Rapports de Human Rights Watch

Résumé

Je dois me lever à 4 h du matin et je travaille jusqu’à 10 h du soir. Je lave le linge, je nettoie la maison, je fais la vaisselle, je fais les courses au marché et je m’occupe des enfants. On me dit que je gagne 15 000 GNF [2,50 $ US] par mois, mais je n’ai jamais vu cet argent.
 –Thérèse I., 14 ans

Parfois mes employeurs me battent ou m’insultent. Quand  je dis que je suis fatiguée ou malade, ils me frappent avec un fouet. Quand je fais mal quelque chose, ils me battent aussi.… Quand je me repose,  je suis battue ou je reçois moins à manger. Je suis battue sur les fesses et le dos.
–Rosalie Y., 9 ans

[Le] mari me réveille et me viole. Il m’a menacée avec un couteau et il a dit que je ne devais le dire à personne. Il fait ça chaque fois que sa femme s’en va. J’ai peur. Si je le disais à sa femme, je ne saurais pas où vivre.
–Brigitte  M., 15 ans

Le travail domestique est le principal secteur d’emploi pour les enfants du monde entier. En Guinée, des dizaines de milliers de filles travaillent comme domestiques. Tandis que les autres enfants de la famille sont souvent scolarisés, ces filles passent leur enfance et leur adolescence à faire des travaux ménagers « de femmes » : elles nettoient, lavent le linge et s’occupent des jeunes enfants. Beaucoup d’entre elles travaillent jusqu’à 18 heures par jour. La grande majorité d’entre elles ne sont pas payées ; quelques autres reçoivent des paiements, souvent irréguliers, en général inférieurs à 5 $US par mois. De nombreuses filles employées comme domestiques ne reçoivent aucune aide quand elles sont malades, et elles ont souvent faim car elles sont exclues des repas familiaux. Elles sont souvent tenues à l’écart, insultées et moquées. Elles peuvent aussi être victimes de coups, de harcèlement sexuel et de viol. Malgré ces conditions, quitter la famille de l’employeur est difficile pour beaucoup d’enfants employées domestiques qui ne peuvent pas joindre leurs parents et n’ont pas d’autre endroit où aller. Ces filles vivent dans des conditions analogues à l’esclavage.

En Afrique de l’Ouest, le recrutement de filles pour le travail domestique s’effectue dans un contexte plus large de migration, de discrimination en fonction du sexe, ainsi que de pauvreté. Les rôles des filles et des femmes sont encore souvent limités à ceux d’épouse et de mère. Près d’un tiers des filles guinéennes ne sont jamais scolarisées dans l’enseignement primaire, et beaucoup d’autres sont retirées de l’école au cours des toutes premières années. Les filles des zones rurales pauvres en particulier sont souvent considérées par leurs parents comme ne méritant pas d’être éduquées. Beaucoup de parents envoient leurs filles vivre et travailler avec des familles se trouvant dans les villes. Envoyer des enfants grandir avec d’autres membres de la famille – placement d’enfant en famille d’accueil ou confiage – est une pratique sociale courante dans toute l’Afrique. Les jeunes guinéennes employées comme domestiques travaillent souvent dans la maison d’un membre de la parenté, où elles ont été envoyées par leurs parents alors qu’elles avaient à peine cinq ans. D’autres filles venues de l’intérieur de la Guinée ou de pays voisins travaillent dans les maisons d’étrangers. Les adolescentes maliennes en particulier viennent en Guinée travailler comme domestiques pour gagner de l’argent pour leurs trousseaux.

