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Assassinats d'anciens soldats par des membres de l'APR

Aux meurtres décrits ci-dessus doit s'ajouter celui de Samuel Sargbah, un employé libérien du Programme Alimentaire Mondial tué à Kigali le 5 mars dernier. Sargbah fut trouvé mort dans sa voiture, portant les marques de quatre impacts de balles à la tête. Bien que les motifs de cet assassinat restent troubles, la manière dont il a été exécuté suggère que les assassins, non-identifiés à ce jour, étaient des soldats ou d'anciens soldats. Sargbah avait, peu de temps avant sa mort, mis en place de nouvelles mesures afin de mettre fin au chapardage de denrées alimentaires dans les stocks de son organisation, pratique dont bénéficiaient plusieurs soldats de l'APR.37

En décembre 1999, des soldats enlevèrent monsieur Nzabonimpa, un homme de quarante ans, habitant le quartier de Kasonga secteur de Muhira, commune de Rubavu, Gisenyi, et l'emmenèrent à un centre de détention illégal connu sous le nom de MILPOC (voir description ci-dessous). Il avait été à plusieurs reprises accusé d'avoir participé au génocide et collaboré avec les rebelles. Il semble qu'il fut gardé au secret dans une sorte de fossé, avec quatre autres personnes, jusqu'à la mi-février. Prévenus qu'ils allaient être tués le lendemain, Nzabonimpa et les quatre autres s'échappèrent dans la nuit du 13 au 14 février. Il fut rattrapé par les soldats, qui lui tirèrent dessus près de l'évêché de Nyundo. Ils l'abandonnèrent sur place, certains qu'il mourrait rapidement. Lorsqu'ils retournèrent sur les lieux dans l'après-midi et le trouvèrent encore vivant, ils le mirent dans leur pick-up et dirent aux curieux qu'ils allaient le conduire à l'hôpital. Ils n'en firent rien et le passèrent à tabac jusquà ce que mort s'ensuive. Des événements similaires se sont produits au début du mois de janvier dans la commune de Ruhondo, où plusieurs soldats arrêtèrent un homme appelé Jean Damascène Gatabazi, originaire de la commune de Nyamutera, et accusé d'être un bandit. Il aurait fait partie d'un groupe qui dévalisait les populations locales en se servant de deux armes à feu, l'une en parfait état de marche, l'autre ne fonctionnant plus mais utilisée pour effrayer les victimes. Les soldats emmenèrent Gatabazi à la centrale hydroélectrique de Mukungwa, où il fut sauvagement battu. Il fut ensuite emmené à la prison locale, où il mourut presque immédiatement des suites de ses blessures.38

Dans la soirée du 11 février, des soldats apparemment originaires du poste militaire de Gasura tuèrent, dans le secteur de Gihira, commune de Giciye, un homme de trente-cinq ans, Monsieur Shirubute, fabricant de charbon de bois.. Ils semblent qu'ils tirèrent sur l'homme qui rentrait de son travail, parce qu'ils le prirent pour un rebelle arrivant du Congo qui tentait de s'infiltrer au Rwanda. Une semaine plus tard, un incident similaire se reproduisit. Des soldats provenant apparemment eux du poste de Rambura tirèrent et tuèrent un homme non-identifié, dans la forêt située en contrebas de l'École pour Travailleurs Sociaux de Rambura.39

Des soldats démobilisés mais restés en possession de leurs armes ont commis des abus, notamment des meurtres, dans le nord-ouest du Rwanda. Selon la population locale, les assassins d'un jeune homme tué dans la nuit du 12 décembre près du centre de Ruhengeri était deux anciens soldats. Jean-Pierre Niyonzima et Anicet Dukuzumuremyi, deux jeunes de dix-sept ans, étaient en train de patrouiller dans les rues de leur quartier lorsqu'ils rencontrèrent des hommes armés qu'ils ne reconnurent pas. Lorsqu'ils demandèrent aux inconnus de s'identifier, ceux-ci ouvrirent le feu, tuant Jean-Pierre et blessant grièvement Anicet. Jean-Pierre, le fils d'un officiel local, n'avait commencé à patrouiller qu'environ deux semaines auparavant.

La population locale s'est rapidement convaincue que des soldats ou d'anciens soldats étaient responsables du crime, conviction alimentée par le fait que les autorités militaires n'ont jamais contacté la famille de Jean-Pierre et n'ont pas ouvert de procédure d'enquête. Les gens se mirent à affirmer ouvertement que des soldats ou d'anciens soldats étaient les coupables. En réaction, un officier de l'armée, identifié comme le Lieutenant Gasana, contacta les habitants de la zone en question et leur ordonna de s'asseoir les uns à côté des autres, en rangs très serrés, dans un champ de sorgho tout proche. Il leur ordonna de se mettre torse nu et dit aux femmes d'enlever également les foulards qu'elles portaient sur la tête. Il leur reprocha alors le fait qu'ils aient accusé des soldats ou d'anciens soldats d'avoir tué Jean-Pierre. Il affirma que les vrais responsables étaient des insurgés et que c'était ainsi, par la violence, que ceux-ci récompensaient ceux qui les avaient nourris et hébergés. Cet acte d'humiliation choqua et provoqua la colère de la population, d'autant plus que le lieutenant Gasana avait toujours entretenu de bonnes relations avec la communauté. La pratique consistant à forcer les gens à s'asseoir en rangs très serrés a fréquemment été utilisée par l'APR afin de démontrer le contrôle qu'elle exerce que les populations. Ce type d'humiliation délibérée est connu en swahili sous le nom de songamane.40

Le 10 janvier 2000, le préfet de Ruhengeri rencontrait des employés gouvernementaux afin de les exhorter à soutenir financièrement l'armée rwandaise (voir plus bas). Un membre âgé et respecté de la communauté, ancien bourgmestre, profita de l'occasion pour se plaindre du fait que les citoyens soient obligés de patrouiller la nuit, ce qui les empêche de travailler efficacement pendant la journée, et de l'humiliation de la population par le Lieutenant Gasana.

Le 6 février, le Lieutenant Gasana ordonnait une fois de plus le regroupement des habitants de plusieurs secteurs de Ruhengeri et de ses environs immédiats. Il s'en prit au bourgmestre qui était intervenu le 10 janvier et l'obligea à présenter des excuses publiques.41

37 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 7 et 19 mars 2000.

38 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Kigali, 17 janvier et 20 mars 2000.

39 Interview réalisée par Human Rights Watch, Kigali, 20 mars 2000.

40 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Ruhengeri, 8 et 24 février, 3 mars 2000.

41 Interviews réalisées par Human Rights Watch, Ruhengeri, 8 et 24 février, 3 mars 2000.

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