Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Sierra Leone








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    National Commission for Democracy and Human Rights (NCDHR)

Origine et Mandat

La Sierra Leone, pays déchiré par la guerre, est probablement le pays qui a le plus grand besoin d'une commission des droits de l'homme forte. La guerre civile de neuf ans qui sévit dans le pays a donné lieu à quelques-unes des plus effroyables violations des droits de l'homme que le monde ait connues. Depuis 1991, des dizaines de milliers de Sierra-Léonais ont été tués, des milliers ont été mutilés et plus d'un million de personnes ont été déplacées. Bien que les atrocités aient été commises par toutes les parties, ce sont les rebelles du Revolutionary United Front (RUF) [Front Révolutionnaire Uni] qui sont responsables de la plupart d'entre elles, notamment des exécutions sommaires, du viol et de l'asservissement systématiques des femmes, de l'utilisation des civils comme boucliers humains, du rapt d'enfants et de leur utilisation comme soldats, de la destruction gratuite des biens des civils et de la pratique particulièrement horrible de l'amputation des membres. Lors des campagnes de terreur menées dans les villes et dans les campagnes, les rebelles n'ont pas vraiment fait de différence entre les cibles civiles et les cibles militaires, menant aussi la guerre contre la population civile. Depuis la signature de l'Accord de Paix de Lomé en juillet 1999, la Sierra Leone oscille entre la guerre et la paix.

La National Commission for Democracy and Human Rights (NCDHR) [Commission nationale pour la démocratie et les droits de l'homme] est née de la National Commission for Democracy (NCD) [Commission nationale pour la démocratie], fondée en 1994 par le gouvernement du National Provisional Ruling Council (NPRC) [Conseil national de gouvernement provisoire] dirigé par Valentine Strasser. Suite aux pressions exercées sur lui pour qu'il restaure dans le pays un régime civil après avoir pris le pouvoir lors d'un coup d'Etat militaire en 1992, Strasser avait créé la NCD en vertu du Décret 15 du NPRC, apparemment pour enseigner la constitution au public et cultiver « chez tout citoyen le sens du nationalisme, du patriotisme et de la loyauté envers l'Etat ».1 Strasser a nommé à la NCD un président et quatre commissaires régionaux « selon les modalités et conditions stipulées dans leurs lettres de nomination ».2 Mais cet organe n'était pas indépendant : en vertu de l'article final du décret, la NCD devait « accomplir toute autre fonction déterminée par le National Provisional Ruling Council ».3

Malgré cela, la première personne à avoir été à la tête de la commission, le Dr Kadi Sesay, a tenté de créer une institution qui s'engagerait activement dans la transition vers une démocratie multipartite. Les commissaires ont prêté serment et commencé leur travail le 20 janvier 1995. Les activités de la NCD au cours des deux années qui ont suivi ont inclus des ateliers sur la constitution et l'éducation des électeurs, la publication du «Sierra Leone National Pledge», ainsi que des programmes radiodiffusés et télévisés réguliers visant à promouvoir la compréhension et le débat sur la démocratie, la bonne gouvernance et la tolérance.

Suite au rétablissement d'un régime démocratique en 1996, la NCD a été modifiée pour inclure la composante « droits de l'homme » et devenir la National Commission for Democracy and Human Rights (NCDHR) [Commission Nationale pour la Démocratie et les Droits de l'Homme] après adoption de la loi du 23 décembre 1996 relative aux décrets du NPRC (Abrogation et Modification). Alors que le Comité législatif et le Parlement en ont quelque peu débattu, c'est à peine si les groupes de la société civile ont été impliqués dans l'élaboration de ce nouveau mandat. La NCDHR a conservé les fonctions de la NCD en matière de « construction de la démocratie » mais elle a aussi reçu pour mandat de promouvoir les droits de l'homme garantis par la constitution et les instruments internationaux.4 Mais elle n'a pas reçu de pouvoirs forts, comme celui de citer des témoins et de se faire remettre des documents ou des procès-verbaux, et elle n'est pas habilitée à engager des poursuites judiciaires ou à agir en tant que représentant légal. Bien que la loi stipule que « la commission ne peut être soumise au contrôle ou aux ordres de quelque personne ou autorité que ce soit »5, elle a gardé les fonctions qui pouvaient indirectement la soumettre à l'ingérence étatique, notamment celle de développer des programmes visant à « cultiver un sentiment de nationalisme, de patriotisme et de loyauté envers l'Etat ».6 Les militants locaux des droits de l'homme estiment en fait que l'omission de pouvoirs d'investigation forts est davantage due à un manque de consultation des militants et ONG des droits de l'homme qu'à une intention délibérée de l'Etat.7

