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Rapport Mondial 2003

Tunisie


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Le point sur la situation des droits humains
La défense des droits humains
La communauté internationale

Le point sur la situation des droits humains

Les autorités tunisiennes se sont servies de la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme pour limiter les libertés publiques et mettre sous tutelle toute opinion. La répression s'est aggravée en avril à la suite de la première attaque terroriste mortelle qu'ait connu la Tunisie depuis des années.

Les islamistes présumés ont dû faire face aux traitements les plus sévères : prévenus civils jugés par des tribunaux militaires réactivés, longues peines de prison purgées dans des conditions inhumaines, restrictions importantes qui ont empêché les anciens prisonniers de reprendre une vie normale. Les dissidents libéraux et gauchistes ont vu leurs droits à se réunir, à manifester et à se déplacer entravés de façon arbitraire. Ils ont aussi été victimes d'agressions, de vandalisme et de vols attribués à des policiers en civil. Certains de ces dissidents ont fait des séjours en prison ou ont dû rester en exil.

Le Rassemblement Constitutionnel Démocratique au pouvoir a facilement réussi à faire amender la constitution par le parlement en avril et en mai par un référendum national. Ces amendements comprenaient l'affirmation de certains droits mais ils ont surtout permis au Président Zine el-Abidine Ben Ali de se présenter pour un nouveau mandat en 2004 et en 2009. Ils ont aussi accordé une immunité pénale au chef de l'Etat pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Les amendements ont été approuvés par plus de 99 pour cent des votants, chiffre officiel similaire au score obtenu par Ben Ali en 1989, en 1994 et en 1999.

Le mouvement islamiste Nahda est resté interdit, ainsi que le Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT) qui, bien que petit, a su se faire entendre. Le Congrès pour la République, parti d'opposition de création récente, n'a toujours pas été reconnu officiellement alors que le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés a, lui, été reconnu le 25 octobre, huit ans après avoir déposé sa demande d'agrément.

En avril, la Tunisie a été la victime du premier acte sérieux de violence politique depuis dix ans. Ce fut aussi la première attaque terroriste importante revendiquée sûrement à juste titre par al-Qaeda depuis l'attaque contre les Etats-Unis du 11 septembre 2001. La cible en était la plus ancienne synagogue d'Afrique du Nord située à Djerba, visitée par des touristes du monde entier. Vingt et une personnes, dont quatorze allemands, ont trouvé la mort lorsqu'un jeune tunisien a fait exploser un camion citerne de gaz qu'il conduisait. Cette attaque a été condamnée par toutes les forces politiques tunisiennes, y compris le parti Nahda non autorisé.

En 2001 et 2002, les autorités ont fait de plus en plus appel aux tribunaux militaires pour traduire en justice les islamistes présumés, surtout ceux qui avaient été arrêtés après avoir fait un séjour à l'étranger. Des dizaines de civils ont été inculpés, souvent par contumace, pour " avoir servi, en temps de paix, une organisation terroriste opérant à l'étranger " en vertu de l'article 123 du code de justice militaire. Les tribunaux militaires ont bafoué les droits des prévenus à un procès équitable. En outre, ces prévenus n'ont eu droit qu'à un pourvoi limité de leur jugement auprès de la Cour de cassation.

Le 30 janvier, un tribunal militaire de Tunis a jugé Béchir Ben Zayed, Mounir Ghaïth, Abdelbasset Dali, et trente co-prévenus absents coupables d'avoir créé un groupe terroriste lié à al-Qaeda nommé Ahl Al-Jamaâ w'al-Sunnah (Partisans du fondamentalisme et de la tradition du Prophète). Leurs avocats ont accusé le tribunal d'avoir ignoré les allégations selon lesquelles les témoignages auraient été obtenus sous la contrainte, et les dates d'arrestation auraient été falsifiées afin de masquer des irrégularités de procédure. Enfin, selon les avocats, le tribunal n'aurait présenté aucune preuve convaincante contre les prévenus. En avril, la Cour de cassation a confirmé les peines de prison des trois hommes, peines allant de huit à dix ans. Un des co-inculpés absents, Jaber Trabelsi, s'est rendu aux autorités en Italie et a été condamné le 26 juin à huit ans de prison à la suite d'un procès mené par un tribunal militaire interdit à la presse.

