Africa - West

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VIII. LA REPONSE DES AUTORITES

Manque de protection

Les autorités de fait, le RCD et les forces rwandaises qui le soutiennent, ont pris peu de mesures significatives pour protéger les femmes et les filles contre un viol commis soit par leurs soldats, soit par ceux de leurs adversaires. Selon des témoins, les soldats du RCD ou leurs alliés rwandais interviennent rarement lorsque des civils sont attaqués, même aux abords immédiats de leurs postes militaires. Souvent ils attendent que l'attaque soit terminée, puis se lancent dans des attaques de représailles contre l'ennemi ou la population civile elle-même qu'ils accusent de manque de soutien. Les troupes du RCD et la Force de Défense Locale créée par les autorités ont, dans certains cas, aidé des femmes à échapper à leurs ravisseurs dans les forêts proches de Shabunda,217 mais selon des témoins, les hommes de la Défense Locale qui accompagnaient les femmes aux champs pour les protéger ont habituellement pris la fuite lorsque l'attaque s'est produite.218

Interrogée sur la façon d'améliorer la sécurité, une fille ayant subi un viol en même temps que ses deux s_urs plus jeunes et de deux amies a répondu :

Ils devraient peut-être envoyer de meilleurs soldats dans les quartiers. On a besoin d'un meilleur gouverneur et d'un meilleur gouvernement [le RCD]. Avec ce gouvernement, personne n'a la moindre pitié pour personne. Ils tuent les gens comme pour rire. On a vraiment besoin de la paix. On peut accepter la pauvreté si on a une certaine paix dans la maison et dans le pays. Au lieu de cela, on est attaqué.219

Justice et impunité

Le RCD a maintenu le code légal antérieur à la guerre et une bonne partie de la structure administrative et du personnel du système judiciaire. Comme beaucoup d'autres fonctionnaires, les membres du personnel en charge des poursuites judiciaires et ceux du personnel judiciaire n'ont, pour la plupart, pas été payés ou l'ont été de façon très irrégulière.220 Alors que la situation socio-économique se détériorait pour la vaste majorité de la population, le personnel judiciaire a compté, de plus en plus, sur les pots de vin et la corruption pour gagner sa vie. Les civils qui avaient recours à la justice devaient payer pour le service. Et comme l'a affirmé un militant à Human Rights Watch, "Dans les cours de justice, de nos jours, c'est celui qui a l'argent qui gagne."221

Les gens ont maintenant peu confiance dans le système. Les personnes qui devraient les protéger - l'armée, la police et ceux qui occupent des positions de pouvoir et d'influence, comme le personnel judiciaire - les ont au contraire souvent attaqués. Alors que ceux qui commettent des crimes de violence sexuelle restent impunis, d'autres personnes potentiellement capables d'abus acceptent tacitement de tels crimes et les victimes réalisent qu'il est inutile de porter plainte.

Commentant le fait que peu de cas de viols passent par un tribunal et que l'issue, pour ceux traités en justice, est rarement satisfaisante, un avocat congolais déclarait :

On ne peut pas avoir de justice dans un tel contexte. Les magistrats ne sont pas payés. Ils ne peuvent refuser les cadeaux. C'est la même chose avec les services de sécurité... Les femmes ne voient pas ce que le fait de se plaindre pourrait leur apporter - même si elles disent quelque chose, qu'est-ce-que ça changera ?

Il a également affirmé que dans les cas où les femmes ont effectivement porté plainte, il était très rare d'obtenir une condamnation pour crimes de violence sexuelle.222

Quand les victimes ou leur famille ont effectivement porté plainte contre les crimes qui avaient été commis, les autorités ont parfois répondu de façon appropriée dans un premier temps, puis ont ensuite échoué à poursuivre en justice les assaillants. Dans le cas du viol et du meurtre de la jeune fille dont le sein avait été tranché avant qu'elle ne soit tuée, les officiers du RCD sont venus voir le corps. La mère ignore s'ils ont fait quelque chose pour punir les coupables. Dans le cas de la fillette de cinq ans, entraînée dans un piège pour être violée, une brigade connue sous le nom de Police Rapide d'Intervention a répondu à la plainte des parents. Plusieurs mois plus tard, aucune de ces enquêtes n'avait produit de résultats. Lorsque Grâce C., quinze ans, a été enlevée et détenue pendant huit jours à Goma et que des officiers subalternes ne pouvaient ou ne voulaient la localiser, le chef du Service de renseignements du RCD l'a fait rentrer chez elle en deux heures. L'homme qui l'avait enlevée a été brièvement détenu puis relâché. La famille a décidé de ne pas donner suite au cas, à la fois pour la sécurité de la fille et pour "préserver sa dignité." Ils l'ont éloignée de la région.223 Une veuve de guerre a porté plainte pour viol par un policier. Celui-ci a quitté son poste et a été transféré à un autre poste. Cependant, il a été remplacé par un autre policier qui a rapidement commencé à harceler sexuellement la femme. Elle a fait le commentaire suivant : "Vous ne pouvez aller nulle part porter plainte, c'est la corruption partout."224

Les victimes et leur famille pensent qu'il est très peu probable que les autorités du RCD agissent si le coupable fait partie du RCD ou de l'Armée Patriotique Rwandaise. Un homme qui avait tenté de sauver une femme d'un viol, par un soldat de l'armée rwandaise, lui-même ayant subi de graves blessures au cours de cette action, a remis à l'administration locale un fusil pris sur le violeur. Mais, a-t-il dit, il n'attendait aucune autre action parce que l'attaquant était rwandais. "C'est juste que les autorités ne vont rien faire contre ces Rwandais," a-t-il dit.225 Une mère qui estime que le violeur de sa fille échappera à une sanction a expliqué qu'il avait "le pouvoir de frapper à la porte des Tutsi pour demander de l'aide."226

