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LES VIES BRISÉES:
Violence sexuelle pendant le Genocide rwandais et sa conséquence

Human Rights Watch/Africa
Human Rights Watch Women's Rights Project
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme
Human Rights Watch



REMERCIEMENTS. 1


INTRODUCTION.. 2


RECOMMANDATIONS. 7

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AU GOUVERNEMENT RWANDAIS. 7

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AU TRIBUNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA.. 7

RECOMMANDATIONS ADRESSEES A L’OPERATION SUR LE TERRAIN POUR LES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA.. 8

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AUX DONATEURS INTERNATIONAUX (LES NATIONS UNIES, LES ETATS‑UNIS, L’UNION EUROPEENNE, LES PAYS‑BAS, LA BELGIQUE, L’ALLEMAGNE ET LES AUTRES) ET AUX ORGANISATIONS HUMANITAIRES. 9


RAPPEL DES EVENEMENTS. 10


LE GENOCIDE. 10

LA PROPAGANDE GENOCIDAIRE CONTRE LES FEMMES TUTSI12

LE STATUT DES FEMMES DANS LA SOCIETE RWANDAISE. 15


PROBLEMES AUTOUR DES INFORMATIONS CONCERNANT LES CRIMES A CARACTERE SEXUEL. 17


LES PROTECTIONS JURIDIQUES NATIONALES ET INTERNATIONALES CONTRE LA VIOLENCE FONDEE SUR UNE DISCRIMINATION SEXUELLE. 20


LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME DE GUERRE. 22

LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME CONTRE L’HUMANITE. 23

LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME DE GENOCIDE. 24

LE VIOL COMME CRIME SELON LE DROIT RWANDAIS. 25


VIOLENCES SEXUELLES CONTRE LES FEMMES RWANDAISES. 28

VIOLENCES SEXUELLES CONTRE LES FEMMES TUTSI29

Les viols commis par les miliciens. 29

Viols commis par 1’armée. 34

Esclavage sexuel collectif36

Esclavage sexuel individuel : “mariages” forcés. 38

Viols et mutilations. 43

Le viol des femmes hutu. 44


PERSISTANCE DES PROBLEMES DONT SOUFFRENT LES FEMMES RWANDAISES. 47


DISGRACE, ISOLEMENT ET REJET. 49

LA SANTE. 51

ENFANTS ISSUS DES VIOLS. 54

TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE DEVANT LA LOI56

PROPRIÉTÉ ET DROIT A L’HERITAGE. 57


LA REACTION NATIONALE ET INTERNATIONALE. 61


ABSENCE DE REPARATION JUDICIAIRE AU NIVEAU NATIONAL. 61

LE TRIBUNAL INTERNATIONAL. 63

PROTECTION DES VICTIMES ET DES TEMOINS. 66

L’OPERATION SUR LE TERRAIN POUR LES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA.. 67

LA REACTION INTERNATIONALE. 68

LES NATIONS UNIES. 68

LES ETATS‑UNIS. 69

L’UNION EUROPÉENNE (UE)70

LES PAYS‑BAS. 71

 

 


REMERCIEMENTS

 

 

Ce rapport a été rédigé par Binaifer Nowrojee, consultante auprès de Women’s Rights Project, sur la base d’enquêtes et de recherches qui ont été menées au Rwanda en mars et avril 1996, par Binaifer Nowrojee et Janet Fleischman, directrice de Human Rights Watch/Africa à Washington. Janet Fleischman et Alison DesForges, consultantes auprès de Human Rights Watch/Africa, ont contribué à la rédaction. L’assistance logistique sur place a été fournie par Timothy Longman, consultant auprès du bureau au Rwanda de Human Rights Watch et de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH). Les recherches juridiques ont été menées par Regan Ralph, directeur du Women’s Rights Project à Washington, par Kulsum Wakabi, Women’s Law and Public Policy Fellow of the Women’s Rights Project, et par Sara Levin, consultante auprès de Human Rights Watch. Le rapport a été édité par Dorothy Q. Thomas, directrice du Women’s Rights Project ainsi que par Janet Fleischman. Leur associée Evelyn Miah a participé à sa production.

 

Le rapport en français a été édité par la FIDH, sous la direction de Catherine CHOQUET, Secrétaire générale adjointe chargée de l’Afrique, et de Eric GILLET, chargé de mission auprès du Bureau exécutif de la FIDH pour le Burundi et le Rwanda, avec la collaboration de Emmanuelle ROBINEAU-DUVERGER, responsable pour l’Afrique au secrétariat international de la FIDH et de Valérie Pons pour la traduction.

 

Nous tenons à remercier l’ensemble des organisations pour leur assistance précieuse, ainsi que les personnes interrogées dans le cadre de ce rapport. Nous remercions tout particulièrement, les survivantes des viols qui ont consenti, souvent sous l’emprise d’une immense détresse, à nous faire part de leurs expériences douloureuses.

 


INTRODUCTION

 

Au cours du génocide de 1994, les femmes rwandaises furent victimes de violences sexuelles à grande échelle, perpétrées par les membres du trop fameux groupe de miliciens connus sous le nom d’Interahamwe, par d’autres civils, par les soldats des FAR (Forces Armées Rwandaises), et même par les soldats de la garde présidentielle. Les responsables administratifs, militaires et politiques ainsi que les chefs de milice ont dirigé ou encouragé à l’échelon local et national, les assassinats et les crimes sexuels afin de servir leur but politique : la destruction des Tutsi en tant que groupe. Ils portent en conséquence, la responsabilité de ces crimes.

Bien que le nombre exact de femmes violées ne sera jamais connu, des témoignages de survivantes donnent la confirmation que les viols furent extrêmement courants et que des milliers de femmes furent violées par un ou plusieurs individus, avec des objets tels que des bâtons aiguisés ou des canons de fusil, soumises à un esclavage sexuel aussi bien collectivement que par des “mariages” forcés ou encore sexuellement mutilées. Ces crimes faisaient fréquemment partie d’un scénario qui consistait à les violer après qu’elles eurent assisté à la torture et aux massacres de leur famille, à la destruction et au saccage de leur maison. Selon des témoignages, plusieurs femmes furent tuées immédiatement après avoir été violées.

D’autres femmes ont réussi à survivre, seulement pour s’entendre dire qu’elles ne seraient autorisées à vivre que pour mieux “mourir de chagrin”. Les femmes furent fréquemment réduites à un esclavage sexuel et soumises collectivement par les groupes de miliciens, ou encore tenues isolées par un milicien seul, à des barrages de contrôle ou autres endroits dans lesquels les gens étaient torturés et massacrés, et détenues pour services sexuels personnels. Les miliciens les ont soumises en les menaçant de les assassiner si elles résistaient. Ces “mariages” forcés comme l’on désigne souvent au Rwanda cette forme d’esclavage sexuel, ont duré quelques jours et parfois toute la période du génocide, voire au delà. Les viols furent parfois suivis de mutilations sexuelles, incluant des mutilations du vagin et de la zone pelvienne à la machette, au couteau, avec des bâtons, de l’eau bouillante, et dans un cas relevé à l’acide.

A travers le monde, la violence sexuelle est fréquemment infligée aux femmes dans les situations de conflits armés. Cette violence peut revêtir différentes formes spécifiques, comme des mutilations sexuelles, des grossesses forces, le viol ou l’esclavage sexuel. Etre une femme est un facteur de risque; les femmes et les jeunes filles sont souvent les objets de sévices sexuels, quels que soient leur âge, leur appartenance ethnique ou leur affiliation politique.

Le viol dans un contexte de conflit armé est également utilisé comme une arme pour terroriser et humilier une communauté particulière, à des fins politiques spécifiques. Dans ces situations, la discrimination sexuelle interagit avec d’autres aspects de l’identité de la femme comme son appartenance ethnique, sa religion, sa classe sociale ou son affiliation politique. L’humiliation, la douleur et la terreur infligées par les violeurs à la femme visent non seulement à dégrader la femme en tant qu’individu, mais au delà, à avilir le groupe dont elle fait partie. Le viol d’une personne symbolise l’agression de la communauté du fait de l’importance que l’on accorde dans toutes les cultures à la virginité et fidélité des femmes : la honte du viol humilie toute la famille et le groupe des survivants qui 1’environne. Les combattants qui violent au cours des guerres justifient souvent leurs actes par cette dégradation sociale élargie. Après de telles agressions, le mal fait à la femme en tant qu’individu est aggravé voire amplifié par les retombées que la communauté subit en conséquence.

Tout au long du génocide au Rwanda, le viol et autres formes de violences furent dirigées en premier lieu contre les femmes tutsi, en raison à la fois de leur sexe et de leur appartenance ethnique. La propagande extrémiste qui exhortait les Hutu à commettre le génocide, dénonçait spécialement la sexualité des femmes tutsi comme étant le moyen utilisé par les Tutsi pour infiltrer et contrôler les Hutu. Cette propagande prenait la violence sexuelle contre les femmes tutsi comme un moyen de déshumaniser et de soumettre tous les Tutsi. Quelques femmes hutu furent également victimes de viols parce qu’affiliées à l’opposition politique, ou mariées à des Tutsi, ou encore parce qu’elles protégeaient des Tutsi. Un certain nombre de femmes, tutsi ou hutu, furent violentées quelles qu’aient été leur appartenance ethnique ou leur affiliation politique. Des jeunes filles ou d’autres femmes considérées comme particulièrement jolies furent tout spécialement à la merci des groupes de miliciens, dont le mot d’ordre était souvent de violer sans distinction.

Au moment ou les Rwandais commencent cette tâche coûteuse de reconstruction d’un pays ravagé par les effusions de sang et par le génocide, le fardeau accable lourdement les femmes rwandaises. Ce pays est devenu un pays de femmes. Il est fréquemment estimé que 70% de la population est féminine et que 50% de l’ensemble des ménages sont tenus par les femmes. Quel que soit leur statut ‑ Tutsi, Hutu, déplacées, réfugiées de retour ‑ toutes les femmes font face à d’énormes problèmes en raison du désordre causé par le génocide, traumatisées socialement, physiquement et psychologiquement faibles, assumant des grossesses non désirées, de plus en plus touchées par la pauvreté.

Au Rwanda comme partout ailleurs dans le monde, le viol et les autres types de violences basées sur la discrimination sexuelle laissent de sévères conséquences sociales. Les blessures physiques et psychologiques endurées par les Rwandaises rescapées des viols sont aggravées par un sentiment d’isolement et l’ostracisme qu’on leur fait subir. Les femmes qui ont été violées ou ont subi des violences sexuelles d’une manière ou d’une autre, n’osent pas révéler ces drames publiquement, craignant d’être rejetées par leur famille et plus largement par la communauté qu’elles redoutent de ne pas être en mesure de réintégrer, ou ont peur d’avoir des difficultés à se marier. D’autres ne parlent pas, par peur des représailles de leurs agresseurs. Des survivantes ayant été violées souffrent souvent d’une grande culpabilité pour avoir survécu plutôt que s’être laissées exécuter.

Ce sentiment est d’autant plus renforcé par l’attitude de certains tutsi de retour d’exil, du Zaïre, du Burundi ou d’Ouganda après les évènements, dans la mesure ou ils n’ont pas à faire face au traumatisme d’avoir survécu au génocide, quoiqu’ils partagent bien entendu l’horreur de ce qu’il s’est produit.

Certains de ceux qui reviennent traitent les survivants du génocide avec méfiance et suspicion. Ces survivants, quant à eux, éprouvent de la rancune à l’égard de ceux qui rentrent, entre autres certains membres du gouvernement, et leur reprochent notamment de négliger les problèmes particuliers des survivants au génocide, d’accuser injustement les survivants du génocide d’être des “collaborateurs”, de s’approprier illégalement les terres et les biens des survivants et d’être politiquement extrémistes dans leurs accusations générales contre les Hutu. “Il y a toujours une question non formulée qui est posé aux survivants [par ceux qui reviennent]” souligne Annunciata Nyiratamba de l’Association des Veuves du génocide d’avril, (AVEGA), dans une interview de Human Rights Watch et de la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) effectuée en mars. “Qu’avez-vous fait pour survivre ? Qui était assassin ? Qui ne l’était pas ? Ces questions sont toujours posés et ont pour effet de créer des dissensions entre les survivants et les exilés de retour.”

Les victimes de sévices sexuels ayant été perpétré lors du génocide souffrent de problèmes de santé persistants. Selon des médecins rwandais, le problème le plus courant qu’ils ont rencontré chez les femmes violées venant se faire soigner, sont les maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH/sida (bien qu’il soit souvent impossible de savoir si le viol en est la cause ou non). L’avortement étant illégal au Rwanda, les médecins ont également traité des femmes qui avaient eu recours à des avortements clandestins provoquant des complications médicales sérieuses. Dans un certain nombre de cas, les médecins ont dû procéder à des reconstructions chirurgicales pour réparer les mutilations sexuelles dont souffraient des femmes et des petites filles. Malheureusement les cicatrices que laissent les souvenirs des abus sexuels subis les dissuadent souvent de recourir à l’assistance médicale dont elles ont pourtant grand besoin.

Chez un certain nombre de femmes des grossesses ont fait suite aux viols subis lors du génocide. Les grossesses et les accouchements chez de très jeunes filles ont aussi posé des problèmes de santé chez ces jeunes mères. Les “grossesses de la guerre”, “enfants de la haine”, “enfants non désirés” encore “enfants mauvais souvenir” tels qu’ils sont nommés, sont estimés entre 2 et 5.000 par l’Office National de la Population (ONAPO). Le personnel de santé rapporte que certaines femmes ont abandonné leur enfant ou même commis l’infanticide, tandis que d’autres ont décidé de garder leur bébé. Dans certains cas la décision prise par la mère de conserver l’enfant divise profondément la famille entre ceux qui rejettent l’enfant et ceux qui décident de l’élever. Dans d’autres, 1’enfant est élevé sans problème par la communauté.

Les femmes ont également à faire face à des difficultés économiques qui s’ajoutent aux séquelles du traumatisme social et personnel occasionné par les sévices sexuels. Conséquence du génocide : beaucoup de femmes ont perdu les hommes qui assuraient leur subsistance et se retrouvent aujourd’hui indigentes.

Les femmes survivantes se battent pour assurer leur subsistance, récupérer leurs biens, reconstruire leurs maisons détruites et élever les enfants : les leurs et les orphelins.

Des femmes hutu dont les maris ont été tués ou sont aujourd’hui en exil ou en prison, accusés de génocide, rencontrent les mêmes problèmes de pauvreté, auxquels s’ajoutent des attaques sur une base ethnique ou liés aux crimes supposés de leurs proches.

Au sommet de cette grande misère, les femmes doivent faire face à des problèmes accentués par le statut de seconde classe qu’elles ont devant la loi. Bien que la Constitution rwandaise leur garantisse une pleine légalité devant la loi, les pratiques discriminatoires continuent de se produire dans le cadre des lois de succession, et dans bien d’autres domaines. Les règles de succession ne sont pas codifiées et sont régies par la coutume. Bien qu’il y ait un certain nombre de jugements contradictoires rendus, pour interpréter la coutume, dans la pratique générale, il est établi que les femmes ne peuvent mériter des propriétés, à moins d’être spécifiquement désignées comme bénéficiaires. Si bien que des milliers de veuves et de jeunes filles se retrouvent régulièrement dans l’impossibilité de réclamer les maisons de leurs maris ou près défunts, les terres ou les comptes en banque qui leur sont dus, simplement parce qu’elles sont des femmes. Les veuves dont les maris travaillaient pour des entreprises d’Etat ou au sein de grandes entreprises doivent aussi faire face à de grandes difficultés pour obtenir les pensions de leur conjoint. Une procédure d’application compliquée à laquelle s’ajoute l’intimidation lors des négociations avec les autorités, ont empêché de nombreuses femmes de poursuivre la réclamation de ces pensions. Les veuves hutu qui étaient mariées à des Tutsi rencontrent des problèmes particuliers auprès de leur belle famille (tutsi) qui les terrorise et les exclut de leurs propriétés. Le gouvernement a mis en place une commission juridique pour s’occuper de ces questions et préparer une législation qui permette aux femmes d’hériter à égalité avec les hommes, mais ces réformes prendront sans doute du temps.

Les survivantes ayant subi des violences sexuelles sont particulièrement choquées par le manque de recours possible face aux abus dont elles ont souffert. Elles souhaitent  que les responsables de ces violences soient mis en accusation. Cependant, le système judiciaire rwandais se heurte à de nombreux problèmes structurels, ce qui éloigne l’espoir que justice soit rendue aux protagonistes du génocide et à leurs victimes. Environ 80.000 prisonniers sont actuellement détenus en prison sans aucune forme de procès. Deux ans après le génocide, le système judiciaire ne fonctionne toujours pas. Bien que l’absence de justice ne soit pas seulement réservée aux femmes victimes de violences sexuelles, il apparaît pourtant que celles-ci rencontrent des obstacles bien particuliers. Les inspecteurs de police, notamment, qui enquêtent afin de poursuivre les auteurs du génocide sont pour la plupart des hommes et ne s’occupent pas par ailleurs de recueillir des témoignages concernant les viols. Plusieurs femmes interrogées par nos équipes, composés uniquement de femmes, ont prévenu qu’elles ne témoigneraient qu’auprès de femmes mais non d’un homme. Ces failles du système policier et judiciaire s’ajoutent à la résistance des femmes à témoigner, parce qu’elles sont effrayées et traumatisées. Cette situation réduit sérieusement les chances que les violeurs soient poursuivis.

            Afin de trouver des réponses au problème, le gouvernement actuellement en place doit non seulement dénoncer les violences perpétrées lors du génocide, mais aussi l’assujettissement systématique des femmes, responsables des bouleversements qui aujourd’hui conditionnent tous les domaines de leur existence. Comme cela a été précisé, le gouvernement a déjà amorcé un processus de refonte des lois concernant l’héritage, mais il est submergé par les problèmes liés au génocide, et par la nécessité de transformer des comportements sociaux archaïques à l’égard des femmes. Ces efforts de réforme avancement lentement. En outre, les ministères de la justice, de la santé et de la réhabilitation n’ont aujourd’hui aucune stratégie commune pour répondre aux problèmes des femmes. Le besoin d’apporter des solutions à la situation des femmes au Rwanda ne doit pourtant pas être sous-estimé par le gouvernement. Si l’on n’accorde pas aux femmes, c’est à dire à l’écrasante majorité de la population, les moyens nécessaires pour reconstruire leur vie, les transformations sociales et politiques indispensables à la reconstruction de ce pays ne pourront aboutir.

            Les femmes risquent aussi de ne recevoir que très peu d’aide de la communauté internationale. Fin 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies a crée le Tribunal international pour le Rwanda, dont la tâche est d’assigner en justice les responsables du génocide. Une procédure internationale qui reconnaisse le génocide et condamne les responsables qui l’ont perpétré, signifierait que l’impunité de pareils crimes ne sera pas tolérée par la communauté internationale. Toutefois, le Tribunal international se retrouve face à de lourdes contraintes budgétaires et est toujours confronté à des problèmes de personnel et de méthode. Ces problèmes s’amplifient lorsqu’il s’agit de s’occuper plus particulièrement des crimes liés à des discriminations sexuelles. Bien que le viol constitue un crime de guerre et un crime contre l’humanité, peu de travaux du Tribunal ont été jusqu’à présent consacrés à ces violences discriminatoires. Les procédures d’investigation conçues à cet effet n’ont pas été favorables à la collecte de témoignages sur les viols dans le contexte rwandais, et les accusations du Tribunal à cette date ne contiennent aucune charge concernant les viols. En juillet 1996, le Tribunal a établi un Comité d’Agression Sexuelle afin de coordonner les recherches  sur ces violences discriminatoires. Au moment où est rédigé ce rapport, le Comité commence seulement à opérer et a pour ambition de traiter des questions stratégiques, juridiques, et méthodologiques que soulèvent les enquêtes. Nous espérons que cette initiative conduira à la mise en œuvre de procédures plus adaptées et plus efficaces pour prouver la réalité de pareils crimes. Si le Tribunal ne se préoccupe pas immédiatement de ces questions pour organiser des enquêtes efficaces avant que les procès aient lieu, il sera trop tard.

            Bien que la communauté internationale n’ait honteusement pas réagi au moment le plus fort du génocide, l’aide étrangère a commencé à affluer après que le nouveau gouvernement a pris le pouvoir. Elle s’est essentiellement concentrée sur le système judiciaire et aussi sur les secours aux réfugiés et aux populations déplacées à l’intérieur. Depuis le moi de juillet 1994, la communauté internationale a dépensé approximativement 2,5 milliards de dollars US dans les camps de réfugiés au Zaïre et en Tanzanie, alors qu’elle ne déboursait au même moment que quelques 572 millions de dollars US pour le Rwanda lui-même. Sur l’ensemble du programme d’aide au Rwanda, un montant relativement peu élevé est destiné aux problèmes liés aux violences sexuelles, ce montant étant supposé couvrir l’aide au logement des femmes, l’aide à l’obtention de crédits et aux créations d’emplois, aux soins de santé et à l’assistance psychologique. Malgré les quelques 19 millions de dollars US affectés à la justice rwandaise, il n’y a toujours aucun programme destiné à améliorer la capacité de la police rwandaise ou celle des inspecteurs de police à enquêter sur les crimes de viols et de violences sexuelles durant le génocide, comme sur les abus multiples à l’encontre des femmes. Une assistance est toutefois fournie pour réviser les aspects discriminatoires de la loi, dont le droit successoral, mais cela est encore insuffisant pour que les progrès soient réellement satisfaisants. Des programmes visent aussi les groupes vulnérables, dont les veuves.

En plus de faction du Tribunal et des divers efforts humanitaires, les Nations Unies ont aussi mis en place l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda (HRFOR, Human Rights Field Operation in Rwanda), qui a pour mandat de protéger et de promouvoir les droits humains et d’enquêter sur la situation des droits de la personne dans le pays, de mettre en oeuvre des programmes de coopération technique, en particulier dans les domaines de l’administration et de la justice. L’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme attire également l’attention du Gouvernement sur les déficiences qui apparaissent dans le système d’application des lois. Pour l’instant toutefois, l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme n’a pas d’objectif thématique précis pour inclure les problèmes des femmes dans le cadre des droits humains.

Les recherches effectuées pour la rédaction de ce rapport ont été faites par HRW et la FIDH en mars et avril 1996. Les noms de toutes les survivantes des viols, qui ont été interrogées, ont été modifiés afin de préserver leur anonymat et assurer leur sécurité. HRW/FIDH collaborent avec des organisations de femmes au Rwanda ainsi qu’avec d’autres organisations non gouvernementales afin d’être en contact avec les victimes survivantes des viols par l’intermédiaire de personnes en qui elles ont confiance. Nous avons eu recours, aux services d’interprètes rwandaises quand cela a été nécessaire, celles-ci sont généralement des survivantes du génocide. Lors de toutes les enquêtes, nous nous sommes efforcés de fournir aux femmes l’intimité et le temps qui leur étaient nécessaires pour relater leurs douloureuses expériences. En plus d’avoir interrogé des femmes victimes survivantes du viol dans six des onze préfectures, l’équipe HRW/FIDH a rencontré de nombreuses organisations non gouvernementales opérant dans des domaines variés, ‑ droits de l’Homme, droits des Femmes ‑, puis des médecins, des infirmières, des assistantes sociales, des journalistes. Au sein du gouvernement rwandais, nous avons rencontré des représentants du Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, le Ministre de la Justice, celui de la Santé et le bureau du Procureur. Nous avons aussi rencontré les représentants d’un certain nombre d’organisations humanitaires internationales de même que l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme des Nations Unies, la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda) et le Tribunal international pour le Rwanda.

L’avenir du Rwanda est largement entre les mains de ses femmes. Avec une population à 70% féminine, il incombera aux femmes de reconstruire ce pays. Beaucoup d’entre-elles ont vécu des souffrances qui dépassent l’imagination, entre les mains de ceux qui ont déclenché le génocide. Beaucoup ont perdu tout ce qu’elles possédaient. En dépit de handicaps terribles, les rwandaises ont commencé à s’organiser et à reconstruire leurs vies brisées. Cependant, leurs efforts sont grandement limités par l’indifférence du gouvernement rwandais et de la communauté internationale, vis à vis de ces problèmes vécus par elles hier et aujourd’hui. Elles souffrent de manque de services sociaux destinés à les assister, de même que des contraintes traditionnelles et institutionnelles qui présent sur elles. Pour ces raisons, il est impératif que la communauté internationale et le gouvernement rwandais traitent les problèmes actuels d’une manière soutenue et efficace, et dressent un inventaire des besoins essentiels de la majorité de la population rwandaise.

 


RECOMMANDATIONS

 

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AU GOUVERNEMENT RWANDAIS

 

  • Les violences sexuelles qui ont eu lieu au cours du génocide devraient faire l’objet d’une enquête approfondie et dans la mesure du possible, leurs auteurs devraient être poursuivis et jugés. Le Ministère de la Justice devrait prendre des mesures pour que tous les inspecteurs de police reçoivent une formation obligatoire sur la question du viol et les autres types d’abus sexuels, expliquant notamment leur statut juridique de crimes punissables par la loi. Plus particulièrement, nous demandons instamment que les inspecteurs de police qui enquêtent sur les crimes de génocide reçoivent une formation pour qu’il soit sur que les attitudes discriminatoires à l’égard des femmes victimes d’abus sexuels n’empêchent pas une enquête sérieuse et ne diminuent pas l’efficacité de l’instruction. Un plus grand nombre de policiers féminins devraient entre recrutés et formés pour recueillir les témoignages de viols d’une façon plus systématique et plus effective.

 

  • L’efficacité de la loi dépend de la coopération et de la coordination entre les différents ministères du gouvernement. Un comite interministériel devrait être crée pour s’occuper des actes de violence perpétrés contre les femmes, durant le génocide ainsi que des problèmes actuels auxquels elles sont confrontées. L’objectif du comité serait d’améliorer les réponses aux besoins sociaux, médicaux et légaux de l’après génocide. Il devrait se réunir de façon régulière, afin d’améliorer et de coordonner les services offerts par le gouvernement aux femmes. 11 devrait inclure, au minimum, des représentants des Ministères des Femmes et de la Famille, de la Justice, de la Santé et de la Réhabilitation, ainsi que des ONGs de femmes.

 

  • Alors que Human Rights Watch et la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) sont encouragés par le gouvernement rwandais à revoir les aspects discriminatoires des lois rwandaises, nous demandons au gouvernement d’engager ces révisions très rapidement. Entre-temps, le gouvernement doit prendre des mesures pour s’assurer que les femmes ne soient pas chassées arbitrairement de leurs propriétés. De plus, le gouvernement doit s’assurer qu’une fois que les lois seront révisées, des programmes soient mis en place pour permettre l’application des nouvelles lois et remédier aux effets des discriminations.

 

  • Le Ministère de la Santé devrait faire tout ce qui est possible pour s’occuper des problèmes de santé des femmes engendrés par le génocide. Une aide médicale appropriée, incluant des soins gynécologiques de base, devrait être offerte à chaque femme et à chaque jeune fille.

 

  • Le gouvernement devrait s’assurer que l’aide internationale et les projets d’aide qui s’occupent des femmes soient coordonnés et mis en place à travers tout le pays afin de garantir une répartition équitable des services dans chaque préfecture.

 

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AU TRIBUNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

 

  • Le Tribunal International doit absolument enquêter sur, et instruire réellement tous les cas de violences sexuelles. Viols, esclavage sexuel, mutilations sexuelles ‑ devraient être reconnus et instruits, quand cela est justifié, en tant que crimes contre l’humanité, crimes de génocide ou crimes de guerre.

 

  • Le Tribunal International doit s’efforcer d’intégrer dans ses enquêtes, la prise en considération des discriminations. Les procédures et les méthodes d’enquête utilisées jusqu’à présent, qui n’ont pas réussi à rendre compte clairement des témoignages de viols, doivent être modifiées. En particulier, le Tribunal doit s’assurer que sous sa juridiction, la question des violences contre les femmes soit traitée avec la même gravité que les autres crimes contre l’humanité. Les enquêtes concernant les viols et les autres formes de violence sexuelle, doivent être conduites par des équipes comprenant des femmes et les interprètes (de préférence des femmes) doivent avoir l’expérience d’entretiens avec des femmes ayant survécu à des crimes sexuels, dans un contexte plus large d’atrocités. L’anonymat devra être accordé aux victimes survivantes, ainsi que le temps nécessaire pour témoigner des crimes dont elles ont été victimes. Les enquêteurs devraient aussi expliquer aux personnes interrogées les procédures de base de l’enquête.

 

  • Les inculpations devraient être modifiées, quand cela est nécessaire, afin de s’assurer que les chefs d’accusation tels que le viol, l’esclavage sexuel et les mutilations sexuelles apparaissent. Si nécessaire, une enquête plus poussée devrait être conduite par le Tribunal pour collecter les informations sur les violences sexuelles qui avaient été auparavant négligées.

 

  • La Division d’aide aux victimes et aux témoins doit être renforcée et élargie. Les programmes de protection devraient protéger les victimes et les témoins des éventuelles représailles et devraient permettre de répondre à des besoins de sécurité variés. Des services de soutien doivent être offerts aux victimes et aux témoins : des conseils juridiques pour préparer les témoignages, une aide psychologique, en particulier pour celles qui ont subi des violences sexuelles ; une surveillance médicale ; des transports pour la famille ou pour les victimes qui souhaitent accompagner les victimes ou les témoins à Arusha ; un relogement des victimes, des témoins et de leurs familles s’ils le souhaitent. Le bureau du procureur doit avoir des fonds à sa disposition afin de répondre à des besoins de protection urgents, y compris pour un relogement. Connaissant les difficultés existantes pour protéger des personnes dans un pays aussi petit et ou tout se sait, les victimes et les témoins devraient être invités à proposer des mesures qui pourraient améliorer leur sécurité. La Division d’aide aux victimes et aux témoins devrait contrôler de façon régulière la sécurité des victimes et des témoins. Pour les victimes et les témoins qui sont en dehors du Rwanda, le Tribunal doit se coordonner avec le gouvernement national concerné pour s’assurer de la protection de l’individu.

 

RECOMMANDATIONS ADRESSEES A L’OPERATION SUR LE TERRAIN POUR LES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA

 

  • L’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda devrait s’assurer que son contrôle des abus en matière de droits de l’Homme inclut dans ses rapports la description et la dénonciation des cas de viols et d’abus sexuels perpétrés par des agents de l’Etat sur des femmes. Les responsables des droits de l’Homme sur le terrain devraient recevoir des instructions leur permettant de s’assurer que les attitudes discriminatoires à l’égard des femmes violées n’empêchent pas une enquête sérieuse sur les viols ou les abus sexuels. Les informations sur les viols devraient être collectées de façon plus systématique, sans perdre de vue qu’anonymat et délicatesse sont requis dans ces situations, pour obtenir des témoignages des victimes de viols.

 

  • L’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda devrait contrôler et conseiller le système judiciaire rwandais, pour s’assurer du bien-être des femmes et de leurs enfants qui ont besoin de leur aide pour bénéficier de l’égalité devant la loi, en particulier dans les domaines de l’héritage et des droits de propriété. Bien que le gouvernement rwandais ait entamé une réforme pour réviser ses lois, l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda devrait demander au gouvernement de prendre des mesures provisoires pour régler les problèmes des femmes qui sont chassées de leur propriété. Il devrait aussi contrôler les progrès de la réforme juridique.

 

RECOMMANDATIONS ADRESSEES AUX DONATEURS INTERNATIONAUX (LES NATIONS UNIES, LES ETATS‑UNIS, L’UNION EUROPEENNE, LES PAYS‑BAS, LA BELGIQUE, L’ALLEMAGNE ET LES AUTRES) ET AUX ORGANISATIONS HUMANITAIRES

 

  • Les donateurs internationaux et les organisations humanitaires devraient s’assurer que leurs programmes au Rwanda répondent aux besoins des femmes, en particulier dans les domaines de la justice, de la santé, du logement, du crédit, de 1’éducation, de la formation professionnelle, et du soutien psychologique. Dans la mesure du possible, les programmes s’adressant aux victimes des viols, devraient être intégrés à des programmes plus larges afin de s’assurer que les survivantes ne soient pas davantage traumatisées.

 

  • Les donateurs internationaux devraient financer des programmes de formation s’adressant au personnel de la police et de la justice sur les discriminations sexuelles à l’égard des femmes ‑ en particulier ceux qui enquêtent sur le génocide. Les programmes devraient aussi favoriser le recrutement d’enquêtrices.

 

  • Un soutien financier et logistique doit être attribué au Tribunal International et à l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda. Un financement devrait être prévu pour que ces derniers améliorent leurs enquêtes sur les discriminations sexuelles. En particulier, des fonds devraient être débloqués pour que le Tribunal International forme des enquêtrices pour travailler sur les discriminations sexuelles.

RAPPEL DES EVENEMENTS

 

LE GENOCIDE

 

Du mois d’avril au mois de juillet 1994, entre 500.000 et 1 million d’hommes, de femmes et d’enfants rwandais furent massacrés lors du génocide de la minorité tutsi et des massacres des Hutu modérés prêts à travailler avec les Tutsi. Un cercle de chefs politiques, craignant de perdre leur pouvoir, organisèrent les tueries avec l’aide des militaires, des miliciens hutu et de nombreux autres civils[1].

