publications

<<précédente  | index  |  suivant>>

XI. Le retour des réfugiés en provenance de Tanzanie

Le nombre de réfugiés burundais qui reviennent au Burundi à partir des camps de réfugiés de l’Ouest de la Tanzanie, a très nettement augmenté en mai et juin 2003. Pour le seul mois de mai, près de 5.000 réfugiés burundais en provenance des camps de Kibondo, Tanzanie, sont rentrés dans leur province d’origine de Ruyigi ou Makamba par leurs propres moyens, malgré l’insécurité qui prévalait dans ces provinces.240 Dans le courant de l’année, 22.000 autres réfugiés étaient rentrés de Tanzanie vers le nord du Burundi, une région qui passait pour être encore relativement stable jusqu’à ces derniers mois. En sens inverse, 6.770 Burundais avaient fui le Burundi et son conflit interminable, pour rejoindre la Tanzanie, dans le courant de l’année dernière, et 200 encore en mai 2003.241 Quelques 100.000 réfugiés sont rentrés dans le cadre du « rapatriement volontaire » de mars 2002 à novembre 2003, mais plus de 500.000 resteraient encore en Tanzanie. 242

Bien que les politiciens burundais se félicitent de ces retours, qu’ils imputent à la réussite de la transition vers une présidence hutu, des réfugiés rencontrés sur la route par Human Rights Watch, ont confirmé qu’ils étaient partis de Tanzanie à cause de la dégradation des conditions de vie dans les camps. Ils ont exposé que les autorités tanzaniennes leur avaient interdit de sortir des camps, une mesure qui a une influence directe sur la rentrée des revenus procurés par les activités de culture de lopins de terre ou de commerce dans les marchés avoisinants. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) avait confirmé l’imposition, par les autorités tanzaniennes, de ces restrictions, et leur impact négatif sur les activités génératrices de revenus des réfugiés.243 Un des réfugiés interviewés par un chercheur de Human Rights Watch a expliqué que, « Ceux qui avaient bravé l’interdiction ont été tués par les militaires tanzaniens. Des femmes ont été violées. »244 La ration alimentaire a aussi été drastiquement diminuée, même si de moitié, en janvier 2003, elle était remontée à 72 % de la ration normale, en mai.245 Cette réduction a pu avoir été la conséquence de véritables problèmes d’approvisionnement en nourriture plutôt que d’une volonté politique, mais il n’en reste pas moins qu’elle a contribué au retour des réfugiés.

Des réfugiés ont aussi évoqué l’organisation, dans les camps, par les autorités tanzaniennes, de réunions de sensibilisation au retour. « On nous dit que si nous restons, nous mourrons », a dit un père de famille qui, montrant les pieds enflés et meurtris des jeunes enfants qui l’accompagnaient, a expliqué qu’ils venaient de marcher trois jours durant.246

Un retour qui s’opère dans de telles conditions de coercition doit être qualifié de non volontaire et constitue une violation des normes fondamentales et coutumières du droit international. Comme le UNHCR l’énonce, « Le principe du retour volontaire des réfugiés est la pierre angulaire de la protection internationale des réfugiés dans le respect de ceux-ci … il se déduit directement du principe de non-refoulement 247: un retour involontaire des réfugiés pourrait s’assimiler en pratique à un refoulement. »248 Le UNHCR poursuit en soulignant, « le retour de réfugiés n’est pas volontaire lorsque les autorités du pays d’accueil privent les réfugiés d’une réelle liberté de choix par l’imposition de mesures de coercition, comme par exemple, la réduction des services de base. »249

Lors d’une réunion à Genève à la fin du mois de juin, à laquelle assistait un représentant de Human Rights Watch, un officiel du gouvernement tanzanien a reconnu que la Tanzanie avait violé ses obligations de non-refoulement en forçant les Burundais au retour en mai et début juin 2003, mais a annoncé que « des mesures avaient été prises pour rectifier la situation. »250

Malgré la condition misérable de la plupart de ces réfugiés qui rentraient au Burundi, le UNHCR ne leur a fourni que l’assistance humanitaire minimale. Il estimait que les conditions de sécurité et de durabilité qui justifieraient un rapatriement facilité, et, en conséquence, une assistance complète pour 3 mois, n’étaient pas réunies pour la province de Ruyigi et les provinces du Sud. La situation était qualifiée de « retour spontané », et ne s’inscrivait pas dans une action de « rapatriement organisé » par le UNHCR.251 Les réfugiés revenaient parce qu’ils n’avaient pas le choix. Le UNHCR craignait néanmoins qu’en leur fournissant une assistance complète, cette aide ne devienne un facteur d’attraction pour les autres. Un souci légitime, vu les conditions d’instabilité des régions dans lesquelles rentraient les réfugiés, qui n’offraient pas une réintégration optimale. Mais dans le même temps, les principes du HCR rappellent que, la responsabilité attachée à la protection des réfugiés et à l’assistance en cas de rapatriement volontaire est engagée que les réfugiés retournent de manière « organisée » sous les auspices du HCR ou « spontanément » par eux-mêmes.252

La Commission Nationale de Réhabilitation des Sinistrés (CNRS), prévue dans le protocole IV des Accords d’Arusha, est censée prendre en charge l’importante question de la réintégration des réfugiés qui reviennent. Originairement conçue pour être une agence autonome avec pouvoir de décision, elle a été mise sous tutelle du Ministère à la Réinsertion, ce qui est de nature à entraîner un blocage dans son fonctionnement.253

Les Protocoles de Pretoria d’octobre et novembre 2003 pourraient bien entraîner de nouveaux retours de réfugiés, à large échelle. En rentrant, les réfugiés retrouvent un pays rongé par la pauvreté et plongé dans une insécurité récurrente. La plupart ont déjà épuisé leurs maigres rations d’assistance avant de revenir dans une communauté qui, elle aussi, est déjà fragilisée par la guerre. Et les questions fondamentales d’ordre militaire et politique qui étaient déjà la cause de leur fuite, n’ont pas encore été définitivement résolues.