Si les procès intentés contre des civils par des tribunaux militaires sont inquiétants, les tribunaux civils n'ont pas pour autant respecté le droit des prévenus à un procès équitable dans nombre de cas aux intrications politiques.

Le nouveau procès d'Hamma Hammami, porte-parole du PCOT, et de ses co-prévenus Samir Taâmallah et Abdeljabbar Maddouri qui s'est tenu le 2 février en est un exemple frappant : ces trois hommes venaient juste de sortir de quatre ans de clandestinité, symbole de leur opposition à leur condamnation par contumace. Avant même que le juge n'ait pu commencer la procédure, la police a fait irruption dans la salle d'audience surpeuplée et s'est emparée des prévenus sans ménagement. Les avocats de la défense se sont alors retirés de la salle en signe de protestation. Les accusés ont plus tard été escortés dans différentes salles d'audience où ils ont été battus par des policiers. De retour auprès du juge, ils ont dénoncé ces violences, mais il n'a pas répondu à ces allégations. Il n'a d'ailleurs pas réellement conduit de procès ni entendu les prévenus. Il a confirmé rapidement les peines initiales de neuf ans et trois mois. Les chefs d'accusations comprenaient le " maintien d'une association non reconnue ", l'" outrage aux institutions judiciaires " et l'" incitation des habitants à violer les lois du pays ". M. Maddouri fut condamné à deux ans supplémentaires pour des remarques " diffamatoires " qu'il aurait faites ce jour-là.

Les peines ont plus tard été réduites en appel. Après une grève de la faim de cinq semaines menée par l'épouse de M. Hammami, l'avocate des droits humains Radhia Nasraoui, et la confirmation de ces convictions par la plus haute cour de Tunisie le 2 septembre, les autorités ont accordé une libération conditionnelle à M. Hammami et à M. Taâmallah le 4 septembre pour " raisons de santé ". M. Maddouri a obtenu sa libération conditionnelle le 5 novembre.

Les prisons tunisiennes comptent, au minimum, plusieurs centaines de prisonniers politiques. La plus grande partie de ces prisonniers a été inculpée dans les années précédentes pour appartenance présumée au Nahda ou participation aux activités du Nahda, sans aucune preuve de leur lien avec les actes de violence. Cette année, les arrestations ou ré-arrestations d'islamistes présumés ont continué sous ces chefs d'accusations qui ont parfois été reformulés sous la dénomination d'" association de malfaiteurs " de façon à pouvoir éviter la prescription qui se serait appliquée aux chefs d'accusations moins graves.

Le mois d'août a marqué le dixième anniversaire de la condamnation devant les tribunaux militaires de 265 dirigeants et membres présumés du Nahda. Les deux procès de masse organisés pour juger ces personnes accusées de complot visant à renverser le gouvernement n'avaient pas été équitables. En 2002, près de cent personnes étaient toujours incarcérées. Parmi celles-ci se trouvaient des dirigeants du parti tels que Sadok Chorou, Ajmi El-Ourimi, et Habib Ellouz, qui purgeaient des peines de prison à vie dans des conditions très dures. Comme d'autres dirigeants, Ali Laaridh, condamné à quinze ans, était soumis à un isolement presque permanent et était privé de lecture et de moyens de correspondance.