Le Président Juvénal Habyarimana avait gouverné avec un cercle d’alliés proches depuis 1973, date à laquelle il s’emparait du pouvoir par un coup d’Etat. Etant lui-même hutu, il avait toujours été populaire au sein de la majorité hutu, que l’on estimait généralement à 85% de la population environ. Malgré cela vers la fin des années 80, ce pouvoir en place perdit de sa crédibilité en raison, d’une part, de la corruption et d’une croissance de la répression, d’autre part d’un déclin général de l’économie. Sous la pression d’une opposition interne de plus en plus forte et de celle des donateurs internationaux, Habyarimana dut admettre qu’il perdait le monopole de son pouvoir personnel, de même que le contrôle exclusif de son parti, le Mouvement Républicain National Démocratique (MRND). Au même moment, son régime fut de surcroît inquiété par l’invasion du pays organisée par le Front Patriotique Rwandais (FPR), un groupe basé en Ouganda et constitué pour l’essentiel de réfugiés tutsi. Les Tutsi étaient politiquement dominants au Rwanda avant et pendant la période coloniale. Ils furent évincés du pouvoir par une révolution qui débuta en 1959, durant laquelle environ 20.000 Tutsi furent tués et des dizaines de milliers forcés à l’exil. Face au refus continuel d’autoriser leur retour, les réfugiés avaient organisé une armée puissante dans l’intention de passer la frontière et d’assiéger le régime.

Habyarimana et ses alliés espéraient s’appuyer sur les attaques du FPR en 1990 pour renforcer les bases de leur pouvoir en ralliant la majorité hutu contre les Tutsi. Ils commencèrent à mettre en place une campagne de dénonciation de tous les Tutsi et Hutu alliés, considérés alors comme "complices" des envahisseurs. Le gouvernement procéda à l’arrestation d’environ 8.000 Tutsi et Hutu de l’opposition immédiatement après l’invasion. Deux semaines plus tard, des administrateurs locaux organisèrent un massacre de Tutsi, le premier d’une série de tueries dont la trame organisationnelle serait un modèle du génocide de 1994. A partir de 1993, Habyarimana et ses proches avaient rassemblé tous les éléments pour permettre le génocide :

 

‑ Une machine de propagande opérationnelle tout d’abord par les moyens de la presse écrite et de la radio nationale, puis par la suite, grâce à une station de radio prétendument privée "Radio Télévision Libre des Mille Collines" (RTLM), qui en réalité bénéficiait du soutien du pouvoir;

‑ L’organisation de groupes de miliciens recrutés pour la plupart dans une sans emploi et entraînés à tuer;

‑ Des armes et des munitions distribuées clandestinement;

population de jeunes gens

‑ Un réseau d’administrateurs, militaires, chefs politiques dévoués à la cause et prêts à conduire l’attaque.

 

La communauté internationale ignora à la fois les "petits" massacres perpétrés entre 1990 et 1993 ainsi que les préparatifs de ce génocide monstrueux. Au lieu de quoi, elle se concentra sur les moyens de faire cesser la guerre entre le gouvernement rwandais et le FPR, mission apparemment achevée en 1993 avec la signature des Accords d’Arusha. Comme cela était stipulé dans ces accords, les Nations Unies fournirent une force de maintien de la paix (Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda, MINUAR) afin de faciliter la transition vers des élections et de surveiller la fusion des Forces Armées Rwandaises et de l’armée du FPR. Mais les Nations Unies désirant un succès rapide, ne fournirent ni le mandat ni les forces nécessaires pour garantir une transition rapide et en bon ordre. Décidé à empêcher l’exécution des accords qu’il avait lui-même signés, Habyarimana créa des obstacles les uns après les autres pour empêcher l’installation du gouvernement de transition, exploitant habilement les divisions internes des partis de l’opposition qui étaient censés partager le pouvoir avec le parti d’Habyarimana et le FPR. Le FPR refusait les propositions d’Habyarimana et ce jeu se prolongea du mois d’août 1993 jusqu’en avril 1994. Durant cette période les deux partis se préparaient à reprendre la guerre. Les extrémistes entourant Habyarimana le contraignirent à adhérer à leur plan génocidaire, arguant du fait que ces plans permettraient simultanément de gagner la guerre contre le FPR et de reprendre le pouvoir politique au Rwanda.

Le 6 avril 1994, l’avion d’Habyarimana fut la cible de tirs et s’écrasa, alors qu’il rentrait d’une conférence sur la paix qui s’était tenue en Tanzanie. Les gens proches d’Habyarimana, y compris ceux de la RTLM, accusèrent immédiatement le FPR de l’avoir assassin, mais ils ne purent fournir de preuves convaincantes. L’identité des responsables de cet attentat n’a jamais été découverte. Le meurtre d’Habyarimana servit de prétexte pour déclencher les massacres à grande échelle ‑ planifiés depuis des mois ‑ des Tutsi mais aussi des Hutu opposés à Habyarimana. En outre, dix soldats belges de la MINUAR furent massacrés par des soldats de l’armée rwandaise, après que la Belgique eut été accusée d’avoir aidé le FPR à commettre l’attentat contre l’avion. Les extrémistes avaient répandu cette information mensongère afin de s’assurer d’une offensive contre les Belges qu’ils désiraient voir quitter le Rwanda, les Belges constituant le contingent le mieux entraîné et équipé des forces de la MINUAR. Cinq jours après que le génocide eut commencé, la Belgique retira ses troupes et commencé à exercer des pressions sur les membres du Conseil de sécurité afin qu’ils retirent la force de maintien de la paix. Le 21 avril, le Conseil de sécurité décida le retrait des troupes de la MINUAR, excepté quelques centaines d’hommes qui assuraient la protection de 20.000 personnes en danger, des Tutsi pour la plupart.

Confiants dans le fait que la communauté internationale n’interviendrait pas, les organisateurs du génocide étendirent et intensifièrent les massacres après le départ du plus gros des forces de la MINUAR. Suivant la ligne édictée par les politiciens nationaux, l’administration et les chefs militaires, les autorités et politiciens locaux joignirent leurs efforts pour supprimer les Tutsi et les Hutu modérés. Ils oeuvrèrent souvent de concert avec les soldats et la police nationale (faisant partie officiellement des Forces Armées Rwandaises) pour déclencher les tueries. Les milices organisées opérèrent fréquemment sous les ordres à la fois des responsables civils et des officiers militaires, de même qu’elles suivaient les directives des chefs de partis, auxquels elles étaient affilées. Les citoyens ordinaires bien qu’ils ne fussent pas entrains et pas spécifiquement organisés pour tuer, se joignirent aussi aux attaques contre les Tutsi et Hutu modérés, suivant le mot d’ordre des milices et des autres autorités. Beaucoup de ces citoyens ordinaires ont agi sous l’emprise de la peur, à la fois des Tutsi dont ils avaient entendu dire qu’ils viendraient les massacrer mais aussi d’autres hutu qui terrorisaient ceux qui hésitaient à se joindre au carnage.

Une fois que le génocide fut lancé, le FPR reprit son offensive militaire contre le  gouvernement. Horrifiées par l’extension des massacres et par les coûts de l’aide à apporter au déluge de réfugiés traversant les frontières à la fin du mois d’avril, les Nations Unies décidèrent le 17 mai, d’envoyer au Rwanda une force de sauvegarde de la paix plus importante, la MINUAR II. En raison des retards dus à la bureaucratie onusienne et au manque de volonté politique des donateurs nationaux potentiels, la nouvelle force ne parvint pas à se mettre en place avant le mois d’août. À cette époque le FPR avait vaincu le gouvernement génocidaire et formé un nouveau gouvernement[2].

Le gouvernement déchu et l’armée, craignant des représailles à la suite des crimes qu’ils avaient commis, organisèrent l’exode massif de quelques deux millions de hutu vers les pays limitrophes. La crise qui s’ensuivit, ‑ sans précédent si l’on considère son échelle et la vitesse à laquelle l’exode s’est produit – s’acheva par la mort de 50.000 réfugiés environ ‑ hutu pour la plupart ‑ suite aux maladies, à la famine et au manque d’eau, aux environs de leurs camps, en Tanzanie et au Zaïre.

Des centaines de milliers de hutu, pour certains auteurs du génocide, demeurent encore dans des camps de réfugiés au Zaïre et en Tanzanie, effrayés à l’idée d’être arrêtés et poursuivis s’ils reviennent au Rwanda. Les responsables du génocide continuent à organiser des offensives militaires dans la zone frontalière entre le Zaïre et le Rwanda et posent de ce fait un problème de sécurité au nouveau gouvernement.

À l’intérieur des camps de réfugiés, ceux qui organisèrent le génocide commettent également des actes de violence et de terrorisme contra les réfugiés. Certains d’entre eux les ont suivis uniquement parce qu’ils hésitent à rentrer. Certains de ces réfugiés ont été empêchés de retourner au Rwanda: des tensions et une méfiance continuelles cristallisent toujours les relations entre les deux ethnies à l’intérieur du Rwanda et le gouvernement accroît la répression contre les populations civiles[3].

Le gouvernement rwandais doit également gérer les problèmes concernant la réintégration d’environ un million de tutsi qui ont vécu en exit et qui sont rentrés au Rwanda depuis 1994. A la suite du génocide et de l’installation du FPR au pouvoir, beaucoup d’exilés tutsi affluèrent d’Ouganda, du Burundi et du Zaïre au Rwanda. Certains de ces exilés se rendaient pour la première fois dans ce pays, étant nés dans des pays voisins comme réfugiés ou ayant dû fuir lorsqu’ils étaient enfants. Un grand nombre d’entre eux servant aujourd’hui au gouvernement ou dans l’armée. Bien que les exilés ne subissent pas le traumatisme d’avoir survécu au génocide, ils partagent toutefois l’horreur de leurs compatriotes et certains ont à surmonter les mêmes problèmes économiques que les survivants. A leur retour, de nombreux exilés ont occupé des propriétés abandonnées ou désertées. Les survivants du génocide, comme les Tutsi de retour d’exil, ou les Hutu réfugiés revenant dans leur pays, ont cherché à se réapproprier leurs propriétés; ce qui a entraîné de nombreux conflits inextricables sur ce sujet. Le gouvernement n’a pas encore réussi à mettre un terme à ces problèmes délicats.

 

LA PROPAGANDE GENOCIDAIRE CONTRE LES FEMMES TUTSI

 

Dans les années qui ont précédé le génocide, les organisateurs ont usé de propagande pour accroître la peur et la haine entre les Hutu et les Tutsi. Au travers de la presse écrite puis de la radio RTLM, les extrémistes enseignaient qu’il existait deux peuples différents: les Hutu qui appartenaient à la plus grande catégorie des “Bantou”, et les Tutsi, affiliés au groupe “éthiopique”, ou “nilotique”. De telles catégories, après avoir été tenues pour réelles sont aujourd’hui contestées, considérant qu’il s’agit là d’un héritage du racisme européen du XIXe siècle. En simplifiant et en déformant I’histoire, les propagandistes ont insisté sur le fait que les Tutsi étaient des conquérants étrangers qui avaient dominé la majorité hutu par l’usage de la ruse et de la répression. Selon ces croyances, les Tutsi avaient refusé d’accepter la destruction de leur pouvoir jusqu’à la révolution de 1959 et étaient déterminés à s’assurer de nouveau le contrôle des Hutu.

Afin de dominer, affirmaient les propagandistes, les Tutsi ont utilisé leurs propres femmes ‑- considérées comme plus jolies que les Hutu ‑- pour infiltrer les rangs hutu. “Les femmes tutsi ont toujours été considérées comme des ennemies de l’Etat” affirmait une femme tutsi :

 

Aucun militaire ne pouvait épouser une femme tutsi ou alors il devait quitter l’armée. Les femmes tutsi étaient considérées comme les plus jolies, ce qui leur attirait de la haine. Le terme kinyarwanda utilisé pour les désigner était Ibizungerezi (ce qui signifie jolie et sexuellement attirante). Cela attisa la jalousie, une haine qu’il n’est nul besoin de décrire... On m’a déclaré qua je ne pouvais pas travailler à certains endroits car en tant que femme tutsi, j’empoisonnerais les autres.[4]

 

“La propagande avertissait les hommes hutu de se méfier des femmes tutsi” expliquait une tutsi. “Par exemple, on racontait que si elle vous donnait un bel enfant, l’enfant n’était pas vraiment pour vous, mais appartenait réellement à ses frères tutsi. Ces femmes aiment le sexe et couchent avec leurs frères tutsi. Vous serez déçus par elles”[5]. Des stéréotypes ont aussi décrit les femmes tutsi comme étant arrogantes et condescendantes vis-à-vis des hommes hutu qu’elles considéraient comme laids et inférieurs.

Au début de 1990, plus d’une douzaine de journaux rédigés en kinyarwanda ou en français furent lancés pour exploiter systématiquement la haine entre les ethnies[6]. Bien qu’ils aient relativement peu circulé, sauf principalement dans la capitale Kigali, ces journaux étaient souvent rapportés dans les campagnes, en fin de semaine par les travailleurs urbains et les messages furent largement diffusés au sein des communautés rurales. Dans certains cas, les autorités locales dans les zones rurales fournirent des copies de ces publications. En plus de ces articles qui montraient du doigt la communauté tutsi, des magazines imprimaient des bandes dessinées pour dresser le portrait des femmes tutsi en mettant en scène leurs supposées prouesses sexuelles avec des gardiens de la paix des Nations Unies (alliés au FPR salon la propagande) et le premier ministre du parti modéré, Agathe Uwilingiyimana clans des postures sexuelles variées avec d’autres politiciens[7].

Kangura (“Réveillez-vous” en kinyarwanda), ancêtre de la radio RTLM, fut la première et la plus virulente des voix de la haine. Bien que ce journal ait touché peu de gens, environ dix mille, Kangura était diffusé dans les mairies locales et soutenu activement par le gouvernement et les chefs militaires[8]. Grâce à ses relations, Kangura était à même d’obtenir d’importantes informations et de publier des prévisions politiques exactes, qui accordèrent au journal toute sa crédibilité. Dans un cas, il alla jusqu’à prédire la mort du président Habyarimana[9].

Kangura avertit à plusieurs reprises les Hutu de se tenir sur leurs gardes face aux femmes tutsi. Selon Kangura "les Inkotany" (terme utilisé pour faire référence au FPR et qui signifie “noble guerrier n’hésiteront pas à transformer leurs sœurs, femmes et mères en pistolets” pour conquérir le Rwanda[10]. Dans l’Édition de Kangura de décembre 1990, le journaliste Hassan Ngeze publia “Les dix commandements du hutu”, dont quatre concernaient spécialement les femmes :

 

1. Tout Muhutu doit savoir que Umututsikazi où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent, est traître tout Muhutu :

‑ qui épouse une Umututsikazi;

‑ qui fait d’une Umututsikazi sa concubine;

- qui fait d’une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée.

 

2. Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi sont plus dignes et plus consciencieuses dans leur rôle de femme, d’épouse et de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus honnêtes !

 

3. Bahutukazi, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la raison.

 

7. Les Forces Armées Rwandaises doivent être exclusivement hutu. L’expérience de la guerre d’octobre 1990 nous l’enseigne. Aucun militaire ne doit épouser une Mututsikazi.

 

Une autre publication de Kangura accusa les femmes tutsi de monopoliser les postes dans les emplois des secteurs publics et privés, de placer leurs sœurs en raison de leur nez mince (un stéréotype du caractère tutsi) contribuant ainsi au chômage des Hutu et particulièrement des femmes hutu[11].

Kangura appelait les Hutu à exercer la nécessaire surveillance des Tutsi (qu’ils surnommaient les "Inyenzi" : les cafards) et de leurs complices hutu (“Ibyitso” : les traîtres). Comme 1’expliquait une hutu, “Selon ce que disait la propagande, les Tutsi cachaient l’ennemi. Ils se servaient de la beauté de leurs femmes pour le faire. Tout le monde a compris ce qua cela signifiait”[12].

Quand les violences débutèrent en mars 1994, le viol des femmes tutsi était largement répandu. L’utilisation volontaire de violences sexuelles contre les femmes tutsi fut guidée à la fois par leur appartenance ethnique et leurs stéréotypes sexuels. Les femmes tutsi furent visées suivant la propagande génocidaire qui les avait représentées comme des espionnes séduisantes et calculatrices, occupées à dominer et à détruire les Hutu. Les femmes tutsi furent également viséesen raison des stéréotypes sexuels qui faisaient d’elles des femmes belles, désirables, mais inaccessibles aux hutu. Elles les méprisaient à ce qu’on disait, et s’estimaient "trop bien pour eux. Le viol servait à briser ces images en humiliant, en dégradant et pour finir en détruisant les femmes tutsi. Les Tutsi mariées à des Hutu ne furent pas davantage épargnées, en dépit de la coutume qui oblige le lignage du mari à protéger son épouse après le mariage. La plupart des femmes interrogées décrivirent comment les violeurs leur rappelaient leur ethnie avant ou pendant le viol. Des survivantes rapportent des commentaires du type : “Nous voulons connaître la douceur des femmes tutsi”; ou “Vous les femmes tutsi, vous pensez être trop bien pour nous” ; ou “Nous voulons savoir si une femme tutsi est semblable à une femme hutu” ; ou “Si nous étions en temps de paix, tu ne nous accepterais jamais”. Quand la question de savoir pourquoi le viol était si répandu fut soulevée, une Rwandaise qui travaille pour une organisation non gouvernementale à Kigali, déclara : “Les hommes hutu voulaient connaître les femmes tutsi, avoir des relations sexuelles avec elles. Ils supposaient que les femmes tutsi avaient une sexualité particulière”[13]. D’autres femmes ont noté ce que leurs assaillants disaient, “Vous les femmes tutsi, vous êtes trop fières”. Partant de ce postulat, ils pouvaient ensuite travailler à les dégrader. La propagande se nourrissait des stéréotypes ethniques et sexuels, amenant les gens à croire que “les femmes hutu étaient faites pour le travail, pour être des domestiques”, comme l’explique une journaliste :

 

Les femmes tutsi étaient faites pour la sexualité et le plaisir, pour les cours royales. C’est ainsi que nous avons été éduquées. Les gens du nord où il y avait peu de tutsi voulaient prendre des Tutsi pour maîtresses parce qu’il leur était interdit de le faire. Les femmes tutsi étaient considérées comme des espionnes dans la mesure où elles savaient comment se présenter aux blancs et aux hommes hutu. C’est ainsi qu’elles devinrent une arme pour le FPR. Les Hutu assimilèrent cette propagande. Il était temps de prendre une revanche[14].

 

LE STATUT DES FEMMES DANS LA SOCIETE RWANDAISE

 

Dans la période de 1’après génocide au Rwanda, où on estime que les femmes représentent à peu près 70% de la population, le statut de subordination des femmes dans la société a des implications très étendues. Bien que l’article 16 de la Constitution rwandaise de 1991 garantisse l’égalité, les femmes ont été longtemps sujettes à de longues listes de limitations et de restrictions qui les ont discriminées systématiquement et de façon absolue. Dans la société rwandaise, les femmes ont traditionnellement été perçues et traitées comme dépendantes des membres masculins de leur famille. Au cours de leur vie, on attend d’elles qu’elles soient gouvernées et protégées par leur père, leur mère et leurs fils. Traditionnellement, le rôle d’une Rwandaise dans la société était centre autour de sa position d’épouse et de mère. Hagaruka, une organisation d’aide juridique basée à Kigali et qui représente les femmes, note dans une de ses publications sur les droits des femmes dans la famille que :

 

Depuis le plus jeune âge, l’éducation que les filles reçoivent de leur mère, les initie à leur vie future d’épouse et de mère. Une femme s’occupera de la maison aussi bien qu’elle travaillera aux champs. Elle adoptera certains types de comportements, comme la réserve ou encore la soumission... La force d’une famille se mesure au nombre de ses garçons[15].

 

Cette image idéalisée qui fait de la femme une mère avant tout, a grandement limité la capacité des femmes à se réaliser en dehors du foyer. Elles sont valorisées en fonction du nombre d’enfants qu’elles mettent au monde et, avant le génocide, le taux de natalité (6,2) était l’un desplus élevé du monde[16].

Selon un rapport gouvernemental de 1995 pour la Quatrième Conférence Mondiale des Nations Unies sur les Femmes,

 

L’image idéale de la femme est encore perçue dans la perspective de son rô1e maternel. La femme doit être féconde, dure au travail et réservée. Elle doit apprendre l’art du silence et de la réserve.[17]

 

On attend de cette femme idéale qu’elle soit docile et la violence domestique est fréquente. Le rapport du gouvernement rwandais estime qu’un cinquième des rwandaises sont victimes de violences domestiques de la part de leurs partenaires masculins[18]. Un proverbe rwandais établit qu’une femme qui n’a pas encore été battue n’est pas une vraie femme.

Selon ce rapport gouvernemental de 1995, la structure patriarcale de la société rwandaise interdit aux femmes tout accès à des opportunités hors du foyer et a, dans 1’histoire, discriminé, explicitement ou non, les femmes au plan de l’éducation, de la santé, de la politique et de l’emploi. Les contraintes traditionnelles et légales imposées aux femmes par la société se sont ajoutées au manque de connaissances que les femmes ont elles-mêmes de leurs droits et au manque de pouvoir qu’elles ont pour se défendre.

Le degré élevé de leur pauvreté contribue généralement à les maintenir dans ce statut inférieur. Avant le génocide, le Rwanda était classé parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres du monde, avec 94% de sa population dépendant de l’agriculture. À cette époque, les femmes représentaient 51,3% de la population[19].

Avant le génocide, les femmes étaient sous représentées de façon significative dans l’éducation et la politique. Dans les années 1980, quelques 45% des filles fréquentaient l’école primaire. Parmi les écoliers du niveau secondaire, les garçons dépassaient en nombre les filles avec un ratio de 9 à 1, à l’université les hommes se retrouvaient à 15 contre une femme. La plupart des femmes sont restées au foyer dès leur puberté. Quand des difficultés financières surgissaient, les parents retiraient plus logiquement leurs filles que leurs fils, de l’école. Il n’est pas surprenant de constater que le taux d’analphabétisme est extrêmement élevé chez les femmes[20].

Dans les années 1980, la mortalité maternelle était le problème de santé majeur. 80% des femmes accouchaient chez elles. 63% des décès chez les femmes étaient liés à la fonction reproductrice[21]. L’insuffisance des soins de maternité, l’absence de services de planning familial et de technologies médicales, empêchaient les femmes de bénéficier de soins pré et postnataux. La malnutrition touchait également beaucoup de femmes[22].

Au sein de la vie politique, la Constitution garantit le droit à tous les citoyens de participer à la vie politique sans distinction de sexe ou autre. Cependant, peu de femmes participaient à la vie politique avant le génocide. En tant qu’électrices, elles voyaient souvent leurs choix imposés par leurs maris[23]. En tant que politiciennes, leur participation était extrêmement rare. Elles n’ont jamais dépassé 17% de la représentation au parlement. Aucune femme ne fut nommée au sein de l’exécutif, jusqu’en 1990, où dès lors elles représentèrent 5,26%. Il n’y eut aucune femme à des postes ministériels jusqu’en 1990. Trois femmes furent ministres dans les gouvernements multipartistes instaurés après 1991.

L’une d’elles, Agathe Uwilingiyimana, prit son poste de premier ministre en juillet 1993. Connue pour être une modérée qui se serait opposés au génocide, elle fut l’une des premières dirigeantes nationales à être assassinée quand le carnage fut lancé. En 1992, le gouvernement créa un Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes. Au sein des administrations locales, on ne trouvait pas de femmes bourgmestre ou préfet avant le génocide, et seulement 3,2% des sous-préfets étaient des femmes.

Bien que les femmes aient représenté plus de la moitié de la population économiquement active dans les années qui précédèrent le génocide, elles bénéficiaient rarement des fruits de leur travail en raison des lois discriminatoires qui leur déniaient tout droit de posséder leurs terres, et de la discrimination informelle qui limitait leur capacité à obtenir des crédits. La plupart des Rwandaises au moment du génocide étaient occupées par le secteur agricole de subsistance, cultivant le lopin de terre familial. On estime que la part des travaux agricoles effectuée par les femmes se situe entre 65 et 70%[24]. Une étude de 1991 a démontré que les femmes prenaient plus de responsabilités que les hommes dans le travail de la terre et la collecte de l’eau, en plus de leurs responsabilités domestiques et familiales; leur contribution n’était pas pour autant rémunérée, et elles n’avaient accès ni aux crédits ni aux prêts. D’une certaine manière, la division du travail permit aux hommes d’occuper les emplois salariés et commerciaux dans le secteur privé, marginalisant davantage les femmes de ce secteur[25]. De plus, le Code du Commerce contient une clause stipulant qu’une femme ne peut exercer d’activités commerciales, ou se faire employer sans l’autorisation expresse de son mari[26].

Avant le génocide, le secteur privé au Rwanda était marginal. Les entreprises privées employaient environ 10% de la population. Entre 1986 et 1990, les femmes ne représentaient qua 12,21 à 18,65% de ce petit secteur de la population active. A cette date, moins de 5% des chefs d’entreprise étaient des femmes. L’actuel gouvernement explique ce chiffre médiocre principalement par les préjugés à l’encontre des femmes, qui mettent en doute leurs capacités. C’est à l’échelon le plus bas du secteur privé que les femmes étaient les mieux représentées, mais une foisencore en nombre restreint : sur 8.441 entreprises privées, 1.162 seulement (13,76%) avaient déjà employé des femmes. Le Code du Travail interdit aux femmes le travail de nuit[27]. Dans le secteur public, les femmes étaient davantage représentées, à concurrence d’environ 40%. Elles étaient toutefois cantonnées dans des emplois administratifs ou traditionnellement les moins payés comme l’enseignement, le travail social, le secteur paramédical[28].

Cette profonde discrimination contre les femmes s’est perpétuée dans le Rwanda de l’après-génocide et elle pose de sérieux problèmes aux femmes d’autant plus qu’elles représentent maintenant presque 70 % de la population. Beaucoup de survivantes sont des veuves qui ont perdu leur famille dans le génocide et se retrouvent déplacées ou réfugiées, sans l’assistance d’aucun parent masculin. Dans d’autres cas, on trouve des femmes dont les maris se sont enfuis, lorsque le FPR s’est installé au gouvernement. D’autres encore sont des jeunes filles dont la famille a été tuée ou a fui hors du pays. Beaucoup de foyers sont dirigés par des femmes qui prennent en charge leurs enfants, mais aussi ceux de leur famille et des orphelins qu’elles ont adoptés. Leur statut inférieur continue de les handicaper alors qu’elles s’efforcent de reconstruire leur vie.

En conséquence de la discrimination passée et présente, beaucoup de survivantes devenues orphelines ou veuves, ont vu leur niveau de vie baisser encore. La plupart des survivantes du génocide ont peu d’éducation, peu de formation et se voient souvent refuser 1’accès aux biens de leur mari ou père parce qu’elles sont des femmes. Une enquête du ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes réalisée en 1995, en collaboration avec l’UNICEF, auprès de 304 survivantes violées, démontre que toutes ces femmes vivaient dans des conditions difficiles. 32% vivaient seules sans aucune famille. Presque aucune n’était allée au-delà de l’école primaire, 61,8% avaient atteint ce niveau, 25,7% avaient achevé l’école secondaire et 10% n’étaient jamais allées à l’école. 41% de ces femmes se consacraient à des travaux agricoles de subsistance, 34% étaient étudiantes et 19% étaient employées dans le secteur public ou privé[29]. En plus de cela, les taux de mortalité des femmes après l’accouchement et de mortalité infantile aussi bien que les cas de malnutrition ont augmenté sérieusement depuis le génocide[30].

 

PROBLEMES AUTOUR DES INFORMATIONS CONCERNANT LES CRIMES A CARACTERE SEXUEL

 

Bien que le nombre exact de viols ne sera jamais connu, les témoignages des survivantes confirment que le viol fut extrêmement répandu. Certains observateurs pensent sérieusement que presque toutes les femmes et jeunes filles qui ont survécu au génocide, ont été violées.[31] Si l’âge des femmes et des fines violées s’étend d’aussi jeune que deux ans à plus de cinquante ans, la plupart des viols furent perpétrés contre des jeunes femmes âgées de 16 à 26 ans. Le compte-rendu des témoignages de 304 survivantes du viol conduit par le Ministère de la Famine et de la Promotion des Femmes en collaboration avec l’UNICEF, a perme de découvrir que l’âge moyen des femmes violées était de 24 ans. Parmi elles 28 % avaient moins de 18 ans; 43,75 % avaient entre 19 et 26 ans ; 17,1 avaient entre 27 et 35 ans ; 8,55 % avaient entre 36 et 45 ans, et 1,6% avaient plus de 45 ans ; 0,7% n’ont pas répondu. Parmi ce groupe 63,8% étaient des jeunes femmes célibataires[32]

Les seules approches pour estimer le niveau d’ensemble des violences discriminatoires contre les femmes ont été menées par des extrapolations basées sur le nombre des grossesses enregistrées, dues aux viols. Dans un rapport de janvier 1996, le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le Rwanda, Rend Degni‑Segui pensait que :

 

Beaucoup de femmes ont été violées, la règle étant le viol et l’exception le non-viol. D’après leurs statistiques, 100 viols entraînent une grossesse. Si l’on appliquait ce principe au chiffre le plus bas, on obtiendrait au moins 250.000 cas de viols et le chiffre le plus élevé donnerait 500.000; ce chiffre paraît également excessif. Toutefois, ce qui importe n’est pas tant le nombre que le principe et les formes des viols[33].

 

Les médecins ont également confirmé le nombre élevé de victimes du viol, qu’ils ont examinés immédiatement après le génocide. Le Dr. Odette Nyiaramilino du Cabinet Médical du Bon Samaritain à Kigali, a estimé qu’immédiatement après le génocide, deux cas de viols étaient chaque jour enregistrés à la clinique. La plupart avaient des infections vaginales et certaines étaient séropositives VIH (bien qu’il soit impossible de dire si elles avaient contracté l’infection à la suite du viol)[34] .

La difficulté d’enquêter avec précision sur l’impact des violences sexuelles perpétrées durant le génocide est due à un certain nombre de facteurs. Partout dans le monde, les victimes de viol sont traumatisées et se sentent honteuses des crimes commis contre elles. En conséquence, le viol est un des crimes le moins dénoncé. Comme partout, les victimes du viol au Rwanda ont été réticentes à exposer publiquement qu’elles avaient été violées, en partie à cause du fait qu’elles sont effrayées et honteuses, bien injustement d’ailleurs, vis à vis d’elles-mêmes et de leur famille, et qu’elles craignent d’être rejetées. Une survivante du viol raconte : “Après le viol vous n’avez plus aucune valeur aux yeux de la communauté”[35].

La difficulté de rassembler des informations sur le viol est accentuée par la crainte. Les femmes rwandaises parlent avec réticence parce que certains des violeurs vivent toujours autour d’elles. “Les femmes ici, sont effrayées de parler parce que ce sont leurs voisins qui les ont violées” note Bernadette Muhimakazi, une militante des droits des femmes rwandaises[36]. La défaillance des enquêteurs à enquêter sur les crimes de discriminations sexuelles en temps de guerre, voile davantage l’étendue de la nature du crime. Les abus contre les femmes sont oubliés du fait que les témoignages ne sont pas recueillis. De ce fait, bien souvent les inculpations pour crimes de guerre n’incluent pas le viol, confirmant ainsi aux victimes des viols qu’il est futile de rapporter ces crimes. Les femmes finissent par conclure que ce n’est pas la peine de prendre des risques potentiels en dénonçant ces cas à la justice rwandaise ou au Tribunal international. Les femmes rwandaises expriment à la fois leur méconnaissance et le peu de confiance qu’elles accordent au Tribunal international pour traiter ces problèmes de viol.

Certaines, engagées dans la procédure contre le génocide, à la fois au niveau national et international, ont suggéré qu’il était quasiment impossible d’enquêter sur le viol parce que les femmes rwandaises ne parleraient pas de ces épreuves. Ceci est manifestement faux. Les femmes rwandaises vont parler, mais seulement dans certaines conditions. Entre autres choses, les enquêtes menées sur le viol par le système judiciaire national et international, le sont plus aisément par des enquêtrices utilisant des interprètes féminines. De nombreuses femmes rwandaises interrogées dans ce rapport ont admis qu’elles étaient gênées de raconter leur histoire à un homme mais qu’elles parleraient volontiers à une femme. Les enquêteurs recueillant des témoignages doivent aussi absolument être sensibles aux traumatismes des victimes du viol, parce qu’au Rwanda comme partout ailleurs dans le monde, il y a une honte et un traumatisme profonds associés au viol. Au Rwanda, cette honte s’ajoute à la culpabilité d’avoir survécu. Si les femmes sont d’accord pour témoigner, des dispositifs doivent être garantis pour protéger les victimes du viol (voir également la partie “Protection des victimes et témoins”). Si les mesures ne sont pas prises pour permettre aux rwandaises de témoigner en toute sécurité, il est impossible que les auteurs ayant perpétré des viols pendant le génocide soient reconnus coupables.

