Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Togo








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH)

Origine et Mandat

Depuis 1967, le Togo a été gouverné par un seul homme, Gnassingbe Eyadema, arrivé au pouvoir lors d'un coup d'Etat militaire. Un parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), a dirigé le Togo durant la plupart des trente dernières années. En 1991, les partis politiques indépendants ont été autorisés. Mais le président Eyadema a utilisé son emprise sur les forces de sécurité, tout d'abord pour empêcher que le gouvernement élu ne puisse affirmer son pouvoir et ensuite, pour miner les élections multipartites. Le tout dernier processus électoral en 1998 a été entaché de graves irrégularités, ce qui a provoqué un boycott de l'opposition et la suspension permanente d'une grande partie de l'aide internationale.1

La Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) a été créée dans des circonstances peu propices. Elle a été lancée par deux avocats très proches du président: Aboudou Assouma, alors magistrat au parquet de Lomé, à présent juge à la Cour Constitutionnelle, et Yao Agboyibor, alors bâtonnier de l'Ordre des avocats, à présent membre de l'opposition politique. Depuis 1985, Yao Agboyibor avait assuré la défense du Togo sur la scène internationale face aux accusations de violations des droits de l'Homme.2 En 1987, Yao Agboyibor et Aboudou Assouma ont représenté le Togo à la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU. A leur retour de Genève, ils ont proposé la création de la commission des droits de l'homme au Président Eyadema, en grande partie pour "répondre au souhait de la communauté internationale, " selon les dires d'Aboudou Assouma.3 La réponse du Président a été positive. Il aurait même dit à Assouma, "Je suis un soldat. Dites-moi ce que je dois faire."4 Aboudou Assouma est donc retourné à Genève afin de rassembler les documents nécessaires tandis que Yao Agboyibor entamait la rédaction de la loi, qui a été promulguée le 6 juin 1987. La CNDH a été instituée au cours d'une cérémonie officielle le 21 octobre 1987, avec Yao Agboyibor comme président et Aboudou Assouma comme vice-président.5

Procédures d'engagement et de nomination

En théorie, les membres de la commission sont aussi diversifiés que possible puisque les commissaires sont sélectionnés pour représenter l'ordre des avocats, la magistrature, les jeunes, les travailleurs, les femmes, les chefs traditionnels, l'ordre des médecins, les enseignants et la Croix-Rouge togolaise. Dans la pratique, lorsque la CNDH a été mise sur pied à la fin des années 1980, seuls l'ordre des avocats et la Croix-Rouge échappaient au contrôle du parti unique.

Au début, la commission était constituée de treize membres et tous les commissaires, y compris le président, travaillaient à temps partiel et recevaient un traitement mensuel de 25.000 francs CFA [environ 40 US$]. Le 11 décembre 1996, le parlement a adopté la loi no.96-12 qui a fait passer à dix-sept le nombre des membres de la commission et a fait de la position du président un poste à temps plein. En vertu de l'Article 3 de la loi de 1996, la commission se compose des dix-sept membres suivants: trois membres de l'assemblée nationale; un magistrat; un avocat; un enseignant; un médecin; une militante des droits de la femme choisie parmi les associations les plus représentatives de défense des droits de la femme; deux militants des droits de l'homme choisis parmi les associations les plus représentatives de défense des droits de l'homme; deux syndicalistes choisis parmi les syndicats les plus représentatifs; un chef traditionnel; un représentant de chacune des organisations religieuses suivantes: l'Eglise catholique, l'Eglise protestante, et la communauté musulmane; et une personne de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge togolais. Seul le président occupe un poste à temps plein; les autres sont à temps partiel.6

Les membres de la commission sont désignés selon le principe d'une double élection. Les associations et organisations professionnelles mentionnées dans la loi proposent à l'assemblée nationale deux noms pour chacun des postes à pourvoir au sein de la commission. L'assemblée nationale procède ensuite à la désignation du commissaire en statuant à la majorité simple. Cette procédure de sélection a miné le caractère pluraliste de la commission en permettant au parti au pouvoir de désigner l'ensemble des membres de la commission. L'opposition a donc choisi de boycotter le vote final de la loi, surtout en raison de cette disposition.7 Les conséquences sont particulièrement frappantes aujourd'hui puisque les boycotts et les élections truquées ont éliminé toute véritable opposition parlementaire.

