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Israël/Cisjordanie : Questions et réponses

Questions et réponses sur le droit international applicable au recours à la force en Cisjordanie, territoire occupé

Des soldats israéliens entraient dans le camp de réfugiés de Balata, dans la banlieue de Naplouse en Cisjordanie occupée, le 23 novembre 2023, lors d'une opération visant à rechercher et arrêter des personnes suspectées d’activités terroristes. © 2023 Sipa via AP Images

Les questions et réponses suivantes portent sur le cadre juridique international applicable à la violence et au recours à la force en Cisjordanie. En octobre 2023, suite aux attaques menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre, Human Rights Watch a publié un précédent document « questions-réponses » concernant le droit international régissant les hostilités entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens à Gaza. Ce nouveau document « questions-réponses » est publié pour accompagner la publication, le 8 mai 2024, d’un communiqué de Human Rights Watch sur les décès de Palestiniens tués par les forces israéliennes en Cisjordanie.

  1. Quel est le droit international qui s’applique à la Cisjordanie ?
  2. Quelles normes juridiques régissent le recours à la force en Cisjordanie ?
  3. Lorsque les forces israéliennes attaquent des communautés palestiniennes en Cisjordanie, peuvent-elles intentionnellement recourir à la force létale contre les membres des groupes armés palestiniens ?
  4. Les colons israéliens en Cisjordanie peuvent-il être des cibles militaires légitimes visées par des combattants palestiniens ?
  5. Quelles sont les responsabilités des autorités face aux violences commises par les personnes sur leur territoire ?
  6. Quel est le droit international qui s’applique à la Cisjordanie ?

La Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza constituent un territoire occupé (« Territoire palestinien occupé ») en vertu du droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre. Cet ensemble de lois traite de la conduite de toutes les parties à un conflit armé, y compris les moyens et méthodes de guerre et le traitement des personnes en détention, offrant aux civils et autres un ensemble de protections. Il reconnaît l'occupation israélienne comme un conflit armé continu. Le droit de l'occupation, applicable aux territoires occupés, se trouve principalement dans la Quatrième Convention de Genève de 1949, le Règlement de La Haye de 1907 et le droit international coutumier.

Le droit international des droits humains s’applique également à la conduite d’Israël envers les Palestiniens dans les territoires occupés. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, l'organisme d'experts indépendants qui interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), a par exemple constaté à plusieurs reprises que les États sont tenus de respecter les traités relatifs aux droits humains qu'ils ont ratifiés à l'extérieur de leurs frontières, et en particulier ceci : « Les dispositions du Pacte s’appliquent au bénéfice de la population des territoires occupés ».

La Cour internationale de Justice a soutenu ce point de vue dans son avis consultatif concernant la barrière de séparation d’Israël, et a déclaré que le PIDCP « est applicable aux actes d'un État agissant dans l'exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire ». L'État de Palestine a également ratifié le PIDCP, ainsi que d'autres traités relatifs aux droits humains, renforçant ainsi l’applicabilité de ces traités dans le Territoire occupé.

Israël maintient que ses obligations en matière de droits humains ne s'étendent pas au Territoire occupé.

Le droit de l’occupation autorise les puissances occupantes à imposer des restrictions sécuritaires aux civils, mais il exige également que ces puissances permettent le rétablissement de la vie publique de la population occupée. Cette obligation augmente avec le temps lors d’une occupation prolongée, au fur et à mesure que l’occupant a plus de possibilités de développer des réponses plus adaptées aux menaces à la sécurité et qui minimisent les restrictions aux droits. La suspension des droits fondamentaux de la population occupée, pour une durée non définie, provoque des dommages qui s’aggravent progressivement avec le temps qui passe. Human Rights Watch a appelé les autorités israéliennes, après plus d'un demi-siècle d'occupation, à respecter pleinement les droits humains des Palestiniens, en s’alignant sur les droits dont jouissent les citoyens israéliens.

L'Autorité palestinienne a également l'obligation de protéger les droits humains en Cisjordanie, et de ne pas commettre d'abus ni de violations des lois de la guerre.

  1. Quelles normes juridiques régissent le recours à la force en Cisjordanie ?

Le droit international humanitaire (lois de la guerre) et le droit international des droits humains comprennent deux ensembles distincts de règles qui régissent le recours à la force. Les particularités d’une situation donnée déterminent s’il convient d’appliquer les règles concernant la légalité du recours à la force dans le cadre du droit international des droits humains (qui régit par exemple les activités conventionnelles d’application des lois) ou dans le cadre des lois de la guerre.