La Sierra Leone a replongé dans la guerre peu après la création de la NCDHR. En mai 1997, le Armed Forces Revolutionary Council [Conseil Révolutionnaire des Forces Armées] a pris le pouvoir, suspendu la constitution, interdit les activités politiques et annoncé qu'il gouvernerait par décret militaire. Il s'est ensuite allié au RUF et pendant neuf mois, le règne de la terreur a prévalu, au milieu de l'effondrement total de l'Etat de droit, jusqu'à ce qu'en février 1998, l'AFRC et le RUF soient évincés par les forces de maintien de paix de la Communauté Economique des Etats d'Afrique Occidentale (ECOMOG). Après avoir perdu le pouvoir, l'AFRC et le RUF ont mené une guerre de terreur contre les civils, commettant des atrocités flagrantes et généralisées pour tenter de regagner le pouvoir. Le président civil, Tejan Kabbah, qui avait été élu en mars 1996, a été rétabli dans ses fonctions mais les combats, caractérisés par des atrocités et des exactions flagrantes, se sont poursuivis et la capitale Freetown est retombée aux mains des forces rebelles pendant un certain temps. Les forces de défense civiles comme les Kamajors, qui soutenaient le gouvernement Kabbah, ont également perpétré de nombreuses exactions. Finalement, sous la pression internationale, le gouvernement et les rebelles sont arrivés à un accord sur le partage du pouvoir, l'accord de paix de Lomé, en juillet 1999. Mais cet accord a à son tour été violé au cours du premier semestre 2000, aboutissant à une reprise des hostilités et à de nouvelles atrocités.

Au début de l'année 2000, la NCDHR était en pleine mutation, l'Accord de Paix de Lomé ayant appelé à la création d'une « commission nationale des droits de l'homme quasi-judiciaire et autonome»8 dans un délai de quatre-vingt-dix jours. Pourtant, le débat était toujours en cours en mars 2000 au sein des secteurs gouvernemental et non gouvernemental entre l'interprétation tendant à étendre les pouvoirs de la NCDHR et celle penchant plutôt pour la création d'une nouvelle commission. Des pressions considérables ont commencé à s'élever aux niveaux national et international en faveur de deux commissions séparées: l'une chargée de l'édification de la démocratie et l'autre de la promotion et de la protection des droits de l'homme.

Procédures d'engagement et de nomination

Le président de la commission et les quatre commissaires sont nommés par le Président et ils ont des mandats de cinq ans renouvelables. Ils ne peuvent être démis de leurs fonctions que par le Président pour «incapacité à exercer les charges de leur fonction, que ce soit pour cause d'infirmité physique ou mentale ou pour inconduite avérée.»9

Le président et les quatre commissaires régionaux viennent tous du monde enseignant. Il s'agit de professeurs et/ou maîtres de conférence qui ont été recrutés dans les deux principales universités de Sierra Leone. L'un d'eux a longtemps été fonctionnaire avant de devenir maître de conférence. Le président et les commissaires représentent plusieurs des principaux groupes ethniques du pays : les Temne, les Krio, les Mende et les Loko. Le premier président (qui était une femme), le Dr Kadi Sesay, a démissionné en octobre 1999 pour occuper un poste de ministre au sein du gouvernement. Un nouveau président, le professeur Joe Pemagbi, qui était précédemment commissaire de la NCDHR pour la région australe, a été nommé en décembre 1999. Le poste que le professeur Pemagbi occupait précédemment a été repris par un autre enseignant, Bob Carter. La NCDHR compte au total quelque vingt-cinq employés, et notamment un juriste à temps partiel et plusieurs spécialistes dans le domaine de l'enseignement public.