Les membres actuels de la CNDH ont été élus par l'assemblée nationale le 14 août 1997. Un certain nombre d'organisations ont refusé de prendre part au processus de sélection. Ce fut notamment le cas des principales ONG de défense des droits de l'homme, telles que la Ligue Togolaise des Droits de l'Homme (LTDH).8 Il n'est pas clairement établi quels sont les membres de la commission qui représentent légitimement les électeurs. Mais c'est apparemment le cas du représentant de l'ordre des avocats.9 Par ailleurs, certaines personnes ont exprimé leurs craintes quant au processus de désignation du président actuel de la CNDH et du représentant de la magistrature, Komi Gnondoli. Selon ces personnes, Komi Gnondoli n'aurait jamais travaillé en tant que magistrat et il aurait prêté serment seulement quelques semaines avant d'être sélectionné.10 Plusieurs sources togolaises interrogées par Human Rights Watch ont aussi exprimé leur appréhension par rapport à Komi Gnondoli pour ses liens étroits avec Aboudou Assouma, ancien président de la commission. Les membres actuels de la CNDH sont généralement vus comme faisant partie de la mouvance présidentielle, c'est-à-dire des partis et associations fidèles à Eyadema.11 Cette remarque est également valable pour le personnel de la CNDH. Le secrétaire administratif adjoint de la CNDH, par exemple, est également à la tête du Mouvement de la Jeunesse du RPT, le parti du Président Eyadema.12

Activités

Au cours de ses dix années d'existence, la CNDH est passée par trois phases générales. La première phase a débuté avec la loi de 1987 pour se terminer en 1991 suite aux mesures de répression contre la démocratie. La deuxième phase s'est étalée de 1992 à 1995. La première étape a servi à sensibiliser l'opinion publique et à situer la CNDH dans le paysage politique; la deuxième étape a vu essentiellement disparaître la CNDH de la scène publique. Au cours de la troisième phase actuelle, la CNDH cherche à se repositionner, mais surtout à coup d'activités promotionnelles non conflictuelles, de diplomatie feutrée et de networking international.

Malgré ses liens avec le Président et son parti, la CNDH a pu se tracer une voie indépendante dès ses premières années d'existence, gagnant ainsi une crédibilité croissante sur le plan local et international. A ses débuts, la CNDH a joué un rôle moteur dans la promotion des droits de l'homme aux quatre coins du pays, grâce à l'organisation de séminaires, de conférences et de programmes radiophoniques. Au début, la Commission a donné une interprétation élargie à son mandat, entamant d'elle-même des enquêtes et dénonçant des violations, deux compétences qui ne lui étaient pas expressément accordées.13 Les militants internationaux ont été impressionnés par la volonté de la CNDH de s'attaquer à des affaires sensibles et d'en publier les résultats.14 Par exemple, la Commission a décrété, en 1989, que "pour pouvoir émettre un avis sur l'état des lieux relatif aux droits de l'homme" - ce qui faisait partie de ses responsabilités - elle aurait à enquêter sur les affaires de sa propre autorité.15 Dès 1990, la CNDH dénonçait publiquement les violations des droits de l'homme commises par les forces de police et les militaires, notamment des affaires très délicates sur le plan politique.

Au cours de ses deux premières années d'existence, la Commission a été saisie de 391 plaintes.16 Elle est intervenue en 1989 pour obtenir la libération de citoyens qui avaient été arrêtés après avoir publiquement demandé pourquoi l'anniversaire du coup d'Etat de Eyadema était devenu un jour de congé officiel à la place de la journée commémorant l'indépendance du pays.17 Suite à une critique émise par l'organisation internationale des droits de l'homme Article 19, The International Centre Against Censorship [Article 19, Centre International contre la Censure], la CNDH a entrepris une série d'actions visant à promouvoir la liberté d'expression.18 Comme l'écrivait à l'époque le secrétaire administratif de la commission:

Certains considèrent cette entreprise comme une gageure dans un système de parti unique. Pour d'autres, c'est un simple artifice destiné à jeter de la poudre aux yeux de la masse. Du côté de l'administration, certains considèrent une telle entreprise comme une démarche subversive, une source de désordre ... [Mais] ... La capacité de dire non, la liberté d'exprimer son point de vue, le droit de contester ne sont subversifs que dans une société qui érige la censure en méthode de gestion ... et qui considère les citoyens comme des mineurs."19

