Rapports de Human Rights Watch

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I. Resume

« On est maudit à cause de notre or. On ne fait que souffrir. Il n’y a pas de profit pour nous. »
–Chercheur d’or congolais

La région située dans la partie Nord-Est de la République Démocratique du Congo abrite l’un des gisements aurifères les plus riches de toute l’Afrique. La compétition pour obtenir le contrôle des mines d’or et des routes qui permettent son commerce a nourri le conflit sanglant qui s’est emparé de la région avec le début, en 1998, de la guerre congolaise qui se poursuit aujourd’hui encore. Des soldats et des responsables de groupes armés qui perçoivent le contrôle des mines d’or comme un moyen de financer armes et pouvoir se sont opposés sans merci, prenant souvent pour cibles des civils lors de leurs affrontements. Les combattants placés sous leur commandement ont perpétré des massacres ethniques de grande ampleur, des exécutions, des actes de torture, des viols et des arrestations arbitraires, toutes ces exactions constituant de graves abus contre les droits humains et de graves violations du droit international humanitaire. Plus de 60 000 personnes sont mortes des suites directes de la violence dans cette seule partie du Congo. Au lieu d’apporter la prospérité aux habitants du Nord-Est du Congo, l’or s’est révélé être un fléau pour ceux qui ont la malchance de vivre dans cette partie du pays.

Ce rapport apporte des informations détaillées sur les abus contre les droits humains qui ont accompagné les efforts déployés pour obtenir le contrôle de deux zones minières clefs, Mongbwalu (district d’Ituri) et Durba (district du Haut Uélé), toutes les deux frontalières de l’Ouganda.

Lorsque l’Ouganda, un belligérant de premier plan dans cette guerre, a occupé le Nord-Est du Congo de 1998 à 2003, ses soldats ont pris le contrôle direct des régions riches en or et ont contraint les mineurs à extraire l’or pour leur propre bénéfice. Ils ont battu et arrêté, de façon totalement arbitraire, ceux qui s’opposaient à leurs ordres. Ignorant totalement les règles de la guerre relatives à la conduite des armées d’occupation, ils se sont emparés d’environ une tonne d’or congolais d’une valeur estimée à plus de 9 millions USD. Les pratiques totalement irresponsables mises en œuvre dans l’exploitation des mines ont conduit en 1999 à l’effondrement de l’une des mines les plus importantes de la région, la mine de Gorumbwa, entraînant la mort de 100 personnes prises au piège dans les galeries et détruisant ainsi un moyen de subsistance important pour les habitants de cette région.

L’armée ougandaise s’est retirée du Congo en 2003, à la suite du Rwanda, autre belligérant de premier plan, qui s’était retiré l’année précédente. Chacun des deux pays a laissé derrière lui des groupes locaux, s’affrontant en leur nom, le Front des Nationalistes et Intégrationnistes (FNI) lié à l’Ouganda et l’Union hema des Patriotes Congolais (Union des Patriotes Congolais, UPC) soutenue par le Rwanda. Avec l’aide continue de leurs appuis étrangers, ces groupes armés locaux ont à leur tour combattu pour le contrôle des zones aurifères et des routes permettant le commerce du minerai. Dès qu’un groupe remportait le contrôle d’une zone riche en or, il se mettait très vite à exploiter les gisements. Le FNI et l’UPC ont livré cinq batailles pour arracher le contrôle de Mongbwalu, chacune accompagnée d’abus contre les droits humains de grande ampleur. Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des informations sur le massacre d’au moins 2 000 civils dans la seule région de Mongbwalu, entre juin 2002 et septembre 2004. Des dizaines de milliers de civils ont été contraints de quitter leur maison et de fuir dans la forêt pour échapper à leurs assaillants. Beaucoup de ces civils n’ont pas survécu.

En 2003, des négociations de paix conduites au niveau national ont abouti à l’installation d’un gouvernement de transition mais le Nord-Est du Congo est resté très instable et a échappé au contrôle du gouvernement central. Des entreprises multinationales ont néanmoins cherché à signer de nouveaux accords ou à redonner vie à d’anciens accords afin de débuter des opérations d’extraction de l’or et d’exploration dans les riches concessions aurifères du Nord-Est. L’une de ces entreprises, AngloGold Ashanti, l’un des plus importants producteurs d’or au monde a débuté ses activités d’exploration dans la zone aurifère de Mongbwalu. Suite à de précédentes tentatives pour entrer en contact avec le groupe armé UPC, les représentants d’AngloGold Ashanti ont établi des relations avec le FNI, un groupe armé qui contrôlait la région de Mongbwalu et était responsable de graves abus contre les droits humains dont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En échange des garanties offertes par le FNI sur la sécurité de ses opérations et de son personnel, AngloGold Ashanti a fourni un soutien logistique et financier – soutien qui a ensuite procuré des avantages politiques – au groupe armé et à ses responsables. La compagnie savait ou aurait dû savoir que le groupe armé FNI avait commis de graves abus contre les droits humains sur des civils et ne participait pas au gouvernement de transition.