En janvier, les autorités ont avancé des " raisons humanitaires " pour la libération conditionnelle de Mohamed Mouâda, figure politique de l'opposition, sept mois après l'avoir réincarcéré. Tout d'abord condamné en 1996 à onze ans de prison pour avoir fourni des renseignements à un Etat étranger alors que ce dossier avait été monté de toutes pièces, M. Mouâda avait obtenu sa libération conditionnelle plus tard dans l'année. Il avait cependant ensuite fait l'objet d'une surveillance et d'un harcèlement constant jusqu'à sa seconde arrestation en 2001. A chaque fois, c'est à la suite de vives critiques publiques du Président que M. Mouâda a été emprisonné.

Les prisons, qui sont depuis 2001 sous la tutelle du ministère de la justice ne peuvent toujours pas être visitées par des groupes de contrôle indépendants. Les détenus ont souvent organisé des grèves de la faim pour protester contre le surpeuplement, l'absence d'hygiène, l'absence de soins médicaux, le transfert des prisonniers dans des établissements pénitentiaires éloignés du lieu de résidence de leurs familles et autres mauvais traitements. Les grévistes ont parfois été battus, privés de la visite de leurs familles ou placés en isolement.

Abdelwahab Boussaa est décédé en mars à la suite d'une grève de la faim qui avait duré quatre mois. Lakhdar Essdiri est mort deux semaines plus tard, peut-être par négligence médicale. M. Boussaa et M. Essdiri purgeaient des peines de seize et vingt-huit ans respectivement pour des activités au sein du Nahda. Habib Saïdi, détenu d'une trentaine d'années, est mort mystérieusement à la fin du mois de septembre, quelques jours seulement avant la date prévue de sa libération. Il était le plus jeune frère d'Ali Saïdi, fonctionnaire et ancien militant des droits humains qui a été assassiné dans des conditions mystérieuses en décembre 2001.

Les prisonniers politiques relâchés ont dû subir la surveillance, la fouille de leur maison, la confiscation de passeport et autres mesures de contrôle pénibles. Parfois ordonnées par les tribunaux, ces mesures ont souvent été arbitraires. Les prisonniers libérés n'ont souvent pas pu garder leur emploi à cause des pressions exercées par le gouvernement sur leurs employeurs et par l'obligation de se présenter fréquemment au commissariat. En septembre, Taoufik Chaieb, un ancien prisonnier et ancien professeur de lycée à Tunis, a affirmé que les pressions exercées par la police sur lui et ses employeurs l'avaient forcé à changer souvent d'emploi. Son passeport a aussi été confisqué.

Après avoir purgé une peine de onze ans de prison pour activités au sein du Nahda, Abdallah Zouari a bravé un ordre émanant du ministère de l'intérieur l'assignant à résidence dans le Sud du pays, loin de sa maison familiale située dans la capitale. M. Zouari a été condamné le 23 août à huit mois de prison pour son refus d'obtempérer et cette condamnation a été confirmée en appel. Pourtant, les autorités ont accordé à M. Zouari une libération conditionnelle le 6 novembre.

La police a aussi harcelé les familles des islamistes exilés, les questionnant sur les membres de leurs familles vivant à l'étranger et fouillant leurs maisons.

L'Etat a continué à exercer un contrôle très étroit sur tous les médias. Seuls les journaux de parti et les journaux indépendants à faible tirage ont critiqué l'absence de libertés publiques. Ces derniers ont d'ailleurs parfois été confisqués.

L'utilisation d'Internet continuant à s'étendre, les autorités ont emprisonné pour la première fois un rédacteur publiant son travail sur l'Internet. Zouheir Yahiaoui publiait son journal électronique satirique Tunezine sous un pseudonyme quand il a été arrêté le 4 juin au cybercafé où il travaillait. Sa maison a ensuite été fouillée sans mandat de perquisition et du matériel informatique confisqué. M. Yahiaoui a été condamné le 20 juin à un an de prison pour " dissémination de fausses nouvelles " et à seize mois pour " soustraction par détournement de lignes de communication " à cause de son journal non autorisé Tunezine . En juillet, une cour d'appel a réduit sa peine totale à deux ans. M. Yahiaoui est le neveu du juge Mokhtar Yahiaoui qui a été radié de la magistrature (voir la partie sur La défense des droits humains présentée ci-dessous) et dont la lettre ouverte au Président Ben Ali a été publiée pour la première fois dans Tunezine.

