Rapports de Human Rights Watch

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L’opposition réduite au silence

 

A l’approche de la période officielle de campagne électorale, les menaces contre la liberté d’expression et d’association grandissent. Les autorités ont visé les partisans des partis d’opposition, les journalistes et les défenseurs des droits humains, espérant apparemment réduire les critiques au silence et augmenter ainsi leurs chances de remporter les élections.

 

En janvier et à nouveau en juin 2005, les soldats des FARDC et de la police ont tué dans plusieurs villes de nombreux manifestants qui protestaient contre les retards dans le calendrier des élections. Les abus les plus graves contre les manifestants ont été commis dans la ville de Mbuji Mayi, dans la province du Kasai Oriental, une zone connue pour son soutien à l’opposition UDPS. D’après des enquêteurs de la MONUC sur les droits humains, les forces de sécurité ont exécuté sommairement quinze personnes et blessé vingt-six autres, la plupart par balles au cours des manifestations. De nombreuses personnes ont été victimes d’arrestation arbitraire, dont beaucoup de membres du parti UDPS qui étaient particulièrement visés. Certains, comme le Président et le vice-Président locaux de l’UPDS ont subi des traitements cruels et inhumains.36

 

En mai 2005, plus de cent personnes ont été arrêtées dans le sud de la province de Katanga, accusés de comploter une tentative de sécession. Beaucoup des personnes arrêtées étaient des opposants politiques du Président Joseph Kabila, dont André Tshombé, Président du parti politique CONACO (Confédération Nationale du Congo) et fils de l’ancien Premier ministre et dirigeant dissident katangais Moïse Tshombé. Les détenus ont été transférés du Katanga à Kinshasa où certains ont passé des semaines et d’autres des mois en prison avant d’être relâchés. A ce jour, peu de preuves ont été présentées à l’appui de l’accusation d’avoir comploté pour faire sécession et personne n’a été traduit en justice.37

 

Des défenseurs des droits humains et des journalistes qui critiquaient le gouvernement ont été victimes d’arrestations arbitraires et de menaces anonymes.  Une organisation de surveillance des media, Reporters sans frontières, a enregistré trente-six cas d’arrestations de journalistes de janvier à juillet 2005, une augmentation importante par rapport à l’année précédente. Le 3 novembre, un journaliste politique du quotidien de Kinshasa La Référence Plus, Franck Ngyke Kangundu, et sa femme Hélène Mpaka, ont été tués par des assaillants qui n’ont pris ni argent ni objets de valeur avant de quitter les lieux. Trois officiers de police ont été plus tard accusés des meurtres, dont l’un prétend avoir été torturé pour lui extorquer sa confession.38

 

Dans certains cas, les autorités ont recours à la disposition du droit congolais qui fait de la diffamation un crime dans le but de réduire les critiques au silence, une stratégie qui fonctionne bien étant donné le mauvais état du système judiciaire. En juillet 2005, par exemple, Jean-Marie Kanku a été arrêté sous l’accusation de diffamation criminelle après avoir publié un article affirmant qu’un fonctionnaire avait détourné des fonds humanitaires destinés à la reconstruction. Il a été relâché sous caution et n’a pas encore été traduit en justice.39 Quand son journal, L’Alerte, a publié des articles sur un scandale de corruption impliquant les services de sécurité, Kanku a été arrêté le 28 octobre par des agents de la sécurité. Il a été maintenu au secret pendant plusieurs jours, puis accusé de “menacer la sécurité de l’Etat.”40

Le 1er juillet, la Haute Autorité des médias (HAM), un organisme gouvernemental qui supervise les médias, a ordonné la fermeture temporaire de RAGA, la station de TV populaire de Kinshasa, après qu’elle ait diffusé des séquences montrant les manifestants qui protestaient contre les retards des élections. L’autorité a accusé RAGA de couverture de l’actualité "ouvertement partiale", accusation rejetée par le groupe local pour la liberté de la presse Journaliste en Danger (JED). Cet acte de censure a suivi les fermetures antérieures de station de TV et de radio appartenant au Vice Président Jean Pierre Bemba en janvier 2005 et à la fermeture temporaire en mai d’une station de radio locale à Mbuji Mayi après qu’elle ait signalé l’agitation dans la ville.41 En octobre 2005, l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC) a décidé de suspendre sa participation à toutes les activités de l’autorité gouvernementale des médias en signe de protestation contre la fermeture de médias et la détention de journalistes.

