Rapports de Human Rights Watch

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Manque de progrès dans le domaine de la justice

 

A la fin du mois de novembre, le parlement congolais a adopté une loi d’amnistie qui était attendue depuis longtemps et qui accorde l’amnistie pour les crimes et délits politiques commis entre août 1996 et juillet 2003, mais qui exclue les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.  Le gouvernement de transition professe souvent son attachement à la justice mais il a peu progressé pour demander aux individus accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de rendre comptes de leurs actes, de même qu’il n’a pas progressé sur ces crimes et d’autres qui ont été commis après juillet 2003. L’appareil judiciaire fonctionne si mal qu’il n’arrive même pas à traiter les délits mineurs de droit commun ou les procès civils, laissant les citoyens pratiquement sans possibilité de recours à une action légale. En novembre 2004, des officiers de justice, des experts judiciaires et des bailleurs étrangers ont prévu la création d’un comité pour s’occuper de la réforme du système judiciaire, mais des retards au sein du ministère de la justice ont abouti à ce que le comité n’a même pas été créé jusqu’en octobre 2005, rendant toute éventualité de réforme peu probable avant les élections.47

 

Les cas de personnes en vue où les autorités permettent aux auteurs de crimes contre les droits humains d’échapper à leur punition, ou, encore pire, les cas où les autorités favorisent en fait les coupables encouragent un climat d’impunité. Cela a pris au gouvernement jusqu’en septembre 2005 pour lancer les mandats d’arrêt internationaux contre l’ancien Général Laurent Nkunda et l’ancien Major Jules Mutebutsi, accusés d’être responsables des crimes commis par leurs troupes à Bukavu en mai et juin 2004, où des soldats ont tué des civils et violé des douzaines de femmes et de fillettes.48 En même temps, le gouvernement les a dépouillés de leur rang. Il a agi contre ces deux anciens officiers seulement après que Nkunda ait encore une fois menacé de perturber le processus de transition en déclenchant une rébellion contre le gouvernement. Malgré les fréquentes apparitions de Nkunda à Goma, ni la MONUC ni les forces du FARDC n’ont pris aucune mesure pour l’arrêter. Mutebutsi demeure au Rwanda où il s’est retiré avec des centaines de ses soldats ; à ce jour, les autorités rwandaises ne l’ont pas livré.

 

Le gouvernement s’est également abstenu d’agir à l’encontre d’officiers haut-gradés servant encore dans les FARDC, dont le Général Budja Mabe, l’ancien commandant militaire de région dans le Sud Kivu, dont les soldats ont tué quatorze Banyamulenge ou Tutsi à Bukavu en mai 2004, tous visés apparemment sur la base de leur appartenance ethnique.49 Des dirigeants de groupes armés d’Ituri tels que Jérôme Kakwavu et Kisembo Bahumeka, accusés de massacres ethniques, exécutions sommaires, tortures et viols, ont été promus au rang de général dans les FARDC. Le cas du Général Kakwavu est soi-disant en cours d’enquête mais aucune arrestation n’a encore été faite.

 

Dans certaines des quelques affaires où la justice a été rendue, les autorités ont omis d’observer les normes internationales de bonne forme. En février et mars, plusieurs dirigeants influents de groupes armés d’Ituri ont été arrêtés à Kinshasa à la suite des meurtres de neuf soldats appartenant aux forces de maintien de la paix des Nations Unies. Plusieurs d’entre eux, à savoir Thomas Lubanga, Floribert Njabu et Germain Katanga, étaient accusés par Human Rights Watch et par d’autres de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.50 Les autorités ont arrêté plusieurs d’entre eux sans chef d’accusation et les ont détenus pendant des semaines avant de porter contre eux des accusations, en violation claire des procédures légales congolaises. Au début décembre, ils se trouvaient en détention depuis dix mois mais il n’y a eu aucune tentative de les faire passer en jugement. Dans une autre affaire au Nord Kivu, une trentaine de soldats des FARDC accusés de crimes de guerre commis à Beni au cours des combats en décembre 2004, ont été condamnés à mort dans des procès qui n’étaient pas conformes aux normes internationales d’équité et de bonne forme51.

 

En l’absence d’un système judiciaire opérationnel, des personnes coupables de crimes passés, même de violations extrêmement graves du droit humanitaire international, peuvent se présenter comme des citoyens honorables méritant d’être éligibles. Si de telles personnes se présentent aux élections et remportent des postes gouvernementaux importants, elles seront bien positionnées pour continuer leurs abus et pour se protéger de toute punition pour des crimes passés.

 

L’absence d’un système judiciaire indépendant et efficace rendra également futile pour des citoyens mécontents de dénoncer des élections frauduleuses devant les tribunaux.

 

 

 



[47] Entretien conduit par Human Rights Watch, responsable européen bailleur, Kinshasa, 3 octobre 2005.

[48] Pour plus d’informations, voir Human Rights Watch, « Crimes de guerre à Bukavu », Document d’information, 12 juin 2004.

[49] Ibid.

[50] Pour plus d’informations, voir Human Rights Watch, "Ituri: Couvert de Sang", Rapport de Human Rights Watch, 8 juillet 2003 et aussi “Le Fléau de l’Or”, Rapport de Human Rights Watch, 2 juin 2005.

[51] Le procès s’effectua à Lubero sur le 28 et 29 décembre 2004 et était observé par le personnel des droits de l’homme du MONUC. Voir Human Rights Watch, “Attaque contre des civils au Nord- Kivu,” Le court rapport de Human Rights Watch, Vol 17 No 9(A), 13 juillet, 2005.


<  |  index  |  suivant>>decembre 2005