Le 16 juin, douze jours après l'arrestation de M. Yahiaoui, La Presse a annoncé que les autorités avaient temporairement fermé certains cybercafés qui ne respectaient pas les lois en vigueur. La réglementation tunisienne sur l'Internet a été conçue en partie pour éviter que ce moyen de communication n'échappe au contrôle étatique imposé aux autres moyens d'expression.

L'impunité a prévalu en Tunisie mais les victimes de la torture en exil ont fait un grand pas en avant lorsqu'une victime a réussi à persuader un juge français de lancer un mandat d'arrêt international en février contre un diplomate en poste à Strasbourg, le premier mandat de ce genre à avoir été lancé contre un tunisien. La plainte déposée accuse le diplomate, Consul Khaled Ben Saïd, d'avoir été à Jendouba en 1996 l'officier de police en chef des agents qui lui ont attaché les poignets et les chevilles et l'ont roué de coups de poing et de bâton lors de son interrogatoire. M. Ben Saïd a disparu après le lancement de ce mandat.

Outre les organisations des droits humains, la société civile a fait preuve de sa vigilance. Les avocats ont par exemple organisé une grève nationale d'une journée pour protester contre l'intervention de la police pendant le procès de M. Hammami en février. Des démarches ont aussi été entreprises par l'Union générale des travailleurs tunisiens pour améliorer la démocratie à l'intérieur du syndicat.

En janvier, le gouvernement a accueilli un séminaire régional sur le traité d'interdiction des mines en Afrique du Nord. Dans le cadre de ce séminaire, l'armée a détruit 1000 mines antipersonnel. Le 4 octobre, la Tunisie a soumis son rapport annuel sur les mesures prises pour appliquer le traité.

La défense des droits humains

A la mi-novembre, le gouvernement n'avait pas interdit d'organisations de droits humains ou emprisonné de défenseurs des droits humains en 2002, mais les autorités ont continué à utiliser un large éventail de mesures répressives pour limiter leurs activités. Les défenseurs ont dû faire face à une surveillance policière importante, des cambriolages et des actes de vandalismes suspicieux, des interdictions de déplacement, des licenciements, un harcèlement de leurs époux/épouses et de leurs enfants et de fréquents blocages des lignes téléphoniques et du service Internet.

Les deux organisations des droits humains les plus importantes, la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) fondée il y a 25 ans, et le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT) fondé il y a 3 ans, ont fonctionné sans statut juridique : la première en raison de la décision du tribunal de 2001 annulant l'élection de son Comité Directeur au franc parler, la deuxième parce que sa demande d'obtention d'un statut légal avait été rejetée.

La police a, à maintes reprises, empêché sans explication la tenue de réunions conduites par des organisations des droits humains. Le 19 mai, des militants de Tunis se rendant à Jendouba pour une réunion de la LTDH sur les prisonniers politiques ont été interceptés et refoulés à un barrage dressé sur la route reliant les deux villes. Le 2 juin, le jour où la LTDH fêtait l'ouverture de ses nouveaux bureaux dans la province de Monastir, la police a occupé les lieux et a changé les serrures, officiellement à la suite d'une plainte déposée par le propriétaire. Le 16 juin, la police de Monastir a empêché la tenue d'un rassemblement organisé pour soutenir la section locale de la LTDH et, le 23 juillet, un tribunal s'est prononcé en faveur du propriétaire et a annulé le bail signé. Le 10 septembre, la police a contrecarré une réunion au siège de la CNLT à Tunis, repoussant les membres et les invités à leur arrivée.

