Rapports de Human Rights Watch

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La réaction de la communauté internationale

En raison de l’attention croissante portée par la presse et l’opinion publique aux violences sexuelles dans l’Est du Congo, les dirigeants internationaux et diverses agences commencent à saisir l’étendue du problème. Une mesure importante pour mettre un terme aux crimes de violence sexuelle commis par les forces armées serait de réformer l’armée et de permettre à la hiérarchie militaire de mieux discipliner les soldats. Peu disposés à s’engager directement dans ce type d’efforts, les responsables internationaux se sont concentrés sur l’assistance aux victimes. Ce type d’aide a augmenté en 2004 mais il est encore loin de répondre aux besoins.

Assistance médicale

Suite à l’évaluation faite par l’ONU en 2003 et mentionnée plus haut, les agences des Nations Unies ont décidé que le travail relatif à la violence sexuelle serait l’un des quatre domaines prioritaires pour le Processus d’Appel Consolidé (Consolidated Appeal Process - CAP) de 2004 pour le Congo. Destiné à recueillir un total de 187 millions de dollars américains, il avait reçu des promesses pour environ la moitié de ce montant en octobre 2004.167 En mars 2004, la Banque Mondiale a octroyé 102 millions de dollars pour combattre le VIH/SIDA au Congo et le Fonds Global a consacré 35 millions de dollars pour soigner le SIDA dans ce pays pendant les deux prochaines années.168 Une partie de ces fonds aidera forcément les femmes qui ont contracté le VIH/SIDA suite à un viol.  

A la mi-2004, plusieurs agences internationales apportaient de l’aide pour la réhabilitation médicale, psychologique, sociale et juridique des victimes de l’Est du Congo mais la plupart étaient basées dans le Nord et le Sud Kivu et il y en avait beaucoup moins qui opéraient en Ituri. L’UNICEF a apporté son soutien à l’hôpital de Panzi à Bukavu en renforçant le personnel avec deux gynécologues; l’ONG internationale Doctors on Call for Service (DOCS) a organisé un dispensaire pour soigner les victimes de violences sexuelles à Goma; l’International Rescue Committee (IRC) a mis sur pied plusieurs dispensaires qui fournissent des soins médicaux, notamment aux victimes de violences sexuelles; l’Aide Médicale Internationale (AMI) assiste les victimes de violences sexuelles à Uvira et Médecins Sans Frontières offre des services similaires à Shabunda. L’agence de développement allemande Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (GTZ) a mis en place un programme d’assistance psychologique pour les communautés du Sud Kivu, aidant celles-ci à gérer le problème des violences sexuelles et à réintégrer les victimes.

Vu l’énormité de la tâche, tout ceci ne peut être qu’un point de départ. Des dizaines de milliers de victimes, femmes et filles confondues, ont encore cruellement besoin de soins médicaux. En dépit des efforts importants consentis par les agences individuellement, la réaction de la communauté internationale face aux viols commis en masse dans l’Est du Congo a été lamentablement lente.

Assistance juridique et réforme de l’appareil judiciaire

Devant les efforts énormes requis pour tenter de faire fonctionner le système judiciaire, les principaux bailleurs de fonds se sont réunis sous la houlette de la Commission européenne (C.E.). Un groupe d’experts chargé d’évaluer le problème a fait rapport à la C.E. en mai 2004. Il n’a pas seulement apporté des conseils sur la façon d’organiser et de reconstruire l’appareil judiciaire mais il a en outre émis des recommandations à propos de l’impunité, sur la façon de gérer les violations du droit international humanitaire et sur la justice transitionnelle. Il a préconisé l’adoption de la loi de mise en œuvre du Statut de la CPI et des amendements aux dispositions du Code pénal concernant les crimes de violence sexuelle et autres crimes internationaux. Les experts ont par ailleurs recommandé de modifier le code de la famille pour donner aux femmes tous les pouvoirs légaux et ils ont également préconisé de former le personnel judiciaire sur la façon d’enquêter à propos des violations du droit international humanitaire. Ce rapport est censé devenir une référence pour les financements octroyés par les bailleurs de fonds.

Comme il a été mentionné plus haut, la C.E. a financé des efforts visant à restaurer le système judiciaire à Bunia, dans le district d’Ituri. Ce programme, qui a généralement abouti à de bons résultats, peut servir de modèle pour remettre sur les rails l’activité judiciaire ailleurs dans le pays.

