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Abus de pouvoir

Pendant de nombreuses années, les hutu ont été victimes de détentions arbitraires et d'abus commis par les autorités pour diverses raisons. Aujourd'hui, les tutsi rescapés du génocide sont, à leur tour, de plus en plus souvent confrontés à ces mêmes abus. Le matin du samedi 11 décembre 1999, une jeune tutsi rescapée du génocide et occupée à nourrir son bébé reçut un coup de téléphone de quelqu'un lui demandant comment arriver à son domicile. La personne affirmait avoir une lettre à lui remettre. Peu de temps après, un jeune homme identifié par la suite comme surnommé Kazungu, arriva chez la femme dans une voiture aux vitres teintées immatriculée en Ouganda. Habillé d'un survêtement de sport, il portait un émetteur-récepteur, appareil qui fait partie de l'équipement dont disposent les troupes d'élite de l'APR. Il demanda à la femme de l'accompagner à la station de radio nationale afin de clarifier certaines choses. Dans un premier temps, elle refusa de le suivre mais changea d'avis lorsqu'il la menaça d'appeler la police et de l'emmener de force.

En arrivant à Radio Rwanda, Kazungu tenta d'intimider la jeune femme et de lui faire admettre qu'elle avait amené une fausse dépêche, annonçant la mort d'un pasteur local, qui avait été ensuite diffusée sur les ondes. Lorsqu'elle nia toute connaissance de l'affaire, il menaça de la battre, de l'humilier publiquement à la télévision et de la faire arrêter. Elle continua à nier. Kazungu quitta alors les lieux après avoir donné l'ordre à deux gendarmes gardant l'entrée du bâtiment de l'empêcher de fuir. Lorsque la famille et des amis de la femme arrivèrent sur place pour tenter de la libérer, Kazungu les menaça eux aussi et apparemment demanda aux gendarmes de les malmener un peu.

Plusieurs heures plus tard, Kazungu emmena la jeune femme au poste de police et insista pour qu'elle soit officiellement mise en état d'arrestation. Il déclara qu'il était nécessaire de l'arrêter parce que le pasteur dont la mort avait été erronément annoncée s'était plaint auprès de la station de radio et annoncé son intention de porter plainte. La jeune femme put finalement faire venir le pasteur au poste pour qu'il nie toute l'histoire et fut alors libérée, mais elle dut cependant retourner plusieurs fois au poste, par la suite, afin de répondre à diverses questions.

Cet enlèvement était en fait lié à un conflit immobilier opposant deux factions de l'église auquel appartient la jeune femme. Le groupe opposé à celui de la jeune femme avait payé ou persuadé Kazungu, un soldat ou ancien soldat de l'APR employé par Radio Rwanda, de se livrer à cet acte d'intimidation dans l'espoir de prendre l'avantage dans la dispute immobilière en question. Dans ce cas précis, la jeune femme s'en sortit sans trop de dommage, si ce n'est une journée de peur et de détresse. Elle a cependant déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch qu'elle avait eu l'impression étrange d'être revenue au temps des rafles du génocide, lorsque des hommes avaient pénétré chez elle pour l'emmener. Cette affaire illustre la vulnérabilité des citoyens ordinaires, qu'ils soient tutsi ou hutu, aux actes abusifs que peuvent commettre des soldats ou des individus disposant de contact au sein des forces armées. La jeune femme a informé le Commission Nationale des Droits de l'Homme du Rwanda de ces événements et déposé plainte.68

Beaucoup d' abus commis par des soldats ou des administrateurs civils sont la conséquence de disputes liées à des questions de propriété. Une homme vivant en dehors de la capitale est ainsi venu à Kigali en mars 1999 afin de rétablir ses droits de propriété sur plusieurs maisons occupées sans paiement par diverses familles depuis 1994. Un officier de l'APR habitait dans l'une de ces maisons. Le propriétaire mit en _uvre la procédure de récupération et fut immédiatement arrêté. Il fut détenu à la DMI pendant trois mois et questionné notamment sur les biens et maisons dont il était propriétaire. Dans une affaire similaire, deux femmes se sont rendues à Kigali en octobre 1999 afin de récupérer des maisons appartenant à leur famille dans la section de Nyakabanda. Un officiel local qui habitait l'une des maisons les accusa de génocide. Elles furent arrêtées et emprisonnées durant presque trois mois. Peu de temps après leur arrestation, le mari de l'une des femmes fut recherché et arrêté à Gisenyi, suite à une plainte déposée à Kigali. Les femmes furent relâchées vers la fin de 1999 et sont aujourd'hui parvenues à rétablir leur droit de propriété sur leurs maisons, mais l'homme est toujours emprisonné à Gisenyi.69

Les Accords de Paix d'Arusha, qui font partie du droit rwandais, stipulent que les personnes ayant quitté le Rwanda depuis dix ans ou plus, de même que leurs descendants, ne peuvent redevenir propriétaires de leurs maisons en cas de retour au pays, mais qu'ils doivent se voir accorder par le gouvernement un autre terrain. Malgré cela, ceux qui sont revenus au Rwanda suite à la victoire du FPR en 1994, ont déplacé de force des personnes occupant des terres, affirmant qu'elles étaient à eux il y a plus de quarante ans. Malgré les promesses du gouvernement de faire appliquer les dispositions des Accords d'Arusha, beaucoup de rapatriés, particulièrement ceux qui ont des liens avec le gouvernement ou l'armée, refusent de rendre les terres et les biens immobiliers qu'ils occupent. Certains d'entre eux se sont même appropriés de nouveaux biens au cours des derniers mois. Dans la commune de Kidaho, un inspecteur scolaire a ainsi abusé de son autorité pour faire battre et détenir pendant plusieurs jours quatre cultivateurs, afin de forcer ceux-ci à lui céder leurs terres. Par la suite, le bourgmestre et le commandant de la police locale lui intimèrent l'ordre de rendre les terres, mais l'autorisèrent à ne le faire qu'après avoir rentré la récolte. Un autre inspecteur scolaire s'appropria lui les champs de cinq agriculteurs du secteur de Maya, dans la commune de Nkumba. Dans la commune de Kidaho, un soldat de l'APR obligea huit cultivateurs à céder des champs à sa mère. Un groupe de vingt-cinq cultivateurs de Kidaho écrivit au préfet de Ruhengeri le 19 février pour lui demander de les aider à récupérer des champs saisis par deux femmes et un homme dont le grand-père avait été chef de la région sous l'administration coloniale. Lorsqu'il fut confronté à une situation similaire -un groupe d'habitants forcés de céder ses terres à des soldats lui ayant demandé de l'aide-, le préfet promit de créer une commission ad hoc pour examiner le problème.70

68 Notes de terrain de Human Rights Watch, 11 décembre 1999.

69 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 17 janvier 2000; Gisenyi, 1er février 2000.

70 Interview réalisée par Human Rights Watch, Kigali, 20 mars 2000.

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