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Rapport Mondial 2003 : Congo FREE    Recevez des Nouvelles 
Lettre ouverte au gouvernement ougandais sur la protection des civils dans la province d'Ituri

7 avril 2003
Président Yoweri Museveni
Présidence
Kampala, Ouganda

Cher Monsieur le Président de la République,

Human Rights Watch vous écrit pour vous exprimer nos graves inquiétudes concernant les tueries contre des civils, pratiquées à large échelle ainsi que les autres abus commis dans les zones sous contrôle de l'armée ougandaise (UPDF) dans la région d'Ituri, en République Démocratique du Congo. Nous vous encourageons donc vivement à vous assurer que vos forces militaires ainsi que celles de tous vos alliés, en Ituri respectent le droit humanitaire international et protègent la vie des civils.

Les tueries récentes contre des civils dans les zones de Drodro, Blukwa et Largo, le 3 avril 2003 sont le dernier élément d'un processus de tueries et d'autres graves abus contre les droits humains qui se sont produits en Ituri. Les attaques de Drodro auraient impliqué des milices lendu et auraient aussi pu impliquer des éléments de l'UPDF qui ont attaqué ce qui restait de l'Union des Patriotes Congolais (UPC) qui est une force hema, dans les zones de Drodro et de Blukwa. Cette opération militaire a apparemment dégénéré en attaques contre des civils, visant essentiellement les Hema. Des centaines d'Hema auraient été tués.

Ce récent massacre n'est pas un incident isolé. Selon les recherches récemment conduites par Human Rights Watch dans la région, au moins 4000 personnes ont perdu la vie dans des tueries ethniques, au cours des 8 derniers mois. Ceci couvre des massacres contre des civils appartenant aux groupes ethniques hema et lendu ainsi qu'à d'autres, perpétrés par un éventail de groupes armés dont la milice hema de l'UPC et des milices lendu et ngiti. Le patronage fluctuant apporté par l'Ouganda à tous ces groupes a enflammé la situation. Après avoir initialement soutenu l'UPC, l'Ouganda a ensuite apporté son appui au Front pour la paix et l'intégration en Ituri (FIPI) composé de Lendu, d'Alur et d'Hema insatisfaits.

En tant qu'état partie aux Conventions de Genève de 1949 et au Protocole I, l'Ouganda a la responsabilité de prévenir les violations du droit humanitaire international commises par ses propres troupes ainsi que par les troupes sur lesquelles l'Ouganda exerce un contrôle effectif. Les Ougandais ont actuellement une relation étroite avec les milices lendu et d'autres de la coalition FIPI puisqu'ils auraient armé et formé ces groupes. L'Ouganda devrait user de son influence pour exiger avec fermeté que ces groupes cessent immédiatement de violer le droit humanitaire international. De plus, aucune assistance militaire ne devrait être fournie à des groupes armés ou des commandants dont le bilan en matière d'abus contre les droits humains est connu de tous. Les massacres et autres graves abus contre les droits humains perpétrés à la fois par les milices lendu et par l'UPC, décrits dans un certain nombre de rapports indépendants sur les droits humains ainsi que dans des rapports des Nations Unies, devraient exclure toute assistance militaire apportée par l'Ouganda ou par toute autre force militaire.

En tant que puissance d'occupation en Ituri, l'armée ougandaise a le devoir de restaurer et d'assurer l'ordre public et la sécurité sur le territoire sous votre autorité. Ceci signifie utiliser l'UPDF pour garantir l'ordre public en Ituri et ne laisser aucun vide en matière de sécurité s'installer, ce qui pourrait entraîner des représailles et des tueries commises par volonté de revanche. Il est donc de la responsabilité de l'Ouganda d'assurer la sécurité à Drodro, Blukwa et ailleurs, dans les zones sous contrôle ougandais et de prévenir les tueries contre des civils. L'UPDF doit savoir anticiper pour défendre au mieux les populations vulnérables, tant hema que lendu.

La situation en Ituri est celle d'une catastrophe humanitaire avec plus de 500 000 personnes déplacées, la plupart n'ayant pas actuellement accès à une aide humanitaire. Selon les conventions de Genève, l'Ouganda a la responsabilité de fournir un accès sûr et sans entraves aux agences humanitaires afin qu'elles atteignent les populations vulnérables. L'Ouganda doit également respecter l'indépendance et l'impartialité du personnel humanitaire. Nous encourageons donc très vivement le gouvernement ougandais à veiller à ce que les agences humanitaires aient la possibilité de se rendre dans les zones hors de la ville de Bunia et à ce que les routes nord et sud soient ouvertes pour un accès aux populations dans le besoin. Toute restriction de mouvement doit être raisonnable dans son impact et sa durée, doit être régulièrement réévaluée et ne doit être imposée que lorsqu'elle est absolument nécessaire.

Human Rights Watch appelle le gouvernement ougandais à prendre immédiatement les actions suivantes :

  • Donner des instructions claires à vos commandants et à ces groupes armés en Ituri sur lesquels l'Ouganda exerce un contrôle effectif, spécifiquement les milices lendu et d'autres éléments du FIPI pour qu'ils respectent pleinement les dispositions du droit humanitaire international, en particulier l'interdiction absolue de lancer des attaques contre des civils, le devoir d'assurer la sécurité des civils sur le territoire que vous occupez ou que les forces agissant pour votre compte occupent et le devoir de garantir et permettre l'accès aux biens et services humanitaires.
  • Lancer une enquête sur toute violation du droit humanitaire international qui pourrait avoir été commise par vos troupes ou celles de vos alliés, en Ituri, depuis 1999, y compris le récent massacre de Drodro et les attaques contre Bunia, le 6 mars 2003 ainsi que le 9 août 2002. Tenir les auteurs de ces agissements pour responsables de leurs actes.
  • Autoriser un accès total aux enquêteurs indépendants spécialistes des droits humains qui examinent les allégations d'abus contre les droits humains et de violations du droit humanitaire international.

    Human Rights Watch va continuer à suivre de près la situation en Ituri et à rendre publiques nos préoccupations. Nous apprécions l'attention que vous portez à ces questions très importantes.

    Je vous prie d'agréer l'expression de ma très haute considération.

    Alison Des Forges
    Conseillère
    Division Afrique

    CC : Ministre de la Défense, Amama Mbabazi
    Brigadier Kale Kayihura, Commandant des forces UPDF en Ituri