La presse contrôlée par l'Etat a continué à passer sous silence les critiques faites des autorités par ces organisations et par des groupes indépendants tels que l'Association tunisienne des femmes démocrates. Par contre, les journaux pro-gouvernementaux se sont lancés dans des campagnes de diffamation contre leurs responsables. Le Quotidien a, par exemple, sévèrement critiqué en avril le porte-parole du CNLT Sihem Ben Sedrine pour avoir soi-disant courtisé les diplomates israéliens alors qu'elle était à Genève, en demandant si " ces organisations de connivence avec le terrorisme sioniste œuvrent pour le bien des Tunisiens... [et] en faveur des droits de l'Homme. "

Discréditer la LTDH semble avoir été l'objectif de la presse qui a porté un intérêt particulier aux accusations de tentative de viol portées contre le Secrétaire Général de la LTDH Khemaïs Ksila en septembre 2001. La presse pro-gouvernementale a mis de côté son habituel respect de la vie privé des victimes d'aggressions sexuelles, dans ce cas en divulguant le nom de la victime présumée et en couvrant d'une manière détaillée et partisane les accusations contre M. Ksila. Elle a même publié des extraits de l'enquête du juge d'instruction en apparente violation avec le droit tunisien. M. Ksila, qui avait quitté le pays en 2001, a été condamné en février 2002 par contumace pour tentative de viol et harcèlement sexuel. Il a été condamné à payer une amende et à purger dix ans de prison.

Le 29 décembre 2001, le Conseil de discipline des magistrats a rayé le Juge Mokhtar Yahiaoui de la magistrature pour " atteinte à l'honneur de la magistrature ", pour " manquement au devoir professionnel " et pour " manquement à l'obligation de réserve ". Le crime du Juge Yahiaoui avait été d'avoir publié, en tant que magistrat en juillet 2001, une lettre ouverte au Président Ben Ali dénonçant le manque d'indépendance de la justice. Après avoir persisté dans ses critiques publiques et avoir rejeté les incitations à se rétracter, le Juge Yahiaoui a dû subir des menaces téléphoniques anonymes, une étroite surveillance, la confiscation de son courrier, l'interruption de sa ligne téléphonique et une interdiction à quitter le territoire national imposée par le ministère de la justice en novembre 2001. Le 5 avril, après avoir quitté un rassemblement pro-palestinien à Tunis, il a été contraint par la police de monter dans une voiture sans aucune explication et a ensuite été déposé à vingt kilomètres de Tunis, sur le bord de la route.

L'interdiction de voyager pendant deux ans imposée à Moncef Marzouki, un vétéran de la défense des droits humains, a été levée fin novembre 2001, quelques jours avant la visite du président français Jacques Chirac en Tunisie. Mais l'interdiction imposée à Sadri Khiari, co-fondateur du CNLT et d'une organisation anti-mondialisation non reconnue, est restée en vigueur, empêchant M. Khiari de soutenir sa thèse en France.

Les avocats et les défenseurs des droits humains en Tunisie ont fait l'objet d'un nombre étonnamment élevé d'agressions physiques, de cambriolages, de vols de voiture et de dommages matériels. Ces faits n'ont rarement, pour ne pas dire jamais, été élucidés par la police. Le bureau de Bechir Essid, bâtonnier du conseil de l'ordre, a été cambriolé et saccagé dans la nuit du 26 au 27 octobre 2001. Le cabinet du président de la LTDH Mokhtar Trifi a subi le même sort dans la nuit du 6 au 7 février 2002.

De très nombreux militants des droits humains ont eu leurs lignes téléphoniques coupées et n'ont pas pu se servir de leur courrier électronique à plusieurs reprises. Ils sont restés injoignables à des moments où la communication avec d'autres tunisiens ne posait aucun problème.

Lassâad Jouhri, ancien prisonnier handicapé, a été agressé par cinq hommes dans le centre ville de Tunis en plein jour le 28 août. Ils ont cassé une de ses béquilles et s'en sont servis pour le rouer de coups. Ces hommes ont refusé de décliner leurs identité à M. Jouhri mais, lorsqu'un policier en uniforme a voulu s'interposer, ils lui ont ordonné de ne pas intervenir en avançant leur statut d'agents de la sécurité. Ce fut la plus grave des agressions que M. Jouhri ait subies, apparemment une punition pour avoir rendu publiques les difficultés rencontrées par les prisonniers.