En tant que compagnie affichant publiquement un engagement en faveur de la responsabilité sociale des grandes entreprises, AngloGold Ashanti aurait dû s’assurer que ses opérations se déroulaient précisément dans le respect de ces engagements et n’avaient pas un effet contraire sur les droits humains. La compagnie n’en a apparemment rien fait. Les considérations d’affaires l’ont emporté sur le respect des droits humains. Dans ses activités d’exploration à Mongbwalu, AngloGold Ashanti n’a pas respecté ses propres principes relatifs aux droits humains et n’a pas suivi les normes internationales régissant le comportement des entreprises internationalement. Human Rights Watch n’a pas été en mesure d’identifier les mesures efficaces prises par la compagnie pour veiller à ce que ses activités n’aient pas un impact négatif sur les droits humains.

Lors d’autres opérations minières de petite envergure conduites pendant toute la durée du conflit, des groupes armés et leurs alliés en affaires ont utilisé les recettes tirées de la vente de l’or pour soutenir leurs activités militaires. Travaillant hors des circuits légaux, un réseau de commerçants a fait sortir du Congo et passer en Ouganda de l’or extrait par des mineurs artisanaux et par des mineurs travaillant sous la contrainte. En échange de leurs services, certains commerçants comptaient sur le soutien des combattants des groupes armés qui menaçaient, détenaient et même assassinaient leurs rivaux en affaires ou les personnes soupçonnées de ne pas honorer un contrat d’affaire. Ces commerçants ont vendu le minerai à des exportateurs basés en Ouganda qui l’ont eux ensuite vendu sur le marché mondial de l’or, une pratique qui a encore cours aujourd’hui.

En 2003, environ 60 millions USD d’or congolais ont été exportés d’Ouganda, la majeure partie à destination de la Suisse. L’une des compagnies achetant de l’or en Ouganda est Metalor Technologies, une raffinerie suisse de premier plan. La chaîne des intermédiaires congolais, commerçants ougandais et entreprises multinationales constitue un important réseau de financement pour les groupes armés qui opèrent dans le Nord-Est du Congo. Metalor savait, ou aurait dû savoir, que l’or acheté à ses fournisseurs en Ouganda provenait d’une zone de conflit dans le Nord-Est de la RDC où les droits humains sont bafoués de façon systématique. L’entreprise aurait dû envisager si le rôle qu’elle jouait en achetant de l’or à ses fournisseurs en Ouganda était compatible avec les dispositions relatives aux droits humains. Elle aurait également dû examiner sa chaîne d’approvisionnement pour vérifier que des normes éthiques acceptables étaient mises en œuvre. Par ses achats d’or réalisés en Ouganda, Metalor Technologies  a pu indirectement contribuer à alimenter un flux financier au profit de groupes armés responsables d’abus contre les droits humains de grande ampleur.

La communauté internationale n’a pas réussi à aborder efficacement le lien entre exploitation des ressources et conflit au Congo. Après trois années d’enquête sur ce lien, un panel d’experts des Nations unies (ONU) a affirmé que le retrait des armées étrangères du Congo ne mettrait très probablement pas fin au cycle conflit et exploitation des ressources. Cependant, le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas mis en place de mécanisme de suivi des recommandations de ce panel. Le commerce de l’or n’est qu’un exemple d’une tendance plus importante qui voit la compétition pour les ressources naturelles entraîner des abus contre les droits humains dans les régions riches en minerais, partout au Congo. Le lien entre conflit et exploitation des ressources soulève des questions plus larges sur la responsabilité des grandes entreprises dans les pays en développement. Compte tenu des allégations inquiétantes décrites dans les rapports du panel d’experts des Nations unies et dans ce rapport, il est impératif que des mesures additionnelles soient prises pour traiter de la question ressources naturelles et conflit au Congo et ailleurs.

Pour préparer ce rapport, les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé plus de 150 personnes dont des victimes, des témoins, des chercheurs d’or, des commerçants en or, des exportateurs d’or, des douaniers, des responsables de groupes armés, des représentants de gouvernements et des responsables d’institutions financières internationales au Congo, en Ouganda et en Europe, en 2004 et 2005. Les chercheurs de Human Rights Watch ont également rencontré des représentants d’AngloGold Ashanti et de Metalor Technologies et ont communiqué par écrit avec ces personnes.

Nous souhaitons exprimer nos remerciements à nos collègues congolais de Justice Plus ainsi qu’à d’autres personnes que nous ne pouvons nommer pour des raisons de sécurité pour l’aide et le soutien qu’ils ont apportés à notre recherche. Ces personnes risquent leur vie pour défendre les droits des autres. Leur courage et leur engagement forcent notre admiration.



<<précédente  |  index  |  suivant>>juin 2005