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VI. LA REPONSE INTERNATIONALE

La réaction de la communauté internationale a été sans commune mesure avec l'ampleur du désastre causé par la guerre au Congo. Son soutien aux efforts politiques et diplomatiques engagés pour mettre fin au conflit ont été relativement consistants, mais elle n'a pris aucune mesure efficace pour honorer ses engagements à réclamer des comptes pour les crimes de guerre et crimes contre l'humanité régulièrement commis au Congo.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies

Le Conseil de sécurité s'est montré cohérent dans son soutien au processus de paix de Lusaka, notamment en créant la Mission d'Observation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) pour en surveiller la mise en oeuvre. Pour encourager les efforts de paix et mieux s'informer, les ambassadeurs des Etats membres du Conseil de sécurité se sont rendus chaque année dans la région depuis 2000. Lors des briefings tenus en vertu de la Formule Arria en 2001 et 2002,99 ils ont invité des experts de la situation issus de plusieurs organisations non-gouvernementales, dont Human Rights Watch et le Rapporteur spécial de l'ONU en RDC. Le Conseil a chargé un comité d'experts d'enquêter sur l'exploitation illégale des ressources naturelles du Congo par d'autres pays.

Le Conseil de sécurité et le Secrétaire général ont fréquemment dénoncé les violations des droits humains et le désastre humanitaire que la guerre inflige à la population locale. Mais ils n'ont guère montré leur volonté de s'attaquer à la responsabilité des puissances occupantes dans les atrocités commises dans les zones sous leur contrôle, zones où les pires violences qu'ait eues à connaître le pays se sont exercées. Pour cette raison, le Rwanda, comme l'Ouganda, ont échappé à toute sanction significative malgré leur rôle.

L'histoire récente de Kisangani témoigne de l'absence de détermination internationale. Après la bataille de juin 2000 entre le Rwanda et l'Ouganda, le Conseil de sécurité avait exigé des deux pays qu'ils retirent leurs forces du territoire congolais et versent des réparations pour les pertes en vies humaines et pertes matérielles causées à Kisangani.100 Deux ans plus tard, l'Ouganda a quitté Kisangani après avoir suvi une défaite militaire dans la ville face aux troupes du Rwanda, mais l'Ouganda est toujours présent au Congo ; quant au Rwanda, il continue de contrôler la ville à travers ses supplétifs locaux du RCD. Aucun des deux pays n'a versé de réparations, un manquement sur lequel le Conseil de sécurité a gardé le silence.

La Mission d'observation des Nations unies au Congo (MONUC)

Les crimes de guerre détaillés dans ce rapport ont été commis malgré la présence à Kisangani de dizaines d'observateurs de la MONUC et de quelque mille soldats destinés à protéger la présence de l'ONU. Le siège du Secteur 2 de la MONUC, celui de Kisangani, abrite une composante militaire avec des observateurs et des troupes et une composante civile avec des responsables des affaires politiques et des droits de l'homme et des conseillers pour les affaires humanitaires et la protection de l'enfance. Le secteur de Kisangani est le plus vaste du Congo, puisqu'il couvre 500.000 kilomères carrés, mais sa division des droits de l'homme n'a compté que quatre officiers au plus fort de ses effectifs et seulement trois en mai 2002.101

Le paragraphe 7 de la Résolution 1417 du Conseil de sécurité réaffirme que le mandat de la MONUC l'autorise à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des civils face à une menace imminente de violence physique.102 Les habitants de la commune de Mangobo se trouvaient bien sous la menace imminente d'une violence physique en début d'après-midi le 14 mai, quand une colonne de soldats du RCD y est entrée; mais les observateurs de la MONUC ont pris des mesures insuffisantes pour protéger la population.

Les officiers de la MONUC ont observé l'arrivée de deux avions transportant des soldats du RCD en fin de matinée. Ils ont également observé les tirs cet après-midi là et dans la soirée qui a suivi, dans la commune de Mangobo. Outre les informations dont ils disposaient grâce aux observateurs de la MONUC et à de nombreux contacts locaux, au moins un agent humanitaire international a attiré l'attention des responsables de la MONUC sur la crise et les tueries en cours l'après-midi du 14 mai et les a incités à agir.103 A ce moment là, la mutinerie avait été matée depuis un moment.