Le Comité Supérieur des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales soutenu par le gouvernement a entendu des personnes ayant des plaintes à déposer dans le domaine des droits humains et a eu l'autorisation de faire des inspections surprises dans les prisons.

Des organisations des droits humains étrangères et des observateurs de procès étrangers se sont fréquemment rendus en 2002 en Tunisie. Cependant, une délégation de la Commission Internationale des Juristes (CIJ) venue pour observer le système judiciaire a été refoulée à l'aéroport de Tunis-Carthage le 16 juin sous le prétexte que les autorités " n'étaient pas suffisamment informées sur les objectifs de la mission ". Une autre délégation de la CIJ a été expulsée dès son arrivée le 26 octobre.

Dans les procès politiques, la police a souvent admis la présence de certains observateurs étrangers mais en a refoulé d'autres.

La communauté internationale

L'Organisation des Nations Unies
Dans son rapport auprès du Comité contre-terrorisme du Conseil de Sécurité daté du 26 décembre 2001, la Tunisie a déclaré quelle n'avait pas " attendu les évènements du 11 septembre 2001 pour prendre les mesures nécessaires en vue de lutter contre le terrorisme " et qu'elle " s'y est opposée de façon résolue sur son territoire et a réussi à lui faire face. " Parmi les mesures qu'elle cite se trouvent les procès menés par les tribunaux militaires mentionnés précédemment contre les civils revenus de l'étranger.

Dans sa réponse du 28 mai au rapport périodique de la Tunisie, le Comité pour les droits de l'enfant a noté certains progrès mais il a déclaré qu'il demeurait " extrêmement préoccupé par les allégations de violations du droit de l'enfant à ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants …particulièrement à propos d'enfants de défenseurs des droits de l'Homme ou d'opposants politiques ".

A la mi-octobre, les autorités tunisiennes n'avaient toujours pas accepté la demande de visite déposée il y a longtemps par le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats.

L'Union Européenne
L'Union Européenne (UE) a continué à exprimer sa satisfaction face aux résultats de la Tunisie en ce qui concerne la croissance économique, la libéralisation et le rythme de l'abaissement des tarifs conformément à l'Accord d'association signé il y a quatre ans entre les deux parties. L'UE a fait sporadiquement part de son inquiétude sur les droits humains, mais de façon très discrète. Le 29 janvier, durant la troisième réunion bilatérale du Conseil d'association, une déclaration de l'UE a salué le succès de la Tunisie dans la lutte contre la pauvreté et l'analphabétisme mais a regretté " l'absence de progrès dans certains domaines...notamment concernant la liberté d'expression, la liberté d'assemblée et d'association ". Malgré une disposition dans l'Accord d'association portant expressément sur les droits humains, l'UE n'a jamais suggéré que les violations de ces droits commises par la Tunisie puissent remettre en cause l'accord ou les programmes d'aide.

Dans son document de stratégie sur la Tunisie rédigé dans le cadre du Partenariat Euro-med 2002-2006, l'UE a déclaré qu'" une impulsion à la transition démocratique, notamment par rapport à la concertation avec la société civile, au renforcement de l'état de droit et à la liberté de la presse, paraît hautement souhaitable ". Cependant, elle a remarqué que le dialogue au sein du Comité et du Conseil de l'Association avait progressé " avec difficulté dans la mesure où la Tunisie est rétive à l'égard des critiques de l'UE concernant les questions des droits humains ".

Le gouvernement tunisien a entravé certains projets d'organisations non gouvernementales financés par la Commission Européenne (CE), au motif qu'il n'avait pas été assez informé, selon un fonctionnaire de la CE. Les obstacles mis auparavant à des projets de la LTDH financés par l'UE auraient cependant été partiellement levés pendant l'année.

