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XIII. La Communauté Internationale

Les acteurs de la communauté internationale ont depuis toujours manifesté de l’impatience pour un dénouement pacifique du conflit burundais. L’insistance qu’ils mettent, dans le cas du Burundi, à privilégier la stabilité, trouve surtout son explication dans le spectre omniprésent du génocide rwandais – un pays qui s’apparente au Burundi en termes de répartition démographique mais à l’histoire sensiblement différente –, et dans les conflits ethniques meurtriers qui ont déjà endeuillé le Burundi par le passé. 274 Ils se proposent toutefois d’arriver à la paix en y consacrant un minimum d’investissement financier et même, ont rechigné à intervenir pour payer les troupes fournies par les pays africains. N’hésitant pas à condamner les violations du droit international, les gouvernements et organisations internationales bailleurs ont accueilli sans protester la mesure d’amnistie pour ces mêmes crimes, en échange de la conclusion d’un accord qui pourrait, pourtant, s’avérer aussi éphémère que les précédents.

Les Nations Unies

Le Conseil de Sécurité

Lors de la signature des Accords d’Arusha, les Nations Unies étaient supposées jouer un rôle clé dans le processus, tant en fournissant une mission de maintien de la paix qu’en aidant à l’œuvre de justice, par la mise sur pied d’une commission internationale d’enquête et un tribunal international ad hoc. Peu favorables à fournir des troupes pour une opération de maintien de la paix considérée comme risquée, coûteuse et qui allait probablement s’éterniser, les Nations Unies ont passé la main à l’Union Africaine, du moins dans le futur immédiat. Puisque, selon toute probabilité, un tribunal international ne verra jamais le jour, le Conseil de Sécurité hésite même à mettre sur pied la commission internationale d’enquête censée établir si les crimes commis au Burundi depuis 1962 sont constitutifs de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le Conseil a, en effet, ignoré la requête lui adressée officiellement par le gouvernement du Burundi en juillet 2002, mais, sur insistance de toutes les parties burundaises rencontrées, la délégation du Conseil de Sécurité qui a visité le pays en juin, a promis d’accueillir la demande. Au début du mois de novembre 2003 toutefois, les membres du Conseil de Sécurité ne s’étaient toujours pas entendus sur les termes de référence d’une première mission exploratoire chargée d’étudier la faisabilité d’une commission d’enquête, ni fixé de délai pour la production d’un rapport.275 Il est évident que l’établissement d’une telle commission d’enquête et l’exécution de sa délicate tâche de réunion et d’analyse des éléments de preuve, prendront de nombreux mois. En convenant d’une immunité provisoire, les signataires du protocole de Pretoria ont démontré qu’il ne fallait pas compter sur eux pour que justice soit rendue aux victimes de tous les crimes qui ont tristement caractérisé ces récentes années. Le fardeau et la responsabilité d’une œuvre prompte de justice ont été renvoyés à la communauté internationale. A moins que le Conseil de Sécurité ne décide de rendre prioritaire la mise sur pied d’une commission d’enquête et de donner suite à toute action juridictionnelle que celle-ci recommanderait, les Burundais continueront d’entretenir leur peine et leur frustration, terreau fertile pour de futurs conflits.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme

Le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, le défunt Sergio Viera de Mello, s’est rendu au Burundi en mars et a souligné l’urgence qu’il y avait à mettre un terme à l’impunité pour les violations graves du droit international humanitaire. Il a déclaré que, « Ceux qui commettent des violations particulièrement graves des droits de l’homme doivent savoir que justice sera faite, même si cela prend du temps.»276 Le Rapporteur spécial pour le Burundi, qui a très souvent dénoncé les violations par le passé, a encore visité le Burundi en mai et conduit ses propres investigations sur le massacre de Kabezi.

Le bureau de l’Office des Droits de l’Homme au Burundi, établi dans le pays depuis longtemps, n’a jamais rendu publics les résultats de son travail. Depuis peu néanmoins, les rapports trimestriels généraux issus du Haut Commissariat contiennent une partie relative aux activités du bureau du Burundi. Cette nouvelle pratique devrait contribuer à attirer davantage l’attention sur la question des droits de l’homme.