Activités

Dès le début de son travail en janvier 1997, les activités éducatives de la NCDHR ont inclus des programmes radiodiffusés le week-end au cours desquels on discute des questions de droits de l'homme, l'impression et la diffusion de brochures (sur des thèmes tels que la tolérance politique, les droits légitimes et politiques, les droits de la femme et de l'enfant, les droits des détenus), l'élaboration de manuels sur les droits civiques et de l'homme et un programme de cours pour les écoles primaires et secondaires.

En 1997, la NCDHR a mis sur pied quatre comités spécialisés de supervision des droits de l'homme - police, prisons, femmes et enfants, questions générales - pour rassembler les informations nécessaires et plaider en faveur des victimes des violations des droits de l'homme. Les membres bénévoles de ces comités étaient des militants des droits de l'homme, des professionnels, des fonctionnaires et des chefs religieux. La NCDHR leur a fourni une formation via la section droits de l'homme de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (UNAMSIL).10 L'enthousiasme apparu au départ est retombé par la suite et les comités ont dû faire face à un manque de participation et de convergence. En octobre 1999, seul le Comité Femmes et Enfants avait encore des réunions régulières, avec suffisamment de participants tandis que les comités Police et Questions Générales avaient eu moins de six rencontres depuis leur formation. Il est clair que la guerre a été un facteur perturbateur mais la nature bénévole et non rémunérée du travail a également joué un rôle. La direction de la NCDHR n'a pas non plus accordé aux comités une importance suffisante comme l'explique Abdulai Bun Wai, militant d'une organisation nationale, Prisons Watch :

Au début, j'étais très optimiste, je me sentais honoré qu'on m'ait demandé de faire partie du comité Prisons. Mais après un certain temps, j'ai perdu mes illusions. Nous avons proposé de nous rendre dans les prisons, mais nous ne l'avons pas encore fait une seule fois. Nous nous sommes fiés aux paroles du directeur de la prison. Nous avons proposé de réimprimer le code de conduite relatifs aux normes des prisons et aux normes internationales, mais nous ne l'avons pas fait. J'ai rassemblé des informations sur la mortalité en milieu carcéral, mais ça n'avait l'air d'intéresser personne. Donc j'ai arrêté d'y aller. J'avais l'impression que ce qui les intéressait le plus, c'était de protéger le gouvernement plutôt que de plaider la cause des prisonniers. Nous avons plutôt décidé de renforcer nos propres initiatives dans les ONG.11

En 1998, une campagne éducative de trois ans engageant plusieurs millions de dollars et intitulée « Programme national de conscientisation » a été lancée avec le soutien financier du PNUD.12 Ce programme visait à promouvoir la paix, la réconciliation et le respect des droits de l'homme, en faisant un usage créatif des réunions publiques, des campagnes auprès des médias, du théâtre de rue, de l'art et de la musique. Lancé après l'échec de l'Accord de Paix d'Abidjan de 1997 et avant la signature de l'Accord de Paix de Lomé de 1999, le programme avait également pour objectif de susciter l'appui nécessaire à la politique du gouvernement visant à mettre fin à la guerre. Il a cependant monopolisé le personnel de la NCDHR.

Avant les pourparlers de paix de Lomé en mai 1999, la NCDHR a organisé une vaste conférence de concertation rassemblant des associations de professionnels, d'étudiants, des groupes concernés par les droits civiques et les droits de l'homme, ainsi que des anciens et des chefs religieux pour débattre des questions liées aux pourparlers de paix et présenter au gouvernement les points de vue de la société civile. Après la signature de l'Accord de Paix de Lomé en juillet 1999, la NCDHR a aidé à mener une campagne d'information populaire sur le contenu de cet Accord mais le fait qu'elle n'ait pas protesté publiquement contre une amnistie totale controversée pour les auteurs d'atteintes aux droits de l'homme a soulevé l'inquiétude dans les rangs des militants des droits de l'homme.