 


LES PROTECTIONS JURIDIQUES NATIONALES ET INTER­NATIONALES CONTRE LA VIOLENCE FONDEE SUR UNE DISCRIMINATION SEXUELLE[37]

 

La violence sexuelle contre les femmes et les jeunes filles dans les situations de conflit armé ou de persécutions systématiques constitue une violation claire du droit international. En droit international, les auteurs de violences sexuelles peuvent être responsables de viol en tant que crime de guerre, crime contre l’humanité ou acte de génocide si leurs actions correspondent à l’un des éléments de la définition de ces derniers. Mais, alors que le viol et d’autres formes de violence sexuelle ont été utilisées depuis longtemps comme une arme, ils ont été rarement dénoncés et punis[38]. Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes, “Le viol reste cependant le crime de guerre le moins condamné bien que ce soit l’une des formes les plus répandues de violence à l’égard des femmes et des filles. L’histoire atteste la triste réalité de centaines de milliers de femmes et de fillettes violées dans toutes les régions du monde.”[39]

Le viol a longtemps été mal identifié et rabaissé par les leaders politiques et militaires, au rang de crime d’ordre privé ou de résultat malencontreux de la conduite d’un soldat renégat. Pire encore, il a été accepté précisément à cause de sa fréquence. Le viol fonctionnant de la même façon que les autres violations des droits de l’Homme, il est d’autant plus choquant que jusqu’à présent il n’ait pas été dénoncé ni condamné comme n’importe quelle autre violation. Le traitement différent réservé aux violences sexuelles montre clairement que le problème ne vient pas de l’absence d’interdictions légales adéquates mais de la volonté de la communauté internationale de tolérer les crimes sexuels contre les femmes.

De plus, dans sa définition et dans son application, le délit de viol n’est pas considéré par le droit international humanitaire comme une attaque violente faite à la femme mais comme une atteinte à son honneur[40]. Le terme d’honneur implique la dignité et l’estime, mais appliqué à une femme il fait aussi allusion à sa chasteté, sa vertu et sa bonne réputation. Parler du viol et des autres formes de violences sexuelles en termes d’atteinte à l’honneur, pose problème : on ne reconnaît pas explicitement le viol et les autres formes de violences sexuelles comme une atteinte à 1’integrité physique de la femme. Cette caractérisation du viol comme atteinte à l’honneur et non à l’intégrité physique, minimise la gravité du crime et aboutit à une perception inexacte, pourtant très répandue, qui considère le viol (i.e. une atteinte à l’honneur) comme un “accident” ou un “moindre” crime, en comparaison des crimes tels que la torture ou l’esclavage[41].

A partir du moment où la plupart des responsables ne sont pas punis, les femmes, ‑ combattantes ou civiles ‑ ont à subir des violences sexuelles comme le viol, des mutilations et l’esclavage sexuel. Les récentes conférences des Nations Unies ont sous-estimé la gravité et la fréquence de la violence sexuelle dans les conflits et ont négligé l’obligation des États et de la communauté internationale de prendre des mesures pour prévenir et punir de telles violations. La Convention de Vienne et le Programme d’action adopté par la Conférence Mondiale sur les droits de l’Homme en juin 1993, la Déclaration de Pékin et la Plate-forme d’action adoptée à la Quatrième Conférence sur les femmes en septembre 1995 sous-estiment le fait que les violations à l’égard des femmes dans le cadre d’un conflit, enfreignent le droit international[42].

Les informations sur 1’usage massif du viol comme tactique de guerre dans l’Ex-Yougoslavie, ont joué un rô1e crucial en attirant l’attention sur la fonction du viol dans le conflit[43]. La situation a provoqué une condamnation internationale et a poussé les enquêtes à prendre la forme de rapports sur les viols pratiqués par toutes les parties au conflit. L’engagement des juges et du Procureur général du Tribunal international pour l’Ex-Yougoslavie à juger les cas de viol, montre une volonté de ne pas ignorer le viol comme crime de guerre.

A la fin de 1994, les Nations Unies ont élargi le mandat du Tribunal International pour enquêter et poursuivre les violations des lois de la guerre commises au Rwanda durant le génocide. Le Tribunal International pour le Rwanda est chargé de poursuivre les personnes responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations des conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels de 1994[44]. Le Tribunal International a explicitement le pouvoir de juger le viol en tant que crime contre l’humanité et en tant que violation des conventions de Genève. Le Tribunal international pour le Rwanda a déjà inculpé plusieurs personnes et doit commencer ses audiences en septembre 1996 à Arusha, en Tanzanie, où il est basé.

 


LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME DE GUERRE

 

Le droit international humanitaire condamne implicitement et explicitement le viol et les autres formes de violences sexuelles en tant que crimes de guerre. Les conventions de Genève d’août 1949 et les Protocoles additionnels aux conventions interdisent le viol dans les conflits internationaux[45] et non internationaux. Dans les conflits armés non internationaux, comme celui qui s’est produit au Rwanda, l’article 3 commun aux conventions de Genève interdit “les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices” ainsi que “les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants”. Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève (Protocole II), qui s’applique aux conflits armés non internationaux et qui s’applique au cas du Rwanda[46], interdit expressément “les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles” ainsi que “les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur”, ainsi que l’esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs formes[47]. Le CICR explique que cette disposition “réaffirme et complète l’article 3 commun [parce qu’il ] est apparu indispensable, au cours des débats, de renforcer la protection des femmes qui peuvent également  être victimes de viol, de contrainte à la prostitution et d’attentats à la pudeur”[48]. A partir de ces dispositions, le statut du Tribunal international pour le Rwanda donne le pouvoir au Tribunal de poursuivre ceux qui sont responsables, entre autres crimes graves, d’atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur.

 

Le Procureur du Tribunal International pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda, le juge Richard Goldstone, a reconnu que le viol peut aussi constituer une forme de torture au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[49] et a déclaré que les Tribunaux Internationaux vont juger le viol en tant que forme de torture quand cela sera approprié. Le juge Richard Goldstone a déclaré[50] :

 

Les violences sexuelles, commises particulièrement à l’encontre des femmes, peuvent constituer des cas de torture au titre du Statut du Tribunal, et seront jugées par le Tribunal comme des transgressions du droit international humanitaire.

 

Notre position juridique est en conformité avec l’évolution de la norme sur la torture. Le Rapporteur spécial sur la Torture, dans son rapport de 1986, identifie le viol et les violences sexuelles comme des formes courantes de torture. Le Rapport de la Commission Inter‑américaine des droits de l’Homme sur Haïti affirme que les viols infligés à la population féminine étaient des tortures. Dans In the Matter of Krone, la Commission d’appel pour les questions d’immigration des Etats-Unis a considéré qu’une femme haïtienne qui avait été violée par plusieurs personnes, en représailles à ses convictions politiques avait été "persécutée". Les violences sexuelles commises pendant le conflit en Ex-Yougoslavie jettent les bases pour justifier des accusations de torture.

 

J’ai, par conséquent, exigé une relecture de toutes les inculpations précédentes et, quand les preuves d’une inculpation pour torture existent, nous cherchons alors à faire des modifications[51].

 

LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME CONTRE L’HUMANITE

 

Le viol ‑ au même titre que le meurtre, l’extermination, l’esclavage, la déportation, l’emprisonnement, la torture, la persécution pour des raisons politiques, de race, de religion, et tous autres actes inhumains ‑ est un crime contre l’humanité. Les crimes contre l’humanité apparaissent quand des délits aussi graves sont commis en masse contre une population civile[52]. Après la seconde Guerre Mondiale, le Conseil de Contrôle a promulgué la Loi n° 10 du Conseil de Contrôle de Berlin commun cadre pour établir les bases de la poursuite des criminels de guerre en Allemagne. Dans la seconde partie du procès de Nuremberg, conduits sous l’autorité de la Loi n° 10 du Conseil de Contrôleet l’article 6 ( c ) du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, le viol était énuméré spécifiquement comme un crime contre l’humanité, même si le viol n’était jugé dans aucun de ces procès[53].

Le Statut du Tribunal international pour le Rwanda renvoie à la notion de crime contre l’humanité tous crimes qui, comme le viol, sont “commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieux”.

 

LA VIOLENCE SEXUELLE COMME CRIME DE GENOCIDE

 

Le viol et les actes de violence sexuelle peuvent aussi être des crimes de génocide. Le génocide se distingue des autres crimes internationaux, non par l’importance de ces actes mais par l’intention de leurs auteurs de commettre des actes visant à détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Le crime de génocide a été codifié par la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide (citée ici sous le forme de Convention sur le génocide). L’article 2 stipule :

 

Dans la présente convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d’enfants du groups à un autre groupe[54].

 

Pour prouver l’existence d’un génocide, il faut montrer qu’il y a eu une intention spécifique de détruire, totalement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Un acte, y compris de violences sexuelles, qui a lieu en même temps qu’un génocide n’est pas forcément un acte de génocide. Il convient donc de prouver l’intention au regard de cette catégorie d’actes, ce qui peut être fait en se référant au contexte, qui inclut les affirmations explicites ou les actions indiquant clairement l’intention de détruire un certain groupe, totalement ou en partie.

Les actes de viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent tomber dans les catégories des actes répréhensibles au titre de la Convention sur le génocide. Quand il est possible de montrer que les auteurs ont commis des actes causant des souffrances physiques ou morales avec l’intention de détruire totalement ou en partie, un groupe identifié par les termes de la Convention, les crimes comme le viol, les mutilations sexuelles et l’esclavage sexuel peuvent être poursuivis en vertu des alinéas (b) de l’article 2. Comme les témoignages le démontrent dans ce rapport, des souffrances physiques ou mentales extrêmement graves ont été infligées aux femmes par le biais de la violence sexuelle.

De plus, dans certaines circonstances, la violence sexuelle peut être jugée en vertu des alinéas (c) ou (d) de l’article 2. Les violences sexuelles infligées à un groupe peuvent être calculées pour provoquer la destruction physique de ce groupe et empêcher les naissances au sein du groupe. Par exemple, des femmes victimes de violences sexuelles peuvent être incapables d’avoir de nouveaux enfants ou peuvent être exclues de leur communauté pour avoir subi de telles attaques.

L’intention de génocide exprimée au travers de la violence sexuelle dans le cadre du Rwanda, émerge à la fois du schéma d’ensemble des violences perpétrées et des cas individuels ayant subi ces abus, qui ont été établis dans diverses régions du pays pendant les différentes phases du génocide. Le déroulement des violences sexuelles au Rwanda montre que les actes de viols et les mutilations sexuelles n’étaient pas secondaires par rapport aux tueries. Elles n’étaient pas non plus des attaques opportunistes. Selon les actions et les paroles des criminels, rapportées par les survivants, ces actes étaient conduits dans le but d’éradiquer les Tutsi. Dans 1’ensemble, les preuves montrent que les violeurs s’attendaient à ce que, suite à leurs attaques, l’état physique et mental de chaque femme tutsi contribuerait à faire avancer la cause de la destruction des Tutsi.

Dans des cas individuels établis par l’équipe HRW/FIDH, les survivants témoignent que leurs attaquants annonçaient leur volonté de les détruire eux et leurs semblables et utilisaient la violence sexuelle comme un moyen pour parvenir à leurs fins. Une victime de viol nous a dit : “Alors qu’ils étaient en train de me violer, ils disaient qu’ils voulaient tuer tous les Tutsi pour que, dans le futur, il ne reste plus que des dessins pour prouver 1’existence d’une population appelée tutsi”. D’autres racontèrent que leurs assaillants disaient que plutôt que de tuer les femmes sur place, ils les laisseraient mourir de chagrin.

L’évidence de l’intention génocidaire apparaît dans la nature des violences sexuelles en question. La violence sexuelle, comme d’autres actes de torture, peut précéder, ou être le moyen d’une exécution extrajudiciaire. Au Rwanda, les actes de mutilations sexuelles et autres violences étaient infligées dans l’idée de provoquer la mort éventuelle de la victime. Les femmes étaient violées par des groupes, violées à plusieurs reprises avec des objets, soumises à des brutalités pouvant entraîner la mort, dont certaines incluaient la mutilation des organes sexuels de la femme. Certaines des attaques ont laissé des femmes tellement blessées qu’elles seront incapables d’avoir des enfants. Beaucoup de victimes de violences sexuelles sont mortes pendant, ou des suites de ces agressions. Dans d’autres cas, les violences sexuelles faisaient partie intégrante des tueries. Dans d’autres cas établis par l’équipe HRW/FIDH, des femmes ont survécu aux violences sexuelles parce que leurs assaillants les ont laissées pour mortes, croyant qu’elles étaient mortellement blessées.

 

LE VIOL COMME CRIME SELON LE DROIT RWANDAIS

 

Le droit rwandais prévoit la poursuite pour viol dans son droit pénal. Le Rwanda est aussi obligé de poursuivre le viol au titre des conventions internationales qu’il a ratifiées (les conventions de Genève et leurs protocoles additionnels, la Convention sur le Génocide). Le viol est un crime selon l’article 360 du Code Pénal Rwandais de 1977, et est passible de 5 ans d’emprisonnement.

Le 9 août 1996, l’Assemblée Nationale de Transition a enfin adopté une nouvelle législation pour la poursuite des cas de génocide et des crimes contre l’humanité commis entre le 30 octobre 1990 et le 31 décembre 1994[55]. La Cour Constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée sur cette loi, mais doit le faire très prochainement.

Cette législation autorise les poursuites contre ceux qui sont accusés d’avoir commis les crimes suivants : le crime de génocide ou crime contre l’humanité; ou les violations décrites dans le code Pénal qui ont été commises en rapport avec le génocide ou les crimes contre l’humanité. La loi classe les accusations en quatre catégories et établit un mécanisme par lequel les catégories 2, 3 et 4 peuvent avoir leur culpabilité et ainsi diminuer leur peine[56]. Un système à trois volets s’applique à chaque catégorie et détermine la réduction de peine, selon le moment auquel l’accusé fait ses aveux (avant ou après l’inculpation) ou si les aveux n’ont pas été enregistrés (ce qui implique aussi que les aveux ont été rejetés).

La Catégorie 1, qui implique une peine de mort obligatoire[57], inclut les personnes suivantes a) ceux qui ont planifié et organisé le génocide; b) ceux qui détenaient une autorité (dans les partis politiques, l’armée, les ordres religieux ou les milices) à un niveau national, préfectoral, communal, ou sectoriel ; c) ceux qui étaient des tueurs connus pour leur zèle ou pour la cruauté avec laquelle ils ont commis les massacres; d) ceux qui ont commis des actes de torture sexuelle[58]. La Catégorie 2 couvre les auteurs ou les complices d’homicides volontaires ou de violations graves qui ont provoqué la mort. Elle implique une peine d’emprisonnement à vie. La Catégorie 3 concerne les personnes accusées d’autres violations graves[59]; et la Catégorie 4 concerne les violations de la propriété.

En raison d’un manque de moyens matériels et humains pour juger les 80.000 cas de génocide actuellement en attente, la nouvelle législation prévoit des accords de clémence fondés sur les aveux. Cette disposition autoriserait toute personne, sauf celle responsable d’un crime de Catégorie 1, à avouer complètement son crime et à plaider coupable. Si les aveux et le fait de plaider coupable sont acceptés, un individu pourra obtenir une réduction de peine. Si une personne fait des aveux avant d’être inculpés sous la Catégorie 2, il recevra une sentence de 7 à 11 ans d’emprisonnement ; s’il fait des aveux après son inculpation, il recevra de 11 à 15 ans. S’il fait des aveux avant d’être inculpé sous la Catégorie 3, il recevra un tiers de la sentence prévue par la Cour; et s’il se confesse après, il recevra la moitié de la sentence.

Au moment de la rédaction de ce rapport, la catégorie sous laquelle les personnes accusées de viol seront inculpées, n’est pas clairement établie. Il semble certain que beaucoup de cas de viols vont tomber dans la Catégorie 1 comme cas de torture sexuelle. Cependant, on ne sait pas si les tortures sexuelles seront interprétées comme incluant tous les cas de viol ou seulement une partie d’entre eux présentant certaines caractéristiques. Dans tous les cas, étant donné le manque d’enquêtes concernant les viols et les violences sexuelles perpétrés pendant le génocide, il est improbable que des inculpations soient prononcées dans un futur proche.

 


VIOLENCES SEXUELLES CONTRE LES FEMMES RWANDAISES

 

Au cours du génocide de 1994, les femmes rwandaises furent soumises à diverses formes de brutalité, entre autres les violences sexuelles[60]. Le viol était largement répandu[61]. Les femmes furent violées individuellement, en groupe, avec des objets tels que des bâtons aiguisés ou des canons de fusil, tenues en esclavage sexuel (collectivement ou individuellement) ou encore sexuellement mutilées. Dans la plupart des cas, ces crimes furent infligés à des femmes après qu’elles aient été témoins de la torture et du meurtre de leur famille, de la destruction et du saccage de leur maison. Certaines femmes furent forcées à tuer leurs propres enfants avant ou après avoir été violées. Elles furent violées individuellement ou par plusieurs personnes, de façon répétée, à mesure qu’elles étaient déplacées d’un lieu à un autre. D’autres furent retenues prisonnières dans des maisons spécialement réservées à cet effet, sur des périodes allant de quelques jours à toute la durée du génocide. Les femmes enceintes, ou celles venant d’accoucher, ne furent pas épargnées et ces viols ont souvent causé des hémorragies ainsi que d’autres complications médicales qui les firent mourir. Aux points de contrôle et près des fosses communes, des femmes étaient mises à l’écart pour être violées, souvent avant d’être assassinées. Plusieurs d’entre elles, approchèrent la mort de nombreuses fois, durant cette période de trois mois. Dans certains cas, elles suppliaient qu’on les tue pour mettre fin à leurs souffrances. Au lieu de quoi, elles furent souvent épargnées afin d’être violées et humiliées par les auteurs du génocide. Des survivants rapportent que pendant le génocide, les miliciens avaient même violé des femmes qu’ils venaient de tuer, ou d’autres qui étaient laissées pour mortes. Après avoir massacré ces femmes, les miliciens auraient fréquemment laissé les corps nus, les jambes séparées du reste.

Dans beaucoup de communes, le viol fut largement perpétré par les groupes de miliciens bien connus aujourd’hui, sous le nom d’Interahamwe, encouragés par l’armée et les autorités gouvernementales qui fermaient les yeux[62]. Des viols furent aussi commis par les soldats des Forces Armées du Rwanda. Certains témoignages rapportent comment de jeunes miliciens ont été forcés à violer des femmes, par d’autres plus âgés faisant partie du groupe. Beaucoup parmi les miliciens étaient des voisins, ou même des amis des familles qu’ils ont torturées, violées et tuées. Dans certains cas, des soldats du gouvernement encerclaient des zones afin d’empêcher les gens de fuir les attaques des miliciens hutu.

En plus d’avoir organisé des assauts ciblés, les planificateurs du génocide ont délibérément laissé libre cours à l’instauration d’un climat de non droit généralisé qui servait à poursuivre leurs buts politiques. Dans ce climat de violence généralisée, les femmes furent visées au regard de leur appartenance ethnique ou de leur affiliation politique. Le gouvernement et les autorités militaires ont permis aux miliciens de commettre massivement et en toute impunité ces violations des droits de l’homme, incluant le viol. Une analyse du génocide résume la violence qui s’en est suivie :

 

A Kigali, les Interahamwe et les Impuzamugambi (Ceux qui ont un projet commun”) ont tenté essentiellement de recruter parmi les pauvres. Au moment ou ils entraient en action, ils mobilisèrent autour d’eux un groupe sélectionné parmi les plus démunis, un sous-prolétariat de la rue, des chiffonniers, des laveurs de voiture, des sans-logis au chômage. Pour ces gens, le génocide fut la meilleure chose qui pouvait leur arriver. Ils avaient l’approbation d’une certaine forme d’autorité pour prendre leur revanche sur des gens socialement puissants, d’autant que ceux-ci se trouvaient du mauvais côté de la barrière politique. Ils pouvaient voter, tuer sans raison, ils pouvaient violer. C’était merveilleux. Les objectifs politiques poursuivis par les maîtres de ce sinistre carnaval leur échappaient. Ils continuèrent, sachant que ça ne durerait pas[63].

 

Les organisateurs du génocide tirèrent parti d’une croyance très répandue, mais souvent inexacte, selon laquelle les Tutsi étaient plus riches que les Hutu. Comme le dit une Rwandaise, “les Interahamwe étaient en général des hommes jeunes, venus souvent seulement pour s’amuser. Certains viols visaient les femmes tutsi et les opposants du gouvernement, spécialement les Hutu du Sud, mais pour beaucoup d’Interahamwe, il s’agissait d’une affaire de prestige[64]. Dans les attaques contre les Tutsi avant 1994, les femmes et les enfants furent généralement épargnés, mais au cours du génocide ‑ en particulier dans ses dernières étapes ‑ tous les Tutsi furent visés, indépendamment de leur sexe ou de leur age. Tout particulièrement après la mi‑mai 1994, les leaders du génocide appelèrent les tueurs à n’épargner ni les femmes ni les enfants. L’incidence massive du viol a été associée à cette augmentation de la violence générale contre les groupes auparavant protégés des attaques. “Le viol était une stratégie”, déclara Bernadette Muhimakazi, une militante des droits des femmes au Rwanda. “Ils ont choisi de violer, il n’y avait pas d’erreur. Durant ce génocide, tout fut organisé. Traditionnellement ce n’est pas la coutume de tuer les femmes et les enfants, mais cela fut fait partout aussi.”[65] D’autres Rwandais ont interprété le choix de la violence contre les femmes, de cette façon : “Il s’agissait d’humilier les femmes” ; ou “Il s’agissait de défigurer les femmes, de les rendre indésirables, de les souiller” ; ou finalement “Il s’agissait de ne plus reconnaître la valeur des femmes”.

Les femmes hutu comme les Tutsi furent violées, mais il y avait une différence entre les deux en ce qui concerne le nombre des attaques et les raisons des viols. La plupart des femmes violées étaient tutsi et furent attaquées dans la mesure où il fallait détruire et terroriser 1’ethnie tutsi. Les femmes hutu, moins nombreuses furent davantage visées parce qu’elles étaient proches de certains tutsi. Certaines étaient épouses de tutsi, militantes de groupes politiques associés avec les Tutsi ou encore protégeaient des Tutsi. D’autres femmes furent simplement piégées dans le climat de violence générale.

 

VIOLENCES SEXUELLES CONTRE LES FEMMES TUTSI

 

Les viols commis par les miliciens

 

A partir du moment où les miliciens se sont mis à travailler en groupe, les femmes tutsi arrachées de leurs maisons ou dénichées de leurs cachettes, furent fréquemment soumises au viol en groupe. Elles étaient souvent violées à plusieurs reprises. Plusieurs survécurent à un viol individuel ou collectif, pour être à nouveau violées par un autre groupe d’Interahamwe. Fréquemment, des femmes furent tuées immédiatement après avoir été violées. Les récits qui suivent émanent de survivantes qui ont été violées parce qu’elles étaient tutsi[66]:

 

Bernadette était âgée de trente-trois ans et vivait dans la commune de Taba, de la préfecture de Gitarama, quand les combats commencèrent. Elle raconte que son mari, ses sept enfants et elle­-même se cachaient dans des champs de café voisins quand les Interahamwe débarquèrent pour la première fois dans cette région le 12 avril 1994. Ils se cachaient, écoutant les meurtres des miliciens qui détruisaient et saccageaient toutes les maisons. Dans la soirée, ils furent découverts par un groupe d’une cinquantaine de miliciens armés de machettes, de couteaux, et de houes. Ils emmenèrent Bernadette et sa famille à la rivière Nyabarongo. Elle raconte :

 

Le jour suivant, ils tuèrent tous les hommes et les garçons. J’étais laissée seule avec mon bébé et mes trois filles. Au bord de la rivière, un groupe de six Interahamwe me violèrent les uns après les autres. Je les connaissais tous. Quelques uns furent tués par le FPR et les autres sont aujourd’hui à la prison de Gitarama. Ils dirent qu’ils m’avaient violée pour vérifier si les femmes tutsi étaient comme les femmes hutu. Après avoir achevé leur besogne, ils me jetèrent dans la rivière pour que je meure avec mes enfants. Mes enfants étaient tous noyés, mais la rivière m’a rejetée. J’ai ainsi flotté jusqu’au rivage. Un des Interahamwe dit : “Ces tutsi ne veulent pas mourir, nous l’avons violée et elle a survécu. Nous l’avons jetée à la rivière et elle vit encore”. Ils m’ont laissée partir et j’ai essayé de me rendre dans la commune qui était la plus proche de Runda. En chemin, un autre groupe d’Interahamwe m’a attrapée pour me ramener à Taba. Ils m’ont également violée. Je ne puis me rappeler combien de fois. Après la guerre, j’ai découvert que j’étais enceinte. Mais j’ai avorté... Non, ça n’était pas vraiment un avortement. Le bébé est mort-né[67] .

 

Perpetue était âgée de vingt ans et vivait dans la commune de Runda de la préfecture de Gitarama avec son mari, son enfant et sa sœur quand les violences débutèrent. Elle se cachait dans les environs de la commune de Taba jusqu’à ce que les groupes de miliciens des communes de Taba et Runda se réunissent pour découvrir qu’ils avaient oublié cette zone. Perpetue fut bientôt découverte par les miliciens et vécut alors d’horribles souffrances pendant trois mois, durant lesquels elle fut violée à plusieurs reprises et mutilée au vagin. Elle raconte :

 

Ils me trouvèrent le 9 avril 1994. Je fus emmenée à la rivière Nyabarongo par un groupe d’Interahamwe. A ce moment un Interahamwe me dit qu’il connaissait la meilleure méthode pour vérifier que les femmes tutsi étaient comme les femmes hutu. Pendant deux jours, huit autres jeunes femmes et moi-même furent détenues et violées par les Interahamwe les uns après les autres. Peut-être par vingt d’entre eux. J’en connaissais trois. Certains nous surveillaient pendant que d’autres allaient manger et dormir. Toutes les jeunes femmes tuées à cette rivière furent violées avant d’y être noyées. Je n’en connaissais aucune. Au troisième jour, un Interahamwe a constaté que je n’étais plus capable de marcher. Il me dit que j’étais déjà morte et que je pouvais m’en aller. J’ai tenté de m’enfuir, mais je pouvais à peine marcher. Il y avait du sang partout et mon ventre me faisait mal. J’ai traversé Kamonyi et trouvé refuge dans une vieille église. Quand j’y suis rentrée, j’ai vu que les Interahamwe avaient brûlé des gens. Je vis au moins dix corps carbonisés.

 

J’étais dans l’église quand les Interahamwe vinrent le 15 mai, et nous dirent que c’était à notre tour d’être brûlés. Ils sortirent plein de gens de l’église pour les tuer. Un lnterahamwe me choisit, mais me dit qu’il me protégerait et que je ne serais pas brûlée vive. Il m’entraîna dans un autre bâtiment à côté de l’église et me viola. Mais avant de le faire, il me dit qu’il voulait vérifier si les femmes tutsi étaient comme les autres femmes et puis il me ramènerait à l’église pour que je sois brûlée. Il y avait là d’autres femmes qui s’étaient fait violer au même moment. Elles étaient peut-être une dizaine et il y avait sept jeunes filles. Le jour suivant, deux Interahamwe nous ont gardées pendant que d’autres sont partis massacrer. Les deux se plaignaient d’être fatigués de tous ces massacres. Un d’entre eux aiguisait l’extrémité d’un manche de houe: ils m’ont écarté les jambes et m’ont violé avec le bâton. Je hurlais. Ils le firent à trois reprises jusqu’à ce que je saigne de partout. Ils m’ont dit de m’en aller. J’ai essayé de me lever, mais je ne tenais pas debout. Pour finir, j’ai rampé vers l’extérieur. J’étais nue, rampant sur le sol et couverte de sang. J’ai essayé d’appeler au secours sur la route, mais les gens pensaient que j’étais folle et m’ont ignoré. J’ai finalement trouvé une maison ou on m’a donnée quelques médicaments à appliquer aux endroits blessés. Ils m’ont aussi donné des vêtements, mais je saignais tellement que ma jupe fut trempée de sang[68].

 

Perpetue est restée cachée dans les bois pendant une semaine environ jusqu’à ce qu’elle trouve deux hommes en bicyclette qui voulurent bien l’emmener à Gisenyi dans le nord-ouest du pays. Elle pensait que si elle quittait sa région natale elle ne serait pas repérée comme étant une tutsi. Malheureusement quand elle arriva à Gisenyi à la fin du mois de mai, un Interahamwe de sa région l’a reconnue. Il informa immédiatement les autres milices qu’elle était tutsi et elle fut emmenée à une fosse commune. Perpetue continue à raconter son expérience :

 

Ils exigèrent que je leur donne mes vêtements. La fosse commune était réservé aux femmes et aux filles seulement, et était tenue par une femme qu’ils nommaient Donatha. Elle possédait un long couteau et me trancha immédiatement l’arrière des genoux. Un Interahamwe me vit et me mit à l’écart avec quatre autres femmes. Il nous expliqua que tous les gens de Gitarama allaient être tuées, mais qu’il nous protégerait et qu’ainsi nous pourrions vivre avec lui. Il m’emmena au lac. Et là il me viola. Je pleurais parce que j’étais toujours blessée et qu’il avait rouvert mes plaies. Il me frappe parce que je pleurais et me bâillonna. Il me dit qu’il était interdit que je pleure parce que les femmes tutsi n’avaient pas de droits en ce moment. Il me dit également que n’importe quelle femme tutsi de Gitarama serait tuée d’une manière encore plus atroce que ce qu’il était en train de me faire. Après le viol, il me laissa seule et nue. Je décidai de tenter la fuite. Je ne pouvais pas marcher correctement, je me déplaçais donc à quatre pattes. Quand des gens passaient près de moi, je m’asseyais par terre et cessais de marcher, ainsi ils ne sauraient pas que j’avais été violée parce que j’étais honteuse. J’ai rampé comme ça pendant deux jours dans les bois. Quand j’urinais, c’était du sang. Du sang noir coagulé sortait de mon vagin.

 

Quand j’ai rejoint la route (plus tard je me suis rendue compte que j’avais marché vers le Sud le long de la frontière entre le Rwanda et le Zaïre près de Kibuye), je suis tombée sur un camp ‑ le camp de Rubengera ‑ qui était géré par les Français. Mais j’ai reconnu un des meurtriers de ma famille, donc je suis partie. J’ai survécu pendant trois jours dans les bois jusqu’à ce que le FPR arrive. Quand j’ai vu les soldats du FPR, j’ai cru que c’était des Interahamwe. Je leur ai demandé de me tuer parce que je ne pouvais plus en supporter davantage. Ils m’ont emmené à Kibuye où j’ai été examinée par un médecin français. J’ai eu des médicaments, de la nourriture et des vêtements. Quand on m’a donné des sous-vêtements, c’était si douloureux que je n’ai même pas pu les mettre. J’ai reçu des soins médicaux du mois de juin 1994 jusqu’en décembre 1994. J’ai pris des bains de siège tous les jours. Ils m’ont proposé de m’envoyer en France pour avoir un traitement médical, mais je voulais rentrer chez moi. Depuis que la guerre est finie, je n’ai pas eu mes règles. J’ai le ventre qui enfle parfois et c’est douloureux. Je pense tout le temps à ce qui m’est arrivé tous les jours et la nuit je ne peux dormir. J’ai même revu certains Interahamwe qui m’avaient fait tout cela, ainsi que d’autres. Quand je les vois j’ai envie de me suicider.

 

Elizabeth était âgée de vingt-neuf ans et vivait à Kigali avec son mari quand les massacres commencèrent. La milice débarqua chez eux un soir qu’ils étaient en train de dîner avec un groupe de gens. Elle raconte :

 

Une dizaine débarquèrent.Ils s’emparèrent de deux femmes dans le groupe. Une âgée de vingt-cinq ans, une autre de trente ans et les ont violées collectivement. Quand ils ont terminé, ils les ont découpées au couteau pendant que les autres Interahamwe regardaient. Ils ont alors pris la nourriture sur la table et font introduite dans les vagins des femmes. Les femmes sont mortes. Elles ont été laissées mortes, les jambes éparpillées. Mon mari a essayé de remettre les corps en place avant qu’on exige de nous de quitter la maison et d’abandonner les enfants. Ils ont tué deux de nos enfants. Mon mari les a supplié de ne pas nous tuer, disant qu’il n’avait pas d’argent sur lui, mais qu’il avait des chaussures et des vêtements un peu usagés qu’il vendait au marché. Il leur donna tous les vêtements. Alors un Interahamwe déclara : “Vous les femmes tutsi, vous êtes très douces, donc nous devons tuer votre mari et vous prendre”[69].

 

Le mari d’Elizabeth fut tué et elle a été ramenée par le chef de la milice dans sa maison, où elle a été violée. Elle a tout fait pour essayer de s’échapper. Actuellement, elle n’a plus de maison et s’occupe de huit enfants ‑ deux des siens et six orphelins de sa famille. Quand on lui demande de poursuivre ceux qui font violée, Elizabeth déclare “Comment peuvent-ils être poursuivis? Ils ne sont même plus là”.

 

Marie‑Claire a raconté comment elle avait été attaquée par les militaires et les miliciens : “Nous avons été attaqués par les militaires et par les Interahamwe en même temps. Les Interahamwe étaient envoyés par les militaires. Les Interahamwe étaient sauvages. On est obligé de se laisser violer si l’on veut survivre. Ils m’ont demandé de leur donner soit mon argent soit mes enfants”. Tous ses enfants sauf un, furent tués par les miliciens. Marie‑Claire fut violée par un homme de la milice qu’elle connaissait, un voisin. “Il est au Zaïre maintenant.” dit-elle. Elle continue :

 

Il a dit plein de choses pendant le viol et il m’a frappée et rouée de coups de pied. Il me disait “Nous avons tous les droits sur vous et nous pouvons faire tout ce que nous voulons.” Ils avaient le pouvoir ‑ nos hommes, nos maris ont été exterminés. Nous n’avons ni mère, ni père, ni frères[70].

