Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Tchad








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH)

Origine et mandat

A l'instar de plusieurs autres pays d'Afrique francophone, le Tchad a connu une ouverture politique notable au début des années 90. Le système de parti unique a officiellement pris fin et une conférence nationale a été organisée dans le but de définir les conditions du passage à la démocratie et à l'Etat de droit. Des organisations indépendantes de défense des droits de l'homme ont été créées. C'est dans ce contexte éphémère que la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) a vu le jour. L'idée, suivie plus tard du texte constitutif, a été lancée par des militants des droits de l'homme membres de la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), une ONG créée en février 1991. En 1993, la Conférence Nationale qui réunissait acteurs publics et privés pour mettre au point le processus de démocratisation a officiellement proposé la création d'une commission des droits de l'homme.

Les conditions politiques et l'attitude de l'élite tchadienne au pouvoir n'ont toutefois pas favorisé cette transition. Idriss Deby, président depuis 1990, est le dernier d'une longue lignée de dirigeants (du Nord pour la plupart) arrivés au pouvoir par des moyens militaires et avec le soutien de puissances étrangères. Il a renversé Hissène Habré, dont les années au pouvoir avaient été marquées par des meurtres et des tortures systématiques, avec le soutien des Français qui maintiennent au Tchad leur plus gros contingent en Afrique et ont exercé une influence importante sur les gouvernements tchadiens successifs. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Deby a réprimé une insurrection militaire dans le Sud, causant des pertes massives parmi la population civile, et il continue à être confronté à une insurrection de moindre ampleur dans le Nord. Ses forces de sécurité continuent à commettre de graves violations des droits de l'homme.

Le Tchad a organisé des élections présidentielles en 1996 et parlementaires en 1997, suite auxquelles les membres du parti au pouvoir ont remporté soixante-cinq sièges sur 125 mais de nombreuses manipulations et fraudes ont été dénoncées lors de ces deux élections. Une coalition entre les deux plus grands groupes politiques a ensuite annihilé l'opposition parlementaire, réduite à deux députés. Le plus bruyant des deux, Yarongar Ngarlejy, a passé une bonne partie de l'année 1999 en prison sous l'inculpation de diffamation en raison de ses déclarations sur le favoritisme ethnique et la corruption qui touche un grand projet pétrolier qui pourrait doubler les revenus annuels du gouvernement. Son arrestation s'inscrit dans ce que le représentant de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU a qualifié de `monolithisme' croissant du débat public.1

Malgré cela, la société civile tchadienne s'est par contre épanouie, les organisations locales d'aide au développement et de défense des droits de l'homme jouant aujourd'hui un rôle déterminant dans l'organisation des communautés et la lutte pour le changement. De même, la presse repousse constamment les limites du contrôle gouvernemental, du moins dans la capitale Ndjamena.

La CNDH a été créée en tant qu'institution nationale chargée de faire le lien entre la société civile et le gouvernement.2 En 1994, s'inspirant de l'exemple de son ancienne autorité coloniale, l'Assemblée nationale tchadienne a adopté une loi qui prévoyait la création d'une instance mixte (gouvernementale/non gouvernementale) copiée sur le modèle français de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.3 La CNDH s'est mise à l'ouvrage en mars 1995.4 Hébergée officiellement dans les bureaux du premier ministre, qui doit financer son secrétariat et mettre du personnel à sa disposition, la CNDH allait jouir d'une grande autonomie, d'une diversité parmi ses membres et de la liberté de choisir l'objet de ses enquêtes. Elle a aussi l'obligation de publier les résultats de ses travaux. Les membres de la commission doivent répondre aux critères « d'indépendance, de crédibilité et de confidentialité de la Commission » et ne peuvent remplir d'autres fonctions qui les placeraient sous le contrôle du gouvernement.5 Dès sa création, la commission a cherché à affirmer son indépendance, par exemple en choisissant de quitter les bureaux mis à sa disposition par le premier ministre et l'Assemblée nationale pour aller s'installer dans un endroit plus accessible au public.