La Commission de Suivi de l’Accord d’Arusha

Relativement peu active depuis le début, la Commission a commencé à jouer un rôle plus visible en octobre 2003. Elle a fermement critiqué le gouvernement pour « son manque de volonté » à mettre à exécution les recommandations contenues dans le rapport dressé par la commission des experts en 2002, relatives à la libération des prisonniers politiques, la libération provisoire des personnes détenues depuis plus de six ans, la libération conditionnelle de ceux qui ont servi plus du quart de leur peine, et la libération de ceux détenus irrégulièrement, des plus âgés, et des gravement malades. La CSA a aussi appelé les parties au conflit à respecter les civils, conformément au droit international humanitaire. Elle a insisté pour que chaque partie respecte son obligation de fournir au plus vite à la CMC les chiffres de ses effectifs de façon à ce que puisse démarrer le processus de démobilisation.277

L’Union Africaine et les Acteurs Régionaux

Sous l’impulsion de l’Afrique du Sud, l’Union Africaine a transformé les forces sud africaines qui se trouvaient déjà dans le pays pour protéger les politiciens burundais revenus d’exil en une mission plus large de maintien de la paix. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont contribué, à concurrence de plus de six millions USD chacun, à équiper les forces éthiopiennes et mozambicaines qui ont rejoint la Mission africaine, et l’Union Européenne serait prête à libérer 25 millions € , si d’autres bailleurs se joignaient à l’effort pour rendre la force opérationnelle. Au début du mois de novembre 2003, aucun autre bailleur ne s’était sérieusement manifesté, laissant la Mission Africaine avec environ 37 millions USD sur les 120 programmés pour son budget.278

L’Afrique du Sud a aussi pris la direction des négociations qui ont débouché sur les Protocoles de Pretoria. Le Vice Président Jacob Zuma, médiateur, a exprimé a profonde satisfaction au vu des résultats, en déclarant, « Voici un accord qu’on peut défendre, s’approprier et mettre à exécution. » 279 Il n’a fait aucune allusion à la mesure d’immunité provisoire accordée aux combattants pour les crimes commis pendant la guerre. L’Afrique du Sud a dû faire face à d’importantes dépenses pour l’entretien de ses troupes et, sans aucun espoir d’aide extérieur, devait prévoir de continuer à les entretenir sur ses propres ressources tant qu’aucun accord n’était intervenu. Avec la fin officielle des hostilités entre le gouvernement et les FDD, le ministre des affaires étrangères sud africain a immédiatement contacté les membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour leur demander de prendre le relais et leurs responsabilités dans la mission de maintien de la paix. 280

Les Bailleurs de fonds

Désireux de voir la paix s’installer, les bailleurs se sont souvent contentés d’un processus de paix de façade, sans véritablement s’arrêter sur les signes attestant de la réalité de la poursuite des combats. Ils ont ainsi parfois contribué à récompenser le gouvernement burundais pour ses initiatives de paix, alors même qu’il poursuivait la guerre. La Banque Mondiale a ainsi octroyé une somme de 650.000 USD pour la première opération de cantonnement, en avance sur les fonds du programme Multi-Pays de Démobilisation, alors que le plan national de démobilisation n’était pas sorti. En mai, en plein conflit, le Fonds Monétaire International a, pour sa part, estimé que, depuis l’accord d’Arusha, le Burundi était sur la voie de la normalisation et en conséquence, libéré 13 millions USD, seconde tranche d’un programme d’assistance « post-conflit. »281

L’Union Européenne

L’Union Européenne a financé plusieurs initiatives destinées à faire avancer le processus de paix, mais qui, en réalité, ont produit peu de résultats. En décembre 2002, dans le but de soutenir l’accord de cessez-le-feu qui venait d’être signé, elle a financé une opération de distribution de nourriture aux rebelles FDD. Le programme de distribution fut interrompu par la reprise des combats et même décrié par l’armée burundaise, qui l’avait pourtant soutenu. L’UE a aussi financé les quarante-six observateurs de la Mission Africaine qui sont arrivés à la fin du mois de février, alors même que le mandat de ces derniers n’était pas clairement défini – l’aspect droits de l’homme n’ayant jamais été inclus – et qu’ils sont restés confinés dans les centres urbains pour raisons sécuritaires.

