Africa - West

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I. RESUME

Les élections présidentielles et législatives d'octobre et de décembre 2000 en Côte d'Ivoire ont été entachées de violences politiques qui ont fait 200 morts et des centaines de blessés. Au cours des mois précédant les élections présidentielles d'octobre et les élections législatives de décembre, les leaders politiques ont exploité les divisions ethniques pour se débarrasser de leurs rivaux, se sont servi de l'appareil d'Etat pour réprimer leurs adversaires et ont engendré haine et peur parmi des populations qui avaient vécu relativement harmonieusement pendant des décennies. Leurs actions ont mené à deux vagues de violence sans précédent qui ont choqué les Ivoiriens autant que les membres de la communauté internationale, et qui ont mis en exergue le danger que présente la manipulation des solidarités ethniques et des préjugés latents à des fins politiques. Il faudra prendre des mesures décisives pour surmonter le sentiment de soupçon et d'intolérance engendré pendant les élections; jusqu'à présent, ces mesures n'ont pas été prises.

La violence a ruiné les espoirs qu'avait la Côte d'Ivoire de rapidement retrouver sa position d'Etat à économie dynamique de l'Afrique occidentale francophone et de modèle régional de stabilité. Elle avait perdu cette position un an auparavant, en décembre 1999, lorsqu'un coup d'état militaire contre le gouvernement corrompu du président élu Henri Konan Bédié avait porté au pouvoir le Général Robert Guei. Le général Guei, qui avait promis que la Côte d'Ivoire retrouverait un gouvernement civil et qui avait programmé des élections à cet effet, en a tellement manipulé le processus que la légitimité des élections était déjà douteuse avant même qu'elles aient eu lieu. Une nouvelle Constitution introduite par le Général Guei et approuvée par un référendum en juillet 2000 exigeait que les deux parents de tout ivoirien désirant se présenter à l'élection présidentielle soient ivoiriens de naissance. Il est clair que cet amendement avait été conçu pour exclure du scrutin Alassane Ouattara, le chef du parti du Rassemblement des Républicains (RDR), le plus grand parti d'opposition. Le 6 octobre 2000, une décision controversée de la Cour Suprême a disqualifié quatorze des dix-neuf candidats présidentiels, y compris Ouattara en raison de sa citoyenneté, et l'ancien président Bédié pour ne pas avoir présenté un certificat médical correct. L'opinion générale était que les membres de la Cour Suprême, dirigée par l'homme qui était, à l'époque, le conseiller juridique du Général Guei, avaient été sélectionnés par Guei lui-même.

Le 24 octobre 2000, quand les premiers résultats ont indiqué que Laurent Gbagbo, chef du Front Populaire Ivoirien (FPI), menait au scrutin présidentiel, le Général Guei a dissous la Commission électorale nationale et s'est proclamé lui-même vainqueur. Deux jours plus tard, il fuyait le pays secoué par de violentes manifestations populaires en réaction à sa tentative de truquage des élections. Laurent Gbagbo restait alors seul en course pour l'élection présidentielle.

En dépit des sérieux doutes entourant la légitimité des élections - dus à la violence généralisée et à l'exclusion d'Alassane Ouattara du processus - Laurent Gbagbo a été intronisé président. Par la suite et notamment pendant les élections législatives de décembre, Laurent Gbagbo a employé les mêmes méthodes que son prédécesseur, tout particulièrement pour s'assurer que Ouattara, une fois de plus, ne puisse pas se présenter. Depuis son entrée en fonction, Laurent Gbagbo a refusé continuellement de reconnaître la manière irrégulière par laquelle il était devenu chef d'état, de promettre de nouvelles élections, de chercher les responsables des violences ou de prendre des mesures adéquates pour assurer que, sous sa direction, la Côte d'Ivoire serait un Etat de droit et non pas un pays caractérisé par les tensions ethniques et religieuses et l'impunité militaire.

