Africa - West

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III. CADRE GENERAL

Pendant plus de trois décennies après son indépendance de la France en 1960, la Côte d'Ivoire était un pays dans lequel des gens de différentes religions et ethnies, y compris des millions de personnes venues d'états voisins en Afrique occidentale coexistaient relativement harmonieusement. Les tensions religieuses et ethniques potentielles se sont largement estompées grâce au premier Président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, un catholique, qui a gouverné à travers son Parti Démocratique de la Côte d'Ivoire (PDCI) jusqu'à sa mort en 1993. Pendant plus de trente ans, sous le gouvernement de Houphouët-Boigny, l'économie de la Côte d'Ivoire, premier producteur de cacao mondial, était l'une des plus grandes puissances économiques africaines, et attirait des immigrés de toutes les sous-régions d'Afrique occidentale. Sur le plan politique, on estimait que c'était un modèle de stabilité dans une région frappée par les guerres, bien que les défis au gouvernement autocratique du seul PDCI aient augmenté lorsque la situation économique s'est dégradée au cours des années 1980. Après la légalisation des partis d'opposition en 1990, les forces de sécurité ont été de plus en plus utilisées contre les adversaires du gouvernement PDCI.

Henri Konan Bédié, qui était à l'époque Président de l'Assemblée Nationale, a succédé à Houphouët-Boigny en 1993. Bédié, qui a été élu Président en 1995, était également un catholique issu de la même ethnie Akan. Pendant le régime Bédié, qui a duré six ans, son gouvernement a souffert d'accusations de corruption et de mauvaise gestion qui se sont soldées en 1998 par la suspension de leur aide économique par le Fonds Monétaire Internationale, la Banque Mondiale et l'Union Européenne.2

L'impopularité du Président Bédié allant croissant, il a cherché à éliminer ses rivaux politiques potentiels. En opposition totale à la politique de Houphouët-Boigny, qui encourageait l'immigration et qui invitait les musulmans à participer au gouvernement, Bédié a attisé la méfiance religieuse et ethnique à travers sa propre forme de nationalisme, qu'on appela "Ivorité". Avant les élections présidentielles de 1995, Bédié suscita la xénophobie visant à ruiner la personne qu'il pensait être potentiellement son plus important rival politique, Alassane Ouattara. Ouattara avait été Premier Ministre de Houphouët-Boigny et, par la suite, a dirigé le parti du Rassemblement des Républicains (RDR), lequel était énormément soutenu par le Nord, largement musulman. Bédié a insisté sur le fait que Ouattara n'était pas né Ivoirien mais qu'il était en fait du Burkina Faso voisin. Lorsque Bédié a remis en cause la nationalité de Ouattara et a fini par lui interdire de se porter candidat aux élections de 1995 parce qu'il n'avait pas droit à la citoyenneté ivoirienne, Ouattara et le RDR se sont retirés de la campagne électorale et Bédié a été réélu.

Le 24 décembre 1999, des soldats qui se plaignaient d'être mal payés ont démis le Président Bédié et ont demandé au Général Robert Guei, le chef d'état-major de Bédié, de mener la rébellion. Après avoir pris le pouvoir, Guei s'est entouré d'une junte largement composée de ministres des plus importants partis d'opposition, y compris le RDR et le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, a promis d'éliminer la corruption et de réécrire la constitution. Bien que de nombreux Ivoiriens, las de la corruption croissante sous le régime de Bédié, se soient réjouis du coup d'état, exécuté pour la plupart sans effusion de sang, ce coup d'état a déstabilisé la réputation de modèle régional de stabilité qu'avait la Côte d'Ivoire.

En juillet 2000, il était clair que le Général Guei avait des ambitions politiques et que lui aussi était prêt à provoquer les différends ethniques et religieux afin d'éliminer ses rivaux politiques. A la fin de juillet, un pseudo-référendum constitutionnel a eu lieu qui, entre autres, sanctionnait des amendements établissant de nouvelles conditions plus strictes pour participer aux élections3. En vertu de la nouvelle constitution, les deux parents de toute personne souhaitant participer à l'élection présidentielle devaient être nés en Côte d'Ivoire.