C'est probablement lors de la conférence nationale de 1991, qui a mis un terme au régime du parti unique, que la CNDH a joué son rôle le plus crucial. Comme l'a déclaré un journaliste partisan de Eyadema, la CNDH "a démystifié" le parti unique lorsqu'elle a dénoncé la police pour avoir réprimé une manifestation étudiante en octobre 1990.20 A l'époque, à l'instar de ce qui se produisait dans d'autres pays africains, une pression croissante se faisait sentir en faveur d'élections libres et équitables. Le 5 octobre, les étudiants manifestaient pour protester contre la condamnation de quatre étudiants accusés d'avoir distribué "des tracts mensongers et diffamatoires » à l'égard du Président Eyadema. La CNDH a dénoncé la brutalité avec laquelle les forces de police ont réprimé la manifestation. Cet événement a lancé le processus qui allait inciter le Président à consentir à la convocation d'une conférence nationale "souveraine" du 8 juillet au 29 août 1991, pendant laquelle la cause des droits de l'homme a été au centre des débats et la CNDH a joué un rôle majeur.21

L'une des tâches primordiales de la conférence nationale était de rédiger une nouvelle constitution. Une disposition relative à la CNDH était prévue dans le projet de constitution, qui a finalement été adopté par référendum en 1992 et est entré en vigueur le 14 octobre 1992. Le comité de rédaction s'est tout particulièrement efforcé de prévoir l'indépendance de la commission et la protection de ses membres.22

L'administration transitoire a toutefois été de courte durée. En octobre 1991, avant même que ne soit adoptée la nouvelle constitution, les forces de sécurité fidèles au Président Eyadema bloquaient les travaux du nouveau gouvernement, s'emparaient de la radio nationale et prenaient d'assaut le bureau du premier ministre. En mai 1992, le leader de l'opposition, Gilchrist Olympio, échappait de justesse à un attentat. Des milliers de personnes fuyaient le pays en raison de la violence politique qui accompagnait la répression.

La CNDH est entrée dans une deuxième phase, fort différente, lorsque son président militant, Maître Robert Ahlonko Dovi, qui avait remplacé Yao Agboyibor, a été contraint à l'exil en compagnie d'autres militants de la démocratie. La CNDH est alors tombée dans la torpeur, sous la direction d'un Comité de suivi ayant pour président Aboudou Assouma, qui restera à ce poste jusqu'en 1996.

Cette période s'est caractérisée par ce qui a été décrit à Human Rights Watch comme une "profonde léthargie" durant laquelle, comme le reconnaît le président actuel, Komi Gnondoli, la CNDH n'a pas rempli son mandat.23 Aboudou Assouma en a rejeté la responsabilité sur l'instabilité politique du moment,24 mais un ancien membre du personnel a confié à Human Rights Watch que diverses mesures avaient été prises pour miner les travaux de la commission.25 Les bureaux ont été transférés dans un quartier associé aux partisans d'Eyadema.26 Le nombre de plaintes s'est réduit à presque rien et celles qui étaient encore déposées ne faisaient l'objet d'aucune considération. Selon cet ancien employé, "Tout cas concernant une personnalité importante du pouvoir était systématiquement bloqué, la publication des rapports a été arrêtée, la Commission s'est cantonnée à l'examen des cas de licenciement abusif."27 La commission n'a donc mené aucune enquête sur la tentative d'assassinat du leader de l'opposition, Gilchrist Olympio.28 La seule activité à porter à l'actif de la CNDH pour cette période a été la conférence des Commissions nationales africaines des droits de l'homme qu'elle a accueillie en mai 1995.

En novembre 1996, beaucoup d'exilés étaient revenus et le climat politique était relativement calme. A ce moment, une nouvelle loi a été adoptée afin de réactiver la CNDH. A plusieurs égards, la loi de 1996 constituait une amélioration par rapport à celle de 1987. Elle permettait aux ONG d'être représentées au sein de la commission (ce qui n'était pas le cas en 1987) et conférait explicitement à la CNDH le pouvoir d'agir de sa propre initiative. L'inconvénient de cette nouvelle loi était qu'elle soumettait la nomination des membres de la CNDH au vote de l'assemblée nationale.