Deux fois par semaine, la NCDHR offre des services juridiques gratuits dans un centre d'aide juridique à Freetown. Celui-ci se penche principalement sur les violations des droits économiques et sociaux qui ne sont pas liées à la guerre, par exemple les litiges concernant la garde des enfants, les licenciements abusifs, les litiges entre locataires et propriétaires, le non paiement d'allocations, les conflits conjugaux et les relations en milieu de travail. Le centre d'aide juridique, dirigé par un juriste à temps partiel -soutenu par le PNUD et par quelques autres juristes bénévoles- enregistre quelque quarante à cinquante nouvelles affaires chaque semaine. Etant donné que la NCDHR n'a pas le pouvoir de se faire remettre des dossiers ou d'entamer des poursuites au nom de ses clients, la plupart de ces affaires sont soit réglées par médiation soit portées devant les tribunaux à titre privé. Le centre juridique a, à de nombreuses reprises, examiné des affaires controversées impliquant la police et les institutions officielles, et elle a démontré à titre privé aussi bien que public sa volonté d'affronter le gouvernement. Ce faisant, elle a au moins contribué quelque peu au soutien de l'Etat de droit à un moment où le système judiciaire en Sierra Leone est inefficace et corrompu, et à briser le cycle d'impunité pour les graves violations des droits de l'homme. Selon le Dr Kadi Sesay :

A nos yeux, le centre d'aide juridique est l'un des éléments clefs permettant d'aborder les violations des droits de l'homme. Pour les citoyens ordinaires, même le fait de se rendre au tribunal de 1ère instance est une chose difficile. Ils ne peuvent se permettre de payer les frais de justice et même s'ils en ont les moyens, la loi de ce pays est tellement lente que les gens finissent par abandonner. Nous avons examiné des affaires controversées où la police avait tenté d'intimider des témoins, où elle avait dit avoir perdu les dossiers des clients, mais nous les avons prises en main. Il ne suffit pas d'éduquer les gens par rapport à leurs droits politiques, civiques et humains. Il faut aussi leur fournir un mécanisme dont ils peuvent se servir lorsque ces droits sont bafoués.13

Les activités de la NCDHR sont fortement entravées par les conditions difficiles, voire dangereuses, dans lesquelles elle travaille. Les membres de la commission invoquent l'instabilité et l'insécurité causées par le conflit permanent ainsi que le manque de fonds pour expliquer que leur travail a été sérieusement limité et la réalisation de plusieurs projets contrecarrée. Après quelques mois d'existence, le travail de la NCDHR avait été interrompu par le coup d'Etat du 27 mai 1997 qui avait conduit le gouvernement en exil en Guinée, et après avoir repris ses activités en mars 1998, elle a à nouveau été interrompue en janvier 1999 par une offensive rebelle contre Freetown. Cinq voitures offertes par le PNUD pour le travail de la commission ont été détruites et ses bureaux endommagés. Au moins deux membres de la NCDHR ou de ses comités ont été tués lors de l'offensive et d'autres ont été contraints de s'exiler et doivent encore rentrer au pays. Les longs couvre-feu limitant les heures de travail et l'occupation rebelle de près de la moitié du pays ont rendu particulièrement difficile pour la NCDHR d'opérer en dehors de Freetown. Joe Pemagbi, président de la NCDHR et ancien commissaire pour la région australe, a déclaré à Human Rights Watch:

On a l'impression que chaque fois que nous commençons quelque chose, le projet est interrompu. L'année dernière, nous avons reçu une formation spécialisée de l'UNAMSIL en matière de surveillance des droits de l'homme. Mais un mois plus tard, notre travail et nos vies ont été interrompus par l'offensive [rebelle] de janvier. Donc nous n'avons même pas eu le temps de mettre nos acquis en pratique. Nous ne disposons ni de fonds ni de logistique pour travailler convenablement. Nous ne pouvons même pas nous déplacer pour nos réunions. Nous voulons entamer des enquêtes, effectuer un travail de surveillance dans chaque région du pays. Mais pour ce faire, nous devons voyager et nous n'avons même pas de fonds pour cela. Certaines des voitures qu'on nous avait offertes ont été soit détruites soit confisquées pendant l'offensive. Nous voulons publier un bulletin des droits de l'homme, mais il n'y a pas d'argent. Différents manuels concernant l'éducation aux droits de l'homme, tels que « Women and the Law » [Les femmes et la loi], et une forme abrégée de la constitution, sont prêts à être imprimés mais nous n'avons pas d'argent pour le faire. Nous ne pouvons pas vraiment en faire le reproche au gouvernement. En fait, la guerre a détruit l'économie et ne lui a pas laissé d'argent à distribuer.14

