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Rapport Mondial 2002 : Congo FREE    Recevez des Nouvelles 
Chaos dans l'est du Congo : nécessité d'une action immédiate des Nations Unies
Document de présentation de Human Rights Watch, octobre 2002


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Rapport, août 2002

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Rapport, juin 2002

HRW Documents sur l'Afrique Centrale

En anglais :
HRW Documents about D.R. Congo

Principales parties impliquées dans la crise actuelle dans la province du sud Kivu

  • Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Goma (RCD-Goma) soutenu par le gouvernement rwandais.
  • Armée Patriotique Rwandaise (RPA), l'armée du gouvernement rwandais.
  • Troupes du gouvernement burundais.
  • Groupes Mai-Mai de combattants locaux.
  • Banyamulenge, Congolais d'origine rwandaise opposés au RCD-Goma et aux troupes du gouvernement rwandais.
  • Rebelles rwandais opposés au gouvernement rwandais. Certains groupes comportent des soldats des ex Forces Armées Rwandaises (FAR) et des milices Interahamwe.
  • Rebelles burundais opposés au gouvernement burundais.
Principales parties impliquées dans la crise actuelle dans la province Orientale et dans celle d'Ituri

  • Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération (RCD-ML), conduit par Mbusa Nyamwisi avec sa branche militaire, l'Armée du Peuple Congolais (APC).
  • Milices ethniques Lendu et Ngiti, fréquemment assimilées par le RCD-ML.
  • Union des Patriotes Congolais (UPC) dirigée par Thomas Lubanga.
  • Milices ethniques Hema et Gegere associées à l'UPC.
  • Groupes Mai-Mai de combattants locaux, parfois rangés du côté du RCD-ML.
  • Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, qui a contrôlé Ituri puis a été repoussé à l'ouest vers Gbadolite et qui se dirige maintenant de nouveau vers l'est.
  • Rassemblement Congolais pour la Démocratie-National (RCD-N) de Roger Lumbala, autre groupe dissident du RCD-ML, actuellement allié au MLC.
  • Force de Défense du Peuple Ougandais (UPDF, l'armée ougandaise).
Panorama général
Au cours des dernières semaines, les civils ont une fois de plus fait les frais des luttes locales et internationales afin de contrôler les régions est et nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), riches en ressources naturelles. Des centaines d'entre eux ont été tués et blessés et des dizaines de milliers ont fui leurs maisons pour rejoindre les quelque deux millions d'autres réfugiés déjà déplacés. Les affrontements se concentrent dans trois zones :
  • La province du sud Kivu où le Rassemblement Congolais pour la Démocratie basé à Goma (RCD-Goma) s'est opposé à des combattants locaux et des rebelles rwandais.
  • La province Orientale où les forces du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) et celles d'une autre faction du RCD, le RCD-National (RCD-N), ont arraché des territoires à une troisième faction du RCD, le RCD-Mouvement de Libération (RCD-ML) et ont commencé à se déplacer vers l'est, entraînant des dispersements de populations civiles au fur et à mesure de leur avancée. Celle-ci menace d'exporter le conflit dans la province du nord Kivu.
  • La province d'Ituri, juste à l'est de la province Orientale (dont elle faisait autrefois partie) où des groupes politiques et ethniques rivaux se disputent le pouvoir depuis plusieurs mois.
Au sud Kivu, la violence a été ranimée par le retrait des troupes du gouvernement rwandais, auparavant dominant dans la région même si les derniers développements indiquent la reprise de leur implication ainsi que celle des forces burundaises. L'Ouganda demeure la principale puissance dans la province Orientale et dans celle d'Ituri, apportant son appui à telle ou telle force combattante, selon les périodes. Les troupes de l'armée ougandaise restent présentes dans une partie d'Ituri.

Dans les zones qu'ont récemment quittées les troupes étrangères ou dans les régions où elles sont encore présentes, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (O.N.U.) doit intervenir pour faire cesser le massacre. Il doit étendre son intervention de maintien de la paix au Congo, la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo (MONUC) afin de lui permettre de remplir son mandat " de protection des civils exposés à une menace imminente de violence physique. " Le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan a proposé que le Conseil de Sécurité augmente les effectifs de la force, actuellement de 5 500 hommes à 8 700 avec deux " détachements spéciaux " déployés près des zones où les civils sont le plus en danger.

Province du sud Kivu
Le Rwanda a été le principal soutien du RCD-Goma depuis que ce mouvement a débuté sa rébellion contre le gouvernement congolais en 1998. Depuis, plusieurs groupes armés ont fait sécession du RCD-Goma et ont commencé à opérer dans les zones de la province Orientale et de celle d'Ituri tenues par l'Ouganda.

