, les frères de son mari l'ont accusée d'être une "traîtresse", une "complice" des attaquants, suggérant qu'elle n'aurait pas survécu sans cela. Ils ont affirmé qu'elle était devenue la "femme de tout le monde". Elle a quitté Kasika et vit maintenant à Bukavu. Elle continue de souffrir de douleurs abdominales, trois ans plus tard. "Mon corps est devenu triste," a-t-elle dit. "Je n'ai plus de joie."165

Maris et familles ont souvent pesé les différents aspects du problème avant de déterminer leur réponse au viol d'une des femmes du foyer. En décidant des effets à long-terme du crime, ils ont considéré si la femme s'était retrouvée enceinte et si oui, quelles seraient les responsabilités impliquées dans l'éducation de l'enfant. Les familles ont également considéré la possibilité que la victime ait pu être infectée, en particulier par le VIH/SIDA, ce qui ferait peser le fardeau des soins sur la famille. La quantité d'attention publique accordée au crime a également influencé la réaction des maris ou d'autres, dans la famille. Ceci est l'une des raisons pour lesquelles les victimes ont préféré garder le silence sur ces crimes.

Les femmes et les filles rejetées par leur mari et leur famille se sont retrouvées appauvries et humiliées. Francine M. qui a déménagé à Bukavu, avec ses six enfants, vend maintenant des avocats et loue une maison pour trois dollars par mois, une somme qu'elle a du mal à payer.166 Une autre jeune femme qui avait été violée par des combattants hutu, à Masisi, a été rejetée par son mari. Maintenant à Goma, elle est enceinte et n'a pas de lieu de résidence permanent. Elle vit dans les ruines de maisons détruites et gagne de petites sommes d'argent en transportant de lourdes charges.167 Plusieurs filles que nous avons interrogées à Sake, près de Goma, avaient été expulsées de chez elles après avoir été violées, lorsqu'elles étaient très jeunes. Certaines d'entre elles étaient enceintes. Elles étaient souvent forcées de faire des travaux dangereux et peu payés. Par exemple, plusieurs femmes interviewées transportent des charges lourdes ou travaillent comme domestiques pour gagner de l'argent.168

Femmes et filles célibataires se retrouvant enceintes suite à un viol ont moins de chances de trouver un mari à l'avenir et donc courent le risque de rester toujours aux marges de la société. Selon l'estimation d'un médecin, une femme célibataire avec un enfant, dans de telles circonstances, a seulement 20 pour cent de chance de se marier à l'avenir.169 Selon un groupe de femmes congolaises, une fille violée ayant donné naissance à un enfant est "une fille qu'aucun garçon ne peut épouser."170 Cependant, la plupart des filles célibataires, enceintes des suites d'un viol, ont généralement donné naissance à leur enfant même si elles comprenaient que faire de la sorte rendait impossible la dissimulation du viol et impliquait aussi de porter le fardeau de l'éducation de l'enfant. Le Congo est un pays majoritairement catholique romain. L'avortement y est illégal selon le droit congolais et désapprouvé par la culture congolaise, même dans le cas d'un viol.171 Selon un médecin, les femmes et les filles qui décidaient de mettre un terme à leur grossesse cherchaient à se faire avorter non par des médecins mais par un personnel non qualifié, avec tous les risques liés de complications. "Si cela est fait," a-t-il dit, "c'est fait par des charlatans."172

Une jeune femme a raconté ce qui s'est produit, après son viol par un soldat du RCD, en octobre 2001. D'abord, elle n'a rien dit à personne puis elle s'est finalement confiée à son employeur qui lui a donné l'argent pour un test de grossesse et un test VIH. Quand elle a appris qu'elle était enceinte, ses employeurs ont suggéré qu'elles se fassent avorter. "J'ai parlé à mon père," a raconté la jeune femme, "et il m'a demandé : est-ce-qu'un enfant t'empêcherait de continuer tes études ? J'ai répondu que non et il a dit que je devrais garder l'enfant. Mon père est chrétien. Il a dit qu'il m'aiderait." Elle a continué ainsi :

Je n'ai encore rien dit à mes frères. Je ne sais pas comment je vais leur dire. Je ne sais pas ce que je vais dire, comment je vais amener le sujet. Je ne sais déjà pas expliquer pourquoi je vomis. Je reste dans ma chambre toute la journée. Si Dieu me donne cet enfant et que cet enfant demande qui est son père, qu'est-ce-que je suis censée répondre ?173