Financement

Le président, les quatre commissaires et plusieurs membres du personnel administratif sont payés par le gouvernement, tandis que les autres employés sont payés par une subvention triennale du PNUD. La première présidente, le Dr Sesay, a reconnu le manque de recherches et de documentation et en a rejeté la responsabilité sur le manque de fonds et le manque d'effectifs qui s'ensuit, ce qui empêche la NCDHR d'être davantage une organisation axée sur l'intervention active. Elle a fait remarquer que malgré l'élargissement du mandat de la commission lorsque la NCD est devenue l'actuelle NCDHR, son service n'a été ni renforcé en personnel ni doté de fonds gouvernementaux supplémentaires. Les contributions provenant du gouvernement sont effectivement très faibles: pour 1996 et 1997, la NCDHR a reçu un total de 30.000 US$. En 1998, elle n'a reçu que 6.300 US$. Et en septembre 1999, la commission n'avait reçu que 6.200 US$ pour l'ensemble de l'année. S'il est vrai que la guerre s'est avérée dévastatrice pour l'économie et la capacité de financement du gouvernement, il n'en reste pas moins que les maigres subsides octroyés jusqu'à présent par le gouvernement incitent à mettre en doute son engagement envers la NCDHR.

Etant donné l'insuffisance des financements de l'Etat pour couvrir ses activités, la NCDHR dépend fortement des fonds extérieurs, notamment d'une subvention de 1,6 million de dollars du PNUD pour la « conscientisation ». D'autres fonds proviennent du gouvernement britannique pour l'achat d'une landrover, des Etats-Unis pour des ateliers sur la démocratie, du Canada pour un projet de manuel scolaire, ainsi que du Commonwealth qui a financé une Conférence Nationale pour la Responsabilisation de la Femme [National Conference for the Empowerment of Women].

Etant donné qu'un pourcentage tellement important de subsides de la NCDHR provient du PNUD, il faudrait de toute évidence que celui-ci travaille en étroite concertation avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme, vu son expérience particulière, pour voir comment on peut le mieux renforcer la commission. Cette concertation ne semblait pourtant pas exister fin 1999, mettant en lumière le besoin d'améliorer la coordination entre les différentes agences de l'ONU dans des situations telles que celle de la Sierra Leone.

Evaluation

Le vaste mandat de la NCDHR au niveau de la promotion de la démocratie et des droits de l'homme ainsi que l'orientation et la formation de pédagogues qu'ont les commissaires constituent à la fois une force et une faiblesse. Le mandat de la commission des droits de l'homme a été fortement interprété en termes de programmes d'éducation aux droits de l'homme. La population est désormais plus consciente des questions des droits de l'homme grâce aux programmes de sensibilisation de la NCDHR. Des militants sierra-léonais des droits de l'homme interrogés par Human Rights Watch ont unanimement reconnu les mérites de la dimension éducative du mandat de la NCDHR. De même, Michael O'Flaherty, ancien chef de la section droits de l'homme de l'UNAMSIL, a souligné que la NCDHR « a acquis des compétences, une méthodologie et une connaissance considérables en matière de diffusion et de sensibilisation, qui peuvent être utilisées de bien des façons».15

La NCDHR a été beaucoup moins active pour surveiller et recueillir des informations sur les exactions, ou pour demander réparation pour les victimes, en dépit des graves violations de la législation des droits des l'homme et du droit humanitaire international qui continuent d'être commises en Sierra Leone. La NCDHR n'a pas élaboré de programme spécial pour entreprendre ce travail, peut-être en raison de problèmes de financement, mais aussi, semble-t-il, en raison de la préférence qu'ont les commissaires pour les initiatives éducatives. Comme l'ont fait remarquer trois militants des droits de l'homme sierra-léonais bien connus, elle n'a pas encore produit de rapport public sur l'état des droits de l'homme, bien qu'elle soit chargée de le faire. Frank Kargbo a déclaré :

