Rapports de Human Rights Watch

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Une affaire à étouffer et une enquête partisane

Lorsque les photos d'Abou Ghraib ont été rendues publiques, l'administration Bush a réagi comme la plupart des gouvernements qui bafouent les droits et sont pris en flagrant délit: elle a essayé de limiter les dégâts. Elle était d'accord pour dire que les tortures et sévices montrés sur les photos étaient répréhensibles mais elle a cherché à minimiser le problème. Les auteurs de ces violations, a-t-elle prétendu, étaient une poignée de soldats dévoyés, quelques “pommes pourries” au fond du panier. Le problème, faisait-elle valoir, était circonscrit, tant géographiquement (une section de la prison d'Abou Ghraib) que structurellement (seuls quelques subalternes étaient impliqués, pas le haut commandement). Les exactions photographiées à Abou Ghraib et diffusées à travers le monde, soutenait-elle, n'avaient rien à voir avec les décisions et les lignes politiques des hauts responsables. Le Président Bush a promis que les “auteurs de ces actes seraient traduits en justice,” mais début décembre 2004, aucun militaire d'un grade supérieur à celui de sergent n'avait fait l'objet de poursuites.

Pour tenter d'enrayer les dégâts, Washington a notamment ordonné une série d'enquêtes soigneusement limitées—au nombre de dix jusqu'à présent. La plupart d'entre elles, telles celles menées par le Général Major George Fay et le  Lieutenant Général Anthony Jones, ont en fait été confiées à des officiers en uniforme chargés d'examiner la conduite de leurs subordonnés; ces officiers n'avaient pas le pouvoir d'étudier le comportement des hauts responsables du Pentagone. La seule équipe d'enquêteurs capable en théorie d'examiner la conduite du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et de ses principaux assistants—équipe dirigée par l'ancien Secrétaire à la Défense James Schlesinger—a été nommée par Rumsfeld lui-même et elle semble avoir fait tout son possible pour le mettre hors de cause. (A la conférence de presse organisée lors de la publication du rapport d'enquête, Schlesinger a déclaré que la démission de Rumsfeld “serait une aubaine pour tous les ennemis de l'Amérique.”) L'équipe dirigée par Schlesinger n'avait pas l'indépendance de commissions telles que celle sur le 11 septembre,  laquelle avait été mise sur pied avec la participation active du Congrès américain. En ce qui concerne l'agence centrale de renseignements (CIA)—la branche du gouvernement américain qui détiendrait les plus importants terroristes présumés—, elle a apparemment échappé à toute enquête, si ce n'est celle menée par son inspecteur général. Pendant ce temps, personne ne semble se préoccuper du rôle joué par le Président Bush et autres hauts responsables de son administration.

Lorsqu'un fonctionnaire gouvernemental non identifié s'est vengé d'un détracteur du gouvernement Bush en révélant que son épouse était un agent de la CIA—un crime grave car cela pouvait mettre sa vie en danger—l'administration a accepté, en raison des pressions, de nommer un procureur spécial à qui l'on a promis l'indépendance par rapport à la direction de l'administration. Par contre, cette dernière a refusé de nommer un procureur spécial chargé de déterminer si de hauts responsables avaient autorisé la torture et d'autres formes d'interrogatoire coercitif – un délit beaucoup plus grave et systématique. Résultat: aucune enquête criminelle non contrôlée par le gouvernement n'est menée à propos des méthodes brutales d'interrogatoire auquel il recourt. La pléthore d'enquêtes dirigées par ceux-là mêmes qui sont impliqués ne peut éclipser le manque d'investigation réellement indépendante.


<<précédente  |  index  |  suivant>>January 2005