La nouvelle loi a conservé les procédures d'enquête strictes de la CNDH; une fois que la plainte est enregistrée, le bureau exécutif de la commission doit se réunir dans un délai de quarante-huit heures - ou sur le champ si la violation est grave et continue - afin de nommer un rapporteur parmi les membres de la CNDH. Le rapporteur dispose ensuite de quinze jours pour remettre son rapport à la commission. Le rapporteur peut se rendre chez la victime, l'autorité incriminée et "toute autre personne en mesure de clarifier [les plaintes]."29 La commission a également accès à "l'ensemble des rapports, registres, ou autres documents, ainsi qu'à la totalité des objets et lieux ayant un lien avec l'enquête."30 Enfin, elle doit pouvoir s'assurer de la coopération des supérieurs de la personne incriminée. L'article 27 de la loi prévoit que "Quiconque, par action ou par inertie, par refus d'agir ou par tout autre moyen, entrave ou tente d'entraver l'exercice des fonctions assignées à la commission" sera passible d'une peine d'emprisonnement allant de six mois à cinq ans et d'une amende élevée. Le rapporteur fait des recommandations à la commission qui doit immédiatement intervenir pour mettre un terme à la violation en question. Si la commission échoue, elle est invitée à faire appel au président de l'assemblée nationale "et/ou" au président de la république.31

La CNDH entame à présent la troisième phase de son existence. La nouvelle commission a débuté ses travaux le 15 octobre 1997.32 Son premier programme d'action a fait de la promotion des droits de l'homme "l'action prioritaire de la CNDH."33 Au début de l'année 1998, la CNDH a organisé un séminaire avec la presse, ainsi qu'une tournée dans les provinces, sur le thème commun de "Respect des droits de l'homme, facteur de paix sociale."34 A l'occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la CNDH a organisé des conférences dans trois écoles.

Bien qu'aucun rapport d'activités n'ait été rendu public, la CNDH a bien remis à Human Rights Watch un bilan de ses activités pour 1997-1998.35 D'après ce bilan, "la CNDH a enregistré 107 plaintes entre le 30 septembre 1997 et le 31 décembre 1998" faisant état de violations des droits de l'homme. Ce chiffre représente moins de la moitié du nombre moyen de plaintes enregistrées chaque mois par la CNDH au cours de ses premières années d'existence.36 De ces 107 plaintes, la commission en a rejeté quarante-sept qu'elle ne considérait pas de sa compétence. Soixante plaintes ont fait l'objet d'une enquête, dont trente-neuf ont pu être résolues. Quinze sont toujours en cours d'examen et six ont été déclarées non fondées.

Malgré cette apparente efficacité, les ONG de défense des droits de l'homme, les victimes et les diplomates étrangers ont tous exprimé leur scepticisme à l'encontre de la CNHD lorsqu'ils ont été interrogées par Human Rights Watch. Selon les dirigeants de la LTDH - la seule ONG citée par la CNDH pour lui avoir transmis des dossiers - la commission ne peut obtenir de résultats que dans le cadre d'affaires de moindre importance qui n'impliquent pas directement le gouvernement, les forces de sécurité ou les proches du pouvoir en place. Ils ont mentionné deux cas où la commission est intervenue au nom de la victime, l'un étant le licenciement abusif d'un enseignant d'une école publique et l'autre concernant une femme qui avait été battue par la police.37

Par contre, la CNDH n'aurait pas agi dans un certain nombre de cas importants : par exemple, lorsque le journaliste Mewenemesse Appolinaire, rédacteur en chef du bimensuel La Dépêche (pro-Eyadema), a été arrêté et incarcéré pendant trois mois en 1998 suite à la publication d'un article qui reprochait à l'armée de créer un sentiment d'insécurité. Selon le journaliste : "La CNDH n'a rien fait dans mon cas."38 Jonas Sokpoh, avocat et ancien secrétaire général de la CNDH, a confié qu'il avait fait appel à la CNDH dans un certain nombre d'affaires, notamment la détention prolongée des parents de Djobo Boukari , un dirigeant de l'opposition. Ils avaient été arrêtés à Sokode, à quelque 250 km de Lomé, au mois de novembre 1997, alors qu'ils protestaient contre la mort de leur fils. Selon Me Sokpoh, la CNDH se retranchait derrière le prétexte que "les tribunaux étaient saisis de l'affaire," alors que c'était en fait les tribunaux qui auraient commis la violation en prolongeant la détention.39