Le 27 octobre 2000, la découverte des corps criblés de balles de cinquante-sept jeunes hommes dans une forêt de la périphérie d'Abidjan, le "Charnier de Yopougon " (du nom d'un faubourg près de la forêt) devint le symbole de la violence des élections et un test de l'aptitude et de la volonté du Président Gbagbo à contrôler les forces de sécurité impliquées dans le massacre. La majorité des morts, trente à quarante, avaient été détenus, parce soupçonnés d'être des partisans du RDR de Ouatara, dans le camp de gendarmerie d'Abobo, situé dans l'un des quartiers les plus peuplés et pro-RDR. Ils avaient été abattus le 26 octobre; il semble que ce fut une réaction impulsive d'au moins deux gendarmes à la nouvelle qu'un lieutenant de gendarmerie avait été tué par des partisans du RDR. Une opération ultérieure pour se débarrasser des corps fut préméditée et dirigée par un officier supérieur. Pendant cette opération, une trentaine de gendarmes ont arrêté et détenu plusieurs jeunes hommes pour leur faire porter les morts et les blessés. Ces jeunes ivoiriens ont ensuite été transportés avec les corps dans un convoi constitué d'un camion et de deux Jeeps et ont été exécutés dans la forêt par ces mêmes gendarmes.

Conjointement à ce massacre, il y a eu de nombreuses autres exécutions extrajudiciaires, ainsi que de nombreuses "disparitions", des violences sexuelles, des centaines de cas de torture et la destruction volontaire de biens. Avant la fuite du Général Guei, les victimes de ces attaques étaient aussi bien des membres du FPI de Gbagbo que du RDR de Ouattara; après la fuite de Guei, les principales victimes ont été des membres soupçonnés du RDR, des étrangers et des musulmans. Toutes ces violences n'ont généralement pas fait l'objet d'enquêtes et les victimes n'ont guère de possibilité d'avoir recours à la justice.

Le Président Gbagbo aurait dû mettre autoritairement sous contrôle les forces de sécurité d'Etat après sa prise de pouvoir et aurait également dû prendre des dispositions visant à traduire en justice les auteurs des atrocités initiées par l'Etat en octobre. Cependant, il ne l'a pas fait.

Les élections législatives de décembre ont été caractérisées par une dégradation supplémentaire de l'Etat de droit car les agents de l'Etat et leurs partisans politiques, encouragés par l'impunité dont ils jouissaient, ont perpétré des actes de violence similaires et, dans certains cas, pires. Bien qu'il y ait eu moins de tueries, les cas de détentions arbitraires furent plus nombreux, ainsi que les cas de violence sexuelle et de persécution religieuse. Egalement, en décembre, les relations entre les forces de sécurité et les jeunes du parti de Gbagbo s'étaient consolidées, et ces derniers jouissaient d'une immunité totale, même quand ils commettaient des atrocités devant les gendarmes et la police.

Bien que le Président Gbagbo n'ait pas préconisé la violence, pour laquelle le Général Guei doit être principalement tenu responsable, il a continué à employer les mêmes méthodes d'incitation et de polarisation ethnique et il n'a pas pris de mesures crédibles pour traduire en justice les auteurs de crimes contre l'humanité ou pour s'assurer que de telles violences ne puissent se répéter.

Les forces de sécurité de l'Etat - tout d'abord aux ordres du dictateur militaire le Général Robert Guei et, après sa fuite du pays, aux ordres du Président Laurent Gbagbo - furent responsables de la grande majorité des graves violations des droits de l'homme tant en octobre qu'en décembre. Au sein des forces de sécurité, la police et les gendarmes furent impliqués de manière plus directe. L'armée régulière est restée dans ses casernes, séparée de la garde présidentielle et notamment de la Brigade Rouge, son corps d'élite, qui a commis des actes de violence contre les manifestants avant la fuite du Général Robert Guei. Presque toutes les tueries commises par les forces de sécurité semblent avoir été délibérés: dans de nombreux cas, des preuves formelles existent, démontrant que les tueries avaient été organisées et préméditées, existent.