 

Clémentine, son mari et ses trois enfants ont été séparés au moment où ils fuyaient les miliciens de la commune de Kayenzi, préfecture de Gitarama. Après s’être cachée pendant deux jours, Clémentine âgée de trente-huit ans fut trouvée une nuit dans les bois, par les miliciens. Ils font battue très sévèrement avant que cinq d’entre eux ne la violent ainsi qu’une autre femme qui se cachait avec elle. “Deux des plus vieux miliciens ont refusé de me violer. Mais ils ont obligé les plus jeunes à me violer ainsi que l’autre femme”. Ils disaient : “Nous voulons voir comment les Tutsikazi[71] sont faites à l’intérieur”. “Vous ne pouvez pas crier ‑ vous devez accepter tout ce que nous vous faisons maintenant.” Après ces viols, les miliciens les plus âgés ont demandé aux plus jeunes de ne pas s’embêter à tuer Clémentine parce que “vous l’avez déjà tuée”. Cependant, ils ont tué l’autre femme qu’ils avaient violée, avant de partir. Clémentine erra désemparé, cherchant quelqu’un pour l’aider. Elle frappa à la ported’une maison et quand le propriétaire ouvrit, il dit : “Vous, Tutsikazi, vous êtes toujours vivante. Pourquoi ne vous ont-ils pas tuée?”. Clémentine se réfugia plus tard dans la maison d’une femme qui l’a cachée jusqu’à ce que le FPR arrive en juillet 1994. Clémentine a toujours des problèmes internes et des problèmes de dos. Elle fait également de nombreux cauchemars et souffre d’amnésies temporaires. Cependant, elle ne peut bénéficier d’aucun traitement médical parce qu’elle n’a pas d’argent[72].

 

Josepha, âgéede trente-huit ans, vivait dans la commune de Shyanda, préfecture de Butare en 1994. Sa famille fut attaquée par la milice en avril 1994 et beaucoup d’entre eux furent tués. Elle s’est cachée dans les champs de sorgho, mais fut attrapée par les miliciens. Ils l’ont frappée à la tête et l’ont traînée par les jambes et les bras et font projetée en l’air. Elle est tombée par terre sur des bouteilles brisées. C’est alors que deux miliciensl’ont violée. L’un d’entre eux n’a pas été arrêté et vit toujours à Butare. Josepha dit : “Le viol est un délit plus grave que le meurtre.” Elle n’est pas retournée dans sa région ni dans sa maison, mais demeure dans un camp pour veuves avec sa seule fille ayant survécu[73].

 

Goretti, âgéede vingt-six ans, vivait dans la commune de Rusatira, préfecture de Butare. Elle fut violée plusieurs fois durant le génocide. Quand les violences débutèrent, les miliciens qui étaient tous des voisins et même des amis, demandèrent aux femmes de retourner dans leur pays car elles “n’avaient pas d’ethnie”[74] et qu’ils ne tueraient que les hommes. Néanmoins, après que toute sa famille eut été massacrée, elle décida de se cacher dans les bois. Elle fut bientôt découverte et enlevée par un milicien qui la viola à plusieurs reprises, sur une période de deux semaines. Après le génocide, cet homme fut arrêté. Goretti explique comment les miliciens se sont conduits :

           

Les Interahamwe partageaient les femmes. Chacun s’emparait d’une femme ou d’une jeune fille. Ils les prenaient en chasse. La plupart étaient prises par deux miliciens. Je fus prisonnière d’un seul qui me garda pendant deux semaines, à la mi‑mai. Il me disait qu’il me tuerait après deux semaines, puis il se fatigua de moi et me mit dehors.

 

Goretti fut violée une seconde fois après avoir essayé de s’échapper pour s’approcher de Songa. Elle fut découverte par des chiens envoyés pour débusquer les gens qui se cachaient dans les bois. Elle fut attrapée et violée par deux hommes de la milice qu’elle ne reconnut pas. Elle rapporte :

 

Je fus prise de force. Ils étaient comme des animaux sauvages. On savait que c’était nos derniers jours mais je me suis battue à nouveau, quoi qu’il en soit. Ils disaient qu’ils devaient prendre des femmes tutsi parce qu’avant la guerre ils ne pouvaient pas le faire. Ils disaient que les femmes tutsi restaient entre elles avant.

 

Goretti conclut en disant que “la plupart des femmes ont été violées, si elles sont toujours vivantes. Ils [les Interahamwe] faisaient absolument ce qu’ils voulaient.” Elle continue plus doucement, “On ne pourra jamais oublier. Maintenant il n’y a plus personne. Jusqu’à ma mort, je serai toujours triste”[75].

 

Viols commis par 1’armée

 

Les autorités militaires aussi bien que civiles encouragèrent ou fermèrent les yeux sur le viol, le meurtre et autres violences commises par les groupes de miliciens et autres. L’armée se composait de soldats réguliers, de membres des forces nationales de la police et des membres de l’élite de la Garde Présidentielle. Les autorités civiles comprenaient des bourgmestres, des conseillers communaux et des chefs de secteurs. Ils distribuaient des armes, tenaient des réunions durant lesquelles les gens étaient incités à la violence, et passaient parfois à l’attaque personnellement. Les soldats et la police nationale ordonnaient aux victimes potentielles de rester chez elles et installaient des barrages routiers pour piéger les gens visés et les attaquer plus aisément. Souvent les militaires couvraient les arrières des attaques menées par les miliciens ou d’autres civils, et tiraient sur ceux qui venaient de s’échapper. Dans certains cas, les soldats ou la police nationale restaient eux-mêmes responsables des viols et des meurtres.

 

Chantalle, était enceinte de deux mois, âgée de vingt-huit ans et vivait dans le commune de Kanzenze, préfecture de Kigali, avec son mari hutu quand les violences débutèrent. Son mari la chassa immédiatement de la maison parce qu’elle était tutsi, lui disant : “Je ne veux pas mourir, si tu meurs c’est ton problème.” Elle s’enfuit avec son fils âgé de six ans. Quand le FPR vint dans cette région, son mari partit pour le Zaïre, et elle entendit plus tard qu’il y était tombé malade et qu’il était mort. Chantalle raconte son expérience :

 

La Garde Présidentielle a tué ici. Ils faisaient tout ce qu’ils voulaient. Ils faisaient de terribles choses et puis pouvaient vous tuer. Si vous étiez chanceux, vous étiez jeté dans une fosse commune. J’ai passé une semaine dans une fosse commune, laissée pour morte. Là un Interahamwe s’aperçut que j’étais toujours vivante et me sortit de là. Il me dit que lui et ses amis me tueraient le lendemain, je lui dis de me tuer tout de suite. Je le suppliais de me poignarder au ventre, car ainsi je mourrais, mais il me laissa aller et me donna même de l’eau. La Garde Présidentielle et les Interahamwe tuèrent beaucoup de gens. Ils violaient même les corps. Ils étaient comme des animaux sauvages. Je fus violée par un soldat de la Garde Présidentielle. Je reconnus son uniforme même s’il était couvert de feuilles de bananier. Je me cachais dans les bois quand il me trouva. Il faisait grand jour. Il me prit dès que les autres furent partis ailleurs. Je ne pus même pas hurler. Il dit :

‘Vous Tutsi vous êtes des Inyenzis (cafards) avec de longues queues. Nous devons tuer les femmes tutsi, les déchirer en morceaux”. Je vis d’autres choses terribles. J’ai vu une femme se faire découper et pendre. Une de ses jambes était à un endroit et une autre ailleurs[76].

 

Liberata, était âgée de dix-huit ans quand les violences débutèrent dans la préfecture de Butare. Trois jours après que l’avion du Président a été abattu, les soldats vinrent dans sa maison assurant sa famille qu’elle serait en sécurité et leur disant de rester dans la maison ou elle vivait avec sa mère, ses sœurs et son père. Les soldats revinrent dans la nuit avec six Interahamwe armés de machettes et de fusils. Liberata tenta de s’échapper par une fenêtre alors que les miliciens tuaient sa famille à la machette. Elles les regarda saccager la maison jusqu’à ce qu’elle fut découverte. Les miliciens s’apprêtaient à la tuer quand l’un d’entre eux, qui avait travaillé comme veilleur dans le garage de son père, demanda qu’on l’épargne. Il la ramena dans la maison d’un ami, chez qui elle demeura pendant trois jours jusqu’à ce qu’un autre groupe de miliciens arrive pour chercher les Tutsi. Au départ, ils acceptèrent de l’argent en échange de quoi ils quitteraient la maison, mais peu après, ils menacèrent de tuer la femme hutu pour avoir protégé Liberata.

Elle fut emmenée de cette maison dans une autre maison, celle d’un hutu ou elle fut cachée dans un trou qu’il avait creusé dans le sol du salon. Elle resta pendant quatre jours dans ce trou qui était recouvert d’un tapis et d’une table. La nuit elle sortait pour manger et dormir. Le 8 mai 1994, une personne qui nettoyait la maison dénonça sa présence auprès des miliciens. Un groupe d’une trentaine de miliciens dévastèrent la maison; ils se dirigèrent tout droit vers l’endroit où elle se cachait et l’extirpèrent de là. Elle fut sauvée de nouveau grâce à un milicien qui la connaissait. Il l’amena chez quelqu’un qu’il connaissait, près de la commune de Shyanda. Peu de temps après son arrive à Shyanda, un autre groupe d’une dizaine de miliciens environ, armés de machettes, de fusils et de bâtons la trouvèrent. Elle tenta de nier qu’elle était une tutsi, mais fut tirée au dehors, battue brutalement au dos, au cou et violée collectivement. Elle rapporte :

 

Je les suppliai d’arrêter et leur dis que je n’étais pas tutsi. Ils me répondirent qu’ils reviendraient et que je devrais leur présenter une carte d’identité. Le 30 juin, donc, le FPR vint à Savé (commune de Shyanda) et les Hutu s’enfuirent au Zaïre. La famille hutu qui me protégeait, voulut m’emmener au Zaïre avec elle. J’ai refusé. Avant la guerre, j’étais étudiante, aujourd’hui je vis avec cette femme mais elle n’a pas d’argent pour m’envoyer à l’école[77].

 

Virginie était âgée de trente trois ans quand elle trouva refuge au Centre de Recherche Agricole (ISAR) à Rubona, préfecture de Butare, avec des centaines d’autres tutsi pendant le génocide. A cette époque, selon Virginie, des machettes et autres armes étaient distribuées par le chef de commune ainsi que par le chef de secteur, Ngirabega, aux Hutu des environs. Le 25 avril 1994 les miliciens et soldats des Forces Armées encerclèrent l’ISAR et attaquèrent :

           

Ils commencèrent à tirer, je courus alors hors de l’enclos. Dehors il y avait des  Interahamwe avec des machettes. J’étais avec mon mari, mon beau­-frère et mes trois enfants âgés de cinq mois, quatre ans et six ans. Mon mari nous demanda de nous séparer ainsi nous pourrions avoir une chance de survivre. Je pris mon bébé et marchai vers la prochaine commune. Quand j’y arrivai, je découvris que mon mari et mes enfants avaient été tués. Les gens du coin me dirent de me rendre à la milice. Le 26 avril 1994, un groupe d’Interahamwe me trouva. Ils décidèrent de m’emmener vers le chef de leur groupe. Six d’entre eux armés de machettes commencèrent à m’y conduire. Comme nous marchions, je vis le corps de mon enfant mort, sur le bord de la route. Je refusais de continuer. Je voulais mourir sur le champ auprès de mon enfant étendu sous la pluie. D’autres Interahamwe vinrent et m’arrachèrent mes vêtements puis me prirent tout mon argent. Ils me dirent qu’ils allaient m’emmener dans ma maison pour la saccager. A la maison, ils tuèrent mon bébé accroché à mon dos et cinq d’entre eux me violèrent. Ils disaient : “Nous voulons voir comment une tutsi peut mourir” puis ils me dirent d’aller ailleurs car d’autres gens voulaient me tuer immédiatement. Je courus pour rejoindre la maison de mes amis. Ils me protegèrent jusqu’à l’arrivée du FPR[78].

 

Consilda, âgée de trente-huit ans se cachait dans les champs de sorgho quand les violences débutèrent. Elle explique que dans cette zone, les combats commencèrent au moment où le président Théodore Sindikubwabo qui fut désigné après la mort du président Habyarimana, vint dans le secteur de Cyamukuza, commune de Ndora, préfecture de Butare, dans un camion rempli de soldats de la Garde Présidentielle. Les Tutsi qui s’étaient réfugiés dans le bureau de la commune furent tous déplacés dans une maison que les miliciens encerclèrent. Ils attendaient que la Garde Présidentielle passe à l’attaque mais celle-ci ordonna aux miliciens de le faire eux-mêmes. Ils inondèrent la maison d’essence et tous les Tutsi périrent dans les flammes. Au moment où ces événements se produisirent, Consilda était toujours cachée dans les champs de sorgho avec ses trois enfants âgés de six ans, trois ans et un mois. Elle décida de se mettre en route vers Shyanda, commune de la préfecture de Butare, sa commune natale espérant que ce serait plus calme là-bas. Elle rencontra souvent des miliciens sur son chemin. Au barrage routier de la commune de Ndora, proche de Shyanda, le 3 mai 1994, elle s’arrêta pour demander à boire. Les miliciens qui gardaient le barrage la violèrent tous. “Huit hommes jeunes firent de mauvaises choses; je ne pouvais plus respirer,” dit-elle. Elle connaissait ces huit hommes car beaucoup d’entre-eux étaient des voisins de sa famille. Après l’avoir violée, ils lui dirent “Nous pensions que les Tutsi étaient différentes, mais en fait elles sont pareilles”. Consilda fut frappée et était contusionnée de partout. Elle tenta de s’échapper mais ils la poignardèrent et lui frappèrent la tête avec un ubuhiri, un petit gourdin armé de clous jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse. Finalement un homme eut pitié d’elle et l’amena dans une maison. Là, elle apprit que sa sœur avait été assassinée par une flèche plantée dans le vagin[79].

 

Anne, une veuve de trente-huit ans de la commune de Shyanda, préfecture de Butare, connut de grandes souffrances entre les mains des miliciens et des soldats. Quand les combats commencèrent, sa maison fut brûlée par les miliciens. Elle s’enfuit avec ses quatre enfants âgés de neuf à vingt ans. Ils se cachèrent dans les bois pendant une semaine tandis que d’autres gens se faisaient massacrer autour d’eux, jusqu’à ce qu’un groupe de soldats et de miliciens les découvre à l’aide des chiens utilisés pour dénicher ceux qui se terraient dans les bois. Anne raconte :

 

Les Interahamwe portaient des feuilles de bananier autour des hanches, de la tête et du cou. Ils déchirèrent tous nos vêtements. A cet instant je ne pouvais plus me considérer comme un être humain. Je n’avais pas mangé pendant une semaine. Je ne m’étais pas lavée. Ils ont tué tous mes enfants devant moi et m’ont tailladé le bras droit. La Garde Présidentielle leur disait de s’emparer de toutes les propriétés des Tutsi et de faire ce qu’ils voulaient. Ceci comprenait le viol. Après cela la Garde Présidentielle laissa les Interahamwe seuls. Deux d’entre‑eux me violèrent. Je les connaissais; un d’entre-eux est actuellement au Burundi. Pendant qu’ils me violaient, ils me dirent qu’ils comptaient tuer tous les Tutsi de façon à ce que dans l’avenir tout ce qui resterait serait des dessins montrant qu’il y avait autrefois des gens qu’on appelait tutsi. Après le viol, j’ai pleuré et j’ai saigné pendant un mois. Le bas de mon dos était douloureux. Les Interahamwe me dirent de quitter la région après qu’ils avaient fini de me violer. Avant mon mariage, je vivais à Ndora, commune de la préfecture de Butare, je décidai donc d’essayer d’y retourner. Quand j’arrivai là-bas, j’ai trouvé ma sœur aînée et des gens nous ont cachées. Je suis restée là de mai à juillet 1994, jusqu’à ce que le FPR vienne nous sauver[80].

 

Esclavage sexuel collectif

 

De nombreuses femmes furent soumises au viol et au viol collectif ; elles étaient prises par des groupes de miliciens qui les utilisaient dans le but d’assouvir leurs besoins sexuels. Les femmes furent parfois gardées durant tout le génocide. Quelques unes d’entre elles furent emmenées de force dans des pays voisins par les miliciens quand ils fuirent le Rwanda à la fin du génocide. Si quelques-unes ont essayé de s’enfuir pour retourner au Rwanda, d’autres sont toujours retenues prisonnières. Malgré tout certaines se sont résignées et ont écrit des lettres à leur famille au Rwanda pour leur dire qu’elles sont “mariées” à des hommes réfugiés dans des camps au Zaïre.

 

Marie fut violée et retenue avec d’autres femmes en esclavage sexuel. A peu près toute sa famille fut massacrée par les miliciens le 18 avril 1994, avant qu’elle ne s’enfuie de la commune de Musambira, préfecture de Gitarama, pour se cacher avec un ami de la famille. Malheureusement, elle fut découverte par des miliciens et amenée au bureau de la commune locale, ou elle fut détenue avec d’autres tutsi pendant deux jours. Les soldats de la Force Armée gardaient le bureau communal et tiraient sur ceux qui tentaient de s’échapper. Les hommes tutsi qui étaient détenus furent parfois assassinés par balles et les femmes devaient sortir pour enterrer leurs maris. “Nous avons enterré tous les hommes un dimanche matin ‑ des centaines d’hommes.” raconte Marie. Elle continue :

 

Ils emmenèrent les femmes dans les bois et nous dirent qu’ils allaient nous tuer. Ils ont commencé à nous battre. Certaines femmes furent battues à mort. Puis ils prirent celles d’entre nous qui étaient encore en vie et nous obligèrent à marcher jusqu’à Nyamabuye (la commune voisine). Il y avait à peu près deux cents femmes de deux communes. Ils ont choisi les jeunes femmes, ils ont violé beaucoup d’entre elles. Ils disaient “Nous voulons une épouse tutsi”. Quand nous nous sommes rapprochés du secteur de Musumba, ils nous dirent qu’ils allaient nous abandonner, nous les inyenzi  (cafards). Ils continuaient à nous demander “Comment voulez-vous mourir?”. Ils continuaient à nous menacer, de nous violer et de nous battre à mort. Ils continuèrent à nous frapper puis ils nous emmenèrent vers Kabgayi. Ils nous dirent qu’ils voulaient nous violer quand on serait 1à‑bas. Quand nous sommes arrivés, ils nous ont retiré nos vêtements et nous ont fait asseoir sur un grand terrain.Durant la nuit, ils sont venus avec des torches pour repérerles jolies femmes. Ils éclairaient nos visages et continuaient à dire “Tu viens,  tu viens”. La première fois ils choisirent six femmes. Elles furent toutes  violées par au moins cinq miliciens. Ils continuèrent à changer de femmes toute la nuit. Quand ils me choisirent, je les suppliai “S’il vous plaît, tuez-­moi”. Je fus violée par trois hommes. Le troisième homme fut plus gentil avec moi. Il me donna un tee-shirt pour me couvrir après m’avoir violée. Les Interahamwe responsables du groupe nous ont dit que même s’ils allaient nous tuer, ils voulaient d’abord nous violer parce que les tutsikazi sont belles. Le lendemain, toutes les femmes étaient obligées de marcher nues sur la route, comme un troupeau de bestiaux. A tous les barrages routiers que nous avons passés, les autres Interahamwe leur criaient “Tuez-les, vous devez les tuer. Elles vont faire des bébés tutsi.” Ces Interahamwe qui nous gardaient pour nous violer, leur ont répondu qu’ils nous tueraient plus tard. A ce moment‑1à, nous sentions mauvais parce que nous ne pouvions pas nous laver. Nous n’avions aucun vêtement. Nous étions couvertes de sang, nous avions du sang partout. J’urinais du sang. Certaines mouraient d’épuisement. Les Interahamwe nous obligeaient à chanter des chants de miliciens, quand nous marchions. A un moment, le groupe a atteint Kabgayi, à peu près trente femmes avaient survécu à l’épreuve. Nous fûmes retenues là-bas, par la milice pendant un mois avec d’autres tutsi jusqu’à ce que le FPR arrive dans la région le 2 juin 1994. “A cette époque”, raconte Marie, “ils venaient violer les femmes quand ils voulaient. Par chance, je ne fus pas violée à nouveau et il me fut possible d’avoir un traitement médical.”

 

Constance, était enceinte de quatre mois quand les tueries commencèrent. Le 27 avril 1994, un groupe d’à peu près trente miliciens vint dans sa maison où elle vivait avec son mari et son enfant; ils saccagèrent tout. Elle les décrit :

 

Ils portaient des feuilles de bananier autour de leurs épaules, sur la tête et autour des hanches. Ils avaient des machettes, des lances. Après leur départ mon mari voulut se suicider. Mais le jour d’après, il revinrent et le tuèrent. Je me cachais et j’ai pu voir mon mari se faire massacrer. Ils ont pris tous ses vêtements et son argent après l’avoir tué. J’ai reconnu un des assassins (qui est actuellement en prison). J’ai décidé d’essayer de me cacher dans une maison voisine. Il pleuvait. J’étais enceinte et j’essayais de porter mon autre enfant. Avant que je ne puisse arriver chez les voisins, je fus trouvée par un groupe d’Interahamwe. Ils m’ordonnèrent, ainsi qu’à d’autres gens avec lesquels j’étais, de quitter les bois. Ils tuèrent tous les hommes et les enfants immédiatement et dirent que nous, les trois femmes, nous serions tuées le jour suivant. Ils nous ont obligé à enterrer les hommes, et nous ont emmené avec eux au marché de Kimana et de Kibirizi. A ce moment-là, nous étions nues parce qu’ils nous avaient déchiré tous nos vêtements. Ils nous emmenèrent dans un vieux bar/cabaret qui appartenait à un homme nommé Ndayisaba, et nous enfermèrent là-bas. C’était une grande pièce. Dans le petit débarras d’à côté, le corps mort du propriétaire se décomposait. Il y avait également d’autres femmes dans cet endroit. Les Interahamwe venaient nous prendre quand ils voulaient et allaient nous violer dehors. Il y avait des femmes âgées entre quinze et cinquante ans, dans la pièce. Toutes ces femmes ont été violées. Certaines saignaient. D’autres ont été battues avant de se soumettre. Je restai 1à pendant deux jours. La première nuit, deux hommes vinrent et me violèrent.

 

Le temps passant, toutes les femmes devinrent de plus en plus faibles parce qu’elles n’avaient pas eu à manger. Les Interahamwe nous dirent qu’ils nous tueraient avant que l’on ne meurt de faim, parce qu’ils voulaient simplement nous voir souffrir davantage, qu’ils nous emmèneraient dehors pour nous violer et nous ramèneraient par la suite. Ainsi, nous rentrâmes toutes à pied à Rubona. Certaines femmes étaient si fatiguées qu’elles s’effondraient de faim et d’épuisement, sur la route.

 

Constance et les autres femmes furent amenées au Centre de Recherches Agricoles à Rubona (ISAR) où elles furent enregistrées (pour avoir de la nourriture et des vêtements) par la milice. Cependant, elle soupçonnait que ces enregistrements servaient à vérifier quels étaient les Tutsi qui manquaient, ainsi les miliciens pourraient repérer ceux qui avaient été oubliés. Constance tenta de s’échapper et réussit à atteindre l’école de Rukubiro, mais elle fut retrouvée et ramenée dans sa commune par un groupe de miliciens. Les tortures continuèrent et elle fut de nouveau violée :

 

Quand nous avons atteint Mugogwe, ils tuaient tout le monde. Je fus blessée à la tête avec une machette et laissée pour morte. On me mit sans une fosse commune, cette nuit là et quand je repris conscience, je sortis de la fosse et courus dans les bois. J’essayais de rejoindre la commune de Shyanda, mais je fus arrêtée à un barrage routier. Je leur dis que j’étais hutu, mais ils me demandèrent de leur montrer mes doigts et déclarèrent que mes doigts étaient trop longs pour être ceux d’une hutu. Donc ils me demandèrent de leur montrer comment je faisais avec mon mari. Ces Interahamwe appelèrent de jeunes hommes, certains n’avaient pas plus de douze ans. Quatre d’entre eux me violèrent pendant que six autres plus âgés regardaient et les encourageaient. Les plus jeunes garçons ne furent pas capables de me faire quoi que ce soit. Donc après cela, un Interahamwe me dit de partir parce que j’avais probablement le sida dans la mesure où j’étais trop maigre J’ai essayé de rejoindre Shyanda et j’ai retrouvé mes deux frères[81].

 

Esclavage sexuel individuel : “mariages” forcés

 

Quand les milices tuaient et pillaient, des miliciens isolèrent souvent des femmes pour les utiliser pour assouvir leurs besoins sexuels personnels. Ils enfermaient ces femmes dans leur propre maison, ou dans des maisons de “captives”, parfois brièvement, parfois durant tout le génocide. Ces femmes furent souvent appelées “les femmes de plafonds”, parce que les kidnappeurs les gardaient dans un espace entre le toit et le plafond, afin qu’elles ne soient pas découvertes et tuées par d’autres. Ces arrangements étaient souvent reconnus comme des “mariages forces” et les femmes étaient ainsi détenues comme “épouses”, mais ces termes cachent le manque de consentement total des femmes et les conditions coercitives dans lesquelles elles étaient retenues. Ces femmes en fait étaient captives, dépouillées de tous leurs biens par les miliciens, et soumises à un esclavage sexuel[82].

Beaucoup de ces femmes soumises à de tels “mariages forcés”, connaissent d’énormes conflits internes quand elles décrivent la situation. D’un côté, elles n’avaient pas le choix et dans la plupart des cas, elles méprisent l’homme qu’elles reconnaissaient comme étant leur “mari” ; d’un autre côté, elles se rendent compte que sans la protection de ces mêmes hommes, (qui dans de nombreux cas ont assassiné toute leur famille), elles seraient probablement mortes aujourd’hui. Beaucoup de ces femmes souffrent d’une très grande culpabilité parce qu’elles ont survécu, a fortiori quand tous les membres de leur famille ont disparu. Ce sentiment est aussi renforcé par l’attitude de beaucoup d’exiles tutsi qui reviennent du Zaïre, du Burundi ou d’0uganda, et qui les accusent d’avoir collaboré avec les milices hutu.

 

Ancille âgéede vingt-trois ans, était chez elle avec sa mère et ses quatre frères quand une quarantaine de miliciens débarquèrent dans la maison, armés de machettes, de bâtons et de gourdins armés de clous. Ils ont immédiatement tué la maman d’Ancille ainsi que ses frères devant ses yeux, saccageant tout et pour finir, ils brûlèrent la maison. Elle connaissait certains des assaillants. Elle explique :

 

Un des Interahamwe commença à me battre. Il me coupa à la jambe et me dit que fallais devenir sa femme. Je l’avais vu auparavant parce qu’il était de la commune de Shyanda. Il m’emmena chez lui et un autre Interahamwe vint me regarder. Il m’enfermait dans la maison le jour, et le soir il venait et il agissait comme si j’étais sa femme. Trois fois dans la période durant laquelle cet Interahamwe me garda, d’autres groupes d’Interahamwe vinrent me trouver. Ils m’amenèrent dehors et me déposèrent près d’une fosse commune. Mais, à chaque fois, il me vit et me sauva la vie. Il fut parfois gentil avec moi et me dit une fois que si je mourais il m’enterrerait. Au Rwanda, il est très important d’être enterré. A d’autres moments, il devenait coléreux et me disputait en criant parce que je restais assise et passais mes journées à penser à ma famille disparue. Il me dit que je devais cuisiner pour lui. Je ne devais pas dire que j’ai été prise de force. Je l’ai fait pour sauver ma vie. Il était mon mari. J’ai vécu ainsi jusqu’en juillet quand le FPR vint et l’arrêta. J’ai entendu dire qu’il avait été arrêté et plus tard tué. Quand il fut pris, j’étais enceinte d’un mois. Dès qu’il a été arrêté, sa famille me demanda de quitter la maison et m’accusa d’avoir été en contact avec le FPR. Aujourd’hui je vis avec quelques amis. J’ai accouché de mon bébé en mars 1995 et le bébé est mort un mois plus tard[83].

 

Quand on lui demanda si elle considérait vraiment ce milicien comme son mari, où si elle l’appelait juste comme ça, elle répliqua : “Quand ma famille fut tuée et que je fus enlevée, je pensais que j’aurais à vivre avec cet homme pour toujours parce que je n’avais personne d’autre avec qui aller”. Plus tard lors de l’interview, elle s’interrompit subitement et revint brutalement sur le sujet :

 

Vous savez nous appelons ces hommes nos maris. Mais ce n’était pas de véritables amours. J’ai haï cet homme. Peut-être plus tard, vous pouviez même être tuée par eux. Avant la guerre j’avais un fiancé... Ceci arriva à beaucoup de jeunes files ‑ même des écolières âgées de dix-huit ans environ, furent prises de cette manière. Dans ma commune j’en connais trois. Une de ces femmes est toujours avec son “mari”. Les gens disent qu’il n’a tué personne.

 

Les très jeunes filles ne furent pas davantage épargnées. Nadia était encore traumatisée deux ans plus tard. Lors d’une interview dans les larmes, durant laquelle elle leva à peine les yeux, elle a décrit son expérience du viol qu’elle a subi alors qu’elle n’avait que onze ans. Les milices attaquaient sa maison et bien qu’elle pensa en reconnaître certains, elle n’en était pas sûre, car leurs visages étaient couverts d’une pâte de craie. Ils avaient des machettes et des gourdins armés de clous. Les parents de Nadia et ses frères furent découpés devant elle. Quand un des miliciens dit : “Ne tuez pas la fille. Je vais la prendre avec moi et la tuer moi-même.” Il lui dit qu’il la prendrait pour femme. Nadia fut emmenée dans sa maison où il 1’enferma dans la cuisine.

 

Il ne venait que pour me violer, jamais il ne m’apporta de nourriture. Il vint à peu près cinq fois. Il me disait “Allonge-toi ou je vais te tuer”. J’étais effrayée. Je n’avais qu’à aller jusqu’au lit. Il me menaçait de me tuer avec sa machette. Il devait garder sa machette près du lit pendant qu’il me violait. Je n’ai jamais dit à personne ce qui m’était arrivé auparavant. Je me sens honteuse et j’ai peur que les gens rient de moi[84].

 

Deux semaines plus tard, Nadia put s’échapper. Elle ne sait pas où est son ravisseur à l’heure actuelle. Nadia vit dans la commune de Rusatira avec une veuve plus âgée qui la soutient. Cependant, elle n’est pas retournée à l’école parce que cette veuve qui la garde ne peut pas payer les frais de scolarité.

 

Donnatilla perdit sa famille et son bétail quand les milices attaquèrent la commune de Rusatira, elle fut épargnée parce qu’un des miliciens voulait la violer. I1 garda Donatilla âgée de vingt-deux ans pendant quelques jours, puis la chassa lui disant qu’elle serait tuée par quelqu’un d’autre même si lui ne le faisait pas[85].

 

Dans un cas un chef de milice dans la commune de Kiragama distribua les jeunes femmes à des miliciens de son groupe pour les récompenser d’avoir bien massacré. Dans une étrange cérémonie, les chefs miliciens ont célébré quatre mariages de jeunes filles, de seize à dix-neuf ans avec des membres de la milice.

 

Jeanne une des jeunes femmes qui avait été enlevée et mariée de cette manière, décrit comment cela arriva :

           

Je savais que je serais condamnée à cela. Pour moi c’était une mort comme les autres morts... je pensais qu’être prise pour épouse est une forme de mort. Le viol est un crime bien pire que les autres. Il n’y a pas de mort plus terrible que celle-là. Le problème est que les femmes et les jeunes filles ne parlent pas de ce qui leur est arrivé[86].

 

Quand les combats ont commencé dans la préfecture du sud-est, Kibungo, Jeanne, âgée de dix-neuf ans et ses deux sœurs de dix-sept et treize ans furent séparées du reste de leur famille. Elles se réfugièrent dans des bois du voisinage. Alors qu’elles se cachaient, elles entendirent quelques miliciens passer et apprirent que leur famille avait été assassinée, leur maison détruite et que les miliciens les recherchaient, elles. Elles connaissaient certains d’entre eux mais pas tous. Ses sœurs et elle-même se rendirent dans un autre bois et coururent vers quelqu’un qui avait l’habitude de garder leurs vaches. Il confirma ce qui était arrivé et leur dit que les miliciens les recherchaient. Il les cacha et leur apporta de la nourriture la nuit, mais il était incapable d’en faire davantage car il craignait que les Interahamwe le surprennent. Une semaine plus tard, les trois sœurs prirent le chemin de la maison de leurs grands-parents. Elles découvrirent la maison détruite et les corps de leurs grands-parents morts allongés sur le sol. Elles allèrent voir les voisins, qui refusèrent de les cacher. Epuisées et affamées, les filles demandèrent aux voisins si elles pouvaient travailler pour eux ou s’ils pouvaient les aider. Les voisins appelèrent la milice. Les miliciens emmenèrent les trois sœurs dans la maison du chef de la milice (un ancien voisin). Là, elles furent enfermées avec trois de leurs cousines, toutes des jeunes filles âgées de quinze, dix-sept, et dix-huit ans. Les miliciens leur dirent qu’un officiel local leur avait ordonne de ne pas tuer les jeunes filles.