La loi de 1994 charge la CNDH de:

· Formuler des avis sur les questions des droits de l'homme à l'intention du gouvernement (article 3(a)) ;

· Assister les institutions nationales et internationales qui luttent en faveur des droits de l'homme au Tchad (article 3(b)) ; et

· Participer à la révision et à la rédaction des lois pour s'assurer de leur conformité avec la Charte des droits de l'homme adoptée par la Conférence Nationale ainsi qu'avec les traités régionaux et internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Tenant compte de la longue tradition tchadienne de détentions secrètes, de tortures et de `disparitions', la loi exige que la commission donne son avis sur les questions suivantes : les pratiques de la police politique ; la pratique de la torture et de traitements inhumains et dégradants ; l'existence de lieux de détention secrets ; et les disparitions forcées et transferts secrets (article 5(a-d)). Par ailleurs, l'article 6 de la loi stipule que la commission est autonome quant au choix des questions qu'elle examinera... par autosaisine. Elle peut librement transmettre ses conclusions au gouvernement et les diffuser auprès du public.

Un décret présidentiel de 1996 qui habilite la commission à recevoir des plaintes tant contre des acteurs privés que contre les autorités gouvernementales élargit son pouvoir  : « Mis à part le droit d'initiative qui lui est reconnu, toute personne qui se considère victime d'une violation des droits de l'homme peut saisir la commission. »6 Celle-ci peut enregistrer des plaintes pour violations publiques ou privées des droits de l'homme. La plainte doit nommer l'auteur présumé de la violation. Les cas en instance devant les tribunaux ne peuvent faire l'objet d'investigation sauf en cas de « déni de justice manifeste» (article 12). Le bureau de la CNDH doit se réunir dans la semaine qui suit le dépôt d'une plainte pour désigner un rapporteur chargé de l'enquête. Ce dernier dispose de pouvoirs étendus, plus ou moins équivalents au pouvoir d'assignation, lequel donne accès aussi bien aux individus qu'aux lieux, objets et documents liés à l'enquête. Les autorités, y compris les supérieurs directs de tout fonctionnaire incriminé, doivent coopérer avec le rapporteur. La compétence de ce dernier en matière de résolution des plaintes est moins claire. Il doit rédiger un rapport à l'intention de la CNDH dans les vingt jours, après quoi la commission se réunit pour décider des mesures à prendre, lesquelles peuvent aller jusqu'au recours devant les tribunaux, le parlement ou le président (article 15).

En outre, l'article 11 de la loi de 1994 stipule que la commission a « librement accès à toute institution gouvernementale ou non gouvernementale pour obtenir des renseignements utiles et/ou effectuer toutes vérifications nécessaires à sa mission. » et que le président de la commission peut également demander aux ministères d'entreprendre des études pour elle. La loi de 1994 et les autres règlements promulgués par décret stipulent que la commission a le droit et l'obligation de rendre public son travail.7

Procédures d'engagement et de nomination

Aux termes de la loi, la CNDH est composée de vingt et un membres issus de quatre catégories assez vastes : ministères, associations non gouvernementales des droits de l'homme, syndicats et experts privés en droits de l'homme. Ces membres sont nommés par le premier ministre pour un mandat de deux ans et ils ne sont pas rémunérés. Dans la pratique, les personnes proposées par les syndicats n'ont jamais été nommées et la commission ne compte en fait que dix-sept membres en exercice.

1. Ministères : six membres provenant chacun des ministères suivants et désignés chacun par leur ministre respectif : Communication, Justice, Santé publique, Service civil et Travail, Affaires étrangères, Statut des Femmes et Affaires sociales.

2. Associations non gouvernementales des droits de l'homme : huit membres d'associations travaillant au Tchad, nommés par les associations.

3. Quatre membres des confédérations syndicales.

4. Trois personnes privées « choisies pour leur intégrité et leur compétence dans le domaine des droits de l'homme », désignées respectivement par le Président, le Premier Ministre et le pouvoir législatif.

Après sa création, la CNDH a élaboré un règlement d'ordre intérieur qui a ensuite été officiellement promulgué par le premier ministre. Il souligne que les membres de la commission, y compris ceux nommés par les ministères, doivent exercer une indépendance et qu'ils ne devraient pas occuper de fonction qui pourrait « affecter l'indépendance, la crédibilité et la confidentialité de la commission », et plus particulièrement une fonction au sein du gouvernement, un poste à la direction d'un parti politique ou une fonction dépendant de l'arbitraire du gouvernement.8 Cela semble être une contradiction car on ne voit pas clairement comment les membres de la commission qui ont été nommés par leurs ministères pourraient répondre à ce critère.