Répondant à une question posée au sein du Parlement, le Commissaire européen pour les relations extérieures Chris Patten a déclaré le 26 juillet qu'" en juillet 2002, la Commission a soulevé, en termes très clairs, le problème posé par le respect des droits fondamentaux auprès de différents ministres et hauts fonctionnaires tunisiens ". Outre les échanges diplomatiques, il a déclaré que le programme de coopération financière avec la Tunisie mettait " un accent de plus en plus net sur la promotion des droits de l'Homme, la démocratie et la primauté du droit ".

Le Parlement Européen a adopté une résolution le 14 mars critiquant le procès et les conditions de détention d'Hamma Hammami et de ses co-inculpés. Un petit groupe de députés a vigoureusement défendu les militants des droits de la personne et les prisonniers politiques tunisiens.

La France
Après avoir exprimé une gêne croissante face à la répression en Tunisie au début de l'année 2000, la France a relâché sa pression à la suite des évènements du 11 septembre 2001, de la réélection du Président Jacques Chirac en mai 2002 et du remplacement du gouvernement de gauche par un gouvernement de centre droit en juin.

Le premier décembre 2001, le président Chirac a fait l'éloge à Tunis du " refus exemplaire " de Ben Ali de " l'intolérance et de l'intégrisme " négligeant le fait que de telles déclarations masquaient l'emprisonnement des détracteurs et la répression contre les opposants. " Cela va de soi que si chacun avait eu, dans tous les pays et quelles que soient les religions, la même attitude, il y aurait probablement eu beaucoup moins de problèmes et d'atteintes portées aux droits de l'Homme. ", déclara M. Chirac à la presse. Il affirma que les problèmes de droits de la personne avaient été abordés dans les discussions bilatérales mais il ajouta : " Je me suis pour ma part toujours efforcé de le faire sans pour autant alimenter les polémiques ".

Le 6 février, le ministre socialiste des affaires étrangères de l'époque, Hubert Vedrine eut un discours plus sévère sur la condamnation d'Hamma Hammami et de ses co-inculpés. " Je suis vraiment préoccupé par les informations que j'ai reçues sur la manière dont le procès s'est déroulé... La Tunisie, en raison même des remarquables progrès qu'elle a réalisés ces dernières années dans les domaines économique et social...devrait se permettre, aurait intérêt à une plus grande ouverture en matière de libertés publiques. " .

Le successeur de M. Védrine, Dominique de Villepin, a été plus circonspect dans ses cinq premiers mois de fonction. Le 10 juillet, il a reçu le Ministre des affaires étrangères Habib Ben Yahia mais n'a fait aucun commentaire public sur les droits de la personne. Un porte-parole du ministère des affaires étrangères a cependant remarqué avec prudence le 30 juillet et le 2 août que la France avait soulevé auprès de la Tunisie le cas Hammami. Le 5 septembre, ce porte-parole a accueilli la libération de M. Hammami comme " un geste d'apaisement bienvenu ".

Le ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy a fait une visite officielle le 31 octobre dont le but était officiellement d'évoquer la coopération dans le domaine de la sécurité et d'aborder les difficultés des tunisiens en France. D. De Villepin s'est rendu en Tunisie le 14 novembre et a rencontré à la fois le ministre des affaires étrangères Ben Yahia et le Président Ben Ali. D. De Villepin a déclaré plus tard qu'il avait soulevé le problème des droits humains durant ces réunions mais ni lui ni Nicolas Sarkozy n'ont fait de commentaires publics sur ce sujet.

La France reste le premier partenaire commercial de la Tunisie. Le volume des prêts et des subventions place l'aide par habitant qu'elle accorde à la Tunisie au-dessus de celle qu'elle concède à tout autre pays. Sa représentation diplomatique en Tunisie était parmi les plus importantes. Cependant le personnel de l'ambassade a assisté moins souvent que les diplomates anglais ou américains entre autres aux procès politiques et aux autres évènements liés aux droits de la personne.