Justice internationale: l’enquête de la CPI au Congo

Le 23 juin 2004, le Procureur de la CPI a annoncé que son bureau entamait une enquête à propos des violations du droit international humanitaire commises au Congo. La première enquête menée par la CPI a été lancée à la demande du gouvernement congolais. Le bureau du procureur peut enquêter à propos de crimes lorsque les tribunaux nationaux sont incapables de le faire ou ne sont pas disposés à le faire, et son autorité peut être déclenchée par une demande officielle de l’Etat concerné. Le bureau du procureur a commencé ses investigations dans la région de l’Ituri touchée par un conflit mais il n’a pas dit clairement que les crimes perpétrés dans d’autres parties du Congo pourraient également faire l’objet d’une enquête.

Etant donné l’ampleur des crimes de violence sexuelle au Congo, il sera important pour la CPI d’enquêter et de poursuivre les crimes de cette nature. Ces enquêtes devront se concentrer sur ceux qui portent la plus grande part de responsabilité au sein des groupes armés ainsi que sur ceux qui les soutiennent, notamment les acteurs à l’extérieur des frontières du Congo.

Le contrôle des droits humains et la protection des civils par la MONUC

Au départ, la MONUC avait un mandat technique restreint au Congo, qui consistait principalement à contrôler le respect de l’accord de paix de Lusaka et à rendre compte des activités militaires des différents belligérants. En juillet 2003, le Conseil de Sécurité de l’ONU a élargi ce mandat pour y inclure la protection des civils, une tâche importante dans le conflit congolais. Cela signifie que les troupes de la MONUC peuvent et devraient recourir à la force, s’il y a lieu, pour protéger les civils. Malheureusement, la MONUC ne remplit pas pleinement ce mandat ; dans bon nombre de régions de l’Est du Congo, les civils continuent à être à la merci de groupes armés comme avant et ils n’ont pas reçu la protection nécessaire, comme ce fut le cas avec les victimes violées et tuées lors du soulèvement conduit par Mutebutsi et Nkunda en juin 2004. Néanmoins, dans certains cas, la MONUC est intervenue afin de protéger la population civile, par exemple dans la ville de Bunia où elle a signalé aux groupes armés que leur comportement abusif ne serait plus toléré.

Le rôle qui incombe à la MONUC de surveiller les atteintes aux droits humains et d’aider les victimes a aussi évolué de façon significative au cours des deux dernières années. Au début, la composante civile de la MONUC était minime et la supervision des droits humains pas systématique. Plus récemment toutefois, la MONUC est parvenue à poster des observateurs des droits humains dans bon nombre de régions du pays, y compris dans des zones reculées qui sont le théâtre de graves exactions. Elle a mené avec diligence des enquêtes sur de graves exactions et dans certains cas, elle en a publié les résultats. De plus en plus, elle recueille des informations précises sur les crimes de violence sexuelle et prend des mesures pour assister les victimes en portant l’affaire devant le tribunal, comme dans l’exemple décrit antérieurement.

De tels efforts sont minés lorsque des membres du personnel de la MONUC et d’autres organes de l’ONU commettent eux-mêmes des exactions et exploitent des femmes et des filles au Congo. En interrogeant des victimes, Human Rights Watch a découvert que des casques bleus de la MONUC de différents contingents militaires ainsi que du personnel civil avaient exploité sexuellement des femmes et des filles congolaises qui avaient cruellement besoin de nourriture, d’argent ou d’autres choses.169 Dans certains cas, des membres de la MONUC ont également agressé sexuellement ou violé des femmes et des filles. La réaction de l’ONU face à cette situation a été lente et inappropriée. Les informations relatives à ces exactions étaient disponibles au sein de l’ONU dès la mi-2004, lorsqu’une enquête interne a été menée. Ce n’est qu’en janvier 2005 que ces exactions ont été vigoureusement condamnées par le Secrétaire Général des Nations Unies. Seuls quelques cas ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire interne et un nombre encore plus réduit de cas ont été jugés dans les pays d’origine des suspects.



[167] Les quatre principaux groupes ciblés sont les PDI et les rapatriés; les enfants; les soldats démobilisés; et les femmes et les filles victimes de violences sexuelles. Consulté le 27 octobre 2004 sur www.ocha.unog.ch/fts/reports/pdf/OCHA_1_628.pdf.

[168] www.theglobalfund.org/search/portfolio.aspx?lang=en&countryID=ZAR#HIV/AIDS (consulté le 17 janvier 2005).

[169] Entretiens de Human Rights Watch avec des victimes et témoins, Bunia et Kisangani, 6 et 9 octobre 2004.


<<précédente  |  index  |  suivant>>mars 2005