Certains maris ont soutenu leur femme après que celle-ci ait été violée. Une femme violée par des combattants Mai-Mai et FDD, près de Kazimia, en juin 2001, a nécessité trois jours de soins hospitaliers pour commencer à récupérer. Quand elle est rentrée chez elle, son mari qui travaille pour une ONG de développement, l'a bien accueillie. Il a dit : "Nous sommes ensemble, ce [le viol] n'était pas sa faute."174

Une plus grande volonté de révéler les crimes qu'elles ont subis a contribué à réduire la stigmatisation dont les victimes souffraient. A Shabunda, où les femmes et les filles ont été les plus ouvertes sur leurs viols, elles ont formé une association de 500 membres pour soutenir les femmes et les filles violées.

Dans d'autres régions, des prêtres utilisent leurs sermons pour faire connaître la disponibilité en traitements médicaux et en services de conseils et appui psychologique aux victimes de violence sexuelle, dans des centres financés par l'église à Bukavu. Peu de personnes seront effectivement en mesure de profiter de ces services mais le simple fait de soulever publiquement le problème de la violence sexuelle devant une telle assemblée contribue à réduire la disgrâce qui frappe les femmes et les filles sexuellement agressées. Cela les aide également à chercher de l'assistance.

Conséquences médicales et VIH/SIDA

Suite à un viol, de nombreuses femmes et filles souffrent de blessures, d'hémorragies internes, de fistules175 et d'incontinence. Certaines se retrouvent enceintes et souffrent de complications médicales lors de leur grossesse. De nombreuses femmes et filles contractent aussi des maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH/SIDA. Des experts estiment qu'environ soixante pour cent des troupes régulières et des milices au Congo sont infectés par le VIH/SIDA. Ils ont mis en garde contre le fait que la guerre exacerbe la crise déjà existante du VIH/SIDA. La population au Congo doit encore réaliser l'étendue complète des destructions que lui inflige la violence sexuelle utilisée contre les femmes et les filles.

Peu de femmes et de filles cherchent des soins médicaux après leur viol parce que les soins de santé et le dépistage des maladies sexuellement transmissibles ou du VIH/SIDA sont trop coûteux. En plus dans certaines régions, peu de fournisseurs de services de santé sont disponibles et la plupart sont des hommes. La recherche des soins augmente aussi la probabilité que le viol soit révélé et que la victime soit mise à l'écart. Généralement, le personnel médical est mal formé, n'a peu ou pas d'expérience spécialisée dans le traitement des cas de violence sexuelle, est non payé et démoralisé. Les centres médicaux sont pauvrement équipés et de nombreuses installations ont été pillées ou détruites.

Un médecin a déclaré : "Celles que nous voyons ne représentent qu'un échantillon. Nous ne voyons probablement que les cas extrêmes."176 Une infirmière exprimait son accord. "Si [des femmes et des filles] ont été violées et sont très malades et qu'elles doivent chercher à recevoir des soins médicaux, certaines vont dans les hôpitaux," a-t-elle dit. "Si elles n'ont pas besoin de faire ça, elles n'en parlent à personne et ne cherchent pas une aide médicale."177 Des femmes et des filles ont été gravement blessées, parfois de façon permanente ou handicapées au cours du viol ou d'une autre forme d'agression sexuelle. Des femmes et des filles qui ont survécu à des actes tels que des coups de feu dans le vagin, comme cela est décrit plus haut, des viols collectifs répétés ou des interventions chirurgicales d'amateurs et autres sont fortement exposées au risque de très graves problèmes cliniques.

Dans un cas particulièrement grave, une femme ayant récemment accouché a subi un viol collectif perpétré par quatre hommes armés parlant le kiswahili, dans la forêt proche de Shabunda. Une fistule s'est développée entre son vagin et son rectum. Incapable de quitter la forêt, tout ce qu'elle a pu faire fut de se laver avec de l'eau chaude et des feuilles d'arbres. Elle raconte ainsi :

Après un mois, je suis allée voir les infirmières en brousse. C'était des infirmières qui avaient été prises en otages par des Mai-Mai. Les infirmières ont essayé de me recoudre, en utilisant le type de fil qu'on utilise pour tresser les cheveux. Il n'y avait ni anesthésiant, ni hygiène. Mais tout s'est défait après quelques jours.178

Quinze mois plus tard, cette jeune femme a atteint Shabunda et a pu enfin chercher une aide médicale. Elle espère pouvoir se rendre à Bukavu pour une intervention chirurgicale spécialisée afin de réparer sa fistule. De nombreux médecins n'ont pas les installations, ni l'expertise pour traiter de telles patientes même si les femmes et les filles peuvent accéder à eux, au départ. Même avec le meilleur traitement possible, nombre de ces femmes et de ces filles sont handicapées pour la vie et ont besoin de thérapie de long terme. Le traumatisme psychologique causé par un viol est rarement pris en considération et la réticence à discuter de l'expérience, même avec des membres de la famille ou des amis, aggrave le problème.