A la suite de la fuite du Général Guei, la branche des jeunes du FPI et des groupes d'autodéfense ethniques alignés avec le Président Gbagbo, y compris son propre groupe ethnique bété, ont souvent coordonné leurs efforts avec les forces de sécurité et ont, de toute évidence, joui de leur appui. Ces forces civiles cautionnées par l'Etat furent également responsables de graves exactions y compris de viols et de meurtres.

Les victimes étaient en leur très grande majorité des partisans présumés du RDR, très implanté dans le Nord du pays à majorité musulmane. Les Ivoiriens de l'ethnie des Dioulas du Nord, les musulmans et les étrangers ont été persécutés parce qu'ils étaient perçus comme partisans du RDR. Les partisans du RDR étaient descendus dans les rues, souvent lors de violentes manifestations, pour protester contre la disqualification du leader de leur parti, Alassane Ouattara, empêché de se présenter tout d'abord aux élections présidentielles d'octobre, puis aux élections législatives de décembre. Lorsque la violence prit des dimensions religieuses et ethniques, les forces de sécurité commencèrent à prendre pour cible les civils, moins sur la base de leur affiliation politique qu'en raison, seulement et explicitement, de leur religion, de leur ethnie et/ou de leur nationalité supposée.

La violence pendant les élections a trouvé ses origines dans le discours politique dont le point central était la notion de citoyenneté. Trois Présidents successifs, Bédié, Guei et Gbagbo, ont placé la question de la citoyenneté au centre du programme politique de leur parti. Depuis 1995, lorsque le Président Bédié, le premier, invoqua le concept d'ivoirité, il y eut plusieurs éruptions de violence contre les étrangers. On estime que 26% de la population de la Côte d'Ivoire est composée d'immigrés, principalement du Burkina Faso, de Guinée, du Mali, du Nigeria et du Niger. Le secteur agricole dépend énormément de ces travailleurs immigrés. En 1999, des tensions entre les Krumens, une ethnie du sud-ouest de la Côte d'Ivoire et des fermiers burkinabés, qui cultivaient les plantations de café, de cacao et de palmiers depuis des décennies ont eu pour résultat l'expulsion de 8000 à 12000 Burkinabés.1 La ferveur politique nationaliste alimentée par les responsables politiques, a transformé le sentiment populaire de certaines circonscriptions envers les étrangers et, plus récemment, envers les Ivoiriens du Nord venant de régions frontalières du Burkina Faso, de Guinée et du Mali.

Une tentative de coup d'Etat contre le gouvernement du Président Gbagbo, le 7 janvier 2001, a une fois de plus provoqué des attaques frénétiques contre les étrangers, lorsque le Président accusa des étrangers du Burkina Faso d'être impliqués dans la tentative. A la suite de persécutions, d'attaques et d'extorsions par les membres de groupes d'autodéfense ainsi que par les membres des forces de sécurité d'Etat, des dizaines de milliers d'étrangers, principalement des Burkinabés, ont fuit la Côte d'Ivoire.

Le grade et l'ancienneté des officiers du corps de sécurité de l'Etat impliqués dans la perpétration des violations des droits de l'homme est inquiétant. Les victimes ont souvent relaté la présence d'officiers au cours d'opérations durant lesquelles de graves exactions ont été commises et le fait qu'apparemment, ces officiers commandaient. Il n'y a aucun doute que des officiers de haut rang étaient responsables de six camps militaires, de police et de gendarmerie où des centaines de détenus ont été torturés. Des anciens détenus ont souvent décrit la présence d'officiers dans les camps de police et de gendarmerie et le fait qu'ils surveillaient et dirigeaient les mauvais traitements ou qu'ils ne faisaient rien pour les arrêter. Des gendarmes ont violé des femmes en plein air dans l'École Nationale de Gendarmerie et des témoins ont identifié, grâce à leurs insignes, au moins sept officiers de l'École Nationale de Police qui ont participé aux abus sexuels contre plusieurs femmes. D'autres officiers sont intervenus pour arrêter certaines exactions ou ont tenté de le faire.