En ce qui concerne l'éducation populaire, la NCDHR a une très bonne assise et sa contribution à ce niveau a été significative, plus particulièrement en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Néanmoins, le volet protection des droits de l'homme de son mandat n'a jamais été sérieusement pris en considération. Le problème est en partie dû au fait qu'aucun des commissaires ne connaît bien l'idéologie des droits de l'homme. L'autre problème est qu'ils n'ont pas suffisamment d'effectifs. Et les employés dont ils disposent se consacrent à la campagne d'éducation.16

Isaac Lappia, le représentant sierra-léonais d'Amnesty International allait dans le même sens:

Nous n'avons tout simplement pas vu la NCDHR prendre suffisamment en considération les questions essentielles des droits de l'homme touchant au système judiciaire, telles les arrestations arbitraires, les prisons surpeuplées, les brutalités en milieu carcéral, le taux de mortalité élevé chez les prisonniers, la corruption dans les tribunaux et la peine de mort. Prenons par exemple les procès de 1998 pour trahison : certains accusés avaient été jugés coupables sur base de preuves peu solides et non corroborées. La NCDHR n'a rien dit. Et ensuite le 19 octobre 1998, lorsque vingt-quatre personnes ont été exécutées publiquement, la commission n'a fait aucune déclaration pour condamner cet acte. Il s'agissait d'une question à forte teneur politique mais en tant que militants des droits de l'homme, ils auraient dû au moins publier une déclaration condamnant le recours à la peine de mort .17

Joseph Rahall, le président du Forum des Droits de l'Homme, une organisation regroupant une vingtaine d'associations des droits de l'homme, s'est montré plus critique:

Ils auraient dû être les premiers à sortir un rapport sur l'offensive [rebelle] de janvier 1999, ou sur les effets des opérations « No Living Thing » (Pas âme qui vive) ou « Pay Yourself » (Sers-toi). Après l'offensive de janvier, ils auraient pu envoyer des gens dans les rues pour recueillir des témoignages et ensuite réunir tous ces témoignages et sortir un rapport. Ils ne disposent d'aucune statistique sur le nombre de personnes amputées, blessées ou tuées pendant ces offensives rebelles. Le pays a ainsi été privé de données sur les atteintes aux droits de l'homme.18

Pour certains, les manquements de la NCDHR à ce niveau prouvent bien qu'elle n'est pas disposée à critiquer ouvertement les abus commis par le gouvernement ou par ses représentants, tels que les milices kamajors ou les forces de maintien de la paix de l'ECOMOG. Les militants locaux des droits de l'homme estiment que la NCDHR n'aurait pas dû garder le silence lorsque des personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les rebelles ont été lynchées après la restauration de la démocratie en février 1998 ou lorsque vingt-quatre membres de la junte accusés de trahison ont été exécutés publiquement en octobre 1998 et qu'elle aurait dû protester contre l'utilisation systématique d'enfants soldats par les milices kamajors soutenues par le gouvernement. Ils ont en outre condamné le fait que la commission ne se soit pas opposée ouvertement à l'amnistie générale décrétée en faveur des auteurs des atteintes aux droits de l'homme et aux atrocités, aministie incluse dans l'Accord de Paix de Lomé de juillet 1999. Les journalistes sierra-léonais se sont également plaints du fait que la NCDHR n'ait pas dénoncé deux projets de loi controversés relatifs au contrôle des médias.

Certains militants sierra-léonais considèrent maintenant la NCDHR quasiment comme un porte-parole du gouvernement et disent qu'elle manque de crédibilité en tant que commission indépendante des droits de l'homme capable de représenter tous les secteurs de la société. La situation de ses bureaux dans un bâtiment occupé uniquement par des ministères ne fait qu'exacerber ce sentiment et son indépendance a également été mise en question lorsque sa présidente (à l'époque), le Dr Kadi Sesay, a fait partie de l'équipe gouvernementale lors des pourparlers de paix de Lomé. Le Dr Sesay affirme que c'était la meilleure chose à faire. Elle a déclaré à Human Rights Watch que cette décision n'avait pas été prise à la légère :