Si une famille d’accueil traite bien une fille, l’envoie à l’école et lui permet de rester en contact avec ses parents, elle peut avoir un avenir meilleur qu’en restant à la maison. Pourvu que le travail n’interfère pas avec leur éducation, le droit international autorise les enfants à accomplir des travaux légers, c’est-à-dire des corvées domestiques non dangereuses faisant partie des tâches quotidiennes. Quand des adultes accueillent une fille comme employée domestique, cette enfant dépend d’eux pour ses soins, et dans ce rôle ils peuvent être considérés comme des employeurs ainsi que des tuteurs de facto, mais non légaux. Etant les principales personnes qui prennent soin de l’enfant à ce moment donné, ils sont censés remplir certains devoirs envers l’enfant. Pourtant, beaucoup d’adultes qui emploient des filles domestiques ne se comportent pas comme des tuteurs ou des employeurs responsables, mais comme des maîtres brutaux. C’est même parfois le cas avec des parents proches, aussi bien qu’avec des personnes qui n’appartiennent pas à la famille. Souvent, les parents de la fille ne vérifient pas non plus si leur enfant est traitée avec respect. L’exploitation des enfants comme employées domestiques est très répandue et largement acceptée socialement. Les familles des classes moyennes et supérieures, y compris celles d’employés du gouvernement et des ONG, ont souvent des enfants domestiques qui travaillent chez elles, et considèrent rarement la façon de les traiter comme un abus. En même temps, il est difficile pour les victimes de demander réparation car les abus ont lieu à la maison et sont soustraits de l’attention publique. Certains enfants employés comme domestiques deviennent même des victimes de la traite, du moment où ils sont recrutés, transportés et réceptionnés dans le but de les exploiter, par exemple par le travail forcé ou des pratiques analogues à l’esclavage.

L’exploitation et la maltraitance des enfants employés comme domestiques constituent une violation du droit national et international. Le gouvernement guinéen est Etat partie à la Convention relative aux droits de l’enfant et à tous les principaux traités régionaux et internationaux sur le travail des enfants, la discrimination selon le sexe et la traite. Selon le droit guinéen, les enfants ont droit à l’éducation, et la scolarisation dans l’enseignement primaire est obligatoire. L’âge minimum pour travailler est de 16 ans, mais il y a une disposition qui prévoit que les enfants de moins de 16 ans peuvent travailler avec le consentement de leurs parents ou de leurs tuteurs légaux. Les enfants de plus de 16 ans sont autorisés à travailler dans certaines limites, mais doivent bénéficier de tous leurs droits du travail. De plus, le droit guinéen protège les enfants contre les châtiments corporels et autres violences physiques, les sévices sexuels, et la traite. Le droit international comporte aussi des interdictions claires contre certains comportements nocifs, pour protéger les enfants contre la discrimination, la violence physique, la traite et les conséquences nocives du travail des enfants. Il octroie aussi aux enfants le droit à l’éducation et établit la façon dont les devoirs envers les enfants devraient être remplis, que ce soit par l’Etat, les parents, les tuteurs légaux ou d’autres personnes ayant la garde d’un enfant.

Ces dernières années, le gouvernement guinéen et les acteurs internationaux ont adopté certaines mesures prometteuses pour améliorer l’accès des filles à l’éducation et pour combattre la traite des enfants en particulier, bien que pour le moment, leur impact sur les filles employées comme domestiques semble limité. Dans le contexte de l’Initiative pour la mise en œuvre accélérée du programme Education pour tous, une initiative internationale des donateurs, des agences de l’ONU et des pays en développement, la Guinée a pris des mesures pour améliorer l’accès à l’enseignement primaire, en particulier pour les filles. Les taux de scolarisation des filles ont augmenté, mais près d’un tiers d´entre elles ne vont pas du tout à l’école. Il y a eu peu de tentatives ciblées de façon spécifique sur la scolarisation des filles travaillant comme domestiques, qui ont des difficultés particulières pour accéder à l’éducation.

Le gouvernement a également créé une unité de police spéciale, la police mondaine(brigade des moeurs) pour combattre la prostitution des enfants, la traite et autres abus commis contre les enfants. Avec des ressources limitées, la police mondainea commencé à enquêter sérieusement sur des cas et les a transmis au système judiciaire. Mais il y a eu très peu de poursuites jusqu’ici. Le système judiciaire souffre de graves faiblesses institutionnelles, telles que le manque de formation et la corruption. Beaucoup de victimes n’ont pas confiance dans l’institution judiciaire. En pratique, les tuteurs et autres adultes peuvent commettre, et commettent en toute impunitédes atteintes physiques et sexuelles contre des filles domestiques.