Des témoins ont souvent décrit des signes de défaillance du commandement, lorsque des officiers et des soldats se disputaient au sujet de décider s'il fallait ou non commettre certaines exactions ou bien lorsque des soldats commettaient des violations même après avoir reçu l'ordre de leurs officiers de ne pas le faire. De nombreux témoins ont décrit une restructuration informelle de l'autorité militaire sur la base de l'appartenance ethnique au lieu du grade. Il semble que des soldats et des sous-officiers de l'ethnie bété du Président Gbagbo aient désobéi aux ordres ou se soient opposés à des officiers supérieurs appartenant à d'autres ethnies.

A la suite d'un déluge de condamnations internationales, la Côte d'Ivoire a promis de mener trois enquêtes judiciaires officielles sur les violences d'octobre : la première sur le massacre de cinquante-sept personnes le 26 octobre (le Charnier de Yopougon); la deuxième sur le massacre de dix-huit personnes dont on a retrouvé les corps, flottant dans le lagon d'Ébrié les 25 et 26 octobre et la troisième sur le cas d'au moins six personnes assassinées dans le quartier de Blokosso le 26 octobre.

Après que des organisations locales et internationales de défense des droits de l'homme ont dénoncé les violences sexuelles perpétrées contre des femmes par les forces gouvernementales et par des groupes d'autodéfense cautionnés par l'Etat, et ont dénoncé la torture très répandue des détenus pendant la vague de violence de décembre, une enquête officielle concernant les viols a été menée mais aucune action n'a été prise à la suite de cette enquête.

En dépit d'éléments de preuve accablants contre les membres de ses forces de sécurité et les promesses répétées qu'a fait le Président Gbagbo de punir les individus responsables de violations des droits de l'homme, pas un seul membre des forces de sécurité n'a été arrêté et condamné suite aux incidents de la fin de l'année 2000. En avril 2001, huit gendarmes ont été accusés de meurtre en liaison avec le Charnier de Yopougon. L'un d'eux était le capitaine (à l'époque) Victor Be Kpan, qui commandait le camp de gendarmerie d'Abobo où les premiers massacres eurent lieu, et qui a été promu commandant après les violences de l'élection d'octobre. Aucun des huit, qui ont tous nié leur participation aux meurtres, n'a été arrêté ou placé en détention. Le procès a commencé le 24 juillet 2001, devant un tribunal militaire à l'intérieur du camp Agban de la gendarmerie et, le 3 août 2001, les huit gendarmes ont tous été acquittés. Le juge a décidé que les procureurs n'avaient pas présenté assez de preuves impliquant directement les gendarmes dans la responsabilité des massacres. Les deux rescapés du massacre ont refusé de témoigner au procès, disant qu'ils craignaient pour leur propre sécurité.

Deux frères, tous deux des civils, étaient les seuls détenus concernés par rapport aux violences de l'élection : ils ont été arrêtés à propos du meurtre du gendarme lieutenant Nyobo N'Guessan du 26 octobre 2000 et, à la date de rédaction de ce document, ils étaient encore en attente de leur procès. Par ailleurs, le Président Gbagbo a répondu aux requêtes concernant l'établissement des responsabilités pour les exactions par une série de gestes symboliques comme la mise en place d'un comité de vingt-six membres pour la promotion de la réconciliation nationale et la commémoration du 9 novembre 2000 en tant que journée nationale de prières pour ceux qui ont été tués lors des violences d'octobre.