 

En juillet, Pascal Kabungulu Kibembi, un éminent défenseur des droits humains, a été tué chez lui à Bukavu par des hommes armés. A la suite des protestations internationales, le gouverneur du Sud Kivu a mis sur pied une commission d’enquête pour élucider le meurtre. Le 28 novembre, trois soldats accusés du meurtre ont été traduits en justice à Bukavu. Mais le tribunal militaire jugeant l’affaire n’était pas compétent pour juger des officiers supérieurs, dont au moins l’un d’entre eux semble avoir été impliqué dans le meurtre.

 

Les menaces et les attaques contre la liberté d’expression risquent d’entamer la crédibilité du processus électoral. Déjà la population congolaise exprime ses inquiétudes. Une femme a déclaré à un enquêteur de Human Rights Watch : “Nous n’aurons pas un libre choix. Pourrons-nous voter seulement pour ceux qui sont déjà au pouvoir ?”42 D’autres ont exprimé leurs préoccupations quant au vote pour le référendum et au manque de publicité sur le contenu et l’importance de la constitution. Qu’elles soient en faveur ou non des changements proposés dans la structure gouvernementale, les personnes tentées de voter « non » reconnaissent que rejeter la constitution mettrait fin au processus électoral. A cause des atermoiements des dirigeants politiques à Kinshasa, il y a trop peu de temps pour préparer aucun autre choix d’ici la date limite du 30 juin 2006. Un représentant d’une ONG locale a dit à un enquêteur de Human Rights Watch : “Nous sommes mis devant le fait accompli.”43

 



[36] Section droits humains de la MONUC, Rapport sur les événements de Mbuji Mayi, Juin 2005.

[37] Les entretiens conduit par Human Rights Watch inclurent officiers de l’Agence nationale de renseignements (ANR), officiers judicieux, représentants des organisations de droits humains locales, personnes arrêtés, et officiers de MONUC, Lubumbashi, 7 à 11 juillet, et 20 septembre 2005; diplomate européen, Kinshasa, juin 2005. Voir aussi Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains (CIDH), “Sécession du Katanga, premier mai 2005, rapport d’enquête, Lubumbashi,” mai 2005.

[38] “DRC : Three policemen suspected of killing journalist,” IRIN News, 22 novembre, 2005 [en ligne] http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=50235&SelectRegion=Great_Lakes&SelectCountry=DRC (recherché 13 décembre, 2005).

[39] Ibid., “Democratic Republic of Congo: Cases 2005,” Comité pour la protection des journalistes, 28 juillet 2005 [en ligne] http://www.cpj.org/cases05/africa_cases05/drc.html (recherché 8 décembre, 2005).

[40] “Editor abducted after publishing corruption allegations,” Comité pour la protection des journalistes, 31 octobre 2005 [en ligne] http://www.cpj.org/news/2005/DRC31oct05na.html (recherché 13 décembre, 2005).

[41] “Democratic Republic of Congo: Cases 2005,” Comité pour la protection des journalistes, 28 juillet 2005 [en ligne] http://www.cpj.org/cases05/africa_cases05/drc.html (recherché 8 décembre, 2005).

[42] Entretien conduit par Human Rights Watch, Kinshasa, 1 octobre 2005.

[43] Entretien conduit par Human Rights Watch, représentant d’une ONG locale, Bruxelles, 28 novembre 2005.


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