Rapports

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XI. LA REPONSE REGIONALE ET INTERNATIONALE

La crise en Côte d'Ivoire, pays autrefois considéré comme un pilier de stabilité régionale, a mis en évidence la fragilité toujours croissante de la sous-région ouest-africaine. Les huit derniers mois de conflit armé en Côte d'Ivoire et en particulier, les schémas d’abus contre les droits humains dans l’Ouest du pays sont un nouveau rappel de la nécessité d’aborder les causes sous-jacentes d’une crise régionale toujours changeante. Alors que le conflit en Côte d'Ivoire a des origines internes claires, l’évolution du conflit souligne l’étendue de l’interdépendance entre les états de la région. La résurgence de la guerre du Libéria est fondamentale dans les problèmes de la région mais n’est qu’un élément de ce qui a clairement évolué en une crise régionale, la responsabilité des abus étant partagée par de nombreux acteurs régionaux.

Le flux des armes et des combattants, dont des mercenaires, à travers des frontières poreuses combiné à la volonté des gouvernements régionaux de soutenir des groupes insurgés contre des voisins est une combinaison dangereuse. Les développements au cours de l’année dernière en Côte d'Ivoire mettent en lumière la grave possibilité d’un cycle régional constant de conflits et de déstabilisation alors que les groupes armés produisent de nouveaux cycles d’abus contre les droits humains, de déplacements internes de population, de réfugiés et d’enfants soldats.

Les voisins de la Côte d'Ivoire : Libéria, Burkina Faso et Guinée

Si la guerre en Côte d'Ivoire a été essentiellement stimulée par des griefs et mouvements internes, elle a été fortement influencée par des dynamiques régionales avec le Libéria, le Burkina Faso et la Guinée jouant un rôle dans son évolution et partageant la responsabilité de la confusion grandissante avec le conflit libérien. Des questions demeurent concernant les rôles précis du Président libérien, Charles Taylor et du Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré dans le soutien aux groupes rebelles. Taylor et Compaoré étaient alliés pendant une bonne partie des années 90207 et chacun avait intérêt à un changement de régime à Abidjan. Les liens historiques de Taylor avec Blaise Compaoré sont clairs et l’utilisation du Burkina Faso comme point de transit pour les envois illégaux d’armes vers le Libéria a été bien étudié par des rapports successifs du Panel d’experts des Nations Unies.208 Cependant, des questions clefs relatives à l’étendue des liens entre les groupes rebelles MPIGO et MPCI et les gouvernements des pays voisins – s’agissait-il ou non de soutien logistique ou d’ordres directs de Monrovia et Ouagadougou – n’ont pas trouvé de réponse et exigent des investigations supplémentaires.

La Guinée héberge et soutient depuis longtemps la rébellion du LURD à partir des camps de réfugiés libériens dans l’Est du pays et a contribué à l’intensification du conflit libérien par sa politique de soutien aux groupes rebelles libériens. Le lien principal de la Guinée avec la guerre ivoirienne a été l’accueil d’un nombre important de réfugiés. La réticence de la Guinée à admettre certains ressortissants de la CEDEAO, même en transit, sur son territoire, a causé des inquiétudes particulières en relation avec la crise ivoirienne. Suite au refus du gouvernement de permettre aux ressortissants burkinabé d’entrer dans le pays, des milliers de civils burkinabé et d’autres personnes déplacées de l’Ouest de la Côte d'Ivoire se sont retrouvés pris au piège au Libéria pendant des semaines et restent dispersés dans l’Est du Libéria, sans accès à l’aide humanitaire ou à la protection. Cet exemple illustre une nouvelle fois la nécessité pour les gouvernements régionaux de respecter leurs obligations envers les réfugiés et les civils déplacés fuyant les zones de conflit, quelles que soient leur appartenance ethnique ou leur nationalité.

Les acteurs régionaux : la CEDEAO

Les pays de la CEDEAO ont rapidement reconnu la gravité de la situation ivoirienne puisqu’elle touchait le cœur économique de la région. Si l’engagement d’envoyer des troupes de la CEDEAO a été entravé par des problèmes de financement et est resté au point mort pendant presque deux mois après avoir été pris le 29 octobre, les membres de la CEDEAO ont fait des efforts constants pour élaborer des cessez-le-feu, organiser des négociations de paix et amener les parties en conflit ensemble à Lomé, Dakar et Accra pour de nombreuses réunions et forums. Les inquiétudes de la CEDEAO se sont concentrées sur l’impact économique de la crise et les risques que posait le conflit sur la stabilité régionale. Les chefs d’état ghanéen, togolais et sénégalais ont joué les rôles les plus actifs dans la mobilisation des troupes pour le contingent de la CEDEAO et dans la tentative pour désamorcer le conflit. A la fin mai 2003, approximativement 1 300 soldats de la CEDEAO étaient en poste en Côte d'Ivoire où ils coordonnaient leurs actions avec celles des forces françaises dans la surveillance de la ligne de cessez-le-feu.