Bien que la communauté internationale ait condamné à la fois les violences à l'époque des élections et l'absence de participation publique lors du processus démocratique, il n'y a pas eu de requêtes appropriées pour que justice soit rendue et pour que les responsabilités soient clairement établies, sauf en ce qui concerne le massacre de Yopougon. La décision prise par les Nations unies d'établir une commission internationale d'enquête sur les violences d'octobre est une exception. La commission, qui a passé deux mois en Côte d'Ivoire, a conclu que de graves et systématiques violations des droits de l'homme, qui ont souvent pris une dimension ethnique, ont eu lieu pendant la période des élections d'octobre et de décembre. Elle a conclu que des membres des forces de sécurité, particulièrement les gendarmes, étaient responsables de graves violations, y compris le massacre de Yopougon. La commission a recommandé que les responsables de violations des droits de l'homme soient punis, que d'autres enquêtes sur les cas de torture et de mauvais traitements soient menées et que la lutte contre l'impunité au sein des forces de sécurité, qui sévit de longue date, devienne une priorité absolue du gouvernement ivoirien.

L'avenir de la Côte d'Ivoire n'est pas assuré. Les élections de 2000, tant attendues, dont on espérait qu'elles allaient restaurer la démocratie, ont permis de mettre en évidence comment l'impunité militaire s'est enracinée et également à quel point les fondements démocratiques du régime sont devenus fragiles. Le climat social et politique reste instable et caractérisé par l'intolérance, la xénophobie et la méfiance. L'atroce brutalité qui a émergé lors de la période électorale fut le fruit d'une dangereuse politique de manipulation de l'ethnicité à des fins politiques. De la restauration de l'Etat de droit dépendra soit l'aggravation de la défiance ethnique et religieuse révélée au cours des élections au sein de la société ivoirienne soit la disparition progressive de cette défiance. Le gouvernement ivoirien et la communauté internationale doivent clairement aborder les exactions décrites dans ce rapport non pas en les niant, en tolérant l'impunité ou par des gestes symboliques mais au contraire par des actes concrets.

Human Rights Watch demande au Président Laurent Gbagbo d'ordonner au Ministère de la justice d'enquêter rapidement, de poursuivre et de punir les responsables des violations des droits de l'homme. Il doit garantir que les forces de sécurité s'emploieront à protéger tous les Ivoiriens et les étrangers; non pas seulement les citoyens loyaux à son ethnie ou à son parti politique. Il doit mettre fin à l'impunité militaire et prendre des mesures concrètes afin de créer une société basée sur la tolérance, l'égalité sociale et l'autorité de la loi. La communauté internationale et les donateurs internationaux doivent employer tous les moyens possibles pour insister sur le respect des droits de l'homme. Agir autrement entraînerait la Côte d'Ivoire vers un état de violence permanente et de non-droit, qui trouble déjà les pays voisins.

Principaux résultats

Massacres par les Membres des Forces de Sécurité
Pendant les vagues de violence d'octobre et de décembre, les membres des forces de sécurité ont tiré sur les manifestants et arrêté des partisans de l'opposition ainsi que des étrangers qu'ils ont ultérieurement exécutés dans des fossés, dans des champs, dans leurs propres foyers et dans un camp de la gendarmerie. Les membres de la gendarmerie furent responsables de la plupart des massacres, y compris celui des cinquante-sept personnes dont les corps ont été retrouvés dans le Charnier de Yopougon et plusieurs autres massacres de moindre échelle. Environ 170 personnes ont péri à la suite de la violence d'octobre et Human Rights Watch a documenté quarante-deux morts, dont trente-six ont été perpétrées par les forces de sécurité pendant les événements de décembre.

