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Camps de solidarité

Il y a quelques années, les autorités rwandaises avaient mis en place un système de "camps de solidarité", connu aujourd'hui sous le nom de ingando, afin de transmettre leur message politique aux réfugiés qui avaient suivi dans l'exil le gouvernement génocidaire et étaient revenus en masse dans le pays en 1996 et 1997. L'objectif poursuivi était de promouvoir des thèses nationalistes, d'effacer des mémoires les leçons ethniques inculquées par le précédent gouvernement et de faire naître la loyauté envers le FPR. Les salariés désireux de retrouver un emploi privé ou public, ainsi que les jeunes qui souhaitaient retourner à l'école devaient généralement suivre une session de formation dans l'un de ces camps.

Les autorités ayant aujourd'hui mis l'accent sur la sécurité nationale, elles se sont mises à nouveau à exiger de la population qu'elle passe par ces camps. Bien que le même terme soit utilisé pour désigner tous les camps et qu'ils soient tous apparemment financés par la Commission Nationale pour l'Unité et la Réconciliation, ceux auxquels participent les habitants de la plupart des régions du Rwanda diffèrent de ceux organisés pour les rwandais des préfectures du nord-ouest de Ruhengeri et Gisenyi.

Dans les camps du premier type, les officiels, les leaders communautaires, les étudiants et la population apprennent généralement à tirer, portent des uniformes militaires et sont soumis à une discipline quasi militaire. On leur apprend à accepter la vision que défend le FPR du passé et de l'avenir du Rwanda. Les camps durent généralement environ un mois. Les fonctionnaires locaux et les étudiants qui se préparent à entrer à l'Université Nationale du Rwanda y sont allés, ils seront prochainement suivis par les officiels du système judiciaire et même par le personnel d'organisations non-gouvernementales.

Les camps du deuxième type sont eux conçus dans le but d'apporter une éducation politique aux habitants des régions où les insurgés étaient particulièrement présents ou aux rwandais récemment revenus du Congo. On raconte d'ailleurs que l'un des camps avait accueilli des "agents infiltrés arrêtés à Masisi" et dans d'autres régions du Congo, ce qui laisse penser que les personnes qu'on y trouvait avaient été capturées au Congo et ensuite ramenées au Rwanda, de force ou non. Un des ces camps, tenu fin 1999- début 2000, a été organisé afin d'éduquer des personnes détenues par l'armée dans le centre de détention illégal du MILPOC. Aucune formation au tir n'est dispensée lors de ces stages. Cependant, les autorités ont quasiment forcé plus de quarante personnes participant à l'un d'eux à Ruhengeri à se joindre à des troupes partant combattre au Congo. Ces camps durent généralement plus longtemps que ceux destinés à l'élite et aux officiels, généralement trois mois. Les cultivateurs qui y participent ne peuvent donc pendant toute leur durée s'occuper de leurs champs. Beaucoup de ceux qui passent par ces camps le font parce qu'ils se sentent obligés de le faire ou parce que les autorités leur ont donné l'ordre de le faire. Aucune loi n'impose cependant une telle obligation.71

Au terme d'un camp de trois mois tenu à Cyuve, les deux mille participants furent renvoyés chez eux avec la mention expresse de ne pas parler du roi. On leur fit savoir que quarante personnes accusées de soutenir le roi avaient été arrêtées à Ndusu et qu'ils devaient faire attention de ne pas commettre la même erreur. 72

Un certain nombre de rwandais font des commentaires sur la nature différente des camps. Certains, dans le nord-ouest, craignent que la formation militaire dispensée aux élites et aux étudiants ailleurs dans le pays les prépare à une guerre éventuelle avec les populations du nord-ouest, qui tournerait à l'avantage de ceux qui ont appris à se servir d'armes. Certains peuvent juger ces craintes totalement infondées, mais elles sont néanmoins très réelles pour les populations de cette région.

71 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Gisenyi, 31 janvier 2000; Ruhengeri, 24 février, 2,3 et 4 mars 2000; Kigali, 11 février 2000.

72 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Ruhengeri, 4 mars 2000.

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