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LES RETOMBEES DU CONFLIT SUR LE TCHAD

La poursuite du conflit au Darfour menace de façon croissante la stabilité au Tchad. Depuis le début 2004, les attaques de janjawids se sont multipliées à la frontière avec le Tchad et, dans certains cas, à plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur du territoire tchadien.

Selon des responsables tchadiens, les plus hautes autorités du pays ont appelé à plusieurs reprises le Gouvernement soudanais à contrôler les milices janjawids mais en vain. L’un de ces officiels a déclaré à Human Rights Watch :

Nous avons rencontré les autorités soudanaises, nous avons besoin de paix. Les milices (janjawids) sont soutenues et armées par le gouvernement, ils sont plus de 20.000 miliciens qui ont été recrutés et armés par le Gouvernement (soudanais) pour combattre la rébellion. Au motif de lutter contre l’insécurité, ils en profitent pour piller les villages – nous ne savons pas s’ils sont autorisés au pillage par le gouvernement. Nous avons dit aux Soudanais d’envoyer des forces régulières, nous leur avons demandé d’arrêter les miliciens et de les regrouper quelque part, par exemple à Geneina ou ailleurs. C’est très difficile de négocier ou de collaborer avec les milices.87

Certaines des attaques en territoire tchadien ont été menées par des membres de la milice et des bandits attirés par les chameaux et le bétail et autre butin de “guerre” potentiel. Ils attaquent les communautés vulnérables de réfugiés qui campent le long de la frontière. D’autres raids sont à connotation ethnique. Par exemple, les miliciens ciblent des civils isolés et non armés qui vont chercher de l’eau dans les wadis, réfugiés soudanais ou citoyens tchadiens et des attaques de représailles sont ensuite menées contre les Massalit tchadiens et les communautés arabes.

Les attaques contre les réfugiés et les Tchadiens

Les premières attaques des janjawids du côté tchadien ont consisté en raids contre le bétail et les chameaux mais, au cours des derniers mois, de plus en plus d’attaques ont visé les civils le long de la frontière et même à plusieurs kilomètres à l’intérieur du territoire du Tchad ; certaines de ces attaques paraissent avoir eu un caractère ethnique. Des groupes de janjawids ont ouvert le feu et tué des gens qui étaient descendus dans le lit des rivières pour y recueillir de l’eau dans des puits creusés à la main. Le 7 mars 2004, les miliciens sont entrés au Tchad et ont volé une centaine de têtes de bétail, tuant un réfugié et en blessant un autre en deux endroits différents le long de la frontière, selon un rapport.88

Nombre des victimes sont des femmes, dans la mesure où ce sont elles qui parcourent de longues distances à pied pour aller chercher l’eau et le bois de feu. De nombreuses femmes auraient été ainsi violées en ces circonstances, mais Human Rights Watch n’a pu rencontrer aucune femme souhaitant s’exprimer sur de telles attaques. Une femme tchadienne Massalit de trente-huit ans, originaire du village de Ouendelou, a été touchée d’une balle à l’estomac lors d’un incident survenu le 11 février 2004 :

J’étais allée cherché de l’eau moi-même parce que je m’inquiétais que mon seul fils y aille. Il était environ 10h00 du matin. Il y avait beaucoup de gens qui puisaient l’eau. Il y a beaucoup de trous le long du wadi et généralement à chaque trou il y a un groupe d’hommes et de femmes. J’étais à  l’un de ces trous quand environ cinq hommes sont arrivés à pied. Ils avaient laissé leurs chevaux plus haut dans le wadi et ils se trouvaient à une dizaine de mètres quand ils m’ont tiré dans l’estomac. Ils portaient des treillis khakis et n’ont pas dit un mot, ils ont juste commencé à tirer. Un seul tir m’a touchée, ensuite ils ont repris leurs chevaux et ils sont partis.89

Des incidents comme celui-ci ont amené le UNHCR à essayer de réinstaller les réfugiés du Darfour plus loin de la frontière, mais il s’agit d’une opération lourde, dangereuse et difficile au plan logistique. En outre, certains réfugiés installés avec de la famille ont prévenu qu’ils ne voulaient plus bouger. D’autres craignaient que le rationnement de l’eau dans les camps ne leur fasse perdre leur bétail, ultimes richesses de la vie des familles autrefois dans le Darfour. Les cadavres d’animaux morts de faim ou de soif jonchent déjà certains campements de réfugiés dans l’est du Tchad.