Le RCD-Goma a maintenu son lien avec le Rwanda et s'appuie sur les troupes du gouvernement rwandais pour contrôler la majeure partie des provinces du sud et du nord Kivu. De plus, les forces burundaises ont également fourni un certain soutien militaire au RCD-Goma dans le sud Kivu.

Fin septembre et début octobre, le Rwanda a rappelé ses soldats du Congo selon les termes d'un accord signé le 30 juillet avec le gouvernement congolais. En échange, le Congo devait aider à désarmer et rapatrier des groupes de rebelles opposés au gouvernement rwandais, basés dans l'est du Congo. Fin septembre, le président congolais, Joseph Kabila a interdit tous les groupes rebelles rwandais et a ordonné à plusieurs chefs rebelles de quitter le pays.

Après le retrait des troupes du gouvernement rwandais, les forces du RCD-Goma ont perdu le contrôle de parties importantes du sud Kivu, y compris le port d'Uvira d'où elles ont pris la fuite le 13 octobre. Elles ont été battues par une coalition composée de groupes Mai-Mai et de deux groupes différents de Banyamulenge, l'un dirigé par Patrick Masunzu et l'autre par un commandant appelé Aron Nyamusheba. Les Banyamulenge, des Congolais dont les ancêtres sont venus du Rwanda, avaient initialement fourni une bonne partie des troupes du RCD-Goma et le gouvernement rwandais avait fréquemment prétendu se trouver au Congo en partie pour défendre les Banyamulenge contre d'autres Congolais. Mais depuis le début de l'année 2002, un groupe important de Banyamulenge conduit par Masunzu, autrefois officier dans les forces du RCD-Goma, a rejeté le contrôle du RCD-Goma et s'est battu pour maintenir les troupes rwandaises et celles du RCD-Goma hors de leur territoire natal sur les hauts plateaux du sud Kivu.

Depuis la mi-octobre, d'autres combattants locaux qui seraient alliés dans le combat à certains groupes rebelles rwandais ont défié le RCD-Goma dans la plaine de Ruzizi, au nord d'Uvira. Certains de ces rebelles rwandais sont d'anciens soldats des Forces Armées Rwandaises (FAR) et des milices Interahamwe ayant participé au génocide de 1994, perpétré au Rwanda contre les Tutsis mais la majorité de ces rebelles sont des recrues récentes qui n'ont pas été impliquées dans le génocide.

Soupçonnant que le gouvernement congolais de Kinshasa soutenait les forces qui le défiaient au sud Kivu, le RCD-Goma a suspendu les discussions avec le gouvernement congolais, le 14 octobre et a lancé une offensive pour reprendre le territoire perdu. Le 19 octobre, les combattants locaux ont abandonné Uvira et les forces du RCD-Goma sont réentrées dans la ville. Selon une source locale, les soldats du RCD ont tué cinq civils, parmi lesquels un catéchiste accusé d'être un Mai-Mai. Ils ont également arrêté plus de vingt personnes.

Un retrait de courte durée - le rôle des armées rwandaise et burundaise
L'appui de l'armée rwandaise au RCD-Goma a impliqué la présence de plus de 20 000 soldats dans l'est du Congo. Le 7 octobre, le gouvernement rwandais a informé le Conseil de Sécurité que " le dernier soldat rwandais avait quitté " le pays deux jours plus tôt. Cependant, le 17 octobre, le gouvernement rwandais a exprimé sa stupeur face aux récents affrontements dans l'est du Congo et a déclaré qu'il " se réservait le droit de défendre le pays contre les ex-FAR et les Interahamwe et qu'il avait l'intention de choisir la façon la plus appropriée pour le faire, le moment venu. "

Depuis le début de la guerre en 1998, l'armée rwandaise a commis des abus systématiques et à large échelle contre des civils souvent accusés de soutenir " l'ennemi ". L'armée rwandaise est responsable de plusieurs massacres importants ainsi que de cas innombrables d'exécutions extrajudiciaires, de " disparitions " et de violence sexuelle. En mars et avril 2002, en réponse au défi posé par les forces Banyamulenge de Masunzu, les forces du RCD-Goma et celles du gouvernement rwandais ont tué de nombreux civils, certains abattus depuis des hélicoptères rwandais. Ces troupes ont forcé des dizaines de milliers d'autres personnes à quitter leurs maisons pour se rendre vers des zones proches des camps du RCD-Goma et de l'armée rwandaise.