Les responsables civils et militaires de la MONUC ont plusieurs fois tenté d'organiser des rencontres avec les responsables du RCD-Goma pour leur exprimer leur inquiétude sur un usage excessif de la force, mais ils n'ont pu obtenir qu'un seul rendez-vous avec le gouverneur nommé par le RCD, l'après-midi du 15 mai. Au cours de cette rencontre, le commandant-adjoint de la MONUC et les responsables des droits de l'homme ont rencontré les autorités du RCD et les ont appelées à faire preuve de retenue dans les opérations de rétablissement de l'ordre.104 La MONUC a obtenu la libération de deux missionnaires arrêtés le 14 mai et a donné asile à sept individus, pour la plupart des militants de la société civile exposés à de sérieuses menaces sur leur vie.105 Les militants de la société civile et les défenseurs des droits humains se sont trouvés particulièrement menacés parce que les autorités du RCD les avaient publiquement accusés de soutenir les mutins et d'agir comme agents de Kinshasa. Le commandant-adjoint a visité Mangobo le 15 mai et entendu les informations rapportées par la population sur les représailles de la veille. Les jours suivants, les effectifs militaires de la MONUC ont patrouillé la ville, parfois en compagnie d'officiers des droits de l'homme.106

Mais le 14 mai, alors que les tueries se poursuivaient, le commandant-adjoint de la MONUC, le général Roberto Martinelli ainsi que des commandants locaux de la Mission ont décidé de ne pas déployer d'observateurs militaires à Mangobo et dans d'autres zones affectées par les violence, apparemment par crainte de compter des victimes dans les rangs de la MONUC107. Les Nations Unies devraient enquêter sur l'échec de la MONUC à prendre des mesures concrètes pour « protéger des civils exposés à une menace imminente de violence physique », comme ils l'étaient le 14 mai à Kisangani. Human Rights Watch est convaincu qu'un déploiement d'observateurs militaires à Mangobo aurait significativement influencé le cours des événements ; mais nous n'avons pas accès à toutes les raisons qui ont sous-tendu la décision de ne pas les déployer. Entre autres questions qui méritent enquête, se posent celles de savoir si la MONUC se sentait suffisamment armée pour mener efficacement sa mission et si les commandants de la MONUC pensaient pouvoir compter sur le soutien des pays fournisseurs de contingents en accomplissant leur mandat et en risquant la vie de leurs personnels.

Immédiatement après les tueries, la MONUC a requis sur place les officiers des droits de l'homme des autres secteurs. Avec le personnel local et le chef du Bureau détaché de Goma du Bureau du Haut Commissariat aux droits de l'homme, ils ont mené rapidement l'enquête sur les crimes commis. Ils ont conclu qu'au moins cinquante personnes avaient été tuées et publiquement accusé le RCD de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire.108 Après la publication de leur rapport, le Conseil de sécurité a de nouveau exigé le 24 mai que le RCD démilitarise Kisangani. Il a demandé au Secrétaire général d'évaluer les possibilités d'augmenter le nombre des troupes déployées dans la ville et, fait sans précédent, a dit « attendre avec intérêt de recevoir les rapports et recommandations conjoints de la MONUC et du Haut Commissariat aux droits de l'homme sur les violences perpétrées à Kisangani ».109

La réaction du RCD aux initiatives de l'ONU

Pendant que l'enquête de la MONUC était en cours, le RCD a cherché à discréditer la Mission de l'ONU accusée d'avoir refusé de « condamner publiquement les appels au meurtre et à la haine ethnique » qui, selon le RCD, ont été diffusés à la radio par les mutins.110 Adolphe Onusumba, le président du RCD, a accusé le Représentant Spécial (RSSG) du Secrétaire général de l'ONU, Namanga Ngongi, d'être en faveur de Kinshasa et d'en répandre la propagande. Il a exigé le départ de M. Ngongi et son « rappel définitif ».111 Le 31 mai, le RCD a déclaré M. Ngongi « non grata » dans les territoires sous son contrôle. La même semaine, il expulsait trois employés de la MONUC, dont le responsable de l'équipe des droits de l'homme, Luc Henkinbrant.112

Soumis à une surveillance croissante de leur conduite pendant les événements de mai, les commandants du RCD ont tenté de d'envoyer un message fort concernant leur impunité. Le 17 juin, le commandant de la Septième Brigade, Laurent Nkunda et plusieurs de ses gardes armés ont pénétré sans autorisation dans les locaux de l'ONU dans le port de Kisangani. Ils ont emmené deux gardes civils de sécurité et les ont battus, les blessant. Plus tard le même jour, le Commandant Franck Kamindja entrait à son tour dans cette enceinte, toujours sans permission. Le Secrétaire général de l'ONU a fermement condamné cet incident et rappelé le RCD à ses obligations de sécurité envers le personnel des Nations Unies, mais il a omis de réclamer des sanctions contre les commandants impliqués dans l'incident.113

Après que le RSSG-adjoint eut émis une protestation, le RCD a présenté des excuses, de même que Nkunda qui a tenté d'expliquer qu'il avait battu les gardes civils en croyant qu'ils étaient Congolais.114