Je m'y suis rendue tout spécialement pour représenter le point de vue des droits de l'homme. Nous avions peur que la commission pour la vérité et la réconciliation ne soit notamment reléguée au second plan. J'ai mené une dure bataille contre l'amnistie générale et j'ai fait en sorte que les questions relatives aux femmes et aux enfants soient incluses dans l'accord. Je suis allée là-bas spécialement pour veiller à ce que les droits de l'homme ne soient pas laissés de côté.19

Le Dr Sesay dit que ni elle ni la commission n'ont reçu de menaces ou n'ont été mises sous pression par le gouvernement. Pourtant, un ancien employé de la NCDHR a expliqué à Human Rights Watch qu'on lui avait reproché de ne « pas se conformer aux opinions du gouvernement » lorsqu'il avait rédigé une déclaration publique condamnant les jugements de la cour martiale et les condamnations à mort de 1998, déclaration qui n'a pas été utilisée, et qu'on l'avait également mis en garde indirectement après qu'il ait parlé d'atrocités commises par les forces de défense civile kamajors (groupes de milices pro-gouvernementales) au cours d'un programme radiodiffusé hebdomadaire parrainé par la NCDHR.20

Malgré ces questions et limitations, la NCDHR a développé de bonnes relations et une coopération avec les ONG locales des droits de l'homme, dont plusieurs membres participent aux comités de supervision de la NCDHR, qui continuent à envoyer les gens au centre d'aide juridique de la NCDHR. Ce processus a été soutenu par la section droits de l'homme de l'UNAMSIL qui a contribué à unifier et solidariser autour d'un même but le gouvernement et les organisations non gouvernementales sierra-léonaises de défense des droits de l'homme. Cela s'est concrétisé par la création du Comité des droits de l'homme en janvier 1999, lequel rassemble des ONG locales et internationales, la NCDHR et les agences de l'ONU. L'UNAMSIL a également animé plusieurs ateliers de formation pour les membres de la NCDHR et de ses comités et l'a aidée à élaborer un rapport devant être remis par le gouvernement à l'ONU à propos de son respect de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l'Enfant.

Au début de l'année 2000, l'avenir de la NCDHR n'était pas clair. En vertu de l'article xxv de l'Accord de Lomé, une Commission nationale des droits de l'homme autonome et quasi-judiciaire aurait dû être créée « d'urgence et dans un délai maximum de 90 jours » après la signature de l'accord, mais des mois après l'expiration du délai, le débat se poursuivait toujours pour savoir si le volet droits de l'homme du mandat de la NCDHR devait être étendu ou si un nouvel organe devait être créé. Entre-temps, Brian Burdekin, conseiller spécial du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme s'est rendu en Sierra Leone pour étudier le besoin d'une assistance technique de l'ONU et il a remis ses conclusions, qui n'ont pas été rendues publiques, au Haut Commissaire de l'Onu aux Droits de l'Homme. Au cours de sa visite, il n'a cessé d'insister sur l'importance de l'indépendance et du pluralisme de la future commission, qui devrait aussi jouir de pouvoirs accrus. Les militants sierra-léonais des droits de l'homme interrogés par Human Rights Watch estimaient qu'il fallait créer une nouvelle commission, non liée à la NCDHR et dirigée par une personne expérimentée dans le domaine des droits de l'homme ou le domaine juridique. Les commentaires ci-dessous reflètent l'opinion générale :

Le mandat [de la NCDHR] est tout simplement trop vaste. Dans la partie du mandat qui concerne l'édification de la démocratie, il reste encore tellement à faire ; la constitution doit être révisée et il y a encore beaucoup à faire pour éduquer les gens sur la façon dont une vraie démocratie devrait fonctionner. Quant aux droits de l'homme, il y a encore tant à faire au niveau de la recherche d'informations, de la surveillance et de la dénonciation des violations. Les droits de l'homme forment en soi une question très vaste, étant donné l'ampleur des atrocités commises en Sierra Leone. La [nouvelle] commission devrait voler de ses propres ailes.21

Quelle que soit l'issue de ce débat, une NCDHR jouissant de pouvoirs plus étendus ou un organisme totalement nouveau, la nouvelle commission doit être indépendante du gouvernement et disposer de vastes pouvoirs d'investigation, notamment celui de citer des témoins et de se faire remettre des documents. Elle doit aussi disposer de ressources matérielles et humaines suffisantes et être capable de recevoir et de traiter des informations concernant des exactions partout dans le pays.