Tensions ethniques croissantes au Tchad

Le conflit du Darfour a déclenché des tensions entre des groupes tchadiens qui partagent les mêmes origines ethniques que les Darfouriens et qui, auparavant, coexistaient au Tchad. Le problème est particulièrement aigu autour d’Adré et dans la région frontalière du sud-est, où des Massalits et des Arabes tchadiens vivent dans des villages proches. 

De nombreux Massalits tchadiens entretiennent d’étroits liens de parenté avec des villages situés juste de l’autre côté de la frontière au Darfour et ont accueilli des proches réfugiés dont ils ont entendu les récits des horreurs subies. La tension entre communautés arabes et Massalit dans la ville d’Adré était palpable quand Human Rights Watch s’y est rendu en février 2004.

Le 4 février 2004, un Massalit tchadien a tué un responsable arabe nommé Mohammed Thorolat et un autre citoyen arabe dans le sud d’Adré.  Apparemment, les Massalit tchadiens avaient visé ce responsable dont l’autorité s’étendait jusqu’au Soudan en raison des atrocités commises par les janjawids à l’encontre des Massalits. Ces meurtres ont immédiatement beaucoup inquiété les autorités tchadiennes qui sont rapidement intervenues. Selon un responsable tchadien, « l’administration a rencontré les deux groupes ethniques et la population a été prévenue de ne pas recommencer une chose pareille ni de traverser la frontière.  Nous ne voulons que ce qui se passe au Soudan se répande.  Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour garder le contrôle de la situation. »90 

Les autorités ont arrêté deux personnes responsables de ces meurtres.  La médiation des autorités a apparemment permis d’aboutir à un accord en vertu duquel les Massalit paieraient en dédommagement cent hameaux pour chacune des victimes, mais peu après que cet accord eut été conclu, eut lieu une nouvelle attaque de miliciens qui avaient traversé la frontière sur un village Massalit, sans doute en représailles.  Au moins huit personnes furent tuées. Depuis ces attaques, les Massalit ont refusé de payer la compensation fixée.

La communauté Massalit redoute de plus en plus de possibles attaques arabes et certains ont tenté de se procurer des armes. Officiellement, le gouvernement tchadien a refusé d’armer les civils, sachant à quel point ce type de comportement avait rapidement échappé à tout contrôle – ou avait sciemment échappé à tout contrôle – au Darfour voisin. Pour cette raison ou une autre, le Gouvernement tchadien redoute l’impact déstabilisateur du conflit au Darfour. Bien que les forces militaires tchadiennes soient devenues plus actives le long de la frontière et poursuivent les janjawids jusqu’au Soudan, avec l’autorisation du Gouvernement soudanais, la situation au Tchad ne fait que se tendre, pas s’apaiser.




[87] Entretien avec Human Rights Watch, Tchad, 18 février 2004.

[88]“Cross-border conflict escalates,” Réseau d’information régionale intégré (IRIN), 16 mars 2004 –voir :

http://wwww.reliefweb.int/w/rwb.nsf/480fa8736b88bbc3c12564f6004c8ad5/e0f1adb1bfd2b0d985256e590069c777?OpenDocument

[89] Entretien avec Human Rights Watch, Tchad, 19 février 2004.

[90] Entretien avec Human Rights Watch, Tchad, 18 février 2004.


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