Ceci correspond bien à l'interprétation très restreinte du mandat de la commission présentée à Human Rights Watch par les commissaires. Leur président, Komi Gnondoli, a déclaré que la commission refusait de s'occuper d'affaires qui étaient portées devant les tribunaux. Son interprétation de l'article 23 de la loi de 1996, qui prévoit la confidentialité "sauf décision contraire de la Commission et sans préjudice pour elle d'en faire rapport anonyme dans ses comptes rendus périodiques", est que la CNDH n'est pas "obligée de publier les résultats d'un examen." Or, durant ses premières années d'existence, la CNDH avait interprété cette clause différemment, considérant qu'elle permettait la publication de rapports détaillant les noms des requérants, les autorités mises en cause et les résultats obtenus. Les membres de la commission se sont plaints du fait que les ONG locales ne comprenaient pas le rôle de la commission et voulaient qu'elle se comporte comme une autre ONG alors que, d'après Komi Gnondoli, "notre rôle premier est d'aider le gouvernement à s'améliorer. Les ONG peuvent se faire entendre davantage. Nous ne pouvons faire comme elles et parler franchement. Nous pouvons être utiles d'une autre manière, par exemple en aidant les ONG à ne pas se faire envoyer en prison ou en leur permettant de parler avec les responsables du gouvernement."40

Alors qu'elle est restée relativement silencieuse à propos des exactions commises par les autorités togolaises, la CNDH a pris publiquement position à deux reprises pour condamner les ONG internationales des droits de l'homme pour leurs rapports sur les droits de l'homme au Togo. Dans une déclaration signée par son président en janvier 1999, la CNDH accusait formellement la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) de répandre de la "désinformation"41 et disait qu'elle aurait dû consulter la commission en entamant son enquête et transmettre ses conclusions à l'avance. La déclaration poursuivait son accusation en disant que "cette méthode de travail prouve que la mission de la FIDH n'entend pas servir la cause des droits de l'homme." Sans répondre précisément aux allégations faites par la FIDH, la CNDH concluait que la FIDH "répand la désinformation et ne reflète en aucun cas la réalité sur le terrain."42

Au mois de mai 1999, la CNDH s'en est pris à Amnesty International. Le rapport intitulé "Togo: Rule of Terror"43 publié par Amnesty International a abouti à l'arrestation immédiate de plusieurs militants togolais soupçonnés d'avoir collaboré avec l'organisation. Pierre Sané, secrétaire général d'Amnesty International, et Gaeten Mootoo, chercheur togolais, ont été expulsés du pays alors qu'ils venaient précisément rencontrer les autorités pour discuter de ce rapport. Les autorités togolaises ont également menacé d'entamer une action en justice contre Amnesty International pour diffamation. Quelques jours après la publication de ce rapport, le président de la CNDH a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a soutenu l'action du gouvernement. S'attaquant au fameux rapport, il a déclaré que les faits décrits "relèvent de l'imaginaire" et qu' Amnesty International "a dû se tromper de pays".44 Il a qualifié également de "cavalières" les méthodes de travail d'Amnesty International, notamment parce que l'équipe d'enquêteurs n'avait pas pris la peine de rencontrer la CNDH lors de sa visite. Ce point a aussi été soulevé dans une lettre envoyée au secrétaire général d'Amnesty International. Des sources proches de la commission ont cependant signalé que le président de la CNDH n'avait pas informé les autres membres de son intention de s'attaquer à Amnesty International et elles ont accusé Komi Gnondoli de diriger la commission "exactement comme un système bureaucratique" dans lequel les discussions ne sont pas encouragées et les divergences d'opinions sont interdites.45

Financement

La loi de 1996 renforce l'obligation de l'Etat de financer la CNDH. L'article 25 stipule que, "L'Etat inscrit au budget général de chaque année les crédits nécessaires au fonctionnement de la Commission."46 Depuis 1997, la totalité des fonds de la Commission provient du budget de l'Etat. C'est la Commission elle-même qui élabore ses prévisions budgétaires qu'elle soumet au ministère des finances. Ce dernier les inclut alors dans la proposition de budget général qui doit être approuvée par l'Assemblée nationale.47

En 1998, la commission a reçu 107 millions de francs CFA en crédits de l'Etat [environ 180.000 US$]. Environ 40% de cette somme ont été consacrés aux dépenses en personnel (salaires et indemnités payés aux commissaires et au personnel, soit trente personnes) et 60% ont été consacrés aux frais de fonctionnement (équipements, fournitures, frais de "promotion" et de "protection", frais de déplacement et frais généraux). En 1998, chaque membre recevait un salaire de 135.000 francs CFA [soit 225 US$] par mois, salaire conforme à la loi et proportionnel aux salaires perçus dans les autres services de l'administration. En 1999, la commission espérait recevoir 133 millions de francs CFA [soit 220.000 US$] en subventions de l'Etat, ainsi que des financements extérieurs provenant de fondations avec lesquelles elle a déjà pris contact.48 La CNDH s'est efforcée d'obtenir des financements auprès de bailleurs de fonds extérieurs tels que le Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme et le PNUD, ainsi que d'autres sources, et en 1999, le Haut Commissariat des Nations Unies envisageait d'envoyer une mission dans le but de préparer un accord de coopération qui pourrait aboutir à un financement et à une assistance technique.

