Rapports de Human Rights Watch

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Travailler avec les “fondamentalistes”?

Alors que le mouvement en faveur des droits humains a l'obligation de s'opposer aux efforts visant à utiliser la religion pour justifier des lois et politiques publiques qui contreviennent aux normes relatives aux droits, il est tout aussi essentiel pour lui de reconnaître que le fondamentalisme religieux ne se heurte pas toujours aux normes laïques en matière de droits humains. Bon nombre de mouvements fondamentalistes, par exemple, sont très actifs pour aider les gens à avoir accès à la nourriture, au logement, aux soins de santé et autres services sociaux. “Ce type d'engagement place beaucoup de mouvements religieux radicaux dans une position ambiguë mais positive du point de vue des droits sociaux et économiques.”37 En ce qui concerne les questions de politique étrangère, même si leur indignation est souvent sélective, les chrétiens évangélistes apportent fréquemment un soutien actif aux victimes de conflits, notamment au Sud-Soudan et au Darfour.

Ces exemples mettent le mouvement des droits humains au défi de définir des politiques et stratégies sur la façon d'associer les groupes qui participent parfois aux mêmes campagnes et qui, à d'autres moments, sont vigoureusement hostiles aux principes des droits humains, en fonction du problème ou du contexte.

Dans de larges secteurs du mouvement laïque libéral, la division est claire: d'une part, il y a ceux qui se font l'écho de la célèbre phrase du révolutionnaire français Danton, “Pas de liberté pour les ennemis de la liberté” et qui veulent restreindre les droits civils et politiques (notamment la liberté d'expression, d'association et de réunion) des membres de groupes religieux considérés comme une menace à l'ordre politique respectueux des droits; d'autre part, il y a ceux qui, au nom de la liberté de religion et d'expression, ont choisi de défendre, à l'image de Voltaire, “le droit pour tout homme de professer, en paix, la religion qu'il choisit.” Bien que les associations de droits humains aient généralement pris parti pour la seconde position, certaines ont été tentées de faire une exception lorsqu'il s'agit de mouvements religieux vus comme étant intrinsèquement hostiles à l'ordre politique libéral.

Le terrorisme perpétré au nom de Dieu a exacerbé ces débats. Dans les années 90, lorsque les mouvements islamiques violents semblaient disposés à renverser les gouvernements laïques en Algérie ou en Egypte, et plus généralement après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, du 12 octobre 2002 à Bali et du 11 mars 2004 en Espagne, l'engagement à protéger le droit de chacun, y compris des terroristes présumés, de ne pas être torturé ou de ne pas “disparaître” a fait l'objet de vives critiques, même dans les milieux habituellement associés à la communauté des droits humains.

Soudain, les associations de défense des droits humains qui préconisaient des normes cohérentes en matière de droits ont été accusées par certains groupes laïques, avec qui elles coopéraient dans le domaine de la liberté de la presse ou les questions de genre, d' “être indulgentes” envers l'extrémisme religieux et de risquer de sacrifier d'autres droits en défendant les droits des terroristes présumés. Les groupes de droits humains doivent proclamer avec vigueur qu'il ne s'agit pas de choisir entre, d'une part, une approche du terrorisme où “tout est admis” et où les libertés civiles sont les premières victimes, et d'autre part, la création d'un archipel d'Etats islamiques fondamentalistes qui violent systématiquement les droits des femmes et autres droits fondamentaux. Le véritable défi est de trouver le moyen de préserver les droits élémentaires tout en s'efforçant de combattre le terrorisme afin de renforcer l'attirance pour les sociétés libérales, respectueuses des droits.



[37] John Kelsay et Sumner B.Twiss, eds., Religion and Human Rights (New York: The Project on Religion and Human Rights, 1994), p. 27.


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005