Lorsqu’Israël et des groupes armés non étatiques palestiniens s’engagent dans des hostilités, comme actuellement à Gaza depuis les attaques menées par le Hamas le 7 octobre, leurs actions sont régies par les lois de la guerre, constituées d’une part du droit des traités, et d’autre part du droit international humanitaire coutumier applicable aux conflits armés non internationaux. Le droit des traités, y compris l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, prévoit des protections fondamentales pour les civils et pour les prisonniers de guerre (combattants de groupes armés étatiques et non étatiques qui ont été capturés).

Cependant, lorsque les forces de sécurité israéliennes (qu’il s’agisse de soldats ou de policiers) exercent des fonctions de maintien de l’ordre à l’égard de la population occupée, les normes internationales en matière de maintien de l’ordre sont applicables. Il s’agit notamment d’une part du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), et d’autre part des Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

En Cisjordanie, il n’existe actuellement aucune raison suffisante pour conclure à l’existence d’un conflit armé non international entre Israël et des groupes armés palestiniens. Cela pourrait changer si la violence armée en Cisjordanie atteignait un certain niveau d’intensité et si les groupes armés de Cisjordanie faisaient preuve d’un degré d’organisation suffisant pour respecter les lois de la guerre. Si les groupes armés palestiniens combattant actuellement à Gaza menaient des opérations militaires en Cisjordanie, les lois de la guerre s’appliqueraient alors aussi aux combats entre ces groupes armés et l’armée israélienne, dans ce territoire (comme à Gaza actuellement).

En général, pour atteindre le seuil de conflit armé non international, les hostilités doivent être d’une telle intensité que le gouvernement estime qu’il est obligé d’employer ses forces armées contre les groupes armés non étatiques opposés. Les facteurs à prendre en compte pour évaluer l’intensité comprennent, par exemple, « le nombre, la durée et l’intensité des affrontements individuels » et « le type d’armes et autres équipements militaires utilisés », ainsi que « le nombre de personnes et le type de forces participant aux combats ». Les facteurs à prendre en compte pour évaluer le degré d’organisation d’un groupe armé non étatique comprennent le niveau de leadership et d’objectif commun, l’existence d’une structure de commandement et la capacité à planifier, coordonner et mener des opérations militaires.

Sur la base de ces normes et des résultats de ses recherches, Human Rights Watch a appliqué les normes d’application de la loi ancrées dans le droit international des droits humains pour analyser les récents raids israéliens en Cisjordanie. En 2018-2019, Human Rights Watch avait utilisé des normes similaires dans son analyse du recours à la force par Israël contre les manifestations de la « Grande Marche du retour » à Gaza le long des clôtures qui séparent Gaza d’Israël.

Mais même en appliquant ces normes à l’analyse de cas particuliers de recours à la force en Cisjordanie, certaines protections conférées par le droit de la guerre sont aussi applicables, parce que la Cisjordanie est un territoire occupé.

  1. Lorsque les forces israéliennes attaquent des communautés palestiniennes en Cisjordanie, peuvent-elles intentionnellement recourir à la force létale contre les membres des groupes armés palestiniens ?

L'armée israélienne assure le maintien de l'ordre en Cisjordanie, agissant à titre de police. Les normes d’application de la loi ancrées dans le droit international des droits humains (Principes de base de l’ONU) s’appliquent donc au maintien de l’ordre en Cisjordanie. Ces normes établissent des règles strictes sur le recours à la force et aux armes à feu par les responsables de l'application des lois. Les Principes interdisent l’usage des armes à feu, sauf dans des situations spécifiques, par exemple pour faire face à une « menace imminente de mort ou de blessures graves », ou pour « prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines », mais « seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs ».   Les Principes prévoient que les forces de l’ordre « ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».

Ces normes interdisent donc aux forces de sécurité de recourir intentionnellement à la force meurtrière, y compris contre des membres de groupes armés, lorsqu'il n'y a pas de menace imminente pour la vie.

Dans les situations couvertes par ces normes, les homicides volontaires d'individus par des agents des forces de sécurité, en dehors de ce qui est autorisé par les normes d'application de la loi, constituent de graves violations du droit à la vie tel que défini par le droit international des droits humains.