Un nombre significatif de femmes et de filles sont infectées par des maladies sexuellement transmissibles lors de leur viol et pour l'une des raisons évoquées plus haut ou l'ensemble de ces raisons, ne cherchent pas à bénéficier d'un traitement sauf si celui-ci est absolument nécessaire. La vaste majorité des victimes de viol interrogées n'avaient jamais reçu une forme quelconque de traitement médical après le viol. Souvent, elles n'ont même pas révélé le viol aux médecins lorsqu'elles ont accouché. Les travailleurs sociaux et le personnel médical ont confirmé que seulement une petite minorité de victimes reçoit un jour une forme de traitement. Par conséquent, de nombreuses maladies sexuellement transmissibles relativement faciles à traiter restent non traitées, certaines causant une douleur et une gêne considérables à la femme, certaines ayant des conséquences irréversibles. La maladie la plus mortelle pouvant être contractée par un viol est le VIH/SIDA. Non seulement la vie des femmes et des filles séropositives est raccourcie et leurs possibles moyens de subsistance gravement restreints mais être séropositive ou même être soupçonnée d'être séropositive s'ajoute à la stigmatisation du viol, résultant dans une double stigmatisation de ces femmes et ces filles. Une femme violée a déclaré que son mari l'avait rejetée, disant qu'il craignait qu'elle ait contracté le VIH et qu'elle le "contamine".179 La rareté et le coût élevé des tests de dépistage du VIH rendent plus difficile, pour les femmes non infectées, de montrer à leur mari et leur famille qu'elles sont séronégatives.

Dans la résolution 1308 (2000), le Conseil de Sécurité a explicitement reconnu que la pandémie du VIH/SIDA était exacerbée par les conflits armés. D'autres ont fait de même.180 En 2000, le Secrétaire Général a fait un rapport à l'Assemblée Générale sur les enfants dans les conflits armés et souligné "... les images obsédantes, d'un endroit à un autre, d'adolescentes victimes d'un viol, celui-ci étant devenu une arme de guerre au même titre que les balles et les machettes... Les conflits armés servent aussi, de plus en plus, de vecteurs de propagation de la pandémie du VIH/SIDA, qui suit de près les troupes armées, dans les corridors des conflits."181 Les taux d'infection des soldats, par des maladies sexuellement transmissibles, seraient de deux à cinq fois supérieurs à ceux des populations civiles et pendant un conflit armé, le taux d'infection peut être jusqu'à cinquante fois plus élevé.182 L'Institut américain pour la Paix (US Institute for Peace) estimait, en 2001, que la prévalence du VIH parmi les combattants de la guerre au Congo était de 60 pour cent.183 Il est probable qu'un pourcentage important de soldats rwandais soient séropositifs.184 Le Docteur Tshioko Kweteminga de OMS-Congo a avancé que le déplacement et les multiples mouvements de troupes entre le Congo et ses pays voisins ont préparé le Congo à une importante "explosion de VIH/SIDA", un point de vue partagé par beaucoup.185 Les troupes rwandaises rentrant du Congo chez elles, avec le virus, vont faire courir, à la population civile du Rwanda, un risque accru de contamination par le VIH.

Le taux national de prévalence du VIH, au Congo, est officiellement de 5,1 pour cent, à la fin 1999, calculé à partir de données collectées dans des sites d'observation186, mais selon de nombreux experts, ce chiffre sous estime beaucoup la prévalence actuelle.187 En juillet 2001, l'OMS rapportait que les chiffres nationaux recueillis par le biais du système d'information sanitaire donnaient un peu moins de 10 000 nouveaux cas de VIH pour l'année 2000. Le commentaire suivant était fait : "Mais les responsables en santé publique estiment que les chiffres réels, fondés sur les informations transmises par les sites d'observation, sont plus proches de 173 000 nouveaux cas par an, avec un total de presque 1,3 million d'adultes et d'enfants vivant déjà avec le VIH."188 Différentes études sur des femmes et des filles, dans des cliniques prénatales de certaines des villes les plus importantes ont été conduites entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90. Depuis, l'instabilité politique et la guerre ont empêché une surveillance régulière. L'est du Congo manque particulièrement de données fiables.

