Rapports de Human Rights Watch

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Le ciel se couvre

Quelques nuages, cependant, menaçaient déjà l'euphorie régnant dans le ciel des droits humains. Bien sûr, il y avait toujours eu une certaine tension sous-jacente. Comme l'explique le spécialiste des droits de l'homme Louis Henkin : “Le monde de la religion et le monde des droits humains n'ont pas toujours coexisté aisément. La religion, et certaines religions en particulier, s'inquiètent de voir que les droits humains représentent une idéologie autonome, pas nécessairement ancrée dans la religion. L'idéologie des droits humains, par contre, résiste aux revendications de certaines religions d'ignorer les revendications d'autres religions. Plusieurs religions invoquent le dogme religieux pour justifier les distinctions fondées sur la religion, le sexe ou l'orientation sexuelle, distinctions qui peuvent être contraires à l'idée de droits humains.”16

Par ailleurs, tout au long des “décennies des droits de l'homme,” les Eglises n'ont pas toujours été unanimes dans leur engagement envers les droits humains et il a toujours existé des factions qui ont combattu ou entravé le développement du mouvement des droits humains, ont pris le parti des régimes militaires ou autoritaires, ou encore se sont faites complices d'atteintes aux droits humains. La plupart de ces factions étaient politiquement et idéologiquement conservatrices et dogmatiquement doctrinaires. Elles s'en tenaient à une interprétation des doctrines religieuses, surtout dans les domaines de la moralité individuelle et des mœurs sociales, qui était contraire à la trajectoire du mouvement des droits humains. Elles étaient considérées comme des adversaires par tous les membres—laïques et religieux—de ce mouvement.

Le terrorisme au nom de l'islam, l'appui de l'Eglise réformée des Pays-Bas au régime d'apartheid en Afrique du Sud, la passivité de la hiérarchie catholique argentine ou son soutien tacite aux régimes militaires brutaux des années 70, l'assassinat de Yitzhak Rabin par un extrémiste religieux juif et le soutien apporté par certaines églises évangélistes de droite aux dirigeants des régimes latino-américains les plus brutaux—comme celui d'Efrain Rios Montt, un pasteur ordonné par l'Eglise évangélique du Verbe—sont autant d'exemples frappants de l'usage, ou du mauvais usage, de la religion pour justifier de flagrantes violations des droits humains.

 



[16] Louis Henkin, “Human Rights: Ideology and Aspiration, Reality and Prospect,” dans Samantha Power et Graham Allison, eds., Realizing Human Rights: Moving from Inspiration to Impact, (New York: St. Martin’s Press, 2000), p. 29. Ce qui est ironique, c'est que certains groupes religieux s'opposent à la liberté de conscience—religieuse ou autre—dans certains contextes. Parmi des exemples frappants, citons le refus de respecter les droits à rejeter l'orthodoxie religieuse, de changer de religion, de devenir athée ou de faire du prosélytisme. Ces droits sont garantis par un certain nombre de dispositions relatives aux droits humains, notamment l'article 18 de la DUDH. “Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.”


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005