Evaluation

Comparé aux autres pays de la région, le Togo possède une longue expérience de travail avec une commission nationale des droits de l'homme, ce qui prouve le grand potentiel de l'institution, mais également sa grande fragilité. Rares sont ceux qui auraient pu prédire le rôle dynamique que la CNDH allait jouer lorsqu'elle a été créée par de proches alliés du président à une époque de parti unique. La CNDH a produit des dirigeants clairvoyants et courageux, surtout lorsque Robert Dovi était à sa tête, et elle a joué un rôle crucial pour le mouvement qui a conduit à la conférence nationale et à l'élaboration d'une nouvelle constitution plus démocratique. A cette époque, les dirigeants de la CNDH ont offert un écran de protection qui a contribué à l'émergence des ONG locales de défense des droits de l'homme.

Il n'est donc guère surprenant que la CNDH ait été au nombre des victimes de la répression lancée par le Président Eyadema contre le mouvement démocratique. Son dynamique président ayant été contraint de s'exiler, la commission n'est devenue que l'ombre d'elle-même et lorsqu'elle a repris vigueur en 1996, elle s'est battue pour combler la brèche. Alors que le nombre de ses membres et ses pouvoirs ont été élargis, on constate avec ironie que sa composition était plus diversifiée à l'époque du parti unique, le fait que les commissaires doivent être élus par l'assemblée nationale ayant garanti une large allégeance à l'administration actuelle. En outre, le contrôle étroit exercé par le président de la commission, Komi Gnondoli, a limité les possibles voix dissidentes en son sein. La CNDH actuelle n'a que peu de crédibilité, surtout lorsqu'on la compare avec ce qu'elle était à ses débuts. Ses activités de promotion et d'éducation, qui peuvent être appréciées dans d'autres pays, sont largement considérées comme insignifiantes en l'absence d'une volonté d'assumer un rôle de protection plus important et alors que son président fustige des ONG internationales des droits de l'homme fort respectées.

L'expérience de la CNDH témoigne également de l'importance de travailler avec les ONG des droits de l'homme. Lorsque la CNDH a été créée, le Togo n'avait pas encore un cercle d'ONG locales de défense des droits de l'homme mais la situation a changé aujourd'hui. Pourtant, la CNDH ne s'est pas adaptée à cette réalité et sa crédibilité en a souffert.

La CNDH semble aujourd'hui faire partie des moyens mis en _uvre par le Président Eyadema pour redorer son image et le blason de son pays en lançant ce que l'on pourrait appeler une "offensive de charme" auprès des organisations régionales et internationales. Au nom de la commission, Komi Gnondoli a participé à diverses rencontres internationales pour présenter la CNDH comme une commission modèle fondée en vertu des Principes de Paris et le Togo a proposé d'accueillir la prochaine rencontre régionale panafricaine des commissions des droits de l'homme en 2000. Néanmoins, certains ne se laissent pas prendre si facilement à ce jeu, comme l'a expliqué un commissaire des droits de l'homme d'un autre pays francophone d'Afrique, qui a assuré à Human Rights Watch que les faiblesses de la CNDH étaient bien connues et que l'envie d'organiser la rencontre de l'an 2000 dans un pays francophone était la raison principale pour laquelle ils ne s'étaient pas opposés à la proposition togolaise ; il ne s'agissait nullement de reconnaître la légitimité de la commission togolaise.49 Mais tant que le Togo poursuivra sa répression à l'encontre des militants togolais des droits de l'homme et refusera de répondre aux demandes formulées par les ONG locales et internationales, la reconnaissance et le soutien internationaux inconditionnels à la CNDH ne pourront que nuire à la cause des droits de l'homme au Togo et ailleurs.