Les études au cours des dernières années indiquent que la prévalence du VIH, parmi les donneurs de sang, dans la ville de Bukavu, est de 10 à 12 pour cent mais il n'est pas clair si ce groupe est véritablement représentatif de la population générale ou des communautés affectées par la guerre.189 Un expert en santé, travaillant avec une ONG, estimait la prévalence à Bukavu proche de 15 à 20 pour cent, compte tenu des résultats de plusieurs études de petite ampleur.190 Prudence Shamavu, directrice de la branche de Fondation Femmes Plus à Bukavu, une organisation nationale travaillant contre le VIH/SIDA, a affirmé qu'une étude indiquait que la prévalence du VIH parmi les prostituées dans la ville de Bukavu atteint le pourcentage élevé de 45 pour cent.191 L'OMS rapportait qu'une étude sur les patients de l'Hôpital Général de Bukavu avait révélé une prévalence de 32 pour cent parmi les adultes de sexe masculin, 54 pour cent parmi les adultes de sexe féminin et 26,5 parmi les enfants.192 Des experts en santé interrogés étaient d'accord pour dire que la prévalence du VIH/SIDA augmente rapidement dans le Nord et le Sud Kivu et représente un problème urgent. Ces experts ont exhorté les acteurs de l'aide internationale à conduire une étude de prévalence valable sur la région.

Comparé à d'autres régions de l'Afrique orientale, centrale et australe, même celles pauvrement desservies, l'est du Congo manque désespérément de services dans le domaine du VIH/SIDA. Les services censés prévenir le VIH/SIDA sont quasi non existants. Les messages de promotion et les campagnes d'information, relativement généralisés à travers une grande partie de l'Afrique, sont pratiquement absents de l'est du Congo. Shamavu notait qu'il était difficile de susciter l'intérêt des bailleurs pour des activités habituelles de prévention telles que des campagnes dans les médias. Les financements des bailleurs sont nécessaires puisque les autorités dans la région n'ont pas alloué de ressources significatives à des programmes VIH/SIDA.193 Elle notait également qu'il a fallu un certain temps à tous les acteurs pertinents intervenant dans le secteur de la santé, y compris l'église catholique romaine qui est un fournisseur majeur de services de santé, pour arriver à un consensus sur le contenu des messages à diffuser.

D'autres services, notamment l'accès au dépistage du VIH et les appuis psychologiques ne sont accessibles qu'à un faible pourcentage de la population via quelques-unes des installations de santé mieux équipées. Les tests de dépistage du VIH peuvent coûter jusqu'à 5USD dans certaines zones de la région, un prix bien au-delà de ce que peut payer la majorité de la population. La majorité des femmes et des filles rencontrées par les chercheurs de Human Rights Watch est consciente de la possibilité de l'infection par le VIH et beaucoup ont indiqué que si le dépistage leur était accessible, elles se feraient tester. "Certaines femmes demandent en effet des tests de dépistage du VIH et elles veulent savoir si elles ont des maladies sexuellement transmissibles. Elles se mettent à danser quand elles apprennent qu'elles sont séronégatives," a déclaré un conseiller.194 Le traitement antirétroviral des femmes et filles séropositives ou le traitement pour prévenir la transmission mère-enfant sont quasiment non existants. Même les infections opportunistes, telles que la tuberculose, la diarrhée, la méningite et la pneumonie ne sont pour la plupart pas traitées parce que les gens ne peuvent se permettre de payer les médicaments.

L'organisation internationale Population Services International a récemment commencé une campagne de promotion du préservatif à Bukavu mais à part ce projet, les préservatifs ont toujours été difficiles à obtenir et cela reste vrai aujourd'hui encore. Médecins sans Frontières-Hollande a commencé une activité pilote à Bukavu offrant information et conseils sur les pratiques sexuelles à de jeunes gens, des enfants des rues et des prostituées.195

En accord avec une importante recherche en sciences sociales, le Fonds de Développement des Nations Unies pour les Femmes (UNIFEM) avance que l'épidémie de VIH/SIDA "n'aurait pas atteint de telles proportions" si les femmes et les filles en Afrique et ailleurs avaient eu la possibilité de refuser des relations sexuelles non désirées et non protégées.196 Un rapport de la Commission des Nations Unies sur le Statut des femmes concluait : "Le manque de pouvoir relatif des femmes et des filles sur leur corps et leur vie sexuelle, soutenu et renforcé par leur inégalité sociale et économique, les rend plus vulnérables pour contracter le VIH/SIDA et vivre avec."197 Le contrôle qu'ont les femmes et les filles de l'est du Congo sur leur vie sexuelle est encore diminué dans le contexte de la guerre actuelle et leur vulnérabilité au VIH/SIDA est encore plus élevée.