Peu après, une réunion fut tenue, rassemblant les miliciens de trois secteurs, ‑ Vumwe, Kansana, et Kaberangwe ‑ les six jeunes filles furent emmenées, on leur demanda comment elles avaient survécu et qui les avait aidées. Elles répondirent en disant : “Nous sommes ici parce que nous avons souffert de la faim dans les bois. Ou vous nous tuez, ou vous nous laissez partir.” Le chef de la milice, Bonaventure Mutabazi, décréta que les quatre filles les plus âgées seraient données comme épouses aux miliciens qui avaient le mieux massacré, en récompensé. Les deux plus jeunes des filles continueraient d’être enfermées et gardées par la milice. Le jour suivant, une célébration de mariage fut organisée. Les miliciens dirigèrent eux-mêmes la cérémonie. Le chef des miliciens décida quelle jeune fille serait donnée à quel milicien. Jeanne raconte :

 

Bonaventure Mutabazi avait déjà deux femmes, mais il me prit. Les autres furent données aux miliciens sans femmes, ils les ramenèrent alors chez eux. Les deux plus jeunes furent envoyées dans une maison voisine. Après cela je commençai une nouvelle vie. Je travaillais aux champs et dans la maison. Je demandai si je pouvais faire une visite dans ma région d’origine, mais il refusa. On nous avait dit que la terre familiale devait être répartie entre nos maris. Nous vécûmes deux semaines en “épouses”. Je pensais que je vivrais ainsi jusqu’à ma mort. Chacune de nous quatre étions gardées séparément.Nous n’avions pas la permission de nous voir ou de nous parler[87].

 

            Durant le temps où Jeanne fut captive, les miliciens se sont rendus dans la maison pour se

vanter de ce qu’ils avaient fait. Elle raconte :

 

Ils disaient dit des choses telles que “Une des filles était trop fière, nous l’avons donc viola puis nous l’avons tuée.” Les autres expliquaient seulement comment ils avaient viol, déclarant : “Nous voulions voir comment étaient les Tutsi. Nous voulons voir les fesses d’une tutsi.” Ils parlèrent d’ouvrir une femme enceinte juste pour voir la position du bébé à l’intérieur. Ils me dirent qu’ils me laisseraient en vie car mes parents étaient intelligents, donc que je devrais avoir des enfants intelligents.

           

Par un retournement du sort, Jeanne fut finalement sauvée par son frère, un soldat du FPR,

qui venait pour les retrouver elle et ses sœurs. Elle raconte :

 

Un jour j’entendis des coups de feu. Les Interahamwe nous dirent que nous devions fuir avec eux. Mon frère, qui était un soldat du FPR, avait trouvé un Interahamwe qui lui avait signalé où nous étions. Grâce au fait que mon frère connaissait la région, il vint tout droit à la maison où j’étais prisonnière. I1 y avait beaucoup d’Interahamwe ici parce que c’était aussi un endroit ou ils vendaient de la bière. J’étais à l’intérieur de la maison en train de surveiller l’enfant de la seconde femme, quand j’ai entendu des gens courir. Le FPR

commença à tirer et même les femmes se mirent à courir laissant leurs enfants derrière elles. Je décidai de rester où je me trouvais, ainsi en définitive je finirais bien par être tuée d’une balle. Les soldats du FPR m’appelèrent, et je vis mon frère. Il ne me dit même pas bonjour mais me dit seulement “Dis-moi où sont les autres”. C’était un miracle. Nous devions nous dépêcher de retrouver les autres ou bien elles seraient emmenées. Nous commençâmes par aller dans la maison où étaient mes cousines. Nous leur demandâmes de venir et de nous aider à trouver les autres. Mes deux autres sœurs avaient été enlevées par un groupe de miliciens qui avaient fui le FPR. Mon frère les repéra et prévint le groupe que s’ils ne les laissaient pas partir, des choses leur arriveraient. Mes sœurs ne pouvaient pas répondre sinon elles auraient été tuées. Elles furent finalement relâchées, bien que le “mari” de la plus jeune ait essayé de la retenir.

 

            De nombreuses femmes ont continué à vivre avec les miliciens qui les avaient enlevées,  violées et retenues prisonnières, pendant le génocide. Malheureusement beaucoup de survivantes violées qui ont aujourd’hui perdu toute famille, soutien et ressources, considèrent de tels arrangements

comme le seul espoir de s’assurer la sécurité économique et physique. Quand certaines femmes s’étaient échappées et étaient retournées au Rwanda, des gens qui les connaissaient rapportent qu’elles avaient reçu des lettres de leur sœur, de leur fille ou de leur nièce encore au Zaïre disant qu’elles étaient toujours en vie et qu’elles étaient “mariées” à un homme du camp.

 

Venautie était âgée de vingt-trois ans quand sa famille fut massacrée le 28 avril 1994, et qu’elle fut

violée par deux miliciens, tous les deux des voisins. Elle vivait encore avec le deuxième homme quand

nous l’avons interrogée. Lors du génocide, un groupe de miliciens la trouva alors qu’elle se cachait et

l’accusa d’être fiancée à un FPR. On lui donna une houe et on lui ordonna de creuser sa propre tombe

avant qu’on ne la tue. Un des miliciens décida qu’il la voulait. Les autres miliciens lui dirent qu’il devrait  à tuer ses frères en sa présence avant de la prendre. Après avoir tué ses trois frères il la ramena chez elle. Quand Venautie débarqua chez elle, elle demanda : “Je te supplie de m’aider. Cache‑moi. S’il te plaît ne me fais pas de mauvaises choses, ne me viole pas. Si je survis, je serai vraiment

reconnaissante.” Il refusa en disant “Si nous étions en paix, tu ne m’accepterais jamais”, puis il la

viola. Elle résista et il la frappa à la tête, causant des blessures dont elle souffre encore aujourd’hui. Le

jour suivant, le 16 mai, le chef de la milice se rendit dans la maison et fit prévaloir son droit de prendre

Venautie pour “femme”. Venautie vit encore avec lui et ils ont un enfant de neuf mois. Elle raconte :

 

Je vis encore aujourd’hui avec lui, et je le considère comme mon mari parce qu’il me loge et me nourrit. Chaque jour (durant le génocide), il me disait qu’il me tuerait. Il travaillait alors sur un barrage routier. Mais personne ne l’a encore accusé. Quand j’ai réalisé que j’étais enceinte, j’ai pensé que je devais l’accepter puisque cela venait de Dieu. A présent je suis la seule tutsi à vivre ici. Une fois, j’ai fui à Gikongoro, mais il m’a suivie et m’a ramenée. Il m’aime peut-être, sinon il ne m’aurait pas suivie. Tant qu’il ne voudra pas me tuer je resterai avec lui parce que je ne peux pas trouver d’autre mari. Son frère lui dit qu’il ne devrait pas vivre avec une tutsi – qu’il devrait me tuer. Mais il dit qu’il ne le fera pas. Je ne pense pas qu’il veuille me tuer maintenant. Ma belle-mère vit avec nous. Elle me dit toujours “Vous les femmes tutsi vous êtes trop fières.” Je dois l’accepter ‑ c’est Dieu qui me l’a envoyée89.

 

Monique, est une femme hutu qui était âgée de dix-neuf ans quand les combats commencèrent. Elle fut prise comme “épouse” par un soldat des Forces Armées et soumise au “mariage” forcé. A la fin du génocide, il la prit avec elle quand il s’enfuit au Zaïre. Elle y resta pendant quelques mois. Durant cette période elle se retrouva enceinte. Alors que le soldat décidait de retourner au Rwanda, il fut placé dans un camp armé de réintégration à Rubona dans la préfecture de Butare. Monique fut logée avec les femmes des autres soldats du camp : “Parce que mon mari m’a protégée pendant la guerre, il était normal que je vienne dans cette maison” dit-elle. Aujourd’hui Monique vit seule dans sa maison avec son bébé, tandis que son mari est dans un camp d’entraînement. Elle a présenté son bébé à sa famille mais ne l’a jamais présenté à celle de son mari90.

 

Viols et mutilations

 

Souvent les viols de femmes s’accompagnaient de mutilations des organes sexuels ou des parties physiques caractéristiques de l’ethnie tutsi. Les mutilations sexuelles incluaient le versement d’eau bouillante dans le vagin; on ouvrait le ventre pour sortir le fœtus avant de tuer la mère; on coupait les seins; on tailladait la région pelvienne et on mutilait le vagin91. Un docteur traita une jeune femme âgée de vingt et un ans environ, qui a été mutilée à vie après que l’on ait versé de l’acide dans son vagin, elle a été envoyée en Belgique pour une opération chirurgicale de reconstruction. La jeune femme a de plus été contaminée par le virus du sida92. Parmi les traits que les assaillants considéraient comme caractéristiques chez les Tutsi, il y avait les doigts longs et le nez mince qu’en conséquence ils mutilaient. Beaucoup de victimes eurent deux ou trois doigts ou bouts de doigts coupés. Les victimes ayant eu des articulations endommagées, restent aujourd’hui encore gravement atteintes, seront probablement handicapées en permanence parce que les articulations sont difficiles à réparer. Le directeur du Centre Hospitalier de Kigali a précisé qu’il avait traité un grand nombre de cas de femmes avec des plaies au visage, des cas de cécité dues à des coups de feu ou des mutilations volontaires comme celles du vagin, des doigts, des nez et poitrines. Dans un cas ils ont traité une femme âgée de vingt-deux ans qui avait été jetée dans un fossé et sur laquelle on avait versé du pétrole puis mis le feu93.

Une femme âgée de vingt-cinq ans, Denise était mariée depuis deux mois quand les miliciens débarquèrent dans sa maison le 20 avril 1994. Les gens les avaient prévenus que la milice venait, si bien que son mari sauta par la fenêtre. Elle resta, quant à elle, pensant qu’ils ne lui feraient pas de mal. Environ six miliciens entrèrent dans la maison avec des machettes et des torches. Elle reconnut parmi eux des voisins. Ils la tirèrent dehors et commencèrent à lui demander où était son mari. Elle raconte ce qui arriva :

 

Quand je refusai de répondre, ils commencèrent à me frapper aux jambes avec des bâtons. Puis un d’entre eux me viola. II me dit “Tu as de la chance. Ton Dieu est encore avec toi parce que nous ne voulons pas te tuer. Maintenant les Hutu ont gagné. Toi la tutsi, nous allons t’exterminer. Tu ne posséderas plus rien.” Quand il eut terminé, il m’a entraînée à l’intérieur et m’a mise sur un lit, il tenait une de mes jambes ouvertes et un autre me tenait l’autre. Il appela tous les gens dehors et dit “Venez voir comment les Tutsikazi sont à 1’intérieur” puis il dit “Vous les Tutsikazi, vous pensez que vous êtes les plus belles femmes du monde”. Alors il me découpa l’intérieur du vagin, arrachant la chair, prit un petit bâton et brandit le bout de chair. Il planta le bâton dans le sol à l’extérieur de la maison et hurla : “Tout le monde qui passera par là, verra à quoi une Tutsikazi ressemble”. Puis il revint à l’intérieur et me battit à nouveau. Encore aujourd’hui, mes jambes sont enflées; puis ils s’en allèrent. J’ai rampé en sang pour sortir de la maison. II y avait du sang partout. Une voisine hutu me prit en charge et me soigna avec des médecines traditionnelles. Je suis restée plus d’un mois avec elle jusqu’à ce que je puisse marcher. Durant toute cette période elle me cacha et m’aida. Quand les miliciens retrouvèrent où j’étais je dus m’en aller. J’ai fui chez d’autres voisins. En juillet 1994, le FPR arriva. J’ai toujours des problèmes médicaux. Je ressens de très grandes douleurs tous les mois, pendant mes règles. Je n’ai pas vu de médecin. J’ai entendu parler du Tribunal International et je devrais leur parler, mais ils ne sont jamais venus ici. J’ai rapporté mon cas aux autorités trois fois, mais rien ne s’est produit94.

 

Le 30 mars 1996, un programme des nouvelles de la BBC annonça que les autorités rwandaises avaient arrêté un journaliste du nom de Joseph Ruyenzi de Radio Rwanda et qu’il avait été accusé d’avoir violé et mutilé Denise. Il était dit dans l’émission qu’il avait eu précédemment trois amendesmais qu’il les avait ignorées. Ruyenzi qui est actuellement détenu à la Prison Centrale de Kigali, a apparemment clamé son innocence et d’autres ont déclaré qu’il avait été arrêté pour des raisons purement politiques.

 

Jane a été témoin de viols, de mutilations et de massacres de femmes qui étaient transpercées par le vagin :

 

J’étais chez moi avec ma tante et ses cinq enfants, quand un groupe d’Interahamwe est arrivé, en criant et en faisant du bruit. Nous avons essayé de nous échapper. Partout les gens se faisaient tuer. J’ai été attrapée par un groupe d’Interahamwe le 11 avril 1994 en même temps qu’une vingtaine d’autres femmes et nous fûmes retenues par eux dans le secteur de Gatare. Certains d’entre eux ont décidé de nous violer avant de nous tuer. D’autres ont refusé de nous violer. Ceux qui voulaient nous violer ont violé les femmes les unes après les autres. A peu près dix d’entre eux ont violé collectivement une femme et quand ils en ont fini, ils ont voulu la tuer en lui introduisant un bâton pointu de la taille d’un manche en bois dans le vagin jusqu’à ce qu’elle saigne et qu’elle soit presque morte. Je les ai vu faire ça à plusieurs femmes. Ils répétaient tout le temps des choses comme : “Nous voulons goûter aux femmes tutsi”. Un d’entre eux nous dit qu’ils allaient découper les femmes en morceaux sur plusieurs jours ‑ une jambe aujourd’hui, un bras demain ‑ de manière à ce que nous mourions lentement. J’ai tenté de m’échapper alors qu’ils étaient en train de violer et je me suis caché dans les bois jusqu’au 2 mai, date à laquelle le FPR est venu nous sauver95.

 

Le viol des femmes hutu

 

Bien que la plupart des viols aient été commis sur des femmes tutsi, de nombreuses femmes hutu furent également violées durant le génocide96. Dans certains cas les femmes hutu mariées à des Tutsi furent visées.

 

Christine est une femme hutu qui était mariée à un tutsi. Quand les massacres débutèrent, Christine âgée de vingt-cinq ans et sa famille trouvèrent refuge dans la maison de Cyrille Ruvugama, un membre du parlement qui s’est depuis, enfui au Zaïre. Le 5 mai 1994, les miliciens vinrent sur les terres de la maison. Deux des miliciens la violèrent, tandis que les autres se tenaient autour en regardant. Elle en reconnut un qui portait des feuilles de bananier. Christine raconte :

 

Ils dirent “Nous voulons savoir comment les vagins de tutsi sont faits. Si vous refusez, nous vous tuerons.” Ils ne savaient pas que j’étais hutu. Mon mari était tutsi. Je me suis laissée faire car ainsi je ne serais pas tuée, et je sauverais mes enfants (âgés de deux ans et quatre mois), mais ils ont tué mes enfants quoi qu’il en soit, après m’avoir violée.

 

Les miliciens se sont donc préparés à tuer le mari de Christine et ont menacé celle-ci avec une lance lui demandant de les accepter. Elle reconnut l’un d’entre eux. Après le génocide, elle se rendit au bureau de la commune et dénoncé cet homme qui avait tué son mari et son enfant et qui l’avait violée. Il est actuellement dans la prison de Gitarama. L’autre milicien qui l’a violée a été accusé par d’autres gens d’avoir massacré et il est aujourd’hui détenu dans une cellule de la police. Quand Christine vint dénoncer le second homme, elle était accompagnée d’une autre femme qui a pu témoigner de ce qui s’était passé. Elle raconte, “Si ça avait été une femme (l’enquêteur), je lui aurais tout dit. Je ne pourrais pas raconter à un militaire tout ce qui m’est arrive”97.

 

Claudine est une autre femme hutu qui était mariée à un tutsi. Quand la guerre commença, son mari et elle vivaient dans la commune de Kanzenze, préfecture de Kigali, avec ses cinq enfants. Elle était alors âgée de trente ans et enceinte de sept mois. Elle raconte :

 

Mon mari était à Kigali le jour où la guerre éclata et que les massacres commencèrent. Je restai dans ma maison parce que j’étais trop enceinte pour courir. Ils vinrent et tuèrent mes enfants. Après avoir pris mes enfants, l’accouchement a commencé et plus tard mon bébé est mort-né. Le jour suivant, j’ai cherché à retrouver les corps de mes enfants. J’ai vu un Interahamwe la-bas qui prenait les vêtements des gens morts, étendus sur le sol. II m’a agrippée et m’a donné des coups de couteau aux bras et aux jambes. Je l’ai supplié de me tuer. II m’a violée et alors m’a laissée pour morte. Quelques jours après, j’ai rampé jusqu’à une plantation de canne à sucre et je suis restée là à me cacher. Un jour j’ai vu un groupé de gens. Je suis venue à eux. Je ne me suis pas inquiétée de savoir qui ils étaient ou s’ils me tueraient. C’était des gens du FPR. Ils m’ont ramenée à Gitarama. Il y avait là beaucoup d’autres femmes dans mon cas, qui avaient été violées pendant le génocide98.

 

D’autres femmes hutu furent également visées parce qu’elles protégeaient des Tutsi :

 

Rose, âgée de vingt-huit ans, fut violée après avoir été accusée de cacher des Tutsi. Aujourd’hui elle a un enfant de ces viols. Elle raconte :

 

Je suis une hutu. Pendant le génocide, trois de mes amis sont venus se cacher chez moi. Je vivais avec mes parents parce que je n’étais pas mariée. A la mi-avril, les Interahamwe vinrent dans notre maison pour demander tous les Tutsi. Nous avons nié qu’il y ait des Tutsi chez nous. La première fois ils nous laissèrent sans rien faire. Ils revinrent une deuxième fois et dirent qu’ils savaient que je cachais des Tutsi. Ils ont fouillé la maison mais ils n’ont trouvé personne et m’ont alors accusé de les avoir laissés partir. Ils ont menacé de me tuer pour avoir caché des Tutsi. Un des Interahamwe, Nzabonimana David, ‑ âgé de cinquante ans à peu près et qui a été tué plus tard par l’APR ‑ m’a demandé de l’argent. Je lui ai répondu que je n’en avais pas. Il m’a rétorqué que j’allais mourir parce que j’avais caché des gens et qu’en plus je refusais de payer. II m’a mis un couteau sous la gorge et m’a dit qu’il allait me tuer de la manière qui lui plairait. II m’a emmené dans les champs de café, m’a jetée au sol et m’a violée. Après cela, il a déclaré aux autres Interahamwe que je ne servais plus à rien et que je ne pouvais même pas leur donner d’argent. Il a dit également aux autres de ne pas me violer parce que j’avais probablement le sida et que je pouvais les contaminer. Je pense qu’il leur a dit cela pour me défendre d’être violée par d’autres. Après que les Interahamwe sont partis, j’ai essayé de rentrer chez moi. Je n’étais pas gravement blessée mais j’étais contusionnée et je pouvais difficilement marcher. Je me demande encore aujourd’hui, s’il ne m’a pas contaminée avec le sida. Je n’ai jamais vu de médecin parce que je n’ai pas d’argent99.

 

Maria est une jeune femme hutu qui était étudiante à Gikongoro avant le génocide. Deux ans après, elle est toujours si traumatisé par ce qu’elle a vécu, qu’elle ne peut lever les yeux quand elle raconte ce qui lui est arrivé. Selon les médecins qui la traitent, Maria souffre d’hallucinations et a fréquemment des crises de larmes. Elle ne supporte pas de voir un homme ni d’être en sa présence. Le 15 avril 1994, les Interahamwe débarquèrent et tuèrent ses grands-parents, ses deux tantes et son frère. Comme elle s’échappait, elle fut rattrapée par cinq miliciens qui la violèrent.

Après le viol les miliciens ont sévèrement tailladé le vagin de Maria, âgée de dix-huit ans, avec des couteaux, ils criaient “Nous allons te tuer de telle manière que tu vas vouloir mourir. Quand le FPR viendra on n’en laissera pas un en vie.” Elle connaissait un des hommes. Le jour suivant Maria fut récupérée par une équipe de la Croix Rouge et fut transportée à l’hôpital. Le viol et les mutilations ont causé de très grands dommages à toute la zone vaginale. Elle fut prise en charge au Centre Hospitalier de Kigali par un docteur reconnu comme étant un grand chirurgien pour avoir opéré lors du chaos causé par les massacres. Elle souffrait d’hémorragies à cause des mutilations qui avaient détruit la membrane entre son vagin et le rectum. Elle resta à l’hôpital jusqu’en juillet 1994, au moment où le FPR arrivait. En janvier 1995, Maria fut envoyée en Belgique pour une intervention de chirurgie de reconstruction. A cette époque, les médecins qui traitaient Maria ont découvert qu’une infection s’était propagée dans son utérus et elle a du subir une hystérectomie en urgence. Les médecins ont également découvert que la membrane recto-vaginale et le sphincter anal étaient définitivement endommagés. Ils ont fait tout leur possible pour parvenir à tout reconstituer chirurgicalement, mais Maria ne pourra plus jamais avoir de relations sexuelles pour le restant de ses jours. Les médecins ont également découvert qu’elle était séropositive.

“Ce qui est arrivé est arrivé” dit-elle, “Maintenant la question est de savoir comment survivre. Ils ont détruit ma vie.” Elle continue, J’espère que Dieu les punira. Je ne suis pas la seule. Ce qu’ils m’ont fait ils l’ont fait à d’autres. Mais qu’y puis-je?” Un des souhaits de Maria est de continuer à fréquenter l’école pour achever ses études. Cependant elle n’a pas d’argent pour payer les frais de sa scolarité.


 

PERSISTANCE DES PROBLEMES DONT SOUFFRENT LES FEMMES RWANDAISES

 

Les violences qu’elles ont eues à endurer, associées à leur statut de citoyen de deuxième classe, obligent les femmes rwandaises à vivre aujourd’hui des situations vraiment accablantes. La plupart des femmes ont tout perdu et se retrouvent pour la première fois obligée de remplir le rôle de chef de famille, d’assumer 1’entière responsabilité pour ce qui est d’essayer de reconstruire leurs vies, et parallèlement, de lutter pour se procurer des vivres, acquérir un logement, trouver comment assurer les frais de scolarité pour elles-mêmes et pour leurs parents encore en vie. Entre autres épreuves, les femmes rwandaises, qui ont survécu aux viols, ont eu à souffrir de l’isolement social et du rejet que subissent les victimes de viol partout dans le monde, ainsi que de graves problèmes de santé, sans oublier d’assumer les enfants nés de ces viols. De plus, plusieurs veuves ont été empêchées de retourner dans leurs propriétés à cause d’une coutume discriminatoire qui ne leur accorde pas le droit à l’héritage. L’absence de responsabilité judiciaire portée à l’encontre des auteurs du génocide, augmente jusqu’à l’exacerbation les traumatismes des victimes car le plan physique et psychologique.

Presque toutes les femmes rwandaises, quelle que soit leur situation, sont incitées à penser que le gouvernement rwandais et la communauté internationale n’appréhendent pas comme il le faudrait, les problèmes accablants auxquels elles font face. Quel que soit leur statut ‑ Tutsi, Hutu, déplacées, exilés de retour‑ toutes vivent des situations difficiles suite aux bouleversements causés par le génocide, et ces situations sont aggravées par leur condition de femme qui les désavantage. Judith Kanakuze, militante pour les droits de la Femme, Directrice de Duterimbere, ‑ une coopérative de crédit pour femmes basée à Kigali ‑ a déclaré :

 

“Nous devons trouver des solutions ensemble. Tout le monde a des problèmes, pas seulement les victimes de viol. Prenez par exemple la femme déplacée qui ne sait pas comment s’y prendre pour retourner chez elle; ou la femme dont le mari a été tué et qui a la charge de ses propres enfants, ainsi que les orphelins de son frère à élever; ou la femme dont le mari est en prison... Toutes les conséquences du génocide pèsent sur les épaules des femmes”100.

 

Vous ne pouvez pas vous imaginer la souffrance que les femmes endurent”, dit Marie‑Claire Mukasine, une femme avocate qui a travaillé à Hagaruka, un centre d’assistance juridique base à Kigali, créé pour les femmes. “Si personne ne fait rien, elles vont exploser101.

 

Pratiquement toutes les femmes interrogées par HRW/FIDH, ont fait remarquer que, bien que les femmes représentent aujourd’hui à peu près 70% de la population, les politiques du gouvernement et les programmes internationaux d’assistance n’ont pas prévu assez de ressources pour essayer de résoudre les problèmes particuliers auxquels les femmes rwandaises sont confrontées. Maintes fois, les femmes ont mis en évidence les situations qu’elles subissent : la pauvreté, le manque de logement, les coins de santé non appropriés, la désolation et l’isolement dont souffrent les veuves ou les victimes de viol dans une société qui valorise la femme en premier lieu comme épouse et mère, et la question des enfants issus des viols. Les femmes interviewées ont souvent essayé, mais sans succès, d’avoir accès aux propriétés laissées par leurs maris, de recouvrer leurs droits aux pensions ou aux comptes en banque. “Quelqu’un m’a dit un jour, qu’il était de loin préférable de vivre une guerre que de survivre à la guerre”, a dit une femme survivante. “Maintenant je comprends pourquoi”.

Les femmes ont souvent mis en parallèle le manque de réponse approprié à leurs besoins par les instances internationales ou nationales, et l’assistance rapide accordée par la communauté internationale aux autres groupes dans le besoin, comme les prisonniers rwandais qui vivent dans des conditions lamentables, ou l’assistance alimentaire ou encore d’autres services dont bénéficient les réfugiés au Zaïre et en Tanzanie. Plusieurs survivantes se plaignent amèrement de ce que les abus qu’elles ont subis ne sont pas pris en considération de façon adéquate. Annunciata Nyiratamba, de l’Association des Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA) a dit :

 

Les femmes sont seules. Elles ont tout perdu. Mais il n’y a aucun programme pour elles. Personne ne parle pour les survivants. Personne ne se sent concerné par leurs problèmes. Nous sommes en train de regarder ce que les gens vont faire pour les survivants, ce qu’ils vont faire pour ceux qui sont revenus et pour les réfugiés. C’est un problème de réconciliation. Il faut une assistance pour les victimes, et pas seulement pour les réfugiés, pour les prisons et ceux qui reviennent. Ce n’est pas juste. Concrètement, il n’y a rien pour les femmes alors qu’elles constituent le gros des survivants102.

 

Une autre survivante du génocide a souligné le fait que dans plusieurs cas, les femmes essaient simplement d’avoir accès aux biens auxquels elles ont droit, comme leurs propriétés : “Le nouveau gouvernement ne fait pas assez pour les femmes. Nous avons besoin d’une politique pour les veuves et leurs enfants. Plusieurs femmes ne peuvent pas récupérer leur argent ni leurs propriétés. Nous ne demandons pas l’aumône. Nous voulons simplement qu’on nous reconnaisse nos droits103.

D’autres expriment leur consternation quand on les exhorte à oublier ce qui leur est arrivé, au nom de la paix et de la réconciliation. Les femmes demandent que justice soit rendue. Il est important pour elles qu’on reconnaisse la responsabilité des auteurs des violences qu’elles ont subies. Comme le dit une veuve :

 

Les gens oublient. Ils veulent seulement vivre le présent et oublier le passé. Ils disent que le génocide c’est quelque chose de trop important. Alors, il faut mobiliser de grands moyens pour s’en occuper vraiment ; il ne faut pas le minimiser. Nous sommes en train de vivre avec notre passé. Nous ne voulons pas laisser les gens l’oublier purement et simplement. Nous sommes des veuves comme tant d’autres veuves, seulement notre groupe a quelque chose de particulier. Notre situation est différente. Plusieurs d’entre nous n’ont même pas trouvé les corps de leurs maris ni de leurs enfants. Nous ne les avons jamais enterrés. Nous ne les avons jamais pleurés. II n’y a pas eu de funérailles. Nous sommes là, en train d’imaginer quels furent ses derniers moments. Comment a-t-il été tué ? A-t-il été frappé à mort ? Est-il tombé sous les balles ? A-t-il été tué à coup de machettes? Combien de temps a-t-il passé abandonné sur la route ? A-t-il été mangé par des chiens ? Ce n’est pas comme un veuvage ordinaire. Les veuves ordinaires ne se posent pas de telles questions; elles ne connaissent pas de tels tourments. D’autres veuves ont encore des membres de leur famille, d’autres des parents. La plupart d’entre nous n’ont plus d’autre famille; nous sommes les seules survivantes. Et tout ceci a été fait par des voisins; dans le voisinage même. II ne reste que la méfiance. Les familles des personnes qui ont exterminé les nôtres sont encore ici. Nous n’avons plus de maisons. Nous n’avons même plus un seul endroit où nous pouvons nous isoler pour pleurer. Tout a été détruit. Vous ne pouvez pas nous décrire dans des termes simples et dire que nous sommes des veuves comme n’importe quelles autres veuves. C’est très difficile ; c’est très différent104.

 

Un fait important qu’il faut relever au Rwanda aujourd’hui, c’est le grand nombre d’organisations féminines qui se sont créées dans le but d’essayer de trouver des solutions à toute une série de problèmes posés aux femmes. Les femmes rwandaises se sont regroupées pour mettre en place des associations qui donnent des conseils aux personnes traumatisées, pour créer des coopératives d’épargne et de crédit, des centres d’assistance juridique, des groupes de constructeurs de maisons d’habitation, des groupes d’aides aux survivants, des centres d’assistance médicale et d’autres services. Bien que toutes ces initiatives reçoivent une certaine assistance financière et politique de la part de la communauté internationale et du gouvernement rwandais, elles méritent beaucoup plus. Il faudrait que les ministères concernés et les organisations internationales qui accordent de l’aide, coopèrent plus étroitement avec ces organisations féminines pour les appuyer davantage et renforcer leurs programmes.

 

 

DISGRACE, ISOLEMENT ET REJET

 

Comme ailleurs dans le monde, le viol et les autres violences à caractère sexuel infligés aux femmes au Rwanda, ont laissé des marques. La plupart des femmes rwandaises qui ont été violées, n’osent pas avouer publiquement ce qu’elles ont subi. Les femmes qui reconnaissent avoir été violées ont peur d’être marquées comme victimes de viols et courir ainsi le risque d’être rejetées par leurs familles et la communauté. Elles savent qu’il leur serait difficile de réintégrer leur communauté et d’y refaire leurs vies si leur viol était connu. En conséquence, plusieurs femmes qui ont survécu aux violences sexuelles, sont très peu disposés à demander une assistance médicale ou à rapporter ce qui leur est arrivé. Les femmes qui ont eu des enfants des suites de ces viols sont les plus marginalisés,” selon l’assistante sociale Godelieva Mukasarasi. Les gens disent que c’est 1’enfant d’un Interahamwe.”105

Les survivantes des viols expriment aussi leur préoccupation de ne jamais pouvoir se remarier un jour. La plupart des Rwandais semblent admettre que les victimes des viols ont attrapé des maladies sexuellement transmissibles, le plus souvent le sida, et les victimes de viol ont peur de ne jamais pouvoir trouver de maris si elles admettent avoir été violées. Dans la société rwandaise, ou les femmes sont appréciées avant tout comme épouses et mères, la question de savoir si on est “mariable” est extrêmement importante. De plus, pour beaucoup de femmes, le mariage constitue la meilleure alternative pour obtenir une sécurité sur le plan économique et une certaine protection. “C’est toujours triste de voir une fille qui a survécu [au génocide],” dit Jeanne, qui est aussi une survivante du viol. Elles n’ont pas d’avenir. II y en a qui se marient sans vraiment le vouloir, parce qu’elles sont toutes seules. Elles ne peuvent pas travailler la terre de leurs parents, et elles ont besoin d’un mari pour les aider à faire fructifier leurs champs”106.

Le silence qui entoure le viol affecte les femmes de multiples façons, mais plus particulièrement dans leur santé sexuelle et leur capacité d’avoir des enfants. Plusieurs femmes qui ont été violées ou mutilées continuent à avoir des problèmes de santé, mais n’ont jamais consulté de médecin à cause des stigmates que cette expérience leur a laissés, ainsi que les coûts élevés et l’inaccessibilité des soins médicaux. Le Dr. Rwamasirabo, Directeur du Centre Hospitalier de Kigali, a fait remarquer que les victimes de viol étaient peu disposés à venir se soumettre à un traitement médical par peur de se faire juger parce que “les gens vous regardent”, et à cause de la honte qu’elles éprouvent d’avoir été violées107. Même les femmes qui sont venues en consultation pour avoir un traitement médical n’ont pas souvent avoué à leur médecin qu’elles avaient été violées. Le Dr. Odette Nyiramilimo du Cabinet Médical “Le Bon Samaritain” a noté que la plupart des femmes violées qui sont allées la voir pour des soins médicaux n’avouaient pas qu’elles avaient été violées : “Elles préféraient plutôt dire : ‘J’ai eu des relations sexuelles avec une personne que je ne connais pas’. Et c’est un peu plus tard, dans la conversation que je commence à poser des questions comme “combien étaient-ils ? pour obtenir l’information sur ce qui s’est passé”108. Le Dr. Etienne Mbarutso, gynécologue à l’Hôpital Universitaire de Butare, qui a examiné des centaines de victimes de viol dès le début du génocide, décrit ainsi les cas qu’il a pu examiner :

 

Voila deux ans que la guerre est finie mais ces patientes sont très difficiles à soigner. Au début, elles arrivaient infectées ‑ infections vaginales, des problèmes de l’appareil urinaire ‑ toutes des maladies sexuellement transmises. Vous soignez la maladie que vous avez diagnostiquée, mais sur le plan psychologique, elles ne sont pas guéries. Elles continuent à revenir en se plaignant de crampes et d’autres souffrances, alors que physiquement elles n’ont rien d’anormal. Ces femmes sont profondément marquées sur le plan psychologique. Médicalement parlant, elles sont guéries, mais elles continuent à être malades. Et il n’existe pas de service qui traite spécifiquement des problèmes que ces femmes endurent. Il existe des associations de veuves et d’autres semblables, mais il n’y a pas de groupements pour aider les femmes qui ont eu à subir ceci [le viol]109.

