Rapports de Human Rights Watch

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7 avril: les massacres commencent

 

Le plan fonctionne

Le Président Habyarimana a été tué lorsque son avion a été abattu le soir du 6 avril.23 En l'espace de quelques heures, les membres des forces armées avaient tué les dirigeants politiques opposés au Hutu Power, réalisant ainsi la prédiction faite par le chef des services de renseignements militaires en juillet 1992. Parmi les premiers tués a été le premier ministre Agathe Uwilingiyimana. Les politiciens tués étaient considérés comme responsables des concessions faites au FPR et plusieurs d'entre eux, notamment Madame Uwilingiyimana, faisaient également figure d'obstacles à l'instauration d'une nouvelle configuration politique, comprenant uniquement des partisans du Hutu Power. Après l'élimination de ces dirigeants du gouvernement précédent le 7 avril, les responsables militaires et politiques du Hutu Power ont désigné et mis en place un nouveau gouvernement pour réaliser leurs objectifs.

 

Peu après, les membres des forces armées, les réservistes, les Interahamwes et autres milices, ainsi que les civils ordinaires ont commencé à pourchasser et à tuer les Tutsi. Aux endroits où les Tutsi se sont rassemblés par milliers et ont opposé une résistance, les soldats et la police nationale ont mené les attaques, parfois en utilisant des armes telles que des mortiers. Les milices obéissant aux partis politiques et les civils ordinaires, organisés par les responsables administratifs locaux, suivaient alors l'assaut initial, utilisant quelques armes à feu et beaucoup d'armes traditionnelles.

 

Les soldats et la police nationale gardaient les barrières les plus importants et patrouillaient sur les routes principales tandis que les milices Interahamwes et les civils ordinaires gardaient les barrières à des endroits moins stratégiques, notamment sur les routes locales, et effectuaient des patrouilles dans les quartiers.

 

Les préparatifs pour l'autodéfense civile n'étaient pas terminés quand l’avion du president a  été abattu mais les grandes lignes avaient été suffisamment bien tracées pour que le processus fonctionne: les responsables militaires et administratifs coopéraient, les membres des forces armées apportant leur savoir-faire militaire et les administrateurs fournissant les effectifs recrutés en fonction de l'unité administrative de résidence.

 

Le système d'autodéfense officialisé

Avec le gouvernement du Hutu Power mis en place après le 9 avril, ceux qui avaient secrètement élaboré un plan d'autodéfense ont alors pu l'officialiser et le rendre public. Dix jours après l'entrée en fonction du gouvernement, les autorités ont dirigé le recrutement de l'autodéfense civile dans la préfecture de Butare, située au sud, et ailleurs. Le commandant militaire local a coopéré avec les responsables administratifs, les bourgmestres et les conseillers communaux, pour recruter de jeunes hommes qui devaient être sélectionnés en fonction de l'unité administrative dans laquelle ils vivaient, continuer à résider chez eux et être formés à l'usage des armes par des policiers ou des réservistes.24

 

Le premier ministre nouveau, Jean Kambanda, et le ministre de l'intérieur ont ensuite officialisé le programme d'autodéfense dans des décrets signés le 25 mai 1994. Selon l'ex-premier ministre Kambanda, plusieurs ministres ont fréquemment fait référence au document sur "l'Organisation de l’Autodéfense Civile" lors des discussions du cabinet à propos du programme.25 Une comparaison des décrets passés fin mai avec le document de février ou mars 1994 corrobore cette affirmation. Les mêmes objectifs sont mentionnés pour le programme et certaines expressions identiques sont utilisées pour décrire les positions et les responsabilités au sein du système. Comme pour le plan antérieur, les ministres de l'intérieur et de la défense devaient diriger le système mais dans la dernière version, le ministre de l'intérieur le préside et le ministre de la défense est vice-président au lieu d'avoir tous les deux un rôle d'égale importance.26

 

Une fois le système officiellement mis en place, les Interahamwes y ont été incorporés, leurs groupes extrêmement bien entraînés servant d'unités d'élite pour diriger les civils ordinaires non formés ou moins bien entraînés. Selon Kambanda, les Interahamwes entraînés militairement ont systématiquement été incorporés dans la défense civile sous l'étiquette de "jeunes aux tendances républicaines", (expression ressemblant beaucoup à celle trouvée dans le document sur l' “Organisation de l’Autodéfense Civile"), indiquant donc clairement dans les faits l'approbation du gouvernement pour les crimes auxquels ils se livraient depuis le début du mois d'avril.27

 

Dans les semaines qui ont précédé son instauration officielle et dans les semaines qui ont suivi, le système d'autodéfense civile a été utilisé pour mobiliser les civils ordinaires afin de traquer les Tutsi, citoyens ordinaires qui avaient été assimilés à l'ennemi militaire. En utilisant l'effort d'autodéfense civile contre les non-combattants, les autorités militaires, administratives et politiques ont transformé un système qui aurait pu constituer une forme potentiellement légitime d'autodéfense en une violation du droit international; en définissant les Tutsi comme la cible à atteindre et en cherchant leur élimination, les autorités ont transformé le système d'autodéfense en une arme génocidaire.

 





[23]Ceux qui portent la responsabilité de l’attentat ne sont pas encore connus de façon définitive.Mais une enquête judiciaire française, dont les résultats se font attendre depuis longtemps, aurait attribué le crime au FPR, une allégation faite aussi par certains anciens militaires FPR actuellement en exil.

 

[24]Lt. Col. Tharcisse Muvunyi, Comd. Place BUT-GIK à Monsieur le Bourgmestre, no. 0085/MSC.1.1, 21 avril 1994.

[25]Jean Kambanda, “Eléments de Défense de Jean Kambanda,” 28 janvier 2000, p. 28.

[26] Jean Kambanda, Premier Ministre à Monsieur le Préfet (Tous), “Directive du Premier Ministre aux Préfets pour l’Organisation de l’Auto-Défense Civile,” no. 024/02.3, 25 mai 1994 et Edouard Karemera, Ministre de l’Intérieur et du Développement Communal, à Monsieur le Préfet (Tous), 25 mai 1994.

 

[27]Jean Kambanda, “Les Circonstances entourant mon arrestation le 18 juillet 1997 à Nairobi au Kenya, ma détention en Tanzanie, mon transfert aux Pays-bas et mon procès en appel,” document comptant 25 annexes, daté du 19 octobre 1999.

 

 

 

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