Le 7 novembre, dans une déclaration qui tranche avec la position adoptée précédemment, mais probablement dictée par la signature des Protocoles de Pretoria, le haut représentant du UNHCR, Rudd Lubbers, a appelé à « un rapatriement massif » des Burundais réfugiés en Tanzanie vers le Burundi. Le ministre en charge du rapatriement a formulé l’espoir de voir le UNHCR apporter l’aide nécessaire pour faciliter ce retour.254 A défaut d’une aide conséquente en ce sens, un retour à grande échelle risque de provoquer la déstabilisation des communautés qui recevront les rapatriés.



240 Entretien de Human Rights Watch, Ruyigi, 16 juin 2003.

241 UNHCR, Kibondo, « Retuns to Burundi rise amid fears of pressure in Tanzanian camps », 2 juin 2003.

242 Arib Info, « Malgré plusieurs mises en garde, le HCR considère que le moment est venu pour un rapatriement massif des réfugiés burundais », 8 novembre 2003.

243 UNHCR, « Burundi : UNHCR concerns over voluntariness of returns from Tanzania », Briefing notes, 3 juin 2003.

244 Entretiens de Human Rights Watch, sur la route entre Nyabitare et Gisuru, à Gisuru et à Nyabitare, 16 juin 2003.

245 OCHA Mission Brief, Visit to Burundian camps in Tanzania, 6 juin 2003.

246 Entretien de Human Rights Watch, sur la route entre Nyabitare et Gisuru, 16 juin 2003.

247 Le principe de non-refoulement oblige les états à ne pas repousser les réfugiés aux frontières des territoires dans lesquels leur vie et leur liberté sont menacées. Le droit coutumier international se définit comme l’ensemble des pratiques régulières et généralement admises par les états comme leur imposant une obligation. Le principe de non-refoulement est une règle communément admise comme faisant partie du droit coutumier international. Voir par ex. Executive Committee (ExCom) Conlusion N°17, Problems of extradition affecting refugees, 1980 ; N°25, General Conclusion on international protection, 1982 ; Encylopedia of Public International Law, Vol. 8, p. 456. L’ExCom de l’UNHCR définit que le non-refoulement a acquis le caractère de norme péremptoire de droit international, c’est-à-dire un standard légal auquel les états ne peuvent déroger et qui ne peut être modifié que par une norme générale postérieure de droit international de même caractère. Voir ExCom Conclusion, N° 25, General Conclusion on international protection, 1982.

248 UNHCR, Manuel sur le rapatriement volontaire, 1966, p.10. Le Manuel stipule que le retour volontaire nécessite que la décision de retour soit provoquée par des facteurs d’attraction positifs vers le pays d’origine, qui l’emportent sur des facteurs qui pousseraient à quitter le pays hôte ou sur des facteurs d’attirance négatifs, tels des menaces portées à la propriété dans le pays d’origine. Le retour devra également prendre place dans des conditions de sauvegarde, de dignité et de sécurité. Ces standards imposent un retour dans des conditions de sécurité légale, sécurité physique, sécurité matérielle. Les réfugiés devront être traités avec respect et pleinement acceptés par leurs autorités nationales, en ce compris dans le plein rétablissement de leurs droits. Bien que ce Manuel ne constitue pas en soi une règle de droit international coercitive, il fournit une série de lignes directrices dérivées du droit international qui permettent de juger l’attitude du UNHCR et des gouvernements lors des rapatriements. Il est aussi basé sur plusieurs ExCom Conclusions, telles la Conclusion ExCom N°18 (1980), Conclusion ExCom N° 40 (1985), Conclusion ExCom N°74 (1994), qui reflètent le doit international des droits de l’homme ainsi bien que des interprétations de la Convention sur les Réfugiés.

249 Manuel du UNHCR sur le rapatriement volontaire, p. 42 (emphase dans le texte.)

250 Déclaration du Gouvernement de Tanzanie, UNHCR Standing Committee, Genève, 25 juin 2003 (notes de Human Rights Watch.)

251 Le Manuel du UNHCR sur le rapatriement volontaire fait la distinction ente rapatriement organisé et rapatriement spontané, p. 23.

252 Manuel du UNHCR sur le rapatriement, 1996, p. 23.

253 Accord d’Arusha, article 4, Protocole IV ; Agence Burundaise de Presse, « Clarification des limites de la Commission nationale de réhabilitation des sinistrés », 26 juin 2003.

254 Arib Info, « Malgré plusieurs mises en garde, le HCR considère que le moment est venu pour un rapatriement massif des réfugiés burundais », 8 novembre 2003.


<<précédente  |  index  |  suivant>>

decembre 2003