De nombreux manifestants politiques de tous les partis ont été tués quand les gendarmes, la police et, avant la fuite du Général Guei, la garde présidentielle a ouvert le feu au hasard sur eux lorsqu'ils se réunissaient dans leurs quartiers ou quand ils défilaient dans les rues. Les 24 et 25 octobre, la Brigade Rouge d'élite de la garde présidentielle a ouvert le feu sur des milliers de manifestants principalement du FPI, qui étaient sortis dans les rues pour protester contre l'annulation de l'élection par le Général Guei. Le FPI estime qu'environ soixante de ses partisans ont été tués. Au moins dix-huit corps découverts flottant dans le lagon d'Ébrié par la suite étaient ceux de gens dont on pense qu'ils avaient été tués lorsque la garde présidentielle avait ouvert le feu sur des manifestants qui essayaient de traverser un pont menant au centre ville.

Les gendarmes ont tué de nombreuses personnes en octobre et en décembre en guise de représailles pour la mort d'un de leurs membres durant les affrontements. En octobre, lorsque la nouvelle qu'un lieutenant de gendarmerie avait été tué lors d'une patrouille dans le quartier de Derrière Rail d'Abobo s'est répandue, les gendarmes du camp de gendarmerie d'Abobo devinrent fous de haine, pourchassant et tuant environ vingt jeunes hommes qu'ils ont ciblés en tant que partisans du RDR, étrangers ou musulmans. En décembre, un gendarme a été tué lors des affrontements avec les partisans du RDR dans le quartier Port Bouet II de Yopougon. En réaction, les gendarmes et la police ont abattu au moins treize manifestants et, par la suite, sont allés dans les rues avec des bouteilles d'essence et ont incendié des commerces, des maisons et des autos. Au moins trois personnes, y compris deux enfants, sont mortes.

Violences Sexuelles
Les femmes aussi bien que les hommes détenus ont été soumis à des abus sexuels et humiliés pendant leur détention par les gendarmes et la police ou par les partisans du FPI en présence des forces de sécurité. Human Rights Watch a documenté les cas de sept hommes dont les organes génitaux ont été frappés et/ou brûlés, de onze femmes qui ont été violées et au moins de douze autres femmes qui ont été pénétrées par des objets, battues sur les parties génitales ou soumises à des humiliations sexuelles. Il y a eu beaucoup plus d'abus sexuels contre les femmes pendant la vague de violence des élections de décembre qu'en octobre.

Au début du mois de décembre, quatre femmes détenues dans l'École de gendarmerie nationale ont été soumises de manière répétée à des viols collectifs pendant deux jours. Plusieurs femmes ont également été soumises à des viols collectifs par environ dix gendarmes et, par la suite, par plusieurs jeunes militants du FPI dans le parc d'un institut technique de Cocody. Des élèves agents de police et des policiers à l'intérieur de l'École Nationale de Police ont soumis six femmes détenues à des traitements dégradants et, dans au moins trois cas, ont forcé des femmes à s'allonger nues devant un groupe de policiers qui ont ensuite introduit du sable et des bâtons d'agent de police dans leurs vagins. L'une de ces femmes était au début d'une grossesse et a fait une fausse couche pendant ses jours de détention.

Détention et Torture par des Membres de la Police et de la Gendarmerie
Après avoir détenu des centaines de militants du RDR, de musulmans et d'étrangers, la police et les gendarmes ont systématiquement utilisé des formes extrêmes de brutalité et de torture, ayant pour résultat la mort de plusieurs jeunes hommes. Au moins quinze jeunes hommes ont "disparu" après leur détention. De nombreux militants du RDR de rang moyen et élevé ont été torturés et ultérieurement emprisonnés sans respect de la légalité. Des employés d'hôpitaux et de cliniques ont rapporté avoir traité des centaines de victimes qui avaient des lacérations, des os fracturés, des brûlures, des commotions et des fractures du crâne subis en détention.

Des civils ont été détenus après avoir été arrêtés dans la rue et ordonnés de montrer leurs papiers d'identité, traînés hors de leurs foyers et de leurs lieux de travail, ou bien appréhendés lorsqu'ils participaient aux manifestations. Des dizaines de civils non engagés politiquement ont été capturés exclusivement et explicitement sur la base de leur appartenance ethnique, de leur religion ou de leur nationalité supposée.