1 "Eyadema s'est servi de sa position de leader indéracinable pour réprimer l'opposition réelle existante et s'assurer un nouveau mandat de cinq ans lors des élections organisées le 21 juin 1998 qui, comme toutes les précédentes élections multipartites, ont été entachées de fraude systématique. De graves irrégularités dans la manière dont le Gouvernement a organisé les élections ont nettement favorisé le président en exercice et semblent avoir influencé le résultat du scrutin." Département d'Etat américain, "Togo Country Report on Human Rights Practices for 1998." 2 Palouki Massina, Droits de l'Homme, libertés publiques et sous-développement au Togo (Lomé : Les Nouvelles Editions Africaines du Togo, 1997), p.83. 3 Entretien de Human Rights Watch avec Aboudou Assouma, juge à la Cour Constitutionnelle, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 4 Ibid. 5 CNDH, Cérémonie solennelle d'installation de la CNDH, (Lomé, le 21 octobre 1987). La date a été décidée pour coïncider avec l'anniversaire de la date d'entrée en vigueur de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. M. Assouma a toujours souligné le lien entre la Commission et l'Article 26 de la Charte africaine qui stipule que "Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de permettre l'établissement et le perfectionnement d'institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et des libertés garantis par la présente Charte." 6 Entretien de Human Rights Watch avec Komi Gnondoli, président de la CNDH, Durban, Afrique du Sud, le 3 juillet 1998. 7 Entretiens de Human Rights Watch avec Yves Boukpessi, responsable national du projet de coopération technique relatif aux droits de l'homme du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme des Nations Unies, Lomé, Togo, le 4 avril 1999; et avec Jonas Sokpoh, avocat et ancien secrétaire général de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 8 Pour reprendre les termes de son président, "La LTDH a refusé de participer parce que le texte de la CNDH ne garantit pas le bon fonctionnement de la Commission. La loi n'est pas adéquate puisque l'assemblée nationale élit les membres à la majorité simple. Si la Commission se veut être une véritable commission nationale, les votes devraient se faire à la majorité qualifiée." Entretien de Human Rights Watch avec le président de la LTDH, Koffimessa Devotsu, et un membre de la LTDH, Koffi Amlalo, Lomé, Togo, le 5 avril 1999. 9 Entretien de Human Rights Watch avec le Bâtonnier et d'autres membres de l'ordre des avocats, Lomé, Togo, le 24 juin 1999. 10 Entretien de Human Rights Watch avec plusieurs militants des droits de l'homme, dont Maître Jonas Sokpoh, ancien secrétaire général de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 11 L'un des quelques membres "dissidents" de la commission la qualifie de monocolore. Entretien de Human Rights Watch avec une personne qui a tenu à rester dans l'anonymat, Lomé, Togo, le 24 juin 1999. 12 Ibid. 13 Comme l'a annoncé Yao Agboyibor, premier président de la CNDH, dans son discours d'inauguration "la Commission n'a pas pour fonction de dénoncer les violations des droits de l'homme à l'instar d'une association privée mais de recevoir au contraire les dénonciations et de faire cesser les cas qui lui sont soumis en mettant en _uvre les prérogatives qui lui sont conférées par la loi." Discours prononcé par Yao Agboyibor, président de la CNDH, dans CNDH, Cérémonie solennelle d'installation de la CNDH, (Lomé, le 21 octobre 1987), p.21. 14 Voir, par exemple, "Togo: Rights Spotlighted," Africa News, 12 décembre 1988, citant Almami Cyllah d'Amnesty International (Etats-Unis). 15 CNDH, Rapport annuel 1989, annexe au rapport du séminaire national d'information et de sensibilisation organisé les 20 et 21 octobre 1989 à l'occasion du 2ème anniversaire de la CNDH, (1989), p.3. 16 CNDH, Rapport Annuel, (1989), p.9; Les Echos (revue de la CNDH), No.3 (janvier-février 1990), p.19. 17 Les Echos [revue de la CNDH], No.3 (janvier-février 1990), p.16. 18 Article 19: The International Centre on Censorship, Freedom of Information and Expression in Togo, (Londres, juillet 1989), p.15. 19 Les Echos [revue de la CNDH], no.3, p.10. Plusieurs articles du même numéro sont consacrés à la liberté d'expression: "La pluralité d'opinion, exigence de la démocratie, " Kuakuvi Mawule, p.12; "Liberté d'expression et devoir d'ingérence dans les affaires d'autrui ou la liberté d'expression et de presse comme fonction critique et mise en crise de la société, "Ayayi T. Apedo-Amah, p.13. 