Ouattara et les autres candidats ont contesté les nouvelles conditions mais, le 6 octobre 2000, une décision controversée de la Cour Suprême a disqualifié quatorze des dix-neuf candidats présidentiels, y compris Ouattara, pour des raisons de citoyenneté, et l'ancien Président Bédié pour ne pas avoir présenté un certificat médical conforme. Il est possible de penser que les membres de la Cour Suprême, qui avait été dissoute en 1999 à la suite du coup d'état, avaient été sélectionnés par Guei lui-même.

Des élections présidentielles ont eu lieu le 22 octobre 2000. Les premiers résultats indiquaient que Laurent Gbagbo, le candidat du FPI, arriverait en tête de liste. A la lecture de ces premiers résultats, le Général Guei a dissous la Commission électorale nationale et s'est déclaré élu. Le 24 octobre 2000, des dizaines de milliers de manifestants de plusieurs partis politique sont descendus dans les rues et ont marché sur le centre ville. La garde présidentielle d'élite du Président Guei a ouvert le feu sur les manifestants et en a tué des dizaines. Le 25 octobre 2000, lorsque la police et l'armée l'ont abandonné, le Général Guei a fuit le pays et Laurent Gbagbo s'est déclaré Président.

Le 26 octobre 2000, lorsque les adhérents du parti FPI de Gbagbo étaient en train de fêter la consécration de leur nouveau président, le RDR de Ouattara est une fois de plus allé manifester dans les rues, en demandant, cette fois, de nouvelles élections car Ouattara et d'autres candidats avaient arbitrairement été empêchés de se porter candidats. Les tensions ethniques et religieuses ont marqué les affrontements sanglants qui s'en sont ensuivis car les forces de sécurité et les civils partisans du Président Gbagbo se sont heurtés aux gens du Nord, pour la plupart musulmans, qui sont les principaux partisans du RDR. Les Etats-Unis, l'Afrique du Sud, les Nations Unies et l'Organisation d'Unité Africaine ont appuyé l'appel du RDR afin que de nouvelles élections aient lieu.

Ouattara et le RDR s'apprêtaient à participer aux élections législatives du 10 décembre 2000 mais une décision de la Cour Suprême, le 30 novembre 2000, a une fois de plus interdit à Ouattara de se présenter, une fois de plus à propos de sa citoyenneté. Le RDR a réagi en demandant aux gens de boycotter les élections, est sorti dans les rues pour manifester et, plus tard, a perturbé le scrutin dans de nombreuses parties du Nord. Après des affrontements sanglants à la suite d'une manifestation de protestation le 4 décembre 2000, le Président Gbagbo a imposé un couvre-feu et un état d'urgence. La décision de disqualification de Ouattara pour l'empêcher de se porter candidat a été condamnée par les USA, l'OUA et l'Union Européenne qui ont tous suspendu leurs projets d'envoyer des équipes de contrôle du scrutin ou ont retirées de telles équipes.

L'élection législative a eu lieu dans tous les districts sauf douze districts du Nord où les élections pour vingt-sept sièges ont été perturbées par des partisans du RDR qui manifestaient contre la décision de la Cour Suprême. Il y a eu plusieurs rapports de destruction d'urnes électorales et d'attaques contre des fonctionnaires électoraux. Les élections ont eu lieu ultérieurement dans ces districts, le 14 janvier 2001, sans incidents. Le parti au pouvoir, le FPI, a remporté une petite majorité, avec quatre-vingt-seize sièges, sur le parti précédemment au pouvoir, le PDCI, qui a gagné quatre-vingt quatorze sièges. Après avoir boycotté les élections législatives, le RDR a en fait participé aux élections municipales nationales du 25 février 2001 où il a remporté la majorité des sièges, soixante-trois, suivi du PDCI, qui en a gagné soixante, et du FPI qui en a gagné trente-trois.

Outre le coup d'état militaire de décembre 1999, les mutineries militaires d'avril et de juillet 2000, une attaque armée contre la résidence du Général Guei en septembre 2000 et une tentative de coup d'état contre le Président Gbagbo ont encore plus ébranlé la réputation de stabilité politique de la Côte d'Ivoire et a nui à l'économie.

2     "Les perturbations politiques exposent les faiblesses économiques de la Côte d'Ivoire", AFP, 17 janvier 2001.

3     La Constitution de la Côte d'Ivoire, Chapitre III, selon l'amendement de 2000, dispose: " Le Président de la République et le Gouvernement, Article 35 : Le candidat à la présidence doit ... être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il ne doit jamais avoir renoncé à sa nationalité ivoirienne ou s'être prévalu d'une autre nationalité ".

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