Rapports de Human Rights Watch

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Résumé

Au cours des cinq années de conflit armé en République Démocratique du Congo, des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été victimes de crimes de violence sexuelle dans la partie Est du pays. La signature d’un accord de paix en 2002 et la mise en place d’un gouvernement de transition en 2003 avaient fait naître l’espoir que le conflit militaire et les exactions qui y étaient associées prendraient fin. Mais dans l’Est du Congo, des femmes et des filles –parfois âgées de trois ans seulement– ont continué à être la cible de crimes de violence sexuelle. Certaines ont subi des viols collectifs ou ont été enlevées par des combattants pour servir d’esclaves sexuelles pendant de longues périodes. D’autres ont été mutilées ou grièvement blessées par des objets introduits dans leur vagin. D’autres encore qui s’étaient défendues lors de l’agression ont été tuées. Dans un certain nombre de cas, des hommes et des garçons ont également été victimes de crimes de violence sexuelle.

Comme l’explique le présent rapport, les auteurs de violences sexuelles appartiennent pratiquement à toutes les forces et groupes armés qui opèrent dans l’Est du Congo. De tels crimes ont été commis par l’ex-Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma), un groupe armé appuyé par le Rwanda et qui contrôlait de vastes secteurs  de l’Est du Congo pendant la guerre. Le RCD-Goma et ses alliés rwandais avaient un certain nombre d’adversaires – les rebelles Maï Maï et les groupes armés hutus burundais et rwandais – qui ont également perpétré de façon généralisée des actes de violence sexuelle. Plus au nord-est, d’autres groupes armés se sont battus pour le contrôle du territoire et se sont également rendus coupables d’actes de violence sexuelle fréquents. Citons notamment le Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Kisangani – Mouvement de Libération (RCD-ML), le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), l’Union des Patriotes Congolais (UPC) et le Front Nationaliste Intégrationniste (FNI) dans la région d’Ituri. Des membres de l’ancienne armée gouvernementale, les Forces Armées Congolaises (FAC) et de la nouvelle armée nationale connue sous le nom de Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) sont également coupables d’abus sexuels.

Les victimes de crimes de violence sexuelle ont des besoins énormes en matière de prise en charge médicale, psychologique et sociale; si ces besoins ne sont pas rencontrés, il leur est difficile de s’engager dans une action et de persévérer dans leur effort pour traduire en justice les auteurs des crimes. Les organisations non gouvernementales (ONG) congolaises ont été les premières à aider les victimes mais aujourd’hui, diverses agences et ONG internationales apportent un soutien croissant. Les services offerts maintenant dans quelques communautés comprennent une assistance pour entamer une action en justice contre les personnes soupçonnées d’être responsables des actes de violence sexuelle.

Dans le passé, les femmes et les filles qui avaient été violées gardaient généralement le silence, craignant d’être stigmatisées. Beaucoup redoutaient les représailles des coupables si elles dénonçaient leurs crimes. Mais au cours des deux dernières années, un petit nombre de victimes de violence sexuelle s’est tourné vers le système judiciaire congolais pour réclamer justice. Le présent rapport décrit les efforts qui ont été faits en ce sens et les raisons pour lesquelles ils ont souvent échoué, notamment les lacunes de la législation, le manque de volonté des responsables militaires et autres de traiter la violence sexuelle comme un délit grave, l’absence de protection des victimes ainsi que divers obstacles logistiques et financiers liés à l’état de délabrement du système judiciaire.

Le rapport examine par ailleurs les quelques rares poursuites qui ont abouti à la condamnation des personnes accusées de crimes de violence sexuelle et il décrit les déficiences qui ont conduit à des violations du droit de l’accusé à un procès équitable. En outre, il parle de l’attention insuffisante prêtée aux besoins des victimes et à l’absence de protection pour les victimes et les témoins. Il dénonce également le non-examen par les auditeurs militaires de la culpabilité et de la responsabilité de commandement des officiers supérieurs lorsque la violence sexuelle faisait partie de crimes régulièrement commis sous leur commandement.

Le gouvernement congolais, confronté à la lourde tâche de rendre la justice pour les nombreux crimes commis pendant la guerre, a commencé à reconstruire le système judiciaire disloqué. Son succès le plus marquant à ce jour a été la remise en marche d’un tribunal à Bunia, dans le district d’Ituri en Province Orientale. Le présent rapport décrit les poursuites qui ont abouti à dix condamnations pour viol par ce tribunal. Il examine les réformes qu’il faudrait introduire dans la loi et dans le fonctionnement du système judiciaire, notamment offrir une protection suffisante aux victimes et aux témoins.

En tant que partie au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI), le Congo a renvoyé des crimes qui relèvent de la compétence de la Cour devant le procureur de la CPI qui a lancé une enquête. Ce fait nouveau constitue un réel espoir de justice pour le peuple congolais. Les crimes graves impliquant des violences sexuelles sont d’une telle ampleur qu’ils devraient être l’un des volets prioritaires de cette enquête. Cependant, la CPI ne sera en mesure d’enquêter que sur un nombre très limité de personnes qui portent la plus grande part de responsabilité dans les graves crimes commis au Congo. Ce sont les tribunaux nationaux qui devront donc traiter la majorité des délits perpétrés pendant la guerre.

Les bailleurs de fonds internationaux et les Nations Unies (ONU) apportent une assistance aux victimes mais celle-ci n’est pas suffisante pour répondre aux besoins accablants posés par la crise. L’Union européenne (U.E.) a apporté son soutien aux réformes du système judiciaire, en particulier à l’effort fait pour rouvrir le tribunal en Ituri.

Une opération de maintien de la paix de l’ONU, connue sous le nom de Mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC), a été envoyée pour superviser le processus de paix et protéger les civils. Au cours des derniers mois, le personnel des droits de l’homme de la MONUC a recueilli des informations qu’il a rendues publiques sur de graves cas de violations des droits humains et il a, en certaines circonstances, aidé les victimes de crimes de violence sexuelle à engager des poursuites judiciaires. Néanmoins, la MONUC a souvent failli à sa mission de protection des civils, notamment ceux qui sont la cible de violences sexuelles. Pire encore, certains soldats de la paix de la MONUC et des membres du personnel civil ont discrédité l’opération et l’ONU en général en commettant des crimes de violence sexuelle et en exploitant sexuellement des femmes et des filles.

Le présent rapport est basé sur des recherches effectuées au Nord Kivu, au Sud Kivu et en Ituri en 2003 et 2004, notamment des entretiens avec des victimes de violences sexuelles, des parents de victimes, des représentants des autorités judiciaires, des responsables politiques et des avocats. Le personnel des organisations non gouvernementales locales et internationales et de diverses agences de l’ONU a par ailleurs été largement consulté. Dans le souci de préserver la sécurité des victimes et de leurs familles, tous les noms apparaissant ici ne sont que des pseudonymes.


<<précédente  |  index  |  suivant>>mars 2005