 

Sur le plan psychologique, les femmes se sentent isolées. Et en même temps, beaucoup d’entre elles expriment de profonds sentiments de solitude et de désespoir. Une veuve a dit :

 

C’est comme si on commençait maintenant une nouvelle vie. Notre passé est si triste. La société ne nous comprend pas... Nous ne sommes pas protégées; n’importe quoi peut nous agresser. Les veuves sont sans famille, sans maison, sans argent. Nous sommes en train de devenir folles. Nous ennuyons les gens avec nos problèmes. Nous sommes des mortes vivantes110.

 

Quelques femmes ont mentionné le fait qu’en vivant comme femmes seules, elles n’ont aucun statut dans la société d’aujourd’hui.

 

Dans le passé, on avait du respect pour les veuves. Aujourd’hui il n’ y a plus rien. Vous n’êtes rien quand vous êtes veuve actuellement. Nous avons, de tout temps, été considérées comme inférieures aux hommes; mais aujourd’hui, en tant que femme sans mari, ni frère, ni père, ni oncle, nous ne sommes plus rien. La communauté isole les veuves. Vous n’êtes pas invités lors d’événements qui rassemblent la communauté ; les gens oublient de vous inviter quand il y a un mariage. Vous êtes oubliée. Vous êtes seule. Nous avons un sentiment d’être vraiment dans l’isolement111.

 

Les accusations de collaboration lancées par les personnes qui reviennent à l’encontre des survivantes, suscitent des sentiments de honte et isolent davantage ces femmes. Les femmes qui ont survécu se sentent souvent coupables d’avoir survécu. Une femme a dit : “Il est admis que la plupart des survivantes ont été violées, que si vous avez survécu, vous avez été violée... [les personnes qui reviennent vous demandent : Comment avez-vous fait pour survivre ? Les femmes se sentent souvent coupables d’avoir survécu. Elles se sentent responsables”112.

Les veuves hutu souffrent aussi de l’isolement. Celles dont les maris étaient tutsi sont souvent rejetées par les familles de leurs maris, qui leur reprochent la mort de leurs fils, et par les veuves tutsi qui ne leur accordent plus leur confiance parce qu’elles sont hutu. La plupart de ces veuves, aussi bien que celles dont les maris étaient politiquement modérés, hésitent à retourner dans leurs familles ou à s’associer avec d’autres hutu, parce qu’elles les accusent d’être responsables du génocide et même du massacre de leurs maris et de leurs enfants. Une veuve hutu qui a perdu son mari tutsi et ses quatre fils (seule sa fille de vingt ans gardée par un Interahamwe pour être violée, a survécu) raconte :

 

Deux des miliciens qui ont tué ma famille sont maintenant en prison et je pense que les trois autres se sont enfuis au Burundi et à Kigali. Un autre a été tué. Il ne m’est pas facile de vivre avec des femmes hutu dans cet endroit aujourd’hui. Même si je suis hutu moi-même, je ne me sens pas encore capable de vivre avec eux, après ce qu’ils ont fait. Je vis avec mes voisins. Je ne peux même pas retourner dans ma maison; elle a été détruite. Nous vivons comme si nous étions morts. Quand ils tuent votre mari et vos enfants et qu’ils vous laissent, c’est comme s’ils vous avaient tuée. Ils nous ont laissées pour que nous mourions lentement. Chaque jour je pense que j’aurais mieux fait de mourir113.

 

Des femmes essaient aussi de combattre cet isolement et de rompre le silence. “Pendant le génocide, plusieurs femmes ont supplié d’être tuées,” dit Esther Mujawayo de l’Association des Veuves du Génocide d’Avril. “On a refuse de les tuer et on leur a dit : “Vous mourrez de chagrin”. Nous voulons porter un défi aux violeurs/massacreurs et vivre. Nous ne voulons pas rester des morts-vivants”114. Les associations de veuves et des groupes qui s’occupent des femmes traumatisées existent et les femmes commencent à se rassembler pour une thérapie dans laquelle elles parlent de leurs disparus et de leurs blessures. Quelques femmes commencent à parler des violences sexuelles qu’elles ont subies, d’autres commencent à reconstruire leurs maisons et d’autres forment des groupes où elles peuvent parler de leur traumatisme. Les associations féminines commencent à s’organiser et à donner des pouvoirs aux femmes et ce sont ces initiatives naissantes qui doivent bénéficier de l’assistance et du gouvernement rwandais et de la communauté internationale.

 

LA SANTE

 

Les conséquences sur le plan de la santé des violences sexuelles subies par les femmes continuent généralement pendant de longues années. Comme mentionne plus haut, le plus souvent les femmes n’ont pas cherché une assistance médicale, à cause des stigmates liés aux violences sexuelles, au manque d’argent ou à l’inaccessibilité des centres de santé. Toutes ces difficultés ont aggravé les problèmes de santé causés par ces viols. Il y a des femmes qui ont choisi de ne pas aller voir le médecin de peur de découvrir qu’elles avaient attrapé le virus du sida.

Les médecins rwandais signalent que les problèmes de santé les plus courants étaient les maladies sexuellement transmissibles comme la syphilis, la blennorragie ou les vaginites. D’autres problèmes médicaux comprennent le sida, les fistules vésico-vaginales, les traumatismes, les mutilations, les complications dues aux avortements mal pratiqués, et aux problèmes psychologiques.

Chez les très jeunes filles, les grossesses et les accouchements font courir de grands risques à la santé des mères. Les professionnels de santé ont rapporté des complications subies par des jeunes fines qui accouchent, telles que des fistules vésico-vaginales ou recto-vaginales, ou des complications ultérieures parmi lesquelles il faut signaler les problèmes de 1’uterus, des cicatrices sur les muqueuses du vagin qui affectent la capacité de mener une vie sexuelle normale et de pouvoir mener à terme leurs grossesses dans le futur. Quelques-unes de ces jeunes filles ont perdu 1’espoir de se marier un jour et de donner naissance à d’autres enfants115.

Il est impossible d’arriver à des conclusions convaincantes sur la transmission du sida pendant le génocide parce qu’il est difficile d’établir avec certitude le moment ou une personne a été exposé, au virus116. Néanmoins, il est certain que des femmes ont été infectées au moment où elles ont été violées. Le taux d’infection au VIH au Rwanda était extrêmement élevé avant le génocide : on estimait que 25% de la population et 35% des effectifs de l’armée rwandaise étaient séropositifs117. Le directeur du Centre Hospitalier de Kigali a reconnu avoir examiné deux sœurs âgées de deux ans et de quatorze ans au Centre Hospitalier de Kigali en décembre 1995. Toutes deux avaient été violées pendant le génocide. Les deux sœurs souffraient de vaginites chroniques et celle de quatorze ans avait contracté aussi le virus du sida. Il est presque certain que la jeune fille a attrapé le virus suite à ce viol118. Le gouvernement rwandais a déclaré :

 

Il n’y a pas à se poser de questions là dessus; les infections au VIH/SIDA se sont considérablement aggravées entre avril et juillet 1994. Un très grand nombre de filles et de femmes qui ont survécu au génocide ont été violées; d’autres vivent dans des camps de personnes déplacées ou dans des camps de réfugiés, où les conditions d’hygiène et la promiscuité favorisent la transmission du VIHISIDA119.

 

Dans un centre de sensibilisation sur le sida établi à Kigali, on affirme que le pourcentage des personnes infectées par le virus du sida est resté le même depuis le génocide soit 25%. La directrice de ce centre Janvière Mukantwali, a fait remarquer qu’une grande partie des personnes qui sont revenues, arrivaient du Burundi, du Zaïre, et de l’Ouganda ‑ tous des pays à haut risque en ce qui concerne la prévalence du virus du sida; et cette population a contribué à maintenir le même pourcentage en dépit des massacres généralisés pendant le génocide. Elle a rapporté aussi que “depuis la fin du génocide, les gens sont devenus plus fatalistes face à la mort et ne cherchent plus à se protéger du sida; ils considèrent que mourir du sida c’est comme mourir d’autre chose.” Après le génocide, le centre a mis sur pied un group de femmes ayant pour centre d’intérêt les problèmes liés au sida. A leur surprise, ils ont découvert que le taux de rencontres sexuelles en dehors du mariage, autant qu’on puisse en juger, s’était notablement élevés chez les femmes depuis le génocide, en grande partie parce que les femmes recherchent “affection et protection”. Cependant, malgré l’augmentation des rencontres sexuelles, les femmes ne se protégent pas contre le sida120.

Bien que l’avortement soit illégal au Rwanda, plusieurs femmes n’ont pas pu supporter l’idée d’avoir un enfant issu des Interahamwe qui les avaient violées121. Des femmes qui ont commencé des grossesses après avoir été violées, ont avorté par leurs propres moyens, en prenant souvent des risques considérables pour leur santé, spécifiquement lorsque l’avortement se faisait sur une grossesse avancée. D’autres pouvaient se faire avorter au Zaïre ou dans quelques cliniques privées au Rwanda, si elles pouvaient en assumer les frais. L’actuel gouvernement rwandais n’a pas légalisé l’avortement, peut-être en partie parce que l’Eglise Catholique ‑ la plus grande instance religieuse dans le pays ‑ refuse l’avortement, et en partie parce que les croyances traditionnelles s’y opposent. Une étude réalisée en février 1995 par le Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes a trouvé que des 716 cas de viols rapportés, 472 femmes étaient enceintes des suites de ces viols et 282 parmi elles avaient avorté122. D’autres n’ont pas su comment faire pour avorter, et plusieurs autres n’ont pas voulu avorter pour des raisons religieuses ou sociales. Pour d’autres, la grossesse était à un stade trop avancé pour songer à avorter. Des médecins ont soignés un certain nombre de victimes de viol qui étaient enceintes et qui souffraient de complications dues aux tentatives d’avortement clandestin qu’elles ont tenté elles-mêmes de pratiquer. La plupart de ces avortements avaient été tentée au troisième trimestre de la grossesse en faisant courir des risques considérables pour la vie de ces femmes. Quelques femmes avaient saigné pendant plus de trois mois, avant de se décider à aller chercher un traitement médical123. Le directeur du Centre Hospitalier de Kigali a signalé que ces avortements pratiqués par des femmes sur elles-mêmes, leur avaient causé de graves infections utérines, des ruptures de l’utérus, des hémorragies et autres complications gynécologiques. Et d’ajouter : “Il est difficile de savoir ce qu’elles ont utilisé, et comme l’avortement est illégal, l’hôpital ne pouvait pratiquer l’avortement comme un service médical. Mais ce n’est pas simplement parce que c’est illégal, les mœurs sur le plan social et religieux désapprouvent l’avortement et c’est pour cela qu’on n’a pas l’habitude de le pratiquer”124.

Le directeur du Centre Hospitalier de Kigali a fait remarquer aussi que les mutilations au visage ont davantage affectés les victimes femmes que les hommes, dans la mesure ou les femmes sont souvent appréciées pour leur beauté. Il a dit que :

 

Les femmes viennent souvent nous voir pour nous demander ce que nous pouvons faire pour qu’elles aient l’air entier. Même lorsqu’une prothèse ne peut avoir d’utilité, elles préfèrent la porter pour qu’elles puissent donner l’apparence d’avoir une main ou un pied entier. Dans d’autres cas, les défigurations des visages sont telles, que nous ne pouvons rien. Le plus souvent, le type de chirurgie plastique et réparatrice qui serait nécessaire, exige des médecins hautement qualifiés que nous n’avons pas125.

 

ENFANTS ISSUS DES VIOLS

 

Nombre de viols commis durant le génocide ont donné des grossesses qui ont été appelées “grossesses de guerre”. D’après les estimations du Bureau National de la Population, le nombre d’enfants mis au monde par les victimes de viol qui ont survécu varie entre 2.000 et 5.000; et ils sont appelés “enfants non‑désirés” ou “enfants de mauvais souvenir”, ou “enfants de la haine.” Le personnel de santé des hôpitaux de Kigali et de Kabgayi a rapporté qu’après septembre 1994, plus de la moitié des femmes venues en consultation avaient été violées; sur dix femmes reçues en consultation par jour, entre six et sept l’avaient été126. Dans une étude se rapportant à 304 cas de femmes victimes de viols, réalisée conjointement par le Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes et par L’UNICEF, 35% étaient enceintes après avoir été violées127.

L’accueil réservé à ces enfants par les femmes a été plutôt mitigé. Il est facile de comprendre que plusieurs femmes n’ont pas été capables d’accepter leur enfant car elles l’associaient aux brutalités qu’elles et leurs familles avaient subies, de la part des personnes qui les avaient violées. “Comment peux-tu avoir un enfant d’une personne qui a tué ton mari et tes enfants?” a demandé une femme rwandaise128. Une étude sur le viol au Rwanda réalisée par le Dr. Catherine Bonnet rapporte :

 

La psychopathologie des grossesses issues de viols au Rwanda est la même que celle qui a été observée en France et dans l’ancienne Yougoslavie : ces grossesses ne sont pas acceptées, elles sont rejetées et cachées, souvent niées et découvertes tardivement. Elles sont souvent accompagnées de tentatives d’avortement pratiquées par les femmes sur elles-mêmes, ou de fantasmes violents envers l’enfant, allant jusqu’à l’infanticide. Les idées de suicide sont fréquentes. Il y a probablement des femmes qui se sont suicidés sans donner de raison lorsqu’elles ont découvert qu’elles étaient enceintes à la suite des viols qu’elles ont subi par leurs bourreaux129.

 

Le Dr. Odette Nyiramilimo a remarqué dans son travail que :

 

Les femmes entraient et disaient qu’elles ne voulaient pas l’enfant. D’autres décidaient de garder l’enfant et ne disaient rien sur le viol, mais au moment de l’accouchement, on les entendait lancer des cris du genre “mon enfant est un Interahamwe !” Au début quelques-unes ne voulaient même pas voir leurs bébés, et c’est seulement plus tard qu’elles les acceptaient130.

 

Des femmes ont souvent refusé de donner leurs vrais noms lors de leur admission à l’hôpital, préférant rester anonymes. Quelques-unes abandonnaient alors leurs bébés à l’hôpital, deux ou trois jours après l’accouchement. De nombreuses femmes ont demandé à voir un médecin de la même ethnie qu’elles131. Une femme a remis son bébé au Ministre de la Famille et de la Promotion des Femmes en disant : “C’est un enfant de l’Etat”. Les professionnels de la santé affirment qu’il y a eu des femmes qui ont accouché en secret pour commettre ensuite l’infanticide. Ils pensent aussi qu’un certain nombre de femmes qui ont accouché à l’hôpital ont laissé leurs bébés mourir aussitôt qu’elles sont retournées chez elles. Ils rapportent des cas ou des femmes qui avaient d’abord décidé de garder leurs bébés, ont juste jeté un regard sur eux dans la salle d’accouchement, et ayant remarqué une vague ressemblance avec les hommes qui les avaient violées, ont abandonné les bébés.

D’autres ont décidé d’accepter leur enfant. Dans quelques familles, la décision de la mère de garder l’enfant a été une source de graves divisions dans la famille. Dans d’autres familles, l’enfant est élevé normalement au sein de la communauté. Des femmes parlent des problèmes auxquels elles doivent faire face :

 

Marcelline, une survivante violée âgée de trente-sept ans, est une de ces femmes qui ont décidé de garder leur bébé. Elle a été violée par un Interahamwe dans la Commune Musambira pendant le génocide. Il l’a brutalement jetée sur le sol et lui a dit “Je dois te violer, sinon, je te tue”. Après l’avoir violée, il lui a pris tout son argent et l’a laissée nue. Elle dit : “Je ne voulais même pas ouvrir mes yeux. Il y avait des cadavres partout”. Quand elle s’est rendue compte qu’elle était enceinte, elle n’en a pas fait un drame parce qu’elle était convaincue que de toute façon, tôt ou tard, elle allait être tuée. Cependant, comme elle avait survécu au génocide, elle a accepté son bébé, une petite fille. “L’enfant est innocente. Elle ne sait rien. Elle a le droit de vivre,” explique Marcelline. “Mais personne ne sait que c’est un enfant d’un Interahamwe. Personne ne parle de ce qui est arrivé”132.

 

Alphonsine avait dix-neuf ans et habitait chez ses grands-parents dans la Commune de Taba quand les Interahamwe les ont attaqués le 12 avril 1994. Elle parvint à s’échapper par la fenêtre de derrière mais fut attrapée par un Interahamwe. Elle raconte :

 

Il me dit qu’il sait que même si je suis hutu, mes grands-parents sont tutsi (ma mère est tutsi) et qu’il allait les tuer si je ne lui cédais pas. Il m’amena dans un champ de sorgho, me jetta par terre et me viola. Avant de me quitter, il me demanda de lui dire où nous cachions tout notre argent. Après leur départ, je me suis enfuie chez mes parents. Je n’ai pas vu de médecin après le viol, mais quelques mois plus tard, je me suis rendue compte que j’étais enceinte. J’étais furieuse d’être enceinte et j’ai même pensé à avorter, mais je n’avais pas d’argent et aucun moyen de le faire. Je mis au monde des jumeaux en janvier 1995. A l’époque, je les ai accepté; je n’ai même pas pensé à les tuer. Ils ont survécu onze mois, puis ils sont morts. Je les avais emmenés à l’hôpital, mais ils n’avaient rien diagnostique d’anormal. Ma famille savait que j’avais des enfants d’un Interahamwe. Ils ont tous accepté ce fait, mais de temps en temps, ma mère se plaignait des enfants et disait qu’ils n’étaient pas des enfants de notre famille. Parfois, quand ils pleuraient, ma mère me disait d’arrêter ces pleurs ou de les emmener chez leur père. Je pense encore beaucoup à ce viol. Je me demande si je n’ai pas le sida133.

 

Un autre cas concerne Francine, une fille de treize ans, dont la famille a été exterminée avant qu’un Interahamwe ne l’enlève pour l’emmener au Zaïre, où il l’a gardée pendant quatre mois. Elle parvint à retourner à Kigali en décembre 1995, ou elle retrouva sa tante. Francine nia avoir été abusé sexuellement, mais peu de temps après il devint clair qu’elle était enceinte. Un de ses cousins voulait que Francine avorte, mais sa tante, une catholique fervente, pour être sûre que son neveu ne la fasse pas avorter, enferma la jeune fille dans sa chambre jusqu’à ce qu’elle accouche.

Francine a un bébé maintenant, mais le cousin a décidé de ne plus mettre les pieds chez sa mère. Un autre cas concerne une jeune femme de vingt-deux ans qui a décidé de garder un enfant issu d’un viol contre la volonté de sa famille; cette dernière a donné comme nom à l’enfant “enfant de la haine”. Plus tard, la mère a changé le nom de son enfant134.

 

Rose, une femme hutu dont le témoignage de viol a été mentionne plus haut, donne sa réponse sur son sort quand elle est s’est sue enceinte :

 

Quand je me suis rendue compte plus tard, que j’étais enceinte, j’ai été vraiment malheureuse. J’ai pensé à l’avortement mais j’avais peur de mourir. Je savais que j’allais avoir un enfant non désiré et que je n’avais pas les moyens de l’élever. Mais je ne voulais pas non plus me conduire comme un Interahamwe et abandonner mon enfant. Alors, j’ai décidé de garder mon bébé. Il a aujourd’hui un an et quatre mois. Presque tous les membres de ma famille ont refusé d’accepter mon bébé – c’est 1’enfant d’un Interahamwe. Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient pas d’un enfant de gens aussi vicieux. Ils m’ont toujours fait comprendre que quand mon enfant sera grand, ils ne lui donneront pas même un mètre carré de leur terre. Je me demande ce qu’il va devenir. Seul le Réseau des Femmes (une organisation locale qui lutte pour la promotion des droits de la femme) m’a accordé son soutien135.

 

Avant le génocide, les enfants qui naissaient en dehors du mariage n’étaient pas toujours bien vus, mais généralement ils trouvaient une place dans la famille de leurs mamans. Aujourd’hui, personne ne peut prédire quel sera le sort des enfants nés du viol pendant le génocide, au fur et à mesure qu’ils grandiront. “C’est une question insupportable”, a dit une femme rwandaise qui travaille dans une organisation ecclésiastique; “Pourrons-nous jamais le dire un jour à ces enfants non désirés ? Sauront-ils un jour la vérité ? Quelle sera la réaction de cet enfant quand il apprendra la vérité ? Que pourrait faire le gouvernement ?”136.

 

TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE DEVANT LA LOI

 

Aujourd’hui, des dispositions discriminatoires mais légales qui régissent l’inégalité entre les sexes continuent à avoir force de loi en violation de la constitution rwandaise et du droit international137. Un exemple : alors que le Code de la Famille de 1988, qui régit le mariage, la séparation et les enfants, reconnaît 1’égalité de l’homme et de la femme dans leur foyer, des dispositions contradictoires dans le Code de la Famille déclarent que l’homme est le chef naturel au foyer et qu’en tant que tel, c’est son opinion qui doit prévaloir. L’article 213 du Code de la Famille stipule aussi qu’une femme ne peut se lancer dans des activités commerciales ou s’engager dans un emploi quelconque sans l’autorisation de son mari138. En cas d’adultère, les dispositions du Code Pénal prévoient une punition plus grande pour la femme (de un mois à une année de prison) que pour l’homme (un à trois mois d’emprisonnement)139. Selon le Code Civil, une femme doit obtenir l’autorisation de son mari pour poser toute action légale dans laquelle elle doit apparaître en personne140. Le Code Civil stipule aussi qu’une femme rwandaise qui épouse un non-Rwandais peut perdre sa nationalité; alors qu’un Rwandais (homme) ne peut jamais perdre sa nationalité pour des raisons de mariage. De même, les enfants d’un homme rwandais obtiennent automatiquement leur nationalité, alors que les enfants d’une femme rwandaise mariée à un non-Rwandais ne sont pas éligibles à la nationalité rwandaise à moins que le père soit inconnu ou apatride141.

 

 

PROPRIÉTÉ ET DROIT A L’HERITAGE

 

Comme il a été rapporté dans le chapitre sur le statut de la Femme Rwandaise, les femmes sont extrêmement désavantagées et discriminées par le droit civil et la coutume. Depuis le génocide, cette discrimination a été encore plus apparente dans le domaine de la propriété et du droit à l’héritage.

La coutume est généralement suivie au Rwanda quand il n’y a pas de textes de loi qui traite explicitement du sujet donné et que la pratique usuelle n’est pas en contradiction avec la Constitution. Mais en réalité, la coutume qui comprend des lois discriminatoires contre les femmes, en violation de la Constitution, continue à être largement appliquée. Bien que le Code de la Famille indique généralement la voie à suivre dans le domaine des lois qui régissent la famille, il n’est pas très explicite sur les sujets se rapportant à l’héritage et aux droits de succession. En conséquence, c’est le droit coutumier qui est appliqué, même lorsque son application discrimine les femmes, sauf quand il existe un testament qui désigne explicitement les bénéficiaires. Et comme le droit coutumier désigne l’homme comme le chef de la famille, il lui reconnaît aussi le droit à l’héritage, le droit de donner les noms aux enfants, et de transmettre le nom de la famille. Avant le génocide, quand l’affiliation ethnique était enregistrée à la naissance, les hommes transmettaient leur identité ethnique à leurs enfants. Lorsque le mari décédait, les enfants pouvaient être séparés de leur mère et pris dans la famille de leur père parce que les enfants “appartiennent” au mari et à sa famille. En droit coutumier, les femmes n’héritent pas (en fait elles peuvent faire partie “des biens” qui appartiennent au mari et dont on peut hériter). A la mort du mari, le fils aîné devient le chef de la famille, ou la famille du mari réclame l’héritage142. Traditionnellement, les filles n’héritent pas de leurs pères ni des autres membres de la famille, sauf quand elles ne sont pas mariées et qu’il n’y a pas de successeur masculin, ou que le successeur masculin est introuvable143. Il y a eu des décisions judiciaires qui ont reconnu le droit à l’héritage aux filles non mariées, en l’absence d’un garçon. Dans les cas ou le garçon est encore mineur, la femme doit souvent obtenir l’autorisation d’un magistrat pour pouvoir gérer l’héritage jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge adulte.

Même lorsqu’on reconnaît aux femmes leurs droits (à la succession), il est rare qu’elles recherchent la protection de la loi, soit parce qu’il est difficile d’obtenir la réparation judiciaire, ou parce qu’elles sont intimidées par la procédure judiciaire.

Marie‑Claire Mukasine de Hagaruka affirme qu’un grand nombre de cas traité par Hayaruka ces jours-ci concernent le domaine du droit à la propriété :

 

C’est un grand problème pour les femmes des régions rurales. Quand une femme mariée essaie de récupérer la propriété de ses parents, on lui répond qu’elle a un mari, et qu’elle doit aller chez son marl. Quelquefois, la femme pense ainsi aussi et n’essaye même pas de recouvrer par voie judiciaire la propriété à laquelle elle a droit. Alors des parents mâles survivants prennent la propriété. Les orphelins aussi, éprouvent des difficultés à récupérer les terres de leurs parents. En droit, ces terres leur appartiennent, mais quelquefois, des conflits s’élèvent dans la famille et rendent la récupération difficile. Les orphelins sont d’habitude recueillis du côté maternel de la famille; mais c’est le côté paternel qui réclame le droit à la propriété (et pas toujours les enfants)144.

 

Une autre femme militante des droits de la Femme décrit comment ces questions affectent les femmes :

 

Les femmes ont perdu leurs familles, leurs maisons, leur propriété ‑ tout.

Aujourd’hui elles doivent élever leurs enfants qui ont survécu, et les enfants d’autres familles ou des amis qui ont disparu. La plupart des femmes qui ont tout perdu ont recueilli chez elles des enfants d’autres personnes. Mais elles n’ont pas droit aux propriétés qui devraient normalement revenir à ces enfants et les aider à survivre. Elles vivent dans des maisons abandonnes, mais elles ne peuvent pas investir leur argent dans leur réparation de peur de devoir un jour les abandonner au bénéfice des propriétaires. Elles sont souvent chassées des propriétés de la famille145.

 

Il y a des femmes qui ont survécu au génocide qui continuent d’habiter chez leurs parents, ou chez leurs amis, parce qu’elles ne sont pas capables d’avoir accès à leurs propriétés qui ont été occupées soit par les membres de la famille de leurs maris, ou par des Rwandais exilés qui sont revenus après le génocide.

Les veuves hutu ou les femmes hutu dont les maris sont actuellement en prison, accusés de génocide, sont aussi vulnérables car elles peuvent être forcées d’abandonner leurs propriétés. Un survivant hutu a identifié toute une série de contraintes auxquelles les femmes hutu font face pour pouvoir accéder à leurs propriétés :

 

Les survivants du génocide, qui sont pour la plupart des femmes, sont aujourd’hui accusés de collaboration par ceux qui sont revenus (les anciens réfugiés) pour que ceux-ci gardent leurs maisons. Ceux qui sont revenus du Burundi sont particulièrement extrémistes et accusent tous les Hutu sans distinction. Plusieurs femmes hutu qui ont voulu retourner dans leurs maisons ont eu la surprise de les trouver occupées par les anciens réfugiés qui sont revenus. Et lorsqu’elles essaient de récupérer leurs maisons, elles sont accusées de collaboration. D’autres femmes hutu dont les maris sont en prison, accusés d’avoir participée au génocide, ont le même problème. Elles sont impliquées par extension. Les survivants hutu sont pratiquement jetés dans la poubelle. Il n’y a pas de places pour les modérés dans ce pays. Je connais des cas où les soldats ont placé des familles entières dans des maisons d’autres personnes, et personne n’a osé le contester. Je connais également six personnes qui ont été jetées en prison pour avoir essayé de récupérer leurs maisons. L’une était une femme dont le mari est en prison146.

 

            L’équipe HRW/FIDH a interviewé une survivante hutu, appelée Thérèse, qui était mariée à un tutsi dans la Commune Taba. Son mari a été tué par des Interahamwe, dont certains ont été reconnus par elle-même. Ils lui ont laissé la vie sauve, disant qu’ils ne pouvaient pas la tuer parce qu’elle était hutu et l'ont obligée à quitter les inyenzi, en lui promettant de lui trouver un autre mari. Thérèse retourna dans sa famille et y resta jusqu’à la fin de la guerre. Quand après le génocide, elle voulut retourner chez son mari et reprendre sa maison, sa belle-sœur tutsi la chassa hors de la propriété :

 

A la fin de la guerre, je suis retournée dans ma maison. Ma belle-sœur vint me voir et me dit qu’elle ne voulait plus que j’habite dans la maison. La famille de mon mari me dit de ramener les enfants tout en demandant pourquoi je n’avais pas été tuée, moi aussi. Je suis restée calme. Ma belle-sœur me dit de ne pas revenir et d’aller trouver un autre mari parce qu’ils ne voulaient plus me voir habiter à côté d’eux. Je vis aujourd’hui dans ma famille. En septembre 1994 je suis allée voir le sous-préfet et je lui ai dit que j’avais été chassée de ma maison. Il m’a dit que ma belle-sœur n’avait pas le droit de me chasser de ma propriété. J’ai essayé d’y retourner, mais ma belle-sœur n’a dit que si je revenais, je ne connaîtrais pas un instant de paix. Et je la crois. Elle a accusé mes trois frères d’être des Interahamwe - alors que c’est faux ‑ et les a fait arrêter. Ils sont détenus dans la prison de Gitarama depuis mars 1995. Je n’ai plus essayé de revenir depuis lors, parce que ma belle-sœur a dit qu’elle me ferait arrêter sous le prétexte que j’apporte de la nourriture à mes frères qui sont en prison. Je ne suis plus retournée chez moi car je crains pour ma sécurité. J’ai peur que ma belle­-soeur ne me fasse du mal. Je connais trois autres cas comme le mien147.

 

En mars 1995, à la Journée Internationale de la Femme, le Président Pasteur Bizimungu a annoncé que le Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes allait revoir les lois discriminatoires qui frappent les femmes et les enfants. Le Ministère a commencé à revoir de façon approfondie la coutume et les dispositions légales qui ne respectent pas les normes du droit international. Une sous-­commission a été crée dans le but de revoir les lois discriminatoires qui se trouveraient dans le droit coutumier, le Code de la Famille, la Loi sur la Nationalité, le Code Civil, le Code de Commerce, la Loi sur l’emploi et le Code Pénal148. Ce travail s’est fait en trois phases : (1) réunion des experts pour relever les dispositions discriminatoires dans la loi; (2) consultation et éducation des femmes; et (3) incorporation des propositions émises par les femmes. La première phase a commencé en juin 1995 et s’est terminée en septembre de la même année. Au moment de la rédaction de ce rapport, le gouvernement est en train d’exécuter la deuxième phase. Cependant, ces initiatives bien que louables sont prises très lentement, alors que les réformes doivent être menées sans autre forme de délai. Si ces réformes prennent du temps, il est peu probable que les femmes auront la possibilité de retourner sur les terres dont on les a expropriées et qu’elles veulent récupérer. Entre-temps, le gouvernement n’a pas encore mis en place de mesures transitoires de protection pour empêcher les femmes d’être chassées de leurs propriétés. De plus, le gouvernement doit faire en sorte que les réformes légales soient vraiment mises en application, une fois que la révision des codes et des lois sera terminée, et que des programmes seront mis en place pour corriger les effets des lois discriminatoires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA REACTION NATIONALE ET INTERNATIONALE

 

ABSENCE DE REPARATION JUDICIAIRE AU NIVEAU NATIONAL

 

Peu après avoir pris le pouvoir à la mi-juillet 1994, le nouveau gouvernement a annoncé son intention de poursuivre à toutes les personnes accusées d’avoir commis des crimes pendant le génocide. Cependant, comme l’ancien gouvernement avait pris la fuite avec presque tous les fonds et l’essentiel de l’équipement utilisable appartenant à l’état, le nouveau gouvernement a commencé ses efforts avec peu de ressources pour mener les enquêtes et les poursuites. De plus, de nombreux juristes, juges et procureurs ont été tués pendant le génocide, ont eux-mêmes été impliqués dans les tueries, ou ont fui le pays149. En avril 1995, soit exactement un an après le début du génocide, le gouvernement rwandais a présenté à la justice les premières personnes accusées de génocide, mais leur procès a été ajourné le jour même pour permettre un complément d’enquête, et les audiences n’ont pas repris. Le gouvernement est confronté à d’énormes contraintes dans sa tentative d’utiliser le système judiciaire national pour traiter les quelque 80.000 cas allégués de génocide, et il est gêné par le manque de ressources humaines et matérielles. Le problème des ressources s’accompagne d’une absence manifeste de volonté politique de commencer les procès, et d’une hostilité croissante contre le personnel judiciaire, qui mène l’enquête trop vigoureusement150. Bien que des autorités dans les milieux judiciaires reconnaissent que beaucoup de prisonniers supposés avoir commis des actes de génocide sont probablement innocents, il est impossible de réfuter de fausses accusations devant les tribunaux. Dans certains cas, les juges et les procureurs qui ont examiné les cas et ordonné les libérations ont fait l’objet de menaces, de licenciement, d’emprisonnement ou de meurtre.