Des dizaines de détenus ont été frappés avec des barres de fer, des câbles électriques, des cordes, des ceintures, des bâtons d'agent de police, des colliers de chien, des chaînes de vélo, des crosses de pistolet et des branches d'arbres; brûlés avec des cigarettes, des morceaux de plastique brûlant, des fers et des couvercles de casseroles brûlants; arrosés d'eau froide et forcés de nager dans des égouts ouverts fétides; forcés de marcher sur des vêtements et des pneus en flammes; aspergés de gaz lacrymogène de très près, soumis à des vaporisations de gaz lacrymogène et de Mace (gaz incapacitant) dans les yeux, la bouche et sur les organes génitaux; forcés de se battre les uns avec les autres, de manger des excréments et de boire leur propre sang; menacés de mort ou soumis à des simulacres d'exécutions. Les centres de détention les plus infâmes étaient l'école nationale de police, l'école nationale de gendarmerie et le camp de gendarmerie d'Agban.

"Disparitions"
Au moins quinze personnes, y compris plusieurs étrangers, qui ont été, soit capturés, soit vus pour la dernière fois en détention, soit estimés être en détention à l'époque des élections d'octobre, manquent toujours, ils ont "disparu." La plupart de ceux qui ont "disparu" ont été détenus dans leur foyer ou dans leur quartier par des hommes en uniforme. A Abobo, neuf hommes Dioulas, la plupart de la même famille, ont été détenus par la police et emmenés dans un véhicule de transport en commun. A Treichville, un homme blessé, renvoyé d'un hôpital n'est jamais rentré chez lui et on croit qu'il a été mis en détention. A Derrière Rail, un homme de vingt-huit ans a été traîné hors de son foyer par des gendarmes, devant sa mère. A Abobo, un homme de vingt-cinq ans, du Burkina Faso, a été capturé par un policier en uniforme et deux hommes armés en vêtements civils et n'a jamais été retrouvé. Des employés d'hôpitaux et de morgues ont décrit des visites répétées par des membres de familles qui essayaient de retrouver ceux qu'ils aimaient. Les corps très décomposés, non réclamés et non identifiés de quarante-cinq victimes de la violence politique ont été enterrés à Abidjan dans la soirée du 1er avril 2001, et on pensait que certains des "disparus" se trouvaient parmi eux. Human Rights Watch n'a documenté aucun cas de "disparition" à la suite des violences de décembre.

Agressions et Menaces Auprès de Blessés et de Personnes Venant en Aide aux Blessés
A de nombreuses reprises, les gendarmes, la police et les partisans du FPI ont entravé le travail de la Croix Rouge et autre personnel médical qui essayait de traiter et d'évacuer les blessés. En octobre, une voiture privée transportant un jeune Dioula blessé et son docteur a été arrêtée par une bande de partisans du FPI portant des T-shirts de Gbagbo. La bande a battu tous les occupants, y compris le blessé et son médecin et, ensuite, a mis le feu à la voiture. En décembre, une ambulance transportant quatre partisans du RDR blessés a été arrêtée à Cocody par environ vingt gendarmes soutenus par un groupe important de partisans du FPI. Les gendarmes ont ordonné aux blessés de sortir de l'ambulance en les menaçant de les tuer ainsi que le personnel de l'ambulance s'ils refusaient de sortir. L'un des patients, une femme, a ensuite été traînée plus loin et violée par au moins deux jeunes du FPI sous les yeux des gendarmes. Dans au moins trois autres cas, les gendarmes et la police ont détenu des ambulances de la Croix Rouge et ont menacé de tuer les partisans du RDR qui se trouvaient à l'intérieur. Au moins un hôpital gouvernemental a refusé de traiter les partisans du RDR blessés.