  1. Les colons israéliens en Cisjordanie peuvent-il être des cibles militaires légitimes visées par des combattants palestiniens ?

Les colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international humanitaire. L’article 49 de la Quatrième Convention de Genève stipule : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. » Les colons israéliens étant des civils, le fait de les transférer vers un territoire occupé constitue un crime de guerre commis par les autorités procédant au transfert. Toutefois, les civils israéliens vivant dans des colonies illégales ne perdent pas la protection que leur confère le droit de la guerre. Le fait qu’une personne ait volontairement déménagé dans une colonie ou y vive n’en fait pas une cible militaire légitime.

Les civils israéliens vivant dans les colonies bénéficient donc a priori des protections que les lois de la guerre accordent à tous les civils. Toutefois, lorsque des colons ou d’autres civils israéliens participent à des opérations militaires aux côtés de l’armée israélienne, ou aux côtés de forces de sécurité civiles établies par les autorités municipales dans les colonies, il s’agit alors d’une « participation directe aux hostilités ».

Ces forces de sécurité civiles relèvent de la responsabilité opérationnelle du ministère de la Défense et de l’armée israélienne, ainsi que des conseils des colonies ; conformément à un ordre militaire de 1971, ils agissent « au nom de l’armée ». Ces forces jouent un rôle de sécurité qui va au-delà du contrôle d’identité, et ont le pouvoir de recourir à la force létale, à l’instar des forces militaires. Suite aux attaques menées par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre, les autorités israéliennes ont distribué des fusils d’assaut aux « escouades de sécurité civile » selon les médias.

Lorsque des colons participent activement aux hostilités, ils perdent leur immunité contre les attaques et deviennent des cibles militaires légitimes. Cette perte d’immunité ne dure que pendant la période où ils participent directement aux hostilités. De même, les réservistes des forces armées nationales, y compris dans l’armée israélienne, sont considérés comme des civils jusqu’à ce qu’ils entament un service militaire ; dans ce cas, ils sont des combattants pouvant être ciblés par des attaques à tout moment, à moins qu’ils ne soient capturés ou en état d’incapacité (hors de combat).

Même lorsque des colons perdent temporairement leur protection en tant que civils en raison de leur participation directe aux hostilités, les combattants palestiniens qui mènent des attaques contre des cibles militaires doivent prendre toutes les précautions possibles pour éviter de nuire à d’autres civils et à des biens de caractère civil.

Les mêmes normes concernant la participation directe aux hostilités par des colons israéliens s'appliquent aussi aux civils palestiniens prenant part aux combats aux côtés de groupes armés palestiniens, comme l'a exposé Human Rights Watch dans son précédent document de questions-réponses d’octobre 2023, publié à la suite de l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël.

  1. Quelles sont les responsabilités des autorités face aux violences commises par les personnes sur leur territoire ?

Tous les groupes armés étatiques et non étatiques engagés dans un conflit armé ont la responsabilité de veiller à ce que les membres de leur chaîne de commandement respectent le droit international humanitaire, notamment en protégeant les civils. En outre, les États ont l’obligation d’enquêter et de punir de manière appropriée les violations graves du droit de la guerre et d’autres crimes enfreignant le droit international qui sont commis sur leur territoire ou sous leur juridiction, et/ou qui sont commis par des membres de leurs forces.

En vertu du principe de la responsabilité du commandement, les commandants militaires et civils peuvent être tenus pénalement responsables des crimes de guerre commis par les forces et leurs subordonnés placés sous leur commandement et contrôle effectifs, lorsqu'ils savaient ou auraient dû savoir que ces forces commettaient des crimes de guerre, et qu'ils n'ont pas pris toutes les mesures raisonnables pour prévenir ces crimes, ou s’ils n’ont pas ordonné d’enquête en vue de poursuites éventuelles.

Le droit international des droits humains impose aux autorités gouvernementales, ainsi qu’aux acteurs non étatiques exerçant des fonctions gouvernementales, l’obligation de maintenir l’ordre public conformément aux normes des droits humains. Ces autorités ont l’obligation d’éviter toute « incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence », ou tout recours illégal à la force.          Cela s'applique tant aux autorités israéliennes que palestiniennes. Elles devraient prendre toutes les mesures légales en leur pouvoir pour empêcher les attaques illégales – et non louer, honorer ou récompenser de telles attaques – et devraient enquêter sur les actes répréhensibles potentiels ;  elles devraient demander des comptes aux responsables.

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