Ces deux dernières années, le gouvernement rwandais a reçu quelques 19 millions de dollars US de la Belgique, du Canada, de l’Allemagne, des Pays-bas, des Etats-Unis et d’autres donneurs internationaux afin d’aider à redonner vie au système judiciaire. Le gouvernement a utilisé l’argent pour payer les bâtiments et l’équipement et former le personnel, notamment les inspecteurs de police et les magistrats. Mais même avec cet apport financier, le système judiciaire reste paralysé, en grande partie parce que le gouvernement reste divisé sur la manière d’engager les poursuites judiciaires et de punir les personnes accusées de génocide. Il a continué à arrêter chaque semaine des centaines d’accusés, ce qui a provoqué un énorme engorgement des prisons et des centres de détention provisoire, ou 80.000 personnes attendent d’être jugées. Le Comité International de la Croix Rouge a jugé la surpopulation carcérale tellement importante que, pour la première fois depuis sa création, il a fourni des fonds destinés à construire de nouveaux centres de détention. En 1996, plusieurs officiers de police judiciaire et magistrats récemment formés ont été assassinés, et d’autres ont été confrontés à l’opposition d’administrateurs locaux, ce qui les a empêchés de fonctionner de manière indépendante, ou les a menés à leur révocation.

D’après les autorités judiciaires, les procureurs ont préparé plus de 4.000 dossiers de procès, et une centaine d’inspecteurs de police et de magistrats enquêtent sur d’autres affaires. Jusqu’ici, les dossiers comprenant des accusations de viol sont rares, voire inexistants151. Bien que les victimes de viol ne soient pas les seules à ne pas parvenir à obtenir justice, les femmes qui ont été violées sont confrontées à des problèmes importants et spécifiques dans la poursuite de leurs revendications. Premièrement, les inspecteurs de police ne collectent pas d’informations sur le viol de manière systématique. Le Directeur de Cabinet du Ministre de la Justice, Gerald Gahima, a déclaré l’équipe HRW/FIDH qu’au sein des équipes d’enquête du Ministère de la Justice, “Le viol n’a pas bénéficié de l’attention qu’il mérite. On s’est surtout concentré sur les tueries, et il n’y a pas eu tant de femmes tuées”152.

Certains enquêteurs judiciaires ne savent pas que le viol est passible de poursuites. Les inspecteurs se sont en fait détournés des femmes voulant dénoncer leurs violeurs. Ancille, qui a survécu à son viol, a déclaré : “Dans ma région, les autorités locales ont enregistré les morts, mais personne ne s’est inquiété des femmes ni de leurs problèmes”153. Perpétue, de la commune de Taba, a eu un échange plus direct avec un inspecteur :

 

Je suis allée déclarer ce qui m’était arrivé, aux autorités locales de Taba en mars 1996. J’ai parlé à l’inspecteur de la police judiciaire et lui ai dit que je connaissais les noms de certains des hommes qui m’avaient violée. Il m’a répondu que le viol n’était pas une raison d’accuser une personne, et qu’il n’y avait aucune raison de porter ce type d’affaire devant les tribunaux. Je n’ai déclaré mon cas nulle part ailleurs, parce que je n’ai pas d’argent pour aller ailleurs154.

 

Deuxièmement, on constate un manque d’enquêtrices judiciaires. Les femmes qui ont survécu à leur viol ont déclaré que si les inspecteurs de la police judiciaire avaient été des femmes, elles auraient déclaré les viols qu’elles ont subis. Marcelline, qui vit dans une maison abandonnée depuis que sa propre maison, ses cultures et son bétail ont été détruits, a déclaré ne pas avoir signalé son viol. Les autorités locales ont demandé à la communauté d’aller à Gitarama pour enregistrer les noms de tous les morts et de leurs assassins. Elle a indiqué qu’on avait demandé à d’autres femmes si elles avaient été violées, mais qu’elle n’avait rien dit sur son propre viol. “Il n’y avait aucune femme pour poser les questions. Si ç’avait été une femme, je lui aurais dit”, déclare-t‑elle, “C’est un crime, quand quelqu’un vous prend de force et, vous viole, n’est-ce pas ?”155. Une autre femme qui a survécu à son viol a déclaré: “S’il y avait eu des femmes juges, peut-être les femmes auraient-elles été plus disposés à aller vers elles pour les cas de viol”156.

Les femmes elles-mêmes ne donnent pas facilement ces informations et, dans certains cas, elles ne savent pas que le viol est un crime passible de poursuites. Dans d’autres cas, les femmes gardent le silence, par peur de représailles de la part de leur agresseur. Une femme, qui a été témoin du viol collectif et de la mort de sa fille de dix-neuf ans, a déclaré l’assassinat aux autorités locales, mais n’a pas évoqué le viol :

 

J’ai perdu ma fille d’une manière horrible. Je ne peux rien y faire, je ne peux plus croire en rien maintenant. L’homme qui a tué ma fille a été arrêté en novembre 1995. J’ai essayé de trouver les autres responsables de l’élimination de ma famille, mais ils ont tous quitté le pays. Je n’ai pas parlé du viol de ma fille, parce que je considère tout cela comme un meurtre. Si un viol se fait de force, c’est pareil qu’un meurtre. Je ne savais pas que le viol pouvait être jugé. On m’a seulement demandé comment ma fille a été tuée et si je l’avais vu moi-même. Je pleurais. Ce n’était pas la peine de dire qu’elle a été violée157.

 

Dans d’autres cas, les femmes n’ont pas dénoncé leurs violeurs parce qu’elles n’avaient pas confiance dans le système judiciaire et qu’elles craignaient des représailles. Dans certains cas, leurs agresseurs continuent à vivre près de chez elles, et même s’ils ont été emprisonnés, les femmes craignent qu’ils trouvent un moyen de se venger. Goretti, une victime de viol, a déclaré : “Je ne crois pas que cela vaille la peine d’accuser mes violeurs. S’ils sont libérés de prison, j’ai peur qu’ils me suivent et qu’ils me fassent encore plus de mal”158.

Le problème de rendre justice aux victimes de viol est extrêmement important. Le 9 août 1996, après plusieurs mois de débats, l’Assemblée Nationale a voté une loi régissant la poursuite des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda, au nombre desquels figure le viol (voir le viol comme crime selon le droit rwandais). Les poursuites et la punition des violeurs reconnaîtront l’injustice commise contre les survivantes, et contribueront à éliminer les traumatismes liés au viol en reconnaissant que le viol est un crime. Cependant, à cause des problèmes internes du système judiciaire, de la possibilité de condamnations réduites et de la réticence des femmes à se présenter en raison des stigmates et de la peur, la probabilité que justice soit rendue aux victimes de viol reste faible. L’impunité pour les violeurs perpétuera le silence entourant cette question, et enverra aux femmes rwandaises un message indiquant que la violence sexuelle contre elles n’était pas un crime.

 

LE TRIBUNAL INTERNATIONAL

 

Depuis 1990, la communauté internationale a adopté une réaction plus institutionnalisée que par le passé vis-à-vis des atrocités commises au cours des conflits. En particulier, deux Tribunaux Pénaux Internationaux ont été créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour demander aux coupables de violences d’en répondre dans le cadre d’une procédure internationale en ex-Yougoslavie et au Rwanda159. Les précurseurs de ces tribunaux ont été le Tribunal militaire international de Nuremberg et le Tribunal militaire international pour l’Extrême Orient (le Tribunal de Tokyo). En 1994, une commission d’experts a été constituée dans le contexte du génocide au Rwanda, conformément à la résolution 935 (1994) du Conseil de Sécurité, afin d’examiner et d’analyser des violations graves du droit international au Rwanda.

Le Tribunal international pour le Rwanda a été créé par la Résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité des Nations Unies. La résolution prévoyait que le Tribunal serait investi de l’autorité de poursuivre les personnes coupables de graves violations du droit international humanitaire commises au Rwanda et par des citoyens rwandais coupables de telles violations commises sur le territoire d’états voisins entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994. La ville d’Arusha, en Tanzanie, a été choisie pour siège du Tribunal, par la résolution S/1995/148 du 21 février 1995. Le Tribunal a commencé ses travaux le 26 juin 1995, jour de la première séance plénière de ses onze juges à La Haye, aux Pays‑Bas160. Le Tribunal est investi de l’autorité de poursuivre les personnes qui ont commis des actes de génocide, des crimes contre l’humanité et des violations de l’Article 3 commun des Conventions de Genève et du Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 (Protocole II) régissant les conflits armés non internationaux. Le génocide comprend les actes commis avec l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Le viol est manifestement un crime passible de poursuites aux termes du mandat du Tribunal international pour le Rwanda. Il est expressément indiqué comme l’un des crimes contre 1’humanité (avec l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, l’expulsion, l’emprisonnement, la torture, les persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, et les autres actes inhumains)161. Le statut du Tribunal international indique également expressément que le viol est une violation de l’Article 3 commun aux Conventions de Genève et au Protocole additionnel aux Conventions de Genève (Protocole II)162. Le viol peut aussi être une forme de torture aux termes du droit international, ainsi qu’un acte de génocide163. Actuellement, le Tribunal international pour le Rwanda effectue des enquêtes et réunit des preuves en vue de la mise en accusation des personnes accusées de l’organisation du génocide. Vingt et une personnes ont été mises en accusation, au terme de treize actes d’accusation, bien que neuf noms seulement aient été rendus publics ; les autres noms n’ont pas été divulgués, les intéressés n’ayant pas encore été arrêtés. Trois accusés sont en garde à vue à Arusha164, quatre au Cameroon165, un en Belgique166, et un en Suisse167. Cependant, à ce jour, le tribunal n’a pas encore commencé à juger les affaires. Les vingt et une personnes ont été mises en accusation selon plusieurs chefs d’accusation : génocide, crimes contre l’humanité, violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et violations du Protocole II.

Malheureusement, la façon dont le Tribunal international pour le Rwanda a mené ses enquêtes suggère fortement qu’à moins qu’il ne prenne des mesures actives, il se pourrait qu’il ne parvienne pas même à monter un seul procès pour viol. Le Tribunal a utilisé des procédures méthodologiques et d’enquête qui l’empêchent de collecter de façon effective des témoignages sur le viol au Rwanda. Peu de choses ont été faites pour inclure de façon adéquate la violence fondée sur le sexe des victimes au stade de l’enquête. En juillet 1996, développement positif, un Comité sur les Agressions Sexuelles a été créé au sein du Tribunal. Le comité se compose de représentants de chaque équipe d’enquête et traitera les questions stratégiques, légales et méthodologiques liées aux enquêtes.

Le Tribunal pour le Rwanda a également été confronté à d’importantes contraintes de ressources, de personnel et de logistique, car la communauté internationale n’a pas donné au Tribunal les moyens nécessaires pour réaliser avec efficacité le travail important pour lequel il a été créé. Bien que le Tribunal ait fini par recevoir, en juin 1996, des engagements pour un budget de 35 millions de dollars US, ce qui lui permettrait d’engager une centaine d’enquêteurs, le budget 1995 a été d’environ 16,9 millions de dollars US, dont seulement 1,6 million de dollars US a été dépensé. En août 1996, il n’y avait encore qu’une trentaine d’enquêteurs pour collecter une quantité massive de preuves. Sur ce nombre, quatre étaient des femmes. En ce qui concerne les crimes liés au sexe des victimes, les problèmes du Tribunal sont tous amplifiés. Si le Tribunal ne prend pas des mesures immédiates pour traiter ces problèmes et mener des enquêtes efficaces pour collecter les témoignages des victimes de viol, il sera trop tard, quand les affaires seront portées devant les juges du Tribunal, pour y inclure les accusations de viol.

Cependant, le manque d’enquête sur le viol est dû à des problèmes qui, pour une large part, ne sont pas liés aux ressources. Premièrement, l’absence d’enquêtes sur le viol résulte d’un manque de volonté politique de la part des responsables des enquêtes. Il est une perception largement répandue, chez les enquêteurs du Tribunal, selon laquelle le viol est en quelque sorte un crime “de second ordre”, “accessoire”, qui ne vaut pas la peine qu’on enquête dessus. Il y a également la fausse perception que, parce que les viols contre les femmes rwandaises ne reflètent pas exactement l’expérience des victimes de viol en Yougoslavie, qui impliquait des problèmes tels que la grossesse forcée, le Tribunal pour le Rwanda n’a pas besoin de perdre son temps à enquêter sur les viols rwandais.

Deuxièmement, il y a la fausse affirmation, de la part des membres du personnel du Tribunal, selon laquelle ils n’ont pas besoin de consacrer des ressources déjà rares à enquêter sur les viols, parce que les femmes rwandaises ne viendront pas parler. Le Procureur Adjoint du Tribunal International pour le Rwanda a déclaré à l’équipe HRW/FIDH que la raison pour laquelle ils n’ont pas collecté de témoignages de viol est que “les femmes africaines ne veulent pas parler de viol... Nous n’avons reçu aucune véritable plainte. Il est rare, au cours des enquêtes, que les femmes parlent de viol168. Comme l’indique le présent rapport, si les interrogatoires étaient menés dans des conditions de sécurité et d’intimité adéquates, et si les femmes rwandaises croyaient que le fait de témoigner aiderait à rendre justice, elles parleraient.

Troisièmement, même lorsque les enquêteurs du Tribunal essaient effectivement d’enquêter sur les viols, ils utilisent des techniques d’interrogatoire qui ne conviennent pas pour obtenir la confiance des femmes, susciter des témoignages sur les viols et assurer leur protection contre les représailles. Dans le contexte rwandais, il est essentiel que les femmes soient approchées par le biais d’un interlocuteur dans lequel elles ont confiance, par exemple un membre de la communauté ou d’une organisation féminine avec lequel elles sont familières. Les entretiens doivent être conduits dans l’intimité et sans la présence d’un groupe nombreux. Les femmes rwandaises ont également indiquée qu’elles se sentent plus à l’aise pour témoigner face à des enquêtrices, et lorsque cela est nécessaire, des interprètes féminines, en grande partie à cause des stigmates liés au viol. Dans certaines régions, les femmes ont même précisé que l’interprète féminine devrait être une survivante au génocide, et non une réfugiée de retour, en raison de la tension entre les survivants et ceux qui reviennent.

Le Tribunal a mené ses enquêtes sans tenir compte de ces facteurs ; c’est pour cette raison qu’il n’a pas recueilli de témoignages sur les viols. Les entretiens du Tribunal sont toujours menés par deux personnes, souvent avec un interprète kinyarwanda. La plupart des enquêteurs et des interprètes sont des hommes. Bien que les directives données aux enquêteurs leur rappellent de poser la question du viol, lorsque cela est pertinent, elles ne comprennent aucune autre instruction aux enquêteurs quant à la façon d’aborder la question d’une manière qui permettrait aux femmes de parler. Les enquêteurs du Tribunal ont également été réticents à travailler avec des organisations féminines locales pour l’identification des victimes de viol, alléguant que cela pourrait compromettre la perception d’impartialité (dont ils bénéficient auprès de la population).

La plupart des femmes rwandaises interrogées par l’équipe HRW/FIDH n’avaient pas entendu parler du Tribunal international, bien que certaines aient appris son existence par la radio. Aucune, cependant, n’avait parlé à un enquêteur du Tribunal. Celles qui avaient entendu parler du Tribunal ont insisté pour que celui-ci fasse quelque chose pour poursuivre le viol. Pour ces victimes de viol, un Tribunal pénal international pourrait être leur seule chance de voir dénoncer les crimes dont elles ont été les victimes, de voir poursuivre les auteurs de ces crimes et les commandants qui ont permis et participé aux viols et aux autres mauvais traitements, et de chercher réparation pour les agressions qu’elles ont subies. Clémentine, une victime ayant survécu à son viol, déclare : “J’ai entendu parler du Tribunal international, et j’espère qu’il peut faire quelque chose, parce que nous ne voulons pas que nos enfants voient ce que nous avons vu”169.

 

PROTECTION DES VICTIMES ET DES TEMOINS

 

Si les femmes acceptent de témoigner, une protection efficace des victimes de viol doit également être garantie par le Tribunal. Beaucoup de femmes craignent des représailles si elles témoignent. Ces craintes ne sont pas sans fondement. Les témoins et les survivants au génocide continuent à être tués, dans le pays et à 1’étranger. Pour d’autres femmes, les stigmates du viol les empêchent de se présenter si elles ne peuvent recevoir l’assurance que leur intimité sera protégée. A moins que le Tribunal prenne des mesures pour assurer qu’une intimité et une sécurité adéquates seront fournies aux survivantes de viol qui acceptent de témoigner, il est improbable que des femmes acceptent de le faire. Sans ces mesures, il est également probable que les efforts pour amener les criminels devant le Tribunal pourraient aggraver le traumatisme déjà subi par les femmes.

Le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international pour le Rwanda traite de la nécessité de protéger les témoins. L’article 34 prévoit la création d’une Division d’aide aux victimes et aux témoins :

(A)     Il est créé auprès du Greffier une Division d’aide aux victimes et aux

témoins, composée d’un personnel qualifié et chargée de :

(i)            recommander l’adoption de mesures de protection des victimes et des témoins conformément à l’article 21 du Statut ;

(ii)          fournir conseils et assistance aux victimes et aux témoins, particuti6rement en cas de viols et violences sexuelles.

(B)         Il est dûment tenu compte, lors de la nomination du personnel de la Division, de la nécessité d’y employer des femmes ayant une formation spécialisée170.

 

L’article 69 traite également de la protection des Femmes. Cet article évoque la non divulgation de l’identité d’une victime ou d’un témoin pour empêcher qu’ils ne courent un danger ou des risques, et ce jusqu’au moment où ils seront placés sous la protection du Tribunal, et prévoit également la divulgation du nom d’une victime ou d’un témoin “avant le commencement du procès et dans des délais permettant la préparation adéquate de la défense.

La Division d’aide aux victimes et aux témoins a été établie en juillet 1996 à Arusha, sous l’autorité du bureau du greffier, mais au moment de la rédaction de ce rapport, elle n’est pas encore opérationnelle. Etant donné que les procès doivent commencer fin septembre ou en octobre 1996, le Tribunal doit immédiatement répondre au besoin d’établir des mécanismes de protection des victimes et des témoins.

La Division d’aide aux victimes et aux témoins devrait déléguer aux gouvernements nationaux la protection des personnes identifiées par le Tribunal, puisque l’Unité ne dispose pas de sa propre force de protection. En principe, cela exigerait également des gouvernements de la région ‑ dont le Zaïre et le Kenya, qui ont d6jb refuse de collaborer avec les enqu6tes du Tribunal ‑ qu’ils prennent la responsabilité de protéger certaines personnes dont la sécurité est jugée menacée. Cependant, la grande majorité des femmes concernées se trouve au Rwanda, et par conséquent, les arrangements en vue de leur protection doivent être pris avec le gouvernement du Rwanda pour assurer la sécurité des personnes identifiées par le Tribunal.

Des services de soutien doivent également être fournis aux victimes et aux témoins, notamment un conseil juridique pour les préparer à témoigner, un conseil psychologique pour gérer le traumatisme, surtout pour les personnes ayant subi des agressions sexuelles, une attention médicale, le transport de la famille ou d’autres victimes pour accompagner les victimes ou les témoins à Arusha, et le déménagement des victimes, des témoins et de leurs familles, s’ils le souhaitent.

 

L’OPERATION SUR LE TERRAIN POUR LES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA

 

Il existe actuellement au Rwanda une Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme (HRFOR, Human Rights Field Operation in Rwanda). Son mandat comprend les responsabilités suivantes :

(a)   Effectuer des enquêtes sur les violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire, surtout en vue d’atteindre les objectifs de la Commission d’experts ;

(b)   Surveiller la situation actuelle dans le domaine des droits de l’Homme, essentiellement aux fins du mandat du Rapporteur spécial, et par leur présence contribuer à remédier aux problèmes existants et éviter que ne se produisent d’éventuelles violations des droits de l’Homme ;

(c)   Coopérer avec d’autres institutions internationales pour rétablir la confiance et faciliter ainsi le retour des réfugiés et des personnes déplacées et la reconstitution de la société civile ; et

(d)   Appliquer les programmes de coopération technique dans le domaine des droits de l’Homme, surtout dans le domaine du système judiciaire;171

(e)    Rendre compte au Haut Commissaire, qui mettra des informations à la disposition du Rapporteur Spécial sur la situation des droits de l’Homme au Rwanda et de la Commission d’Experts...172

 

Selon son mandat, il existe un certain nombre de domaines dans lesquels l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme peut traiter des violations des droits de l’Homme fondées sur le sexe des victimes, notamment par la réalisation d’enquêtes et de rapports sur les violences sexuelles perpétrées par des acteurs de l’Etat, et le suivi des problèmes de justice que rencontrent actuellement les femmes lorsqu’elles essaient de porter des accusations de viol devant le système judiciaire rwandais. L’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme devrait utiliser son rôle de surveillance et de conseil à garantir le bien titre des femmes qui sont déjà victimes de génocide, et demander une assistance pour bénéficier de l’égalité de protection aux termes de la loi, notamment le respect sans discrimination de leurs droits à la propriété et à la succession. Pour le moment, cependant, l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme n’a aucun objectif thématique pour traiter les problèmes actuels de droits humains rencontrés par les femmes.

 

LA REACTION INTERNATIONALE

 

Depuis juillet 1994, la communauté internationale a dépensé environ 2,5 milliards de dollars US pour les camps de réfugiés rwandais au Zaïre et en Tanzanie, et a consacré 572 millions de dollars US à des programmes au Rwanda même173. Cette orientation massive vers les réfugiés, dont beaucoup ont participé au génocide, a causé un ressentiment considérable au Rwanda, tant de la part du gouvernement rwandais que de la part des citoyens rwandais.

Dans le programme global d’aide au Rwanda, des montants relativement faibles sont consacrés aux problèmes liés au sexe des personnes, qui vont de l’assistance aux femmes pour le logement, le crédit et les activités génératrices de revenus aux coins de santé et aux conseils psychologiques liés aux traumatismes. Bien que le niveau d’aide accordée au système judiciaire rwandais soit considérable, il n’existe actuellement aucun programme destiné à accroître la capacité de la police rwandaise ou des inspecteurs de police judiciaire à enquêter sur les crimes liés au sexe des victimes, dont le viol et les violences sexuelles pendant le génocide, et les abus subis actuellement par les femmes. Une assistance est actuellement fournie pour la réforme des aspects discriminatoires de la loi, notamment le droit successoral, mais il en faudrait beaucoup plus pour faire avancer la situation.

 

LES NATIONS UNIES

 

La plupart des bailleurs de fonds fournissent une assistance au Rwanda soit par l’intermédiaire des agences des Nations Unies, soit par des organisations non gouvernementales internationales. L’aide des donneurs passant par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) depuis le début de la crise s’élève à 53 millions de dollars US. Cette aide a financé des projets pour le secteur de la justice, la reconstruction des structures statiques, les réfugiés et les personnes déplacées sur le territoire national. Le PNUD considère que l’aide aux femmes est couverte par les projets à destination des groupes vulnérables, tels que la réinstallation et le logement. Ces projets sont soutenus par des financements provenant du Japon (2 millions de dollars US) et les Pays-Bas (2.978.000 dollars US)174.

En mai 1996, le PNUD a approuvé huit projets dans le secteur de la justice, pour un montant de 12,7 millions de dollars US. Les projets comprennent la formation du ministre public, l’affectation de conseillers juridiques étrangers pour aider aux procès de génocide, la fourniture de moyens de transport et d’autres équipements aux inspecteurs de la police judiciaire, et la construction de locaux de détention. Aucun de ces projets ne vise des questions liées au sexe des personnes. Les contributions à ces programmes sont venues des Pays-Bas, du Royaume Uni, de Suède, des Etats-­Unis, de Suisse, du Japon, de Finlande, d’Espagne et d’Irlande.

Le Fonds des Nations Unies pour le Développement des Femmes (UNIFEM, United Nations Development Fund for Women) finance des programmes pour les femmes dans des camps de personnes déplacées et des groupes de femmes de retour au Rwanda. Par l’intermédiaire de son initiative Femmes Africaines en Crise, l’UNIFEM se concentre sur la santé génétique, la gestion du traumatisme, et l’amélioration de la qualité de la vie (y compris la formation technique et les projets générateurs de revenus) à destination des femmes et des jeunes filles au Rwanda. Le programme est financé à hauteur de 885.000 dollars US comme suit : 210.000 dollars US pour le projet la santé génétique et gestion du traumatisme, 175.000 dollars US pour le projet de génération de revenus pour les femmes, et 500.000 dollars US pour les fournitures et la logistique. En 1994, le gouvernement suédois a apporté au projet 135.000 dollars US. En 1995, le gouvernement du Luxembourg a apporté 210.000 dollars US. De plus, le PNUD a récemment approuvé un projet de fonds japonais de 1 million de dollars US destiné à la fourniture d’un toit pour les veuves et a l’habilitation économique des femmes, projet devant être exécuté par le Ministère des Femmes et géré par l’UNIFEM175.

Le Fonds des Nations Unies pour les Enfants (UNICEF, United Nations Children’s Fund) a institué un programme avec le Ministère de la Justice pour la protection des enfants en conflit avec la loi, qui comprend également des programmes pour les femmes en détention, tel que la défense et le soutien aux femmes enceintes et aux femmes en prison avec leurs enfants, le renfort de l’Unité d’Inspection du Ministère de la Justice pour la surveillance des conditions de détention dans les prisons et les geôles municipales pour les femmes et les enfants, l’appui à la Gendarmerie pour la création d’équipes spécialisées d’officiers de police judiciaire dans chaque préfecture, qui seront formées aux procédures d’arrestation, de détention et au traitement des femmes et des enfants en général.

 

LES ETATS‑UNIS

 

Comme d’autres donateurs, les Etats-Unis ont apporté l’essentiel de leur aide aux camps de réfugiés : sur un total de 750 millions de dollars US d’aide humanitaire à la région des Grands Lacs depuis 1994, 408 millions de dollars US ont été envoyés aux camps, 243 millions de dollars US au Rwanda, et 100 millions de dollars US au Burundi176. Les chiffres relatifs à l’aide aux catastrophes ont également considérablement diminué depuis le début de la crise : les Etats-Unis ont apporté 31 millions de dollars US au second semestre 1994, contre 25 millions de dollars US seulement en 1995, et enfin 2 millions de dollars US en 1996.

L’aide américaine actuelle est répartie sur deux programmes : démocratie et gouvernance, qui comprend l’administration de la justice, et l’aide aux personnes déplacées, y compris la santé, la sécurité alimentaire, la réunification des familles et l’aide aux orphelins. L’aide aux femmes relève de la seconde catégorie. Le gouvernement américain a reconnu l’importance d’apporter une aide aux femmes rwandaises, dont beaucoup sont veuves et, pour la première fois, chefs de famille. Dans une allocution prononcée lors de la Table Ronde pour le Rwanda les 20 et 21 juin 1996, Richard McCall, Chef du personnel de l’U.S.A.I.D (Agency for International Development) a identifié l’aide aux femmes comme un objectif américain :

 

Une attention soutenue doit être accordée aux programmes de crédit fournissant des fonds aux femmes travaillant ensemble au rein de groupements coopératifs, afin d’identifier et de répondre à leurs besoins de revenus familiaux et communautaires. La majorité de ces projets en cours sont mis en oeuvre par des associations ou des groupes de femmes constitués de veuves ou de femmes qui s’occupent, en moyenne, de deux à quatre enfants adoptifs en plus des leurs. II est manifeste que les femmes du Rwanda sont des agents essentiels de changement au niveau local, au cours de cette importante phase de transition.177

 

A cette fin, le Bureau des Initiatives de Transition (OTI, Office of Transition Initiatives) du Département d’Etat américain finance un projet dénommé “Initiative Femmes en Transition”, conçu comme un partenariat entre le Ministèrede la Famille et de la Promotion des Femmes et l’USAID, visant à aider les femmes, en particulier les veuves et les chefs de famille, à reconstruire leurs vies. Au cours de 1’exercice 1995, l’OTI a fourni 1 million de dollars US, et l’USAID devrait fournir 750.000 dollars US supplémentaires en 1996 (avec les fonds de l’exercice 1995). Les domaines prioritaires de financement sont les programmes concernant les logements et le crédit, puis l’agriculture, l’éducation aux droits des femmes, l’alphabétisation, la mobilisation des communautés, les entreprises coopératives, et le renforcement des capacités des structures bénéficiant aux femmes aux niveaux central et communal.

Le gouvernement des Etats-Unis apporte également son aide au système judiciaire. Au cours de l’exercice 1995, les Etats-Unis ont fourni 4,3 millions de dollars US au système judiciaire rwandais, 275.000 dollars US pour une conférence de cinq jours sur le Génocide, l’impunité et la responsabilité au Rwanda en novembre 1995178, 139.000 dollars US pour un Conseiller en Justice devant travailler avec le gouvernement rwandais, 500.000 dollars US pour le Comité International de Sauvetage pour la réhabilitation des bâtiments de justice, 1,2 millions de dollars US pour la formation de la police, que ce soit la gendarmerie ou la police municipale179, 100.000 dollars US pour la formation juridique bilingue à l’Université de Butare180, 1 million de dollars US pour des cartes d’identité, et 40.000 dollars US pour des traductions sommaires en anglais des lois rwandaises.

En 1995, les Etats-Unis ont, de plus, fourni 1,2 millions de dollars US à l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda, 3 millions de dollars US au Tribunal international, et 500.000 dollars US au cours de 1’exercice 1996.

Il est louable que les Etats-Unis aient fourni une aide aux femmes en général par le biais de l’Initiative Femmes en Transition, mais il devrait également s’assurer qu’une partie de son aide au système judiciaire, au Bureau des droits de l’Homme des Nations Unies, et au Tribunal international soit utilisé pour aider à traduire devant la justice les coupables de viols et d’autres agressions contre les femmes.

 

L’UNION EUROPÉENNE (UE)

 

L’assistance de l’Union Européenne au Rwanda depuis 1994 se monte à un total de 535.071.646 ECU (417 millions de dollars US), comprenant une aide financière et technique à la reconstruction du système judiciaire et aux femmes en développement, avec une composante pour la révision des codes juridiques et de l’aide judiciaire aux femmes. L’essentiel de l’aide est humanitaire, et fournie par le biais de l’office humanitaire de la Communauté Européenne (ECHO, European Community Humanitarian Office) : cette part se monte à 355.430.000 ECU (277 millions de dollars US).

L’Union Européenne a également fourni environ 1.500.000 ECU (1 170 000 dollars US) au Tribunal international. Pour l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda des Nations-Unies, l’EU a fourni 1.059.069 ECU (826.000 dollars US) en 1995, et 5.479.992 ECU (4.275.000 dollars US) en 1996.181

 

LES PAYS‑BAS

 

En 1995 et 1996, le gouvernement des Pays-Bas a fourni environ 101,7 millions de dollars US pour le secours et la reconstruction au Rwanda et dans la région des Grands Lacs182. Pour le Rwanda, ce montant comprenait 16 millions de dollars US pour le Fonds du PNUD, 13,5 millions de dollars US pour le système judiciaire, 4,2 millions de dollars US pour les prisons et la police, 19 millions de dollars US pour l’installation des personnes déplacées et des réfugiés, et 11,82 millions de dollars US aux projets bilatéraux. Le programme judiciaire comprenait la formation des magistrats et des inspecteurs de la police judiciaire, ainsi que l’envoi de vingt et un experts au Tribunal international pour le Rwanda. Le programme prisons/police comprenait l’appui à la formation du PNUD à destination de la police municipale. La formation des personnes travaillant sur les questions de justice aux niveaux national et international posées par les crimes contre les femmes fondés sur le sexe des personnes concernées devrait être intégrée à ces programmes.

Les Pays-Bas fournissent également le financement de programmes éducatifs, un expert consultatif pour le Ministère de la Santé, et le Fonds de Développement des Femmes du Ministère des Femmes et de la Famille. Le gouvernement hollandais doit s’assurer que son programme global répond aux besoins spécifiques des femmes du Rwanda.

 

 

 

 

 

 

 



[1] Voir Human Rights Watch, Slaughter Among Neighbors : The Political Origins of Communal Violence (New Haven: Human Rights Watch/Yale University Press, 1995), pp. 3, 13-32.

[2] Lorsque le FPR lança son offensive militaire afin de mettre un terme au génocide et qu’il s’empara du pays, on I’accusa de s’être vengé contre les civils Hutu. Cependant, on a rapporté peu de cas de viols. Cela a été attribué à la présence de combattantes féminines dans les rangs du FPR et à la stricte discipline qui était alors exigée par ses chefs.

[3] Voir aussi Human Rights Watch/Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, "Persistance de l’Etat de crise au Rwanda", La Lettre de la FIDH, Hors-série n°206, juin 1995: Communiqué de presse HRW/FIDH "Nouvelles attaques contra le personnel judiciaire au Rwanda", 13 mai 1996 et Communiqué de presse "HRW/FIDH condamnent les nouveaux massacres au Rwanda", 30 juillet 1996.

[4] Entretien de HRW/FIDH avec un membre de l’Association des femmes chefs de famille, Kigali, 28 mars 1996. Beaucoup deRwandais croient qu’il était interdit aux soldats hutu de se marier avec des femmes tutsi. Il apparaît qu’il s’est agi d’une règle non écrite plutôt que d’un règlement official. En fait un certain nombre d’officiers militaires étaient mariés à des femmes tutsi au moment du génocide. Ainsi, si la règle existait, elle était postérieure à ces mariages ou elles n’avait pas été appliquée rigoureusement.

[5] Enquête HRW/FIDH, Kigali, 25 mars 1996.

[6] Jean-Pierre Chrétien, Rwanda: les médias du génocide, (Paris: Karthala et Reporteurs sans Frontières, 1995 ed.), pp. 45-47.

[7] Ibid., pp. 336, 368.

[8] Ibid., pp. 32.

[9] African Rights, Death, Despair and Defiance, rev. ed. (London: African Rights, 1995), pp. 74-75.