1 « a sense of nationalism, patriotism and loyalty to the State in every citizen »

Décret du 27 octobre 1994 relatif à la National Commission for Democracy, article 3(f)(i).

2 « on such terms and conditions as may be contained in their letters of appointment »

Ibid., article 2.

3 « perform such other functions as may be determined by the National Provisional Ruling Council »

Ibid, article 3(g).

4 The NPRC Decrees (Repeal and Modification) Act, 1996

(Loi de 1996 relative aux décrets du NPRC (Abrogation et Modification).

5 «the commission shall not be subject to the control or direction of any person or authority» 6 « the cultivation of a sense of nationalism, patriotism and loyalty to the State », ibid., articles 4 et 3(h)(i). 7 Entretien de Human Rights Watch avec Abdul Tejan Cole, membre du Sierra Leonean Lawyers for Human Rights, Freetown, Sierra Leone, le 6 septembre 1999. 8 «autonomous quasi-judicial national Human Rights Commission » 9 « inability to perform the functions of his office, whether arising from infirmity of body or mind or for stated misconduct » The NPRC Decrees (Repeal and Modification) Act, 1996, articles 4(2)(2) et (3). 10 Au départ, l'UNAMSIL avait été établie en tant que Mission d'Observation des Nations Unies en Sierra Leone (UNOMSIL) en juillet 1998. Le mandat de l'UNAMSIL a été adopté par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 22 octobre 1999. 11 Entretien de Human Ritghts Watch avec Abdulai Bun Wai, co-directeur de Prisons Watch, Freetown, Sierra Leone, le 7 septembre 1999. 12 Les objectifs et les stratégies du National Awareness Raising Program (Programme national de conscientisation) ont été précisés comme suit dans une déclaration de la Représentante (à l'époque) du PNUD en Sierra Leone, Elizabeth Lwanga : « La stratégie repose sur une campagne massive d'information, de formation et de sensibilisation par rapport à des questions telles que la coexistence pacifique, la réconciliation, le nationalisme, la tolérance mutuelle, les droits et obligations des citoyens envers l'Etat et vice versa ; [et] la nécessité et l'importance de la réorientation des états d'esprit négatifs, étant donné que le changement de ces états d'esprit sensibiliserait les personnes et engendrerait des attitudes allant dans le même sens que les objectifs du gouvernement, à savoir l'édification de la paix et la réconciliation. » NCDHR, Awareness Monthly Newsletter n°1, Freetown, novembre 1998. 13 Entretien de Human Rights Watch avec Kadi Sesay, alors présidente de la NCDHR, Freetown, Sierra Leone, le 8 septembre 1999. 14 Entretien de Human Rights Watch avec Joe Pemagbi, président de la NCDHR, ancien commissaire pour la région australe, Freetown, Sierra Leone, le 12 septembre 1999. 15 Entretien de Human Rights Watch avec Michael O'Flaherty, (alors) responsable de la section des droits de l'homme de l'UNAMSIL, Freetown, Sierra Leone, le 15 septembre 1999. 16 Entretien de Human Rights Watch avec Frank Kargbo, président de Manifesto 99 (ONG des droits de l'homme), Freetown, Sierra Leone, le 4 septembre 1999. 17 Entretien de Human Rights Watch avec Isaac Lappia, représentant sierra-léonais d'Amnesty International, Freetown, Sierra Leone, le 3 septembre 1999. 18 Entretien de Human Rights Watch avec Joseph Rahall, président du Human Rights Forum, Freetown, Sierra Leone, le 3 septembre 1999. 19 Entretien de Human Rights Watch avec Kadi Sesay, (alors) présidente de la NCDHR, Freetown, Sierra Leone, le 8 septembre 1999. 20 Entretien de Human Rights Watch, (l'anonymat a été requis), Freetown, Sierra Leone, le 4 septembre 1999. 21 Entretien de Human Rights Watch avec Zainab Bangura, coordinateur de Campaign for Good Governance (Campagne pour la Bonne Gouvernance), Freetown, Sierra Leone, le 3 septembre 1999.
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