Persécution Religieuse
Plusieurs mosquées ont été attaquées et brûlées par des foules FPI, alors que d'autres ont fait l'objet de perquisitions par la police et les gendarmes. Les musulmans étaient souvent ciblés pour la détention et, dans certains cas, victimes d'exécutions extrajudiciaires en raison uniquement de leur religion. Durant leur détention, les musulmans ont souvent été insultés et forcés à enfreindre les préceptes musulmans. Ceci a été tout particulièrement le cas en décembre, pendant le Ramadan. Quelques églises ont également été attaquées par des foules RDR, et ont subi des destructions et pertes de biens.

En octobre, la mosquée Aicha Niangon-Sud a été complètement détruite après avoir été attaquée par environ 200 jeunes du FPI. La police, appelée pour protéger la mosquée, a arrêté les trente-trois musulmans qui se trouvaient à l'intérieur et s'est ensuite abstenue d'intervenir pendant que la mosquée était pillée et incendiée.

En décembre, soixante-quatorze musulmans et leur imam, qui s'étaient réunis pour les prières de l'après-midi à la mosquée d'Avocatier ont été arrêtés et détenus pendant plusieurs jours dans l'école nationale de police de Cocody. Lors d'une opération similaire, environ vingt-cinq musulmans et leur imam ont été arrêtés par la police quand ils étaient en train d'examiner les dommages occasionnés à la mosquée Sofogia après sa mise à feu par une foule FPI peu de temps auparavant.

Durant leur détention, des groupes de musulmans ont été arrosés d'urine et d'eau sale, forcés d'interrompre leur jeûne, interdit de prier ou battus lorsque, autorisés à prier, ils se courbaient. Des musulmans âgés et des imams ont été forcés d'arracher leur barbe et de regarder la police détruire des Corans sacrés.

Violences Collectives
Les bagarres entre militants rivaux des partis FPI et RDR ont provoqué de nombreuses morts. Les militants des deux factions étaient armés de bâtons, de machettes, de barres de fer, de gourdins hérissés de clous, de pierres et, dans quelques cas, de fusils de chasse et de fusils automatiques. Les manifestations politiques se sont transformées en véritables batailles entre les deux factions et ont dégénéré dans la violence collective pour des raisons religieuses et ethniques. Dans de nombreux cas, les gendarmes et la police se sont activement rangés du côté des militants du FPI ou bien n'ont rien fait pendant que de graves abus, comme des viols et des meurtres, étaient commis par les foules. Les militants du FPI et du RDR sont sortis spontanément dans les rues mais leurs chefs n'ont pas fait grand chose pour retenir leurs partisans.

La plus grave de ces attaques s'est produite en octobre dans le quartier Blokosso, un bastion de l'opposition habité par des Ébriés, une ethnie du Sud. Au cours de l'attaque, une foule de partisans de l'opposition a tué au moins six jeunes hommes non identifiés. A Yopougon, des partisans du FPI ont brûlé vif un musulman. A Anonkoua, un autre quartier ébrié, un homme vêtu d'une robe musulmane a été attaqué avec un marteau et gravement blessé et un menuisier d'origine malienne qui rentrait chez lui a perdu sa jambe gauche et est devenu aveugle après une violente attaque. En décembre, un partisan du RDR qui s'était enfui dans le quartier pour éviter une fusillade a été taillé en pièces par des jeunes Ébrié sous le regard d'au moins trois gendarmes.

En octobre, des partisans du RDR à Anyama ont brûlé vif un fonctionnaire, battu des partisans du FPI, pillé des maisons et dévalisé un marché local. A Abobo, des groupes de partisans du RDR sont entrés de force dans les maisons de partisans de l'opposition et sont allés dans les rues, cherchant et brutalisant les non-Dioulas. En décembre, un groupe important de partisans du RDR ont coupé la gorge d'un fonctionnaire des finances municipales à Treichville.

1     Radio France International, Paris, 26 novembre 1999.

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