Le président représente la CNDH à l'extérieur, convoque les réunions et fixe l'ordre du jour. Il est assisté dans sa tâche par le vice-président et le secrétaire général (actuellement des représentants des ministères de la justice et du service civil) et ensemble, ils forment le Bureau. Les membres du Bureau ont un mandat de deux ans qui peut être renouvelé une fois. Les deux tiers des voix des membres sont requises pour convoquer une assemblée extraordinaire de la commission ce qui, dans les circonstances actuelles, ne serait possible qu'avec la coopération des membres nommés par le gouvernement.

Selon le président actuel, Domaye Nodjigoto, la première présidente de la CNDH, Ache Nabia, a démissionné en 1996, à la demande d'autres membres, après qu'elle ait accepté un poste de conseillère auprès du premier ministre. Etant donné que Nabia avait été proposée par l'Association des Femmes Juristes, un membre suppléant du secteur des ONG a pris sa succession sans toutefois occuper la fonction de président. Après avoir été nommé président de la CNDH, Domaye Nodjigoto a également été confronté à un possible conflit d'intérêt lorsqu'il a été promu au poste de conseiller du ministre de la justice et commissaire du gouvernement devant la chambre administrative de la Cour suprême, un poste qui exige de lui qu'il défende la position du gouvernement dans les cas de plaintes administratives. Néanmoins, il a estimé que ce poste n'était pas en contradiction avec le règlement d'ordre intérieur qui, a dit-il à Human Rights Watch, fait plutôt référence à des fonctions d'ambassadeur ou de préfet. Il faudrait obtenir deux tiers des voix des membres pour destituer le président (décret de 1996).

En 1999, la CNDH ne comptait que dix-sept membres actifs, les syndicats tchadiens ne s'étant jamais mis d'accord et n'ayant pas présenté de candidats, et trois membres du personnel : un secrétaire, un assistant et un archiviste. Sur les dix-sept membres, sept ont été nommés par les associations de droits de l'homme, notamment le président, Domaye Nodjigoto, qui a été désigné par la LTDH. Les mandats de tous les membres venaient à expiration en 1998 mais le premier ministre les a renouvelés sans consulter les associations ni les ministères qu'ils représentaient, donc sans nouvelles élections, mettant ainsi sérieusement en question la légalité de ces nominations.9 Les ONG ont protesté mais n'ont obtenu aucune réponse et les nouveaux mandats venaient à terme en avril 2000. Aux termes de la loi, un nouveau président et un nouveau bureau devront être nommés car les membres actuels auront rempli leurs deux mandats.

Activités

Au cours de sa première année d'existence, en 1995, la CNDH s'est montrée active et explicite dans la promotion des droits de l'homme et la lutte contre les violations. Elle a publiquement appelé le gouvernement à mettre un terme à l'impunité de ses forces de sécurité pour les violations aux droits humains commises dans le sud et à respecter les obligations qui lui incombent en vertu du droit international. En 1996, Amnesty International a relevé le rôle positif joué par la commission lorsqu'elle a attiré l'attention sur les exactions perpétrées par les forces de sécurité en 1995 et sur les attaques menées contre le journal indépendant Ndjamena Hebdo en 1996. La CNDH a participé à une mission d'enquête dans le sud menée conjointement avec des ONG des droits de l'homme, elle a mis en lumière la culpabilité des forces de sécurité gouvernementales et a appelé le gouvernement à entreprendre des poursuites contre les auteurs des atteintes aux droits de l'homme. Dans son rapport, Amnesty International soulignait également les difficultés auxquelles était confrontée la CNDH dans ses tâches quotidiennes, notamment le manque de ressources et le fait que les bureaux mis originellement à la disposition de la CNDH par le gouvernement se trouvaient dans un bâtiment qui était inaccessible à la vaste majorité des victimes et se trouvait sous la surveillance des forces de sécurité.10

Le président actuel de la CNDH estime que dès le début, le gouvernement s'est montré hostile à l'égard de la commission, rechignant à lui allouer des fonds ou à mettre à sa disposition un bureau accessible d'où elle pourrait opérer. Tant Amnesty International que le représentant (expert indépendant) nommé par la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU ont pressé le gouvernement à apporter son soutien à la CNDH, mais même si le gouvernement a finalement alloué des fonds pour de nouveaux locaux, il n'a pris aucune mesure pour mettre en _uvre les recommandations de la commission.