Certains des obstacles à la traduction en justice des violeurs sont antérieurs à la crise actuelle constituée par la guerre et la désintégration économique. Ni les procédures légales, ni les procédures policières ne comportent de dispositions assurant la protection des témoins et garantissant la confidentialité du procès. En décidant s'il faut ou non porter des accusations contre des coupables présumés, les victimes et leur famille doivent considérer non seulement la probabilité de voir le criminel puni mais aussi celle de souffrir elles-mêmes, entre-temps, de représailles. Comme le faisait remarquer une Congolaise, "Les gens sont soupçonnés mais il n'y a pas de sanction. Si on allait dénoncer [les coupables], elles [les autorités] iraient le dire aux [accusés] et eux reviendraient et nous tueraient. Quelqu'un a dit, ta langue te tue."227 Un avocat congolais a déclaré qu'il avait conseillé plusieurs victimes de viol sur le fait de porter plainte mais les femmes étaient réticentes à aller plus avant avec la procédure judiciaire parce qu'elles craignaient pour leur sécurité :

C'est un problème que les affaires de justice soient rendues publiques. La protection des témoins est nécessaire ... La structure du système judiciaire doit être revue. Malheureusement, des sessions à huis clos ne sont pas envisagées pour les cas de viols.228

Selon le Code de la Famille, les femmes mariées n'ont pas les mêmes droits qu'un homme ; par exemple elles doivent avoir l'autorisation de leur mari pour lancer une action en justice. Préférant résoudre de tels cas sans impliquer les autorités, les parents des victimes, de sexe masculin, négocient parfois un accord avec le coupable ou sa famille. Par exemple, parfois, la famille de la fille qui a été violée décide qu'elle doit épouser son violeur.229 Les associations locales de femmes ont recueilli des informations sur plusieurs cas du même type et ont vigoureusement condamné cette pratique. Ceci est non seulement une violation fondamentale du droit d'une femme ou d'une fille à choisir son mari mais cela montre aussi le peu d'importance que la société attache à la violence contre les femmes.

Dans ce climat d'impunité et de violence contre la population dans son ensemble, chacun, y compris les femmes et les filles soumises à une violence sexuelle, se sent démuni pour répondre à ces violations. Les viols et les autres formes de violence sexuelle sont en augmentation et sont commis par un éventail de plus en plus large de personnes. Les femmes et les filles et d'autres membres de leur communauté, des civils aux membres de la police, doivent recevoir les moyens de résister et de répondre à de telles attaques. Mettre en _uvre l'état de droit est une première étape vers un renforcement des capacités en ce sens. Assurer la sécurité, la confidentialité si nécessaire, et un traitement digne pour celles qui viennent témoigner comme survivantes ou comme témoins est une étape essentielle. Le message selon lequel le viol est inacceptable dans la société doit être clairement énoncé.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont soulevé ces préoccupations avec le Chef du département de la Justice du RCD, Moïse Nyarugabo230. Il a reconnu que la violence sexuelle était un problème dans la région mais a déclaré qu'aucun soldat du RCD n'avait été traduit en justice parce qu'il n'y avait eu aucune plainte déposée.

Un chercheur de Human Rights Watch a également rencontré le Colonel Andrew Rwigamba, Procureur militaire de l'APR, qui a déclaré qu'il avait reçu des plaintes concernant des soldats de l'APR ayant commis des crimes de violence sexuelle au Congo mais qu'il manquait des preuves nécessaires pour porter ces cas en justice. Il a fait remarquer que l'APR ne possédait pas d'enquêteurs sur le terrain au Congo afin de rassembler rapidement des preuves et a affirmé que des investigations ultérieures pourraient donner lieu à des preuves inadaptées pour établir une culpabilité.231

217 Voir pp. 44-45.

218 Entretien conduit par Human Rights Watch, Shabunda, 22 octobre 2001.

219 Entretien conduit par Human Rights Watch, 18 octobre 2001.

220 En mars 2000, Human Rights Watch a appris que certains fonctionnaires n'avaient été payés que deux fois depuis le début de la présente guerre, en août 1998. Voir p.17, "L'Est du Congo dévasté : civils assassinés et opposants réduits au silence," A Human Rights Watch Report, vol.12, no 3 (A), mai 2000.

221 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 17 mars 2000. Cité dans "L'Est du Congo dévasté," p. 17.

222 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

223 Communication électronique d'un membre de la famille à Human Rights Watch, décembre 2001 ; entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, décembre 2001. Le cas de Grace a été expliqué avec plus de détails dans le chapitre sur la violence sexuelle contre les enfants et les personnes âgées.

224 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

225 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 25 octobre 2001.

226 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 27 octobre 2001. Comme nous l'avons dit plus haut, les Tutsi sont perçus comme détenant le véritable pouvoir non seulement au Rwanda mais également dans l'est du Congo.

227 Entretien conduit par Human Rights Watch, 19 octobre 2001.

228 Communication à Goma, 22 octobre 2001.

229 Entretien conduit par Human Rights Watch, Sake, 26 octobre 2001. Selon le droit congolais, une fille doit avoir quinze ans ou plus avant d'être légalement autorisée à se marier (art. 352, Code de la Famille).

230 Entretien conduit par Human Rights Watch, Goma, 26 octobre 2001.

231 Entretien conduit par Human Rights Watch avec le Lieutenant Colonel Andrew Rwigamba, Kigali, 8 novembre 2001.

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