Rapports de Human Rights Watch

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Les batailles autour du “foulard”

La loi adoptée en France en 2004 et interdisant les “signes religieux ostensibles” dans les écoles publiques, ainsi que l'interdiction du port du foulard par les professeurs et les étudiantes dans les universités publiques turques illustrent bon nombre des tensions décrites plus haut. Dans ces deux pays, la bataille autour du voile divise le mouvement des droits humains, surtout les défenseurs des droits des femmes. Comment défendre la liberté de croyance, l'autonomie de la femme et le droit à l'éducation sans promouvoir un agenda souvent politisé et la mise à mal de toute une gamme de droits par des groupes religieux? Telle est la question délicate à laquelle doit répondre le mouvement des droits humains.

En France, le débat sur les “signes religieux ostensibles”—qui a surgi immédiatement après de vives polémiques concernant l'immigration, l'islamophobie, l'antisémitisme et le terrorisme—a polarisé l'opinion publique et ébranlé les alliances politiques traditionnelles. La polémique sur le foulard soulève la question cruciale de la place de l'islam dans la République française. Ceci non seulement parce que les communautés musulmanes de plus en plus nombreuses en France sont vues comme s'écartant du courant dominant sur des questions épineuses telles que la conversion religieuse, l'homosexualité ou le divorce, mais aussi parce que leur existence même semble remettre en question le principe longtemps accepté que la vie dans une démocratie occidentale sécularisera de plus en plus les adeptes de toutes les convictions.

L'intensité du débat traduisait toutefois beaucoup plus que de l'hostilité envers l'islam. Appuyé par beaucoup d'autres confessions et, fait très révélateur, par l'Eglise catholique, le foulard est considéré comme un défi direct aux principes fondateurs du modèle de République française né pendant la Révolution française et forgé au cours des batailles que se sont livrées sans merci l'Eglise et les laïcs au 19e siècle et qui ont abouti à la séparation stricte de l'Etat et de la religion, à la privatisation de la foi et à la “prééminence” proclamée “de la Raison.” La “question du foulard” a donc forcé les autorités françaises à affronter la nature même de la République, à reconsidérer le concept de laïcité et à réfléchir à son adéquation et pertinence dans une société de plus en plus multiculturelle.

Dans son évaluation de la loi peu après son adoption, Human Rights Watch a conclu qu'elle enfreignait le droit à la liberté de religion reconnu au niveau international mais notre organisation a identifié le besoin de concilier des préoccupations apparemment contradictoires.“Human Rights Watch reconnaît la légitimité des institutions publiques qui cherchent à ne pas promouvoir une religion, quelle qu'elle soit, par leur biais ou leurs déclarations, mais le gouvernement français a fait un pas de plus en donnant à entendre que l'Etat minait la laïcité s'il autorisait les étudiants à porter des symboles religieux.” Et nous concluons en ces termes: “Protéger le droit de tous les étudiants à la liberté religieuse ne signifie pas miner la laïcité dans les écoles. Au contraire, c'est une preuve de respect de la diversité religieuse, position pleinement cohérente avec le maintien de la séparation stricte entre les institutions publiques et tout message religieux déterminé.” 

 


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005