La communauté de la CEDEAO – et l’Union africaine – ont eu une position notablement faible en matière de condamnation systématique des abus contre les droits humains commis par les gouvernements régionaux. Cette faiblesse est très probablement due en partie aux bilans douteux en matière de droits humains de nombre de gouvernements au pouvoir dans leurs propres pays membres. Renforcer les mécanismes régionaux sur les droits humains et la commission des droits humains de l’Union africaine serait un pas important vers l’instauration d’une plus grande responsabilité en la matière chez les états membres et dans la région.

Les Nations Unies

Le Conseil de Sécurité

Dès le début du conflit, les Nations Unies se sont souvent tournées vers la France pour les questions politiques et militaires relatives à la Côte d'Ivoire. Une résolution du Conseil de Sécurité en février 2003209 a condamné les abus du conflit et conféré une autorité Chapitre VII aux forces françaises et à celles de la CEDEAO mais les forces des Nations Unies ont par ailleurs joué un rôle minimal. Une mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire, la MINUCI, a été proposée fin avril et approuvée début mai. La mission comportait des observateurs militaires, du personnel de liaison et une composante vitale en charge du suivi des droits humains mais le Conseil de Sécurité a réduit les ressources humaines et financières pour les composantes civiles de la mission, sur la base essentiellement des inquiétudes américaines quant au budget et au personnel. Cette réponse américaine a sérieusement manqué de clairvoyance compte tenu du besoin urgent d’un cadre assurant le suivi des droits humains en Côte d'Ivoire.

Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNUDH)

Une mission du HCNUDH en Côte d'Ivoire en décembre 2002 a produit un rapport public sur la situation et a souligné nombre de questions clefs, y compris le contentieux sous-jacent aux débats sur la terre et la nationalité. Une mission de suivi en mars a évalué la faisabilité d’une future commission d’enquête et a établi plusieurs étapes pour le lancement d’une telle mission. Pousser à une enquête internationale ou à un mécanisme local crédible soutenu par des efforts internationaux et du personnel est vital si on veut que la justice règne en Côte d'Ivoire et que les responsables d’abus soient poursuivis. Le HCNUDH devrait être étroitement impliqué dans la composante surveillance des droits humains de la MINUCI et dans toute future commission d’enquête.



207 Les relations personnelles ont dicté une bonne part de la politique étrangère ouest-africaine au cours des dernières décennies. Trois importants personnages régionaux se sont alliés à Charles Taylor, alors rebelle quand il dirigeait la rébellion du Front National Patriotique du Libéria (NPLF) contre le régime de Doe, à la fin des années 80. Le premier était le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré qui a fourni une formation militaire et un soutien à un groupe d’exilés libériens, dont Taylor, après avoir reçu leur soutien dans l’assassinat, en 1987, de Thomas Sankara, alors Président. Le second était le responsable libyen, le Colonel Kadafi dont la mésentente avec Doe trouvait son origine dans une hostilité à l’égard des Etats Unis et dont le soutien militaire à Charles Taylor, dans la période où il était rebelle, s’est poursuivi tout au long de la présidence de Taylor, sans prêter attention à l’embargo des Nations Unies sur les armes pour le Libéria. Le troisième a été Félix Houphouët-Boigny qui a soutenu Taylor après le meurtre par Doe, en 1980, de Adolphus Tolbert, le mari de la filleule de Houphouët-Boigny. Houphouët-Boigny avait également des liens personnels avec Blaise Compaoré qui avait épousé l’une de ses nièces. Le soutien d’Houphouët-Boigny à la rébellion de Taylor comportait la permission offerte au NPLF naissant d’utiliser la Côte d'Ivoire – en particulier la ville de Danané, qui occupe une position stratégique à l’intersection des frontières ivoiriennes, libériennes et guinéennes – comme base arrière pour les attaques de Taylor sur le Libéria. Voir Stephen Ellis, The Mask of Anarchy,(Hurst and Company, London), 1999, pp. 160-164.

208 Voir par exemple les rapports du Panel des experts des Nations Unies sur le Libéria du 25 octobre 2002 (S/2002/1115) et du 24 avril 2003 (S/2003/498).

209 Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution 1464, 4 février 2003, S/RES/1464 (2003).


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Août 2003