En juin 2005, les gouvernements guinéen et malien ont signé un accord contre la traite et ils travaillent actuellement à sa mise en œuvre. La plupart des activités ont pour but de surveiller et de contrôler les frontières et leurs abords, ainsi que le rapatriement. Si ces activités ont le potentiel d’arrêter la traite, elles sont problématiques du fait qu’elles risquent d’arrêter la migration légitime, et d’enfreindre la liberté de mouvement des filles en particulier.

Même si les mesures de lutte contre la traite étaient exemplaires, elles ne pourraient suffire à mettre un terme aux abus commis à l’encontre des enfants travailleurs domestiques. Nombre d’entre eux sont isolés dans la maison de leur employeur et sont incapables d’accéder à toute information ou assistance de l’extérieur. Ils sont coincés pendant des années dans des situations traumatisantes et de maltraitance. Il n’y a pas d’organisme pour la protection de l’enfance en Guinée pour contrôler de façon systématique le bien-être des enfants et faciliter leur retrait d’une maison où ils sont maltraités, si nécessaire ; si le ministère des Affaires sociales a la responsabilité de cette question, il n’est pas opérationnel. Il n’existe pas non plus de système de placement en famille d’accueil qui puisse offrir aux enfants un environnement familial alternatif protecteur et contrôlé. Bien qu’il existe un service d’inspection du travail, il manque de personnel et ne s’occupe pas de la situation des enfants travaillant comme domestiques.

Les organisations non gouvernementales locales (ONG) et les associations communautaires font de leur mieux pour combler ce manque de protection. Grâce à l’aide de donateurs internationaux, elles s’efforcent de réunir des informations sur le traitement des enfants domestiques, parlent à leurs tuteurs de la façon dont ils sont traités, et les retirent dans les pires des cas. Elles gèrent des refuges et de petits réseaux de familles d’accueil. Ces associations sont d’un grand réconfort pour les enfants domestiques et elles ont changé la vie de beaucoup d’entre eux. Les enfants domestiques maliens ont en particulier bénéficié de ce soutien au sein de leur communauté. Cependant, les ONG et les associations communautaires manquent de personnel, de formation, de mobilité territoriale et de ressources financières pour répondre à l’ampleur du problème, et elles n’ont pas l’autorité légale pour représenter devant la justice les filles dont elles s’occupent.

En mars 2007, un nouveau gouvernement national a été formé, à la suite de manifestations populaires contre l’aggravation des conditions de vie, la corruption et la mauvaise gouvernance. Selon le nouveau Premier Ministre, Lansana Kouyaté, deux des priorités du nouveau gouvernement sont le renforcement du système judiciaire et l’amélioration des conditions de vie de la population dans son ensemble, et de la jeunesse en particulier. La tragédie des filles employées comme domestiques, qui manquent  d’éducation, de meilleures conditions de travail, et de protection contre les mauvais traitements et l’exploitation, s’inscrit parfaitement dans ce programme. Le gouvernement guinéen devrait, prioritairement, créer un système de protection de l’enfance qui permette le contrôle systématique du bien-être des enfants qui ne sont pas sous la garde de leurs parents, et en particulier les filles domestiques et les enfants vivant au domicile de personnes autres que leurs parents. Il devrait aussi prendre des mesures pour professionnaliser le personnel judiciaire, améliorer l’accès au système judiciaire pour les citoyens ordinaires, et s’assurer que les crimes contre les enfants – à savoir la traite, l’exploitation, les violences physiques et sexuelles – soient poursuivis. De plus, le nouveau gouvernement guinéen devrait cibler de façon spécifique les filles travaillant comme domestiques lors de l’élaboration de programmes pour l’accès à l’éducation et à l’apprentissage.