Le risque de transmission du VIH/SIDA lors de relations résultant de violence sexuelle est, de plus, beaucoup plus élevé que lors de relations consentantes. Les blessures génitales, y compris les déchirures et les écorchures des parois vaginales ou d'autres organes, augmentent la probabilité de la transmission si l'assaillant est séropositif. De plus, les secrétions vaginales de protection, normalement présentes dans des relations sexuelles non contraintes, sont absentes en cas de viol. Les filles qui n'ont pas encore atteint la puberté courent un risque accru d'être contaminées par le VIH parce qu'elles ont plus de chances que des filles plus âgées et des femmes de souffrir de blessures vaginales lors du viol.198

Au cours de la guerre de 1996-1997 au Congo, les autorités militaires ont distribué des préservatifs à certains soldats mais elles ont ensuite mis un terme à cette pratique. Selon un médecin militaire du RCD, les autorités militaires considèrent maintenant le sujet comme tabou et ne font rien pour empêcher ou limiter la propagation du virus dans les rangs du RCD. Il notait que la prévalence du VIH/SIDA parmi les troupes du RCD est "très élevée" et qu'elle est encore plus élevée chez les femmes et les enfants de ces soldats.199 Ce médecin a mis en garde contre le fait que de nombreuses autres personnes allaient mourir si le tabou n'était pas levé.200

L'APR prend certaines mesures de prévention et de traitement du VIH/SIDA dans ses rangs, y compris l'ouverture, en 2001, d'un centre de dépistage dans l'hôpital militaire de Kanombe. L'APR a aussi permis à l'organisation Population Services International de conduire un programme de dix-huit mois centré sur la prévention du VIH/SIDA et la distribution de préservatifs aux troupes de l'APR.201 Le projet financé par l'Agence américaine pour le Développement International n'opère qu'au Rwanda et ne comporte pas de volet éducation sur la violence sexuelle202. Il est évident que ce projet s'attaque à un vaste défi. Une étude récente révélait, dans un journal rwandais, que "les impressions des soldats en matière d'espérance de vie" contribuaient à expliquer la forte prévalence du VIH parmi eux203. Il est fréquemment rapporté que les soldats et d'autres personnes estimant qu'ils courent un risque élevé de mourir, quel que soit leur comportement, ne prennent aucune précaution contre le VIH.

160 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 18 octobre 2001.

161 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, octobre 2001.

162 Entretien conduit par Human Rights Watch, Uvira, 31 octobre 2001.

163 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

164 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 16 octobre 2001.

165 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 18 octobre 2001.

166 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 18 octobre 2001.

167 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 1er août 2001.

168 Entretien conduit par Human Rights Watch, Sake, 26 octobre 2001.

169 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 17 octobre 2001.

170 Entretien collectif conduit par Human Rights Watch avec des femmes Banyamulenge, Bukavu, 18 octobre 2001.

171 Selon les arts. 165 et 166 du Code pénal congolais, l'avortement est interdit et toute personne portant assistance à une femme, pour un avortement, peut être punie.

172 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 17 octobre 2001.

173 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 26 octobre 2001.

174 Entretien collectif conduit par Human Rights Watch, Uvira, 2 novembre 2001.

175 Pour une définition de ce terme, voir la note 82.

176 Entretien conduit par Human Rights Watch, octobre 2001. Parce que des docteurs ont été arrêtés ou menacés pour avoir parlé avec des journalistes, nous ne donnons pas, dans ce rapport, les noms et lieux de travail des médecins interrogés.

177 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 16 octobre 2001.

178 Entretien conduit par Human Rights Watch, Shabunda, 22 octobre 2001.

179 Entretien conduit par Human Rights Watch, Sake, 26 octobre 2001.

180 Résolution 1308 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (sans titre), 17 juillet 2000. Voir aussi, Graça Machel, ": A critical review of progress made by and obstacles encountered in increasing protection for war-affected children," rapport préparé pour la Conférence Internationale sur les enfants affectés par la guerre et présenté à cette occasion, septembre 2000, Winnipeg, Canada, p. 12, accessible à : http://www.war-affected-children.org/machel-e.asp (consulté le 23 mai 2002).