[10] Kangura, n° 19, juillet 1991 rapporté aussi par J.P. Chrétien dans, Rwanda: les Médias du génocide, pp. 141.

[11] Kangura, nº 29, janvier 1992, pp. 16-17 et repris in J.P.Chrétien, Ibid., pp. 146.

[12] Enquête de HRW/FIDH, Kigali, 18 mars 1996.

[13] Enquête de HRW/FIDHm auprès d’un membre de l’Association des femmes chefs de familles, Kigali, 28 mars 1996.

[14] Enquête de HRW/FIDH, Kigali, 19 mars 1996.

[15] Charles Ntampakam La femme et la fille dans leur famille d’origine, (Kigali: Hagaruka, Association pour la défense des droits de la femme et de l’enfant. Ambassade des États-Unis, 1993), pp. 24-25, traduction libre.

[16] Ce chiffre était valable en 1992. Ibid., pp. 13, 54.

[17] Gouvernement du Rwanda, Rapport National du Rwanda pour la Quatrième Conférence Mondiale sur les femmes (Beijing), septembre 1995, pp. 19, traduction libre.

[18] Ibid., pp. 70.

[19] Ibid., pp. 13.

[20] Ibid., pp. 19-20.

[21] Ibid., pp. 53.

[22] Ibid., pp. 20.

[23] Ntampaka, La Femme et la Fille dans la Société, pp. 6.

[24] Gouvernement du Rwanda, Rapport National, pp. 37.

[25] Réseau des femmes oeuvrant pour le développement rural. Profil socio-économique de la femme rwandaise, Kigali, mai 1991, pp. 47.

[26] Article 4, Des Commerçants et de la Preuve des Engagements Commerciaux (1925), repris in Delphine Tailfer, Recueil de Textes dur les Droits de la Femme, (Kigali: Projet de Révision Légale, Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes/UNICEF, 1995), pp. 50.

[27] Ntampaka, La Femme et la Fille dans la Société, pp. 12 (Article 121 du Code du Travail).

[28] Gouvernement du Rwanda, Rapport National, pp. 43.

[29] Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, “Enquête effectuées auprès des victimes”, mars-avril, 1995.

[30] Gouvernement du Rwanda, Rapport National, pp. 43.

[31] Catherine Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda” in, Rwanda: Un génocide du XXè siècle, Raymond Verdier, Emmanuel Decaux, Jean-Pierre Chrétien eds., (Paris: éditions, L’Harmattan, 1995), pp. 18.

[32] Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, “Enquête effectuée auprès des victimes.”

[33] Nations Unies, Rapport sur la Situation des Droits de l’Homme au Rwanda, présenté par Mr. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des Droits de la Commission des Droits de l’Homme, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994, E/CN, 4/1996/68, 29 janvier 1996, pp. 7.

[34] Entretien HRW/FIDH, Dr. Odette Nyiramilimo, Cabinet Médical du Bon Samaritain, Kigali, 18 mars 1996.

[35] Entretien HRW/FIDH, Commune de Rusatira, 23 mars 1996.

[36] Entretien HRW/FIDH, Bernadette Muhimakazi, Bon Pasteur, Kigali, 25 mars 1996.

[37] La plupart de l’information utilisée pour ce chapitre a été publiée dans The Global Report on Women’s Human Rights, pp. 1-99.

[38] Pour mentionner quelques exemples: durant la Seconde Guerre Mondiale, près de 200.000 Coréennes ont été des esclaves sexuelles pour l’armée japonaise. Pendant le conflit armé du Bangladesh, on estime que 200.000 femmes et filles ont été violées par des soldats Pakistanais. Les viols de masse ont été pratiqués depuis le début du conflit en Ex-Yougoslavie. Pendant le conflit somalien qui débuta en 1991, les groupes ethniques rivaux ont utilisé le viol. Durant la seule année 92, 882 femmes auraient été violées par les forces de sécurité indiennes à Jammu et dans le Kashmir. Au Pérou, en 1982, les forces de sécurité ont souvent utilisé le viol comme une arme dans le cadre du conflit qui opposait le Parti Communiste du Pérou, le Sentier Lumineux, et les force anti-insurrectionnelles du gouvernement. Au Myanmar, en 1992, les troupes gouvernementales ont violé les femmes d’un village musulman de Rohungya après avoir mis les hommes au travail forcé. Sous l’ancien gouvernement haïtien du général Raoul Cédras, le viol était utilisé comme un instrument de pression politique contre les femmes militantes ou les femmes membres de la famille des opposants politiques. Voir, The Global Report on Women’s Human Rights, pp. 1-99, et le rapport préliminaire soumis par le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes (New York: Publications des Nations Unies, 1994) E/CN. 4. 1995/42, pp. 72 et suivants.

[39] Rapport préliminaire soumis par le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes (New York: Publications des Nations Unies, 1994) E/CN. 4. 1995/42, pp. 73, 263.

[40] Par exemple, l’article 27 de la Quatrième Convention de Genève précise que “Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur”. Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, 6 U.S.T. 3516, 75 U.N.T.S. 287, Article 27. le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (Protocole II) interdit le viol de façon explicite, mais le caractérise comme nue atteinte à la dignité de la personne plutôt qu’une attaque physique. Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux, adapté le 8 juin 1977, Article 4, 2ème paragraphe, alinéa e, 125 UNTS 3, 16 ILM 1442 (1977) [Protocole II].

[41] Catherine N. Niarchos, “Women, War, Rape: Challenges Facing the International Criminal Tribunal for Former Yugoslavia”, Human Rights Quarterly (Baltimore, MD), vol 17, 1995, pp. 672, 674.

[42] La Déclaration de Vienne dit que “Toutes les violations de cette nature, y compris et en particulier le meurtre, le viol systématique, l’esclavage sexuel et la grossesse force, exigent des mesure particulièrement efficaces.” (Partie II, 38). La Plateforme de Pékin pour l’action note que “Tandis que des communautés entières subissent les conséquences des conflits armés et du terrorisme, les femmes et les petits filles sont particulièrement touches en raison de leur place dans la société et de leur sexe. Les violations massives des Droits de l’Homme, en particulier sous forme de génocide, le “nettoyage ethnique” comme stratégie de guerre et ses conséquences, ainsi que le viol – y compris les viols systématiques de femmes dans les situations de guerre – créant des exodes massifs de réfugiés et de personnes déplacées sont des pratiques odieuses qui sont condamnées fermement et doivent être stoppées immédiatement, et les auteurs de ces crimes doivent être punis.” (Section E, 131) 4e Conférence pour les femmes – Pékin 4-15 septembre 1995 – Traduction libre. Ces déclarations, qui ne sont pas des traits liant les États, définissent une nome international commune que les États doivent suivre.

[43] Le viol avait été instruit précédemment par le Tribunal International Militaire pour l’Extrême Orient (le Tribunal de Tokyo) qui avait reconnu coupable de violations des lois de la guerre un certain nombre de commandants japonais. Voir R.J. Pritchard et S. Magbanua Zaide, eds. Tokoyo War Crimes Trial, vol. I, (Indictment) (1981).

[44] L’article 1 du Statut du Tribunal pour le Rwanda prévoit: “Le Tribunal International pour le Rwanda aura le pouvoir de poursuivre les personnes responsables de sérieuses violations du droit international humanitaire commises sur le territoire des états voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, “Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies 955 (1994) établissent le Tribunal International pour le Rwanda, Annexe.

[45] La Quatrième Convention de Genève de 1949 dispose que “Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur”. De plus, l’article 147 de la même convention spécifie que “la torture ou les traitements inhumains, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de port des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé “sont des crimes de guerre, ou de sérieuses violations des Conventions. La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en tant de guerre, articles 27, 147: 75 U.N.T.S. 287. Le Comité International de la Croix Rouge considère que le viol fait partie des crimes identités à l’article 147 de la Quatrième Convention de Genève comme des violations graves. Theodor Meron, “Rape as Crime Under International Humanitarian Law”, American Journal of International Law (Washington, D.C.) vol. 87, juillet 1993, pp. 426, citant le Comité International de la Croix Rouge, Aide Mémoire, 2 décembre, 1992.

[46] La Commission Indépendante des Experts sur le Rwnadn a conclu que l’article 3 commun aux conventions de Genève et le Protocole II s’appliquent dans le cadre du conflit rwandais. Theodor Meron, “International Criminalization of Internal Atrocities”, American Journal of International Law (Washington, D.C.), vol. 89, No. 3, July 1995, pp. 561.

[47] Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux, ouvert à la signature le 12 décembre 1977, article 4(2)(a), 1125 U.N.T.S. 3, I.L.M 1442 (1977) [Protocole II]. Des dispositions similaires qui régissent la protection dans les conflits internationaux, ouvert à la signature le 12 déc. 1977, 1125 U.N.T.S. 3, (1977) [Protocole I]. L’article76(1) du Protocole I dispose que “les femmes doivent faire l’objet d’un respect particulier et seront protégées, notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et toute autre forme d’attentat à la pudeur”. L’article 86(2) du Protocole I rend les commandants qui avaient des informations sur les violations graves coupables eux-mêmes “s’ils n’ont pas pris toutes les mesures pratiquement possibles en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer cette infraction”. L’article 75 interdit expressément la mutilation. L’article 11(1) et (2) dispose que “les mutilations physiques” ne doivent pas être faites sur des “personnes au pouvoir de la Partie adverse ou internées, détenues ou d’une autre manière privées de liberté” à cause d’un conflit armé international.

[48] Yves Sandoz, Christophe Swinarski, Bruno Zimmerman, eds. ICRC Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Convention of 12 August 1949 (Geneva: Martinus Nijhoff Publishers, 1987), pp. 1375, para. 4539.

[49] La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, 23 I.L.M. 1027 (1984), définit la torture dans son article 1 “comme tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre official ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.”

[50] Traduction libre.

[51] Lettre du juge Richard Goldstone, Procureur, Tribunaux International des Nations Unies pour l’Ex-Yougoslavie et le Rwanda, adressée au Professeur Rhonda Copelon, Professeur de Droit et Directeur de International Women’s Human Rights Law Clinic, City University of New York, La Haye, 8 septembre, 1995.

[52] Selon le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, les crimes contre l’humanité n’étaient punissables que s’ils constituaient la raison même de la guerre. Theodor Meron, “War Crimes in Yugoslavie and the Development of International Law”, American Journal of International Law (Washington, D.C.), vol. 88, no. 1, January 1994, pp. 84-87. Depuis, aucun traité n’a défini le crime contre l’humanité, et la question demeure de savoir si les rimes contre l’humanité uniquement lorsqu’ils ont été commis en temps de conflit armé interne ou international. Mais le commentaire du Secrétaire Général des Nations Unies dur le Statut “suggère que les crimes contre l’humanité peuvent être commis en dehors des conflits internes ou internationaux”. Theodor Meron, “International Criminalization of Internal Atrocities”, American Journal of International Law (Washington, D.C.), vol. 89, no. 3, July 1995, pp. 557. En définissant les éléments de crimes contre l’humanité, l’article 3 du Statut pour le Tribunal du Rwanda ne fait aucun référence à la nature interne ou internationale du conflit. Il décrit les crimes contre l’humanité comme des crimes commis “dans le cadre d’un attaque généralisée et systématique”. Selon Meron, ce Statut “renforce le précédent créé par le commentaire sur le Statut du Tribunal pour l’Ex-Yougoslavie et augmente les possibilités de dire dans le future que les crimes contre l’humanité (en plus des crimes de génocide) peuvent être commis en temps de paix. Meron, “International Criminalization”, pp. 557.

[53] L’article 6(C) établit que les crimes contre l’humanité sont “les atrocités et délits comprenant, sans que cette rémunération soit limitative, l’assassinat, l’extermination, l’asservissement, la déportation, l’emprisonnement, la torture, le viol ou tous autres actes inhumains, commis contre la population civile, et les persécutions, pour des motifs d’ordre politique, racial ou religieux, que lesdits crimes aient constitué ou non une violation de la loi nationale du pays où ils ont été perpétrés.

[54] Convention pour le prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 UNTS 277.

[55] “Loi Organique sur l’organisation des infractions constitutives du crime du génocide ou de crimes contre l’humanité commises à partir du 1er octobre 1990”, adoptée par l’Assemblée Nationale de Transition le 9 août 1996.

[56] HRW/FIDH s’opposent à la peine de mort en toutes circonstances, considérant qu’il s’agit d’une atteinte au droit à la vie dans les cas suivants: 1) quand ils ont pour résultat une sentence exagérément légère ou 2) quand la sentence réduite sous-estime les violations avouées par l’accusé.

[57] HRW et la FIDH s’opposent à la peine de mort en toutes circonstances, considérant qu’il s’agit d’une atteinte au droit à la vie et qu’elle implique de la cruauté. De plus, nous nous inquiétons du fait qu’elle soit souvent mise en place de façon discriminatoire. En outré, tout système judiciaire étant faillible, cela implique que même lorsque la procédure est respectée, des personnes innocentes sont parfois exécutées. Parce qu’une exécution est irréversible, de telles erreurs judiciaires ne peuvent jamais être corrigées. HRW et la FIDH s’opposent donc au maintien et à la réintroduction de la peine de mort dans tous les pays, et s’opposent aux exécutions faites dans le cadre de la loi, quels que soient le moment et le lieu, et sans considération pour le crime et la procédure suivie.

[58] Selon l’article 9, le bureau du procureur a l’obligation de présenter une liste à la Cour Suprême. Cette liste doit être publiée trios mois après la publication de la loi sur le génocide et mise à jour, pour tous ceux qui sont poursuivis dans le cadre de la Catégorie 1. Une fois la liste publiée, toute personne avouant un crime de Catégorie 1 et dont les aveux sont acceptés et dont le nom ne figure pas sur la liste mise à jour pour le procureur ne seront pas poursuivis dans le cadre de la Catégorie 1, mais dans celui de la Catégorie 2 (si la victime est décédée) ou la Catégorie 3. Cependant, si l’on découvre plus tard que cette personne a commis des crimes qui ne sont pas inclus dans ses aveux, il peut être poursuivi dans le cadre de la catégorie appropriée à ce crime.

[59] Dans une version précédente de la loi, la Catégorie 3 inclut le viol. Cependant, la version adoptée par l’Assemblée Nationale Provisoire omet la mention du viol, mais ajoute la torture sexuelle comme un crime de Catégorie 1.

[60] Voir aussi Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda”; African Rights, Rwanda: Death, Despair and Defiance, pp. 748-797; Annie Arnou et Stev Van Thielen (directors), Devil’s children, (documentaire vidéo), (Belgique: BRTN-NV de Wereld Television Station, avril 1995); Coordination des Femmes Avocates, “Mission on Gender-Based War Crimes Against Women and Girls During the Genocide in Rwanda: Summary of Findings and Recommendations”, Genève, juillet 1995, et Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, “Enquête effectuée auprès des victimes.”

[61] Dans le contexte du génocide, en kinyarwanda, le terme kubohoza était utilisé pour signifier le viol. Littéralement, kubohoza signifie “aider à la libération”. Le terme est utilisé de façon ironique. Avec l’avènement du multipartisme politique au Rwanda, la force fut utilisée de manière accrue pour obliger les gens à changer de parti politique. Le terme kubohoza était utilisé au départ pour décrire ce phénomène. Plus tard, il fut utilisé pour décrire l’accaparement des terres, des ressources et éventuellement des femmes. 

[62] Les Interahamwe (en kinyarwanda, “ceux qui travaillent ensemble”), étaient des milices civiles de Hutu qui participaient activement au génocide sous la direction de l’armée et des autorités gouvernementales. Bien que le nom Interahamwe désignait officiellement l’aile jeune du Mouvement Républicain National Démocratique (MRND), l’ancien parti au pouvoir, le terme finit par designer par la suite toutes les milices qui participaient au génocide quelle que soit leur affiliation politique. En plus de ces milices, des gens du people étaient mobilisés de façon peu organisée ou encore entraînés à pilier, détruire, torturer et tuer.

[63] Gérard Prunier, The Rwanda Crisis: History of a Genocide, (Hurst and Company, London, et pour l’Amérique du Nord, Columbia University Press, New York, 1995), pp. 213-232.

[64] Entretien HRW/FIDH, Kigali, 18 mars 1996.

[65] Entretien HRW/FIDH, Bernadette Muhimakazi, Bon Pasteur, Kigali, 25 mars 1996.

[66] Les nommes de toutes les survivantes violées qui ont été interrogées ont changés afin de respecter leur anonymat et de préserver leur sécurité.

[67] Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

[68] Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

[69] Entretien HRW/FIDH, Kigali, 4 avril 1996.

[70] Entretien HRW/FIDH, Commune de Taba, préfecture de Gitarama, 26 mars 1996.

[71] Tutsikazi est le terme qui, en kinyarwanda, désigne la femme tutsi.

[72] Entretien HRW/FIDH, Commune de Kayenzi, préfecture de Gitarama, 26 mars 1996.

[73] Entretien HRW/FIDH, Commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

[74] Comme cela était précisé précédemment, le massacre en masse des femmes et des enfants commença dans plusieurs régions à partir de la mi-mai 1994.

[75] Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

[76] Entretien HRW/FIDH, commune de Kanzenze, préfecture de Kigali, 29 mars 1996.

[77] Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

[78] Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

[79] Entretien HRW/FIDH, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

[80] Entretien HRW/FIDH, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

[81] Entretien HRW/FIDH, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

[82] Voir aussi Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda”, pp. 19.

[83] Entretien HRW/FIDh, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

[84] Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

[85] Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

[86] Entretien HRW/FIDH, commune de Birenga, préfecture de Kibungo, 31 mars 1996.

[87] Entretien HRW/FIDH, commune de Birenga, préfecture de Kibungo, 31 mars 1996.

89 Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

90 Entretien HRW/FIDH, Kigali, 16 mars 1996.

91 Coordination des femmes avocates, “Mission on Gender Based War Crimes Against Women and Girls During the Genocide in Rwanda : Summary of Findings and Recommandations.”, p. 7.

92 Entretien HRW/FIDH, Docteur Gladstone Habimana, directeur du service maternité, Centre Hospitalier de Kigali, 18 mars 1996.

93 Entretien HRW/FIDH, Docteur Emile Rwamasirabo, directeur, Centre Hospitalier de Kigali, 16 mars 1996.

94 Entretien HRW/FIDH, commune de Kayenzi, préfecture de Gitarama, 26 mars 1996.

95 Entretien HRW/FIDH, commune de Nyarugenge, préfecture de Kigali, 8 avril 1996.

96 Certaines femmes hutu ont aussi participé et encourage le massacre et le viol des femmes tutsi. Voir African Rights, Rwanda : Not So Innocent : When Women Become Killers. (Londres : African Rights, 1995).

97 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 3 avril 1996.

98 Entretien HRW/FIDH, commune de Kanzenze, préfecture de Kigali, 28 mars 1996.

99 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

100 Entretien HRW/FIDH, Judith Kanakuzu, directeur général de Duterimbere, Kigali, 19 mars 1996.

101 Entretien HRW/FIDH, Marie-Claire Mukasine, coordinatrice, Hagaruka, Kigali, 20 mars 1996.

102 Entretien HRW/FIDH, Annunciata Nyiaratamba, Association des Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA), Kigali, 19 mars 1996.

103 Entretien HRW/FIDH, Ester Mujavayo, Association pour les Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA), Kigali, 18 mars 1996.

104 Ibid.

105 Entretien HRW/FIDH, Godelieva Mukasarasi, coordinatrice SEVOFA, Réseau des femmes, Taba, 26 mars 1996.

106 Entretien HRW/FIDH, commune de Birenga, préfecture de Kibungo, 31 mars 1996.

107 Entretien HRW/FIDH, Dr Emile Rwamasirabo, directeur, centre Hospitalier de Kigali, Kigali, 16 mars 1996.

108 Entretien HRW/FIDH, Dr Odette Nyiramilimo, Centre Hospitalier du Bon Sumaritain, Kigali, 18 mars 1996.

109 Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

110 Entretien HRW/FIDH, membre de l’Association des femmes chefs de familles, Kigali, 28 mars 1996.

111 Entretien HRW/FIDH, Ester Mujawayo, Association des Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA), Kigali, 18 mars 1996.

112 Ibid.

113 Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

114 Entretien HRW/FIDH, Ester Mujawayo, Association des Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA), 18 mars 1996.

115 Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda”; p. 24.

116 Une étude fut conduite sur 500 femmes, qui étaient venues pour des conseils pré-nataux, en mai 1995, au Centre Hospitalier de Kigali. Dans le groupe, 25% furent testées séropositives – cela correspond au même taux qu’avant la guerre.  60% des femmes de cet échantillon vivaient à Kigali avant la guerre et 40% à l’étranger. Sur les 127 femmes déclarées séropositives, 96% d’entre-elles vivaient à l’étranger avant la guerre. Cette étude souligne les difficultés d’émettre des conclusions solides en ce qui concerne la transmission du virus VIH pendant le génocide.  Entretien HRW/FIDH, Dr Emile Rwamasirabo, directeur du Centre Hospitalier de Kigali, 16 mars 1996.

117 Le sida est devenu la troisième cause de décès, au Rwanda. En 1993, 150.000 à 200.000 personnes étaient infectées selon les estimations. En décembre 1992, le pourcentage des femmes enceintes infectées était estimé à 8,5%. Dans les zones rurales, les estimations s’élevaient à 2,2%. A Kigali, parmi les patients atteints de maladies sexuellement transmissibles, le pourcentage des porteurs du VIH causant le sida, s’élevait à 73% chez les femmes et à 55% chez les hommes. Rapport National, Gouvernement du Rwanda, p. 58.

118 Entretien HRW/FIDH, Dr Emile Rwamasirabo, directeur du Centre Hospitalier de Kigali, Kigali, 16 mars 1996.

119 Rapport National, Gouvernement du Rwanda, p. 59.

120 Entretien HRW/FIDH, Janvière Mukantwali, Centre d’Information, de Documentation et de Conseil sur le SIDA (CIDC), Kigali, 12 avril 1996.

121 Article 325 du Code Pénal Rwandais: "Quiconque fera ingérer une nourriture, boisson, médecine, ou administrera des remèdes violents dans 1'intention de provoquer l’avortement chez une femme enceinte sans qu'elle ait donné son consentement, sera puni d'un emprisonnement de cinq à dix ans. Si la femme est consentante, les coupables seront punis d'un emprisonnement de deux à cinq ans. La femme qui permet volontairement de se faire avorter ou qui cherche à se faire avorter, ou qui consent à utiliser dans ce but ce qui lui est administré, sera punie d'un emprisonnement de deux à cinq ans. “Delphine Tailfer, Les Droits de la Femme dans la Législation Rwandaise et la Convention des Nations-Unies sur l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination à 1’égard des Femmes: Propositions de Révision Légale. (Kigali: Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes / UNICEF), p. 45.

122 Rapport National, Gouvernement du Rwanda, p. 72.

123 Entretien HRW/FIDH, Docteur Gladstone Habimana, directeur, service de maternité, Centre Hospitalier de Kigali, Kigali, 18 mars 1996.

124 Entretien HRW/FIDH Docteur Emile Rwamasirabo, directeur, Centre Hospitalier de Kigali, 16 mars 1996.

125 Ibid.

126 Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda”, p. 23.

127 Gouvernement du Rwanda, Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, “Enquête effectuée auprès des victimes”.

128 Entretien HRW/FIDH, auprès d’une femme hutu qui travaille pour une organisation non gouvernementale, Kigali, 18 mars 1996.

129 Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda,” p. 22.

130 Entretien HRW/FIDH, Dr Nyiramilimo Odette, Cabinet Médical du Bon Samaritain, Kigali, 18 mars 1996.

131 Bonnet, “Le viol des femmes survivantes du génocide du Rwanda.” p. 18.

132 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 26 mars 1996.

133 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

134 Entretien HRW/FIDH, Godelieva Mukasarasi, coordinatrice, SEVOFA, Réseau des femmes, Taba, 26 mars 1996.

135 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, Préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

136 Entretien HRW/FIDH, Mary Balikungeri, coordinatrice de programme. Service de l’Eglise du Monde, Kigali, 27 mars 1996.

137 Article 2 alinéa premier du Pacte international relatif aux droits civils et politique : “Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale de fortune, de naissance ou de toute autre situation.” L’Article 26 précise en outre que “Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi”.

138 Gouvernement du Rwanda, Rapport National, p. 29.

139 Articles 353-357 du code Pénal Rwandais. Charles Ntampaka, La Femme et le Mariage. Kigali: Hagaruka (Association pour la Défense des Droits de la Femme et de l’Enfant. Ambassade des Etats-Unis, 1993), p. 28.

140 Gouvernement du Rwanda, Rapport National, p. 29.

141 Delphine Tailfer, Les droits de la femme dans la législation rwandaise, p. 122. Voir aussi, Human Rights Watch/Africa/Women Rights Project, “Botswana: Second Class Citizens, Discrimination Against Women Under Botswana’s Citizen Act,” A Human Rights Short Report, vol. 6, nº7, septembre 1994.

142 Entretien HRW/FIDH, Jacques Kabale Nyangezi, avocat, Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, Kigali, 18 mars 1996 ; Ministère de la Famille et de la Promotion des Femmes, “Rapport de la Commission pour les Droits de la Femme,” Kigali (non daté).

143 Gouvernement du Rwanda, Rapport National, p. 31; Ntampaka, La Femme et la Fille dans leur Famille d’Origine, pp. 27-28.

144 Entretien HRW/FIDH, Marie-Claire Mukasine, coordinatrice, Hagaruka, Kigali, 20 mars 1996.

145 Entretien HRW/FIDH, Bernadette Muhimakazi, Cabinet Médical du Bon Pasteur, Kigali, 25 mars 1996.

146 Entretien HRW/FIDH, Bernadette Muhimakazi, Cabinet

147 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 3 avril 1996.

148 Voir la section sur le statut des femmes au Rwanda pour une analyse détaillée des dispositions discriminatoires.

149 HRW, “A New Catastrophe ? Increased International Efforts Required to Punish Genocide and Prevent further Bloodshed” (Une nouvelle catastrophe ? Nécessité de fournir des efforts internationaux accrues pour punir le génocide et empêcher de nouvelles effusions de sang), A Human Rights Short Report, vol. 6 nº12, décembre 1994, p. 12 ; HRW/FIDH, “Persistance de l’état de crise au Rwanda”, La Lettre de la FIDH, Hors-série nº206, juin 1995.

150 HRW/FIDH, communiqué de presse “Nouvelle attaques contre le personnel judiciaire au Rwanda”, 13 mai 1996.

151 Entretien HRW/FIDH, procureur, 3 avril 1996.

152 Entretien HRW/FIDH, Gerald Gahima, Directeur de Cabinet du Ministre de la Justice, Kigali, 4 avril 1996.

153 Entretien HRW/FIDH, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 2 avril 1996.

154 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 9 avril 1996.

155 Entretien HRW/FIDH, commune de Taba, préfecture de Gitarama, 26 mars 1996.

156 Entretien HRW/FIDH, Annunciata Nyiratamba, Association des Veuves du Génocide d’Avril (AVEGA), Kigali, 19 mars 1996.

157 Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 24 mars 1996.

158 Entretien HRW/FIDH, commune de Rusatira, préfecture de Butare, 23 mars 1996.

159 Dans le cas de la Yougoslavie, le Conseil de sécurité a dans un premier temps constitué une commission d’experts conformément à la résolution 780 (1992), puis le Tribunal pénal international pour la poursuite des personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. La Commission d’Experts a mené des enquêtes sur les violations du droit international humanitaire contre les personnes, notamment sur des exécutions extrajudiciaires, des tortures et d’autres violations du droit international humanitaire, en particulier dans les camps de détention. Ces enquêtes ont particulièrement mis l’accent sur les allégations de viol et d’agression sexuelle. Le rapport du Secrétaire Général, conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité, qui traite de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, évoque les crimes contre l’humanité comme des actes inhumains d’une extrême gravité, tels que l’homicide intentionnel, la torture ou le viol, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile quelle qu’elle soit, pour des raisons nationales, politiques, ethniques, raciales ou religieuses et il est dit que “dans le conflit qui a éclaté sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, de tels actes inhumains ont pris la forme de la politique dite du “nettoyage ethnique”, de viols généralisés et systématiques et d’autres formes de violence sexuelle, y compris la prostitution forcée”. Rapport du Secrétaire Général conformément à la résolution 808 du Conseil de Sécurité (1993) (S/25704), paragraphe 48, tel que cité dans le Rapport Préliminaire présenté par le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, p. 74-267.

160 Les juges de la chambre de première instance sont : Navanethem Pillay (Afrique du Sud), Lennart Aspegren (Suède), Laity Kama (Sénégal), Tafazzal Hossain Khan (Bangladesh), Yakov A. Ostrovsky (Russie) et William H. Cecal (Tanzanie). La chambre d’appel est constituée de George Ab-Saab (Egypte), Antonio Cassese (Italie), Jules Deschênes (Canada), Haopei Li (Chine) et Ninian Stephan (Australie). Le procureur Adjoint est le Juge Honoré Rakotomanana (Madagascar). Le Juge Navanethem Pillay est la seule femme de cette équipe. A partir de l’automne 1996, le Premier Procureur pour les deux Tribunaux sera le Juge Louise Arbour, une Canadienne. Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie compte actuellement deux femmes juges : Gabrielle Kirk McDonald (Etats-Unis) et Elizabeth Odio-Benito (Costa Rica).

161 Résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité établissant le Tribunal international pour le Rwanda, Annexe, Article 3.

162 Ibid. Annexe, Article 4.

163 Voir section sur “Les Protections juridiques nationales et internationales contre la violence basée sur une discrimination sexuelle”.

164 Les trois accusés détenus à Arusha sont Georges Anderson Nderubumwe Rutaganda, Jean Paul Akayesu et Clément Kayishema. Leurs audiences préliminaires se sont déroulées à Arusha le 30 et le 31 mai 1996. Ils ont plaidé non coupable.

165 Il s’agit de : Ferdinand Nahimana, Anatole Nsengiyumva, Theoneste Bagosora et André Ntajerura. Bagosora et Ntajerura ont été mis en accusation le 9 août, et le 10 août, le juge Lennart Aspergren a confirmé les mises en accusation et délivré des mandats d’amener. Leur transfert à Arusha interviendra dès que le Président du Cameroun en aura donné l’autorisation.

166 L’accusé détenu en Belgique est Joseph Kanyabashi.

167 L’accusé détenu en Suisse est Alfred Musema.

168 Entretien HRW/FIDH, Juge Honoré Rakotomanana, procureur adjoint, Tribunal International pour le Rwanda Kigali, 27 mars 1996.

169 Entretien HRW/FIDH, commune de Shyanda, préfecture de Butare, 26 mars 1996.

170 Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international pour le Rwanda/3, Rév. 2, 5 juillet 1996, Article 34.

171 Opération hors siège pour les droits de l’Homme aux Rwanda. Plan opérationnel provisoire. Non daté. p. 2.

172 Accord entre les Nations Unies et le gouvernement du Rwanda sur la situation de l’Opération sur le terrain pour les droits de l’Homme au Rwanda (non daté), p. 3. Traduction libre.

173 Au cours de la Table Ronde pour le Rwanda qui s’est tenu en juin 1996 à Genève, 617 millions de dollars US ont été promis pour 1997-1998.

174 Facsimilé de Mme Olubanke King-Akerele, Chef Division I, Bureau régional du PNUD pour l’Afrique, à Janet Fleischman, Human Rights Watch / Africa, 1er août 1996.

175 Facsimilé de Laketch Dirasse, Directeur général, UNIFEM/AFWIC, à Janet Fleischman, Human Rights Watch / Africa, 27 août 1996.

176 U.S. Agency for International Development, “Summary: USG Humanitarian Assistance for Burundi, Rwanda, and the Rwanda Regional Crisis, Fys 1994, 1995, and 1996” (Récapitulatif : Aide humanitaire USG au Burundi, au Rwanda et pour la Crise de la région du Rwanda, Exercices 1994, 1995 et 1996).

177 M. Richard McCall, Chef du personnel de l’U.S. Agency for International Development, “Déclaration des Etats-Unis”, Table Ronde pour le Rwanda, 20-21 juin 1996.

178 La conférence a recommandé d’institution d’une procédure accélérée pour les affaires de génocide, d’un fonds de compensation pour les victimes et d’une commission officielle du souvenir. L’USAID considère que sa principale contribution au système judiciaire est le débat de politique et le projet de législation découlant de la conférence sur le génocide.

179 Le Programme international d’aide à la formation à l’enquête criminelle (ICITQP, International Criminal Investigative Assistance Program) a débuté son activité au Rwanda en mai 1996. En avril, les officiers supérieurs de la police municipale et de la gendarmerie ont effectué un voyage de deux semaines aux Etats-Unis pour y découvrir les modèles de police américains.

180 En mai 1996, l’Université de Québec a envoyé des instructeurs en droit à l’Université de Butare pour enseigner le droit civil et développer un cursus anglophone. Dans la mesure où l’anglais est maintenant langue officielle au Rwanda et où de nombreux fonctionnaires du gouvernement ne parlent pas le français, ce programme constitue un effort pour encourager les anglophones à participer au système juridique fondé sur le droit français.

181 Lettre de B. Collingwood, VIII/E/2, G12-04/112, Commission Européenne, Direction du Développement Général, Afrique de l’Est et Australie, à Lotte Leicht, Directrice de Human Rights Watch Bruxelles, 31 juillet 1996.

182 L’assistance des Pays-Bas à la région des Grands Lacs en 1995 et 1996. Document fourni à Human Rights Watch / Africa par le Ministère des Affaires Etrangères hollandais, 1er août 1996.