En 1997, la commission a entrepris un changement de cap important, évitant toute nouvelle action publique et s'attirant ainsi la méfiance des organisations indépendantes des droits de l'homme. Selon le président, ce revirement a eu lieu après que la CNDH ait émis un avis négatif à l'égard du gouvernement suite aux exécutions extrajudiciaires de 1996. En réponse, ce dernier a cessé de financer la commission : « Le gouvernement a purement et simplement arrêté de verser les crédits. » Par conséquent, la CNDH a estimé qu'elle devait adopter une nouvelle stratégie si elle voulait devenir efficace. « Publier des avis ne servait à rien ; le gouvernement se repliait sur lui-même et s'enfonçait dans son mutisme. Il valait mieux travailler par contacts directs et par lettres confidentielles.»11 Cette approche persiste depuis lors. Maintenant, la commission ne prend plus que rarement des positions officielles et elle a abandonné son rôle axé sur le public au profit d'activités de promotion des droits de l'homme, même si sa loi fondatrice n'y fait même pas mention.

Il n'est pas surprenant que les ONG tchadiennes des droits de l'homme aient perçu ce changement comme étant négatif. Trois ONG ayant des membres à la commission ont dit à Human Rights Watch qu'à leurs yeux, la CNDH était devenue totalement inefficace à partir de 1996 et elles ont cité pour preuve l'absence de réunions et son mutisme face à d'importants problèmes de droits de l'homme. La commission est censée tenir quatre réunions régulières par an mais, entre septembre 1998 et juillet 1999 il n'y en a eu qu'une, et c'était simplement pour marquer le cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Selon un membre de la commission, la CNDH « est morte il y a deux ans. Ce n'est plus qu'une belle vitrine à l'intention de la communauté internationale. »12

Le rapport publié en 1998 par la commission fait cinq pages et présente principalement des activités liées au cinquantième anniversaire.13 Il fait toutefois référence à un communiqué de presse et à un avis présenté au gouvernement, sans aucune explication supplémentaire. Il signale que les membres de la commission ont pris part à des séminaires et des conférences, notamment la deuxième Conférence Régionale des Institutions Nationales africaines des Droits de l'Homme (Durban) et la réunion annuelle de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU. Pour ce qui est des projets d'avenir, le rapport mentionne la création d'un centre de documentation, un journal ou encore l'organisation de nouveaux séminaires et sessions de formation. Aucun projet ayant trait à des enquêtes, rapports ou réactions à des plaintes individuelles n'est cité dans le rapport.14

Cette pénurie d'activités est clairement ressortie lorsque Human Rights Watch a effectué une visite surprise dans les bureaux de la commission en juillet 1999. Aucun membre de la commission n'était présent, et on nous a dit que même le président ne venait que rarement. Il n'y avait pas de personnel qualifié et peu de documentation. Il y avait deux minces brochures, l'une contenant le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, l'autre décrivant une garde à vue. La commission continue officiellement à diriger une émission radio du mercredi soir consacrée aux droits de l'homme mais dans la pratique, cette émission a été reprise par les membres des ONG indépendamment de la CNDH. Les ONG locales des droits de l'homme étaient tout particulièrement critiques à l'égard du président Domaye Nodjigoto : les dirigeants de la LTDH ont déclaré qu'ils n'avaient plus aucun lien avec lui, même s'il reste membre de leur organisation. Plusieurs militants d'ONG ont fait part de leur impression que son ascension au sein du ministère de la justice reflétait le fait que le gouvernement avait réussi à le récupérer. « Il n'est plus libre de dire ce qu'il pense, » a déclaré l'un des membres de la CNDH.15

Financement

Le gouvernement n'a jamais alloué à la CNDH tous les fonds promis et la commission, pour sa part, n'a jamais été à même d'obtenir une aide importante de bailleurs de fonds extérieurs. Le financement prévu au budget pour la CNDH s'élevait à 10 millions de francs CFA (soit environ 16.500 US$) en 1995 et 1996 et à 30 millions de francs CFA (50.000 US$) en 1997 et 1998. Selon le président de la CNDH, la commission a reçu en moyenne la moitié de la somme prévue chaque année, sauf en 1996 où, après avoir critiqué le gouvernement, elle n'en a perçu que le quart. Le gouvernement français a octroyé des fonds pour la publication de documents et des formations, il a offert des bourses à deux membres de la CNDH et a couvert les frais de déplacements aériens des commissaires qui se rendaient à des réunions à l'étranger.