181 Rapport du Secrétaire Général au Conseil de Sécurité sur les enfants dans les conflits armés, selon la résolution du Conseil de Sécurité 1261 (1999), paragraphe 3. A/55/163-S/2000/712

182 Machel, "The Impact of Armed Conflict on Children," p. 12. Traduction par Human Rights Watch.

183 United States Institute for Peace, "Special Report: AIDS and Violent Conflict in Africa," octobre 2001, p. 5. Egalement disponible à www.usip.org (consulté le 23 mai 2002).

184 En novembre 2001, le journal rwandais The New Times, rapportait que "la recherche faite entre 1997 et 2000 indique que 4 pour cent des soldats de l'armée rwandaise sont séropositifs, comparés à une moyenne nationale de 11,1 pour cent." Ce chiffre faible est totalement irréaliste. Le rapport affirme que 56 pour cent de l'APR (désignant probablement les personnes interrogées) avaient eu des relations sexuelles sans préservatifs. Ceci suggérerait que 44 pour cent n'ont soit jamais eu de relations sexuelles, soit ont toujours utilisé un préservatif, ce qui constituerait une situation totalement improbable. "4% of RPA are HIV positive - Doctor," The New Times, 5 - 7 novembre 2001, p. 4.

185 Cité dans World Health Organization, Democratic Republic of Congo Health Update, July 2001, p. 2. Une délégation de parlementaires britanniques a récemment exprimé la même préoccupation, suite à une visite dans l'est du Congo. Voir The Monitor, "Defence Force Spreads HIV/AIDS - UK MPs", 5 décembre 2001.

186 Ces données sont des données provenant d'études périodiques conduites sur une sélection de lieux représentatifs.

187 Joint United Nations Programme on HIV/AIDS and World Health Organization. Democratic Republic of the Congo - Epidemiological fact sheet on HIV/AIDS and sexually transmitted infections: Update. Genève, 2000. Voir aussi World Health Organization, Democratic Republic of Congo Health Update, juillet 2001, p. 2.

188 Organisation Mondiale de la Santé, Democratic Republic of Congo Health Update, juillet 2001, p. 2.

189 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Maria Masson, Administratrice du Bureau des Oeuvres Médicales du Diocèse catholique romain de Bukavu, 15 octobre 2001.

190 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 17 octobre 2001.

191 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 18 octobre 2001.

192 Organisation Mondiale de la Santé, Democratic Republic of Congo Health Update, juillet 2001, p. 2.

193 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 18 octobre 2001.

194 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bukavu, 16 octobre 2001.

195 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Cory Kik, Médecins Sans Frontières - Hollande, à Bukavu, 16 octobre 2001.

196 UNIFEM, "UNAIDS Partners with UNIFEM to Halt Spread of HIV/AIDS among Women and Girls" (déclaration à la presse), 24 mai 2001.

197 Commission des Nations Unies sur le Statut des femmes, "Agreed Conclusions on Women, the Girl Child and HIV/AIDS, (déclaration adoptée lors de la 45ème session de la Commission, mars 2001).

198 U.S. National Institutes of Health, National Institute of Allergy and Infectious Disease, Fact Sheet: HIV Infection in Women, mai 2001. Disponible à : http://www.niaid.nih.gov/factsheets/womenhiv.htm (consulté le 24 mai 2002).

199 Le médecin estimait que le pourcentage était considérablement plus élevé que la plupart des estimations sur le taux pour la population dans son ensemble. Il a exprimé sa réticence à voir cette information publiée par Human Rights Watch. Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, Goma, 26 octobre 2001.

200 Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, Goma, 26 octobre 2001.

201 Par exemple, un journal rwandais rapportait que l'hôpital militaire Kanombe de Kigali devait ouvrir un centre de conseils, appui psychologique et dépistage du VIH/SIDA, avant la fin de l'année 2001, sur financement de l'Agence américaine pour le Développement International (USAID). "Army to open testing and counseling centre," The New Times, 1er-4 novembre, 2001, p. 5.

202 Entretien conduit par Human Rights Watch avec Amy Power, Chef de programme, Population Services International (Washington, DC), 15 janvier 2002.

203 "4% of RPA are HIV positive - Doctor," The New Times, 5-7 novembre 2001, p. 4.

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