La délégation du Parlement Européen venue sur le terrain en juin 2003, a observé des dysfonctionnements dans l’opération de cantonnement, suggéré que des fonds du Fonds Européen de Développement puissent être utilisés en support de la Mission Africaine, et plaidé pour un contrôle accru des trafics d’armes et davantage de pression sur les groupes rebelles pour les contraindre à désarmer.

Lors de la dernière attaque de Bujumbura, l’UE a rapidement déploré les victimes civiles qui résultaient des combats et exhorté toutes les parties «à garantir la sécurité des populations qui n’avaient déjà que trop souffert. »282 Elle avait aussi sévèrement dénoncé le massacre de Itaba de septembre 2002 bien que sa déclaration critiquant le procès des deux officiers, qui s’est fait attendre, ait été moins précise.283 A la mi-novembre, l’UE n’avait toujours pas émis de commentaire sur la mesure d’immunité provisoire stipulée dans l’Accord d’Arusha.

Les Etats-Unis

Les Etats-Unis n’ont accordé qu’une aide financière relativement limitée au Burundi ces dernières années, mais ont contribué à l’équipement des soldats éthiopiens de la Mission Africaine à concurrence de six millions USD. L’ambassadeur à Bujumbura a joué un rôle actif pour favoriser les négociations entre les parties belligérantes, et un représentant du Département d’Etat à Washington a fait savoir qu’ils étaient extrêmement satisfaits de la signature du Protocole de Pretoria. Les Etats-Unis n’ont fait aucune déclaration à propos de la mesure d’immunité provisoire relative aux crimes de guerre. Selon le Département d’Etat, cette mesure doit être vue comme « nécessaire pour l’intérêt général », pour arriver à mettre fin aux combats entre le gouvernement et les FDD. 284

Cet empressement à accepter, sans commentaire, la mesure d’immunité provisoire, contraste avec la promptitude que les Etats-Unis ont mis à dénoncer la parodie de procès du massacre de Itaba. En février 2003, l’ambassade des Etats-Unis à Bujumbura avait exprimé sa « grande déception » face à « l’incapacité » du gouvernement de transition à punir ceux qui étaient responsable de ce massacre.285



274 Entretien de Human Rights Watch, Bruxelles, 6 mars 2003.

275 Entretiens de Human Rights Watch avec plusieurs membres de la délégation du Conseil de Sécurité, Bujumbura, 12 et 13 juin 2003 ; Entretiens par téléphone avec Washington et new York, 30 octobre 2003.

276 Radio Isanganiro, nouvelles, 3 mars 2003 ; IRIN, « UN Rights Commissioner urges implementation of peace agreement », 4 mars 2003.

277 IRIN, « IMC slams detention of political prisoners, poor prison conditions », 7 octobre 2003.

278 Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 4 septembre 2003.

279 Xinhuanet, « Burundi peace agreement signed in S.Africa », 2 novembre 2003.

280 Reuters, « Burundi says signs final peace deal with rebels », 3 novembre 2003 ; News 24A, « SA troops in Burundi ‘costly’ », 2 novembre 2003.

281 Fonds Monétaire International, communiqué de presse, « Le FMI approuve une assistance de 13 millions USD à titre d’assistance post-conflit pour le Burundi », 5 mai 2003 ; Entretien de Human Rights Watch avec un représentant de la Banque Mondiale, Bujumbura, 19 juin 2003.

282 Union Européenne, déclaration de la présidence, 10 juillet 2003.

283 Union Européenne, déclaration de la présidence, 25 septembre 2002 et 6 mars 2003.

284 Entretien de Human Rights Watch par téléphone avec Washington D.C., 5 novembre 2003.

285 Ambassade des Etats Unis à Bujumbura, communiqué de presse, 26 février 2003.


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decembre 2003