Le Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme

Le 17 juillet, la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mary Robinson et le Secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, Jean-Marie Guéhenno, ont informé le Conseil de sécurité sur les tueries de Kisangani. C'est la première fois qu'un Haut Commissaire venait ainsi s'exprimer devant le Conseil sur la situation d'un pays en particulier et présenter le rapport d'enquête établi par un enquêteur spécial. S'appuyant sur les investigations d'Asma Jahangir, Rapporteur Spécial sur les exécutions extra-judiciaires, arbitraires et sommaires, la Haut Commissaire a conlu que le RCD-Goma était responsable de la mort d'au moins 163 personnes à Kisangani. Elle a appelé les autorités à arrêter ceux qui avaient ordonné le massacre ou y avaient participé mais n'a pas nommément désigné les coupables. Elle a mis en garde contre de futures effusions de sang, notamment si les auteurs du massacres de mai n'étaient pas traduits en justice.115

En réponse à ces informations, le Conseil de sécurité a publié le 23 juillet une Déclaration de son Président au nom de tous ses membres. Dans cette Déclaration Présidentielle, le Conseil de sécurité a souligné que le RDC-Goma «est responsable des massacres qui se sont produits après qu'il eut repris le contrôle de la station de radio de la ville le 14 mai». Le Conseil de sécurité a exigé du RCD-Goma qu'il « prenne toutes les mesures nécessaires pour amener devant la justice les auteurs de ces massacres et ceux, parmi eux, qui les ont ordonnés ou y ont participé ».115

Le Conseil de sécurité a en outre fait valoir que « le Rwanda a le devoir d'user de sa forte influence » pour s'assurer que le RCD-Goma ne commettra pas de nouveaux crimes de guerre. La MONUC et le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme ont été priés par le Conseil de sécurité de poursuivre leur enquête sur « les massacres de Kisangani » et le Conseil de sécurité a rappelé que « le mandat (de la MONUC) s'étend à la protection ... des civils exposés à une menace imminente de violence physique ». Toutefois, les effectifs militaires de la MONUC n'ont pas été augmentés pour lui assurer les moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission de protection.

La situation actuelle

Au moment de la rédaction de ce rapport, la Haut Commissaire soulignait que de nombreux militants de la société civile étaient toujours cachés et considéraient que leur vie était en danger. Les témoins indispensables pour traduire en justice les tueurs, les violeurs et les pillards restaient eux-aussi terrorisés, sachant que leur témoignage pouvait aider à condamner d'importantes personnalités de la police et de l'armée. Les citoyens ordinaires vivent dans la craintes des autorités qui, loin de les protéger, peuvent se retourner contre eux pour des raisons politiques ou personnelles. Kisangani reste un lieu très dangereux pour quiconque déplaît aux commandants du RCD : lors de sa visite à Kisangani en juin, Human Rights Watch a réuni les preuves de deux affaires consécutives à la mutinerie dans lesquelles les officiers militaires du RCD avaient utilisé leurs soldats pour régler des différents personnels avec des civils. Dans les deux cas, les victimes devaient être assassinées. Toutes deux, heureusement, en ont réchappé : l'une, un jeune homme, avec de graves blessures et l'autre, une jeune femme, avec des cicatrices et un sérieux traumatisme.

Dans ces circonstances, que la MONUC puisse assurer la sécurité de la population civile est crucial. Fin juillet, la MONUC a commencé l'entraînement de cinquante-cinq inspecteurs de la police civile qui formeront le premier contingent permettant de renforcer les effectifs de la police locale. En résistant aux pressions sur la démilitarisation de Kisangani, le RCD a cité, entre autres raisons, la nécessité d'avoir achevé un premier train de formation d'une police compétente capable de faire régner la loi et l'ordre. Grâce à cette formation, les responsables locaux devraient pouvoir alléger les responsabilités de la MONUC sur la protection des civils et devraient aussi contribuer à réaliser le retrait des forces du RCD de la ville.

La mise en oeuvre réelle du programme de formation de la police par la MONUC sera déterminante pour son succès. Le RCD reste réticent à engager un retrait immédiat et inconditionnel de Kisangani tel que réclamé par le Conseil de sécurité de l'ONU lors de sa visite de la ville le 1er mai. Pour de nombreux observateurs, le RCD pourrait tenter de maintenir son contrôle de Kisangani en glissant certains de ses propres hommes dans les rangs dans recrues de la police envoyées en formation.116 Le programme d'entraînement de la police doit donc prévoir les mesures nécessaires lors du processus de sélection pour s'assurer que les commandants du RCD et les personnels responsables de crime de guerre et autres violations en seront effectivement exclus.

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