20 Entretien de Human Rights Watch avec le journaliste Mewenemesse Appolinaire, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 21 Palouki Massina, Droits de l'homme, libertés publiques et sous développement au Togo (Lomé: Les Nouvelles Editions Africaines du Togo, 1997). 22 L'article 156 proclame l'indépendance de la CNDH et l'article 157 stipule que "aucun membre du gouvernement ou du parlement ni aucune autre personne ne pourra entraver l'exercice des fonctions de la commission." 23 Entretiens de Human Rights Watch avec des membres du comité exécutif de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 24 CNDH, Rencontre de Lomé des Commissions Nationales Africaines des Droits de l'Homme, (Lomé, 29-31 mai 1995), p.7. 25 Entretien de Human Rights Watch avec un ancien membre du personnel de la CNDH qui a tenu à garder l'anonymat, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 26 Entretiens de Human Rights Watch avec des journalistes qui ont tenu à garder l'anonymat, Lomé, Togo, 4-6 avril 1999. Interrogé à propos du transfert du siège de la commission, un ancien membre du personnel a confirmé les faits, rappelant que M. Assouma avait invoqué des « raisons de sécurité » pour justifier le transfert. Entretien de Human Rights Watch avec un ancien membre du personnel de la CNDH qui a tenu à garder l'anonymat, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 27 Entretien de Human Rights Watch avec un ancien membre du personnel de la CNDH qui a tenu à garder l'anonymat, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 28 Une requête a été introduite par Kofimessa Devotsou, président de la LTDH. Entretien de Human Rights Watch avec Kofimessa Devotsou, président de la LTDH, Lomé, Togo, le 5 avril 1999. 29 Article 21 de la loi 96-12 (du 19 novembre 1996). 30 Ibid. 31 Ibid., article 22. 32 Entretiens de Human Rights Watch avec plusieurs membres du comité exécutif et du secrétariat administratif de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 33 CNDH: Programme d'activités de la CNDH, octobre 1998, p.3. 34 Entretiens de Human Rights Watch avec plusieurs membres du comité exécutif et du secrétariat administratif de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 35 CNDH, Rapport bilan des activités de la CNDH 1997-1998 (synthèse). 36 Entre octobre 1987 et octobre 1988, la CNDH a reçu 208 plaintes, soit 17 par mois. Dix ans plus tard, la CNDH a reçu 7 plaintes par mois de septembre 1997 à décembre 1998. 37 Entretien de Human Rights Watch avec Kofimessa Devotsou, président de la LTDH, Lomé, Togo, le 5 avril 1999. 38 Entretien de Human Rights Watch avec le journaliste Mewenemesse Appolinaire, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 39 Entretien de Human Rights Watch avec Me Jonas Sokpoh, ancien secrétaire général de la CNDH, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 40 Entretien de Human Rights Watch avec Komi Gnondoli, président de la CNDH, Durban, Afrique du Sud, le 3 juillet 1998. 41 Cfr "La CNDH s'insurge contre les allégations de la FIDH," Togo Presse, le 28 janvier 1999, p.6. 42 Ibid. 43 Amnesty International, Togo: Rule of Terror, AFR 57/01/99, le 5 mai 1999. 44 "La CNDH indignée par le rapport d'Amnesty International," Togo Presse, le 10 mai 1999. 45 Entretien de Human Rights Watch avec une personne qui a tenu à garder l'anonymat, Lomé, Togo, le 6 avril 1999. 46 L'article 17 de la loi de 1987 prévoyait que "les ressources de la Commission sont constituées par des subventions, des dons et des recettes provenant de ses activités." 47 La plupart des informations mentionnées dans cette partie ont été obtenues lors d'entretiens réalisés par Human Rights Watch à Lomé, au Togo, auprès des membres du comité exécutif et du secrétariat administratif de la CNDH, le 6 avril 1999. 48 Fax envoyé par Komi Gnondoli, président de la CNDH, le 10 février 2000. 49 Entretien réalisé par Human Rights Watch. Le nom de la personne et le lieu ont été gardés secrets à la demande de la personne interrogée.
Rapport Annuel
Afrique: dossiers
Afrique: actualités

Pays


Afrique du Sud

Bénin

Cameroun

Ghana

Kenya

Liberia

Malawi

Mauritanie

Nigeria

Ouganda

Rwanda

Sénégal

Sierra Leone

Soudan

Tchad

Togo

Zambie



RETOURNER EN HAUT

Copyright © 2001
Human Rights Watch