Les Etats-Unis
Washington a entretenu des relations chaleureuses et effectué des exercices militaires conjoints avec la Tunisie, bien que les américains ne considèrent pas ce pays comme une priorité dans la région. L'aide bilatérale minimale de Washington a compté 3,5 millions de dollars au titre de l'aide militaire à l'étranger (Foreign Military Financing) et un million de dollars au titre de la formation militaire (International Military Education Training). Selon une lettre de l'ambassade datée du 7 octobre, " Aucun exercice militaire, aucun financement n'a été associé à des services de sécurité impliqués dans des abus mettant en cause les droits humains ".

En ce qui concerne la promotion des droits humains, les principales contributions sont contenues à la fois dans le chapitre détaillé et sans concession du Rapport par pays sur les pratiques en matière de droits de l'Homme et dans le travail du personnel de l'ambassade américaine. Ce personnel a vigoureusement suivi les conditions sur le terrain en rencontrant des défenseurs des droits humains et en assistant aux procès politiques. Mais le message sur les droits humains a été brouillé à la suite des évènements du 11 septembre 2001 par un éloge, souvent sans réserve, de la coopération du Président Ben Ali contre le terrorisme.

Le directeur de la CIA George Tenet, a rencontré le Président Ben Ali à Tunis le 18 février pour discuter des mesures antiterroristes. Le 19 avril, le Secrétaire d'Etat Colin Powell a reçu le Ministre des affaires étrangères Ben Yahia à Washington. Un porte-parole du ministère des affaires étrangères a fait l'éloge ce jour-là de la Tunisie en la qualifiant d'" important soutien de notre campagne contre le terrorisme " mais il n'a rien dit qui laisserait croire que le sujet des droits humains a été abordé pendant la réunion.

Le 4 juillet, l'Ambassadeur américain Rust M. Deming aurait déclaré : " Nous avons beaucoup appris de l'expérience tunisienne en matière de lutte contre le terrorisme ". L'ambassadeur a qualifié les relations bilatérales d'" exemplaires " dans un entretien publié au même moment dans la Revue Méditerranée.

Dans une lettre adressée à Human Rights Watch datée du 8 août, le Secrétaire d'Etat Powell a affirmé que les Etats-Unis continuaient à encourager la Tunisie " à répondre aux inquiétudes concernant les droits humains ". Il a déclaré que l'Ambassadeur Deming avait rencontré, le 5 août, le Ministre des droits de l'Homme de l'époque, Fethi Houidi, et qu'il avait soulevé le cas d'Hamma Hammami, entre autres. M. Hammami a été relâché un mois plus tard.

Le Secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires politiques Marc Grossman s'est rendu à Tunis le 5 novembre et a rencontré le Premier ministre Mohamed Ghannouchi ainsi que d'autres ministres. Des membres de l'ambassade ont affirmé qu'il avait abordé le problème des droits humains en privé. Cependant, lors de la conférence de presse qu'il a donnée ce jour-là, Marc Grossman a évité de mentionner sa préoccupation quant à la situation des droits humains alors qu'il a salué la Tunisie comme " modèle de développement social et économique " et qu'il a loué son aide dans la " guerre mondiale contre le terrorisme ".
Human Rights Watch / Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale établie en 1978 dans le but d'observer et de promouvoir les droits humains internationalement reconnus en Afrique, dans les Amériques, en Asie, au Moyen-Orient et parmi les signataires des accords d'Helsinki. L'organisation est financée par des contributions de personnes privées et de fondations à travers le monde. Human Rights Watch n'accepte pas de contribution directe ou indirecte de la part de gouvernements. Kenneth Roth est le directeur exécutif et Jonathan Fanton est le président du conseil. Sa division Moyen-Orient a été créée en 1989 pour surveiller et promouvoir le respect des droits de l'Homme internationalement reconnus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Hanny Megally est directeur exécutif.