En 1998, le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme et le PNUD ont procédé à une évaluation des besoins pour un programme de coopération dans le domaine des droits de l'homme mais les ONG de défense des droits de l'homme ont refusé de rencontrer la délégation de l'ONU dans le cadre d'une réunion organisée sous les auspices de la CNDH, insistant sur l'organisation d'une réunion séparée.16 Aucun programme important d'aide à long terme n'avait cependant été convenu à la fin 1999.

Evaluation

La CNDH a connu un début impressionnant mais depuis 1996, sa prestation et son impact ont sérieusement déçu. Elle semble avoir capitulé sous les pressions du gouvernement et n'a que très peu mis à l'épreuve les limites d'un mandat pourtant potentiellement très étendu. Alors qu'elle s'était montrée disposée à prendre la parole énergiquement sur les problèmes majeurs des droits de l'homme, elle reste maintenant silencieuse et passive, évitant tout commentaire public et tout militantisme. Le fossé entre elle et les institutions de la société civile ne cesse donc de grandir, bien que ces dernières, en théorie, exercent encore une influence considérable sur son fonctionnement.

L'échec apparent de la CNDH a aiguisé la méfiance qui règne actuellement entre gouvernement et société civile en raison de la monopolisation continue du pouvoir politique par le gouvernement et des actions qu'il mène contre ses opposants politiques et les voix indépendantes qui s'élèvent dans la presse. Selon le représentant de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU:

Malgré son rôle fondamental pour l'ensemble de la société Tchadienne, la CNDH souffre malheureusement encore d'un manque aigu de moyens et de publicité. Une bonne partie de la population n'est pas au courant de son existence et elle n'est pas du tout présente dans les provinces. Son centre de documentation ne contient que quelques rares publications et n'est presque pas fréquenté. Depuis le début de 1998, la CNDH n'a publié que trois avis concernant principalement la formation et l'éducation mais qui, malheureusement, ne soulevaient aucune question importante relative aux événements qui ont secoué le pays. De plus, les organisations des droits de l'homme et une partie de la presse accusent souvent la CNDH de pencher en faveur des autorités, ce qui ne contribue pas à améliorer son image auprès de la population.17

La CNDH est pointée du doigt par les ONG locales des droits de l'homme qui voient en elle une preuve supplémentaire de la mauvaise foi du gouvernement dans le domaine des droits de l'homme et un obstacle qui entrave toute amélioration de leurs relations avec le gouvernement.18 Lors des nombreux entretiens avec Human Rights Watch, elles ont critiqué le mutisme de la CNDH face à certains problèmes importants de droits de l'homme et ont exprimé leur méfiance envers son président et d'autres dirigeants qui, craignent-elles, ont été effectivement « cooptés » par le gouvernement. Elles craignent également que si la CNDH reçoit le soutien et la confiance de la communauté internationale, cela ne desserve les droits de l'homme au Tchad et n'aide à occulter les graves violations qui ont lieu.

Interrogé par Human Rights Watch, le président de la CNDH a ouvertement reconnu que la commission n'a pas rempli efficacement son rôle d'intermédiaire entre la société civile et les autorités. Il s'est montré d'une grande franchise lorsqu'il a abordé les problèmes auxquels la CNDH est confrontée lorsqu'elle traite avec des autorités peu coopératives. « La commission n'a pas été capable de satisfaire tous les espoirs que l'on avait placés en elle, » a-t-il déclaré, « parce qu'elle est tiraillée entre la réticence des autorités et la méfiance des associations [non gouvernementales]. » « Les ONG », ajoute-t-il, « ne veulent que des dénonciations. » Il estime toutefois que la commission serait plus efficace si elle abandonnait les actions publiques au profit de la diplomatie privée.19

Actuellement, la CNDH semble s'être perdue en chemin et ses activités n'ont que très peu à voir avec ses obligations légales. La loi qui régit la CNDH exige qu'elle fournisse des avis au gouvernement sur les violations des droits de l'homme, notamment sur des sujets aussi sensibles que la torture, les détentions secrètes et les activités de la police politique. Cette loi impose également à la commission d'informer le public de ses positions. Par ailleurs, la loi ne mentionne même pas le rôle de la commission dans l'éducation aux droits de l'homme et dans les activités traditionnelles de promotion. Pourtant, dans la pratique, comme l'indique le rapport de 1998, la CNDH semble n'entreprendre presque exclusivement que des activités de promotion et d'éducation dans le domaine des droits de l'homme, même si son texte fondateur ne fait aucune référence à ce type d'activités.

1 Emma Aouij, « Rapport sur la situation des droits de l'homme au Tchad, » Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, E/CN.4/1998/R.3, décembre 1998. Ce rapport a été publié selon la procédure confidentielle 1503 de l'ONU mais a été largement diffusé parmi les ONG au Tchad. Human Rights Watch n'a pas pu l'obtenir par voie confidentielle. 2 Entretien de Human Rights Watch avec Domaye Nodjigoto, président de la CNDH, Ndjamena, Tchad, le 2 juillet 1999. 3 La Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme française, constituée de représentants du gouvernement et de la société civile, a été créée en 1984 pour conseiller le premier ministre sur des dossiers relatifs aux droits de l'homme. Dans le monde francophone, la France a joué un grand rôle en stimulant l'interaction entre les institutions nationales des droits de l'homme. 4 Amnesty International, « Tchad : un pays soumis à l'arbitraire des forces de sécurité avec la complaisance de pays étrangers, » le 10 octobre 1996, AI Index : APR 20/11/96/F.

< http://www.amnesty.org/ailib/aipub/1996/AFR/12001196.html>

5 Décret n°095/PM/96 du premier Ministre (Règlement d'ordre intérieur de la CNDH), le 31 décembre 1996, Article 4. 6 Article 11, Décret présidentiel n° 163/PR/96. [Texte non officiel] 7 Voir par exemple l'Article 6 de la loi de 1994 qui stipule que la commission « assure la diffusion [d'avis] au public, » et l'Article 16 du décret présidentiel de 1996 qui l'autorise à publier une revue. 8 Article 4, Décret du Premier Ministre n° 095/PM/96 (règlement d'ordre intérieur de la CNDH). 9 Loi, Article 9. 10 Amnesty International, Tchad : un pays soumis à l'arbitraire des forces de sécurité avec la complaisance de pays étrangers, AI Index : AFR 20/11/96/F, le 10 octobre 1996.

http://www.amnesty.org/ailib/aipub/1996/AFR/12001196.html

11 Entretien de Human Rights Watch avec Domaye Nodjigoto, président de la CNDH, Ndjamena, Tchad, le 2 juillet 1999. 12 Entretien de Human Rights Watch avec un commissaire de la CNDH (représentant d'une ONG), (l'anonymat a été requis), Ndjamena, Tchad, 1er juillet 1999. 13 CNDH, Rapport de la CNDH, Année 1998, décembre 1998. 14 Ibid. 15 Entretien de Human Rights Watch avec un commissaire de la CNDH (représentant d'une ONG) (l'anonymat a été requis), Ndjamena, Tchad, le 1er juillet 1999. 16 Entretiens de Human Rights Watch avec des représentants d'ONG, Ndjamena, Tchad, le 30 juin 1999. 17 Voir Emma Aouij, « Rapport sur la situation des droits de l'homme au Tchad, » Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, E/CN.4/1998/R.3, décembre 1998, par. 76-82 [Texte non officiel, traduit de l'anglais]. Ce rapport a été publié en vertu de la procédure 1503 de confidentialité mais est maintenant largement diffusé au sein de la communauté non gouvernementale tchadienne. Human Rights Watch ne l'a pas obtenu par la voie confidentielle. 18 Par exemple, en réponse aux pressions exercées par la Banque Mondiale, le parlement a récemment adopté une loi de gestion des revenus pétroliers (estimés) qui prévoit un comité de supervision auquel participerait la société civile. Se référant à l'exemple de la CNDH, les ONG ont rejeté la proposition de comité qu'elles considéraient comme une nouvelle tentative de « cooptation ». 19 Entretien de Human Rights Watch avec Domaye Nodjigoto, président de la CNDH, Ndjamena, Tchad, le 2 juillet 1999.
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