L'armée burundaise a soutenu le RCD-Goma dans certaines régions du sud Kivu proches de la frontière avec le Burundi, telles que la plaine de Ruzizi et les bords du lac Tanganyika. Le 14 octobre, les gouvernements du Burundi et du Congo sont tombés d'accord pour que les Burundais retirent leurs forces du Congo et que le gouvernement congolais veille à ce qu'aucun groupe rebelle burundais n'utilise le pays comme base arrière.

Après la reprise d'Uvira, des sources locales ont mentionné la présence de soldats du gouvernement rwandais dans la ville et dans ses environs. Ces sources ont également mentionné que les forces de l'armée burundaise avaient bombardé Uvira depuis des bateaux navigant sur le lac Kivu.

Province Orientale et province du nord Kivu
Les civils dans le nord-est du Congo ont été attaqués à maintes reprises au cours des conflits qui ont opposé les combattants du MLC de Jean-Pierre Bemba aux forces du RCD-ML - une faction dissidente du RCD-Goma - conduit par Mbusa Nyamwisi. Début 2001, l'Ouganda a soutenu les efforts de Bemba pour imposer une fusion des différents groupes opposés au gouvernement congolais se disputant le contrôle de cette riche région. Mi-2001, Bemba a été écarté par Nyamwisi, alors premier ministre de cette fusion de courte durée et s'est retiré à Gbadolite (dans la province de l'Equateur, à l'ouest). Vers la fin de 2001, Bemba a lancé une offensive contre les forces de Nyamwisi et au début de 2002, avec son allié Roger Lumbala, chef du groupe dissident RCD-N, ils ont pris les villes clefs que sont Isiro, Watsa et Bafwasende, tuant et déplaçant de très nombreuses personnes. Watsa est réputée pour ses mines d'or et de diamants et Bafwasende pour ses mines de diamants.

Après une période d'inaction, le MLC et le RCD-N ont de nouveau procédé à une avancée, mi-octobre. Ils ont pris les villes d'Epulu et Mambasa, dans la province Orientale aux forces du RCD-ML et se sont dirigés vers Beni, dans le nord Kivu. Le nombre de morts causés par cet affrontement le plus récent n'est pas encore connu.

Province d'Ituri
Les affrontements entre les groupes ethniques et politiques dans la province d'Ituri, au nord-est du Congo ont ravi des centaines de vies au cours des dernières semaines et constituent une menace pour beaucoup d'autres encore. En l'absence de toute autorité administrative légitime, les responsables politiques ont de plus en plus incité à une violence ethnique englobant un nombre toujours plus important de groupes.

Les troupes de l'armée ougandaise de l'UPDF continuent d'occuper Bunia, chef lieu d'Ituri alors qu'elles se sont retirées d'autres parties du nord-est du Congo. Selon les termes de l'accord du 6 septembre entre l'Ouganda et le Congo, les troupes de l'UPDF peuvent demeurer à Bunia jusqu'à ce que soit établie là-bas une nouvelle administration. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a confirmé cet arrangement mais a rappelé à l'Ouganda que " tant que ses troupes sont sur place, l'Ouganda a le devoir d'assurer la protection de la population. "

Combats d'août et de septembre
Les affrontements récents, à Ituri ont opposé les forces de Thomas Lubanga, chef de l'Union des Patriotes Congolais (UPC) à celles de Mbusa Nyamwisi du RCD-ML et son Armée du Peuple Congolais (APC). Chacun s'appuie sur des fidélités ethniques : Lubanga a été associé aux Hema, qui ont une base locale et à leurs frères ethniques, les Gegere. Nyamwisi a fortement recruté parmi les Lendu et les peuples parents Ngiti, des groupes qui ont épisodiquement combattu contre les Hema pour le contrôle de la terre et d'autres ressources au cours des quatre dernières années. Les soutiens de Nyamwisi comprenaient également son propre peuple, les Nande, originaires du nord Kivu et perçus par les habitants locaux comme des étrangers.

En février 2002, le RCD-ML contrôlait la province d'Ituri et Nyamwisi nommait un nouveau gouverneur, Jean-Pierre Molondo, également non natif de la région (il est du Kasai). Molondo a pris le contrôle effectif de l'armée à Lubanga, alors nominalement ministre de la défense du RCD-ML. En avril, un évêque local, de l'ethnie Hema a été remplacé par un Nande, renforçant le sentiment, chez les Hema, que les Nande les écartaient des postes de pouvoir local.

En avril, le chef de la garde présidentielle de Nyamwisi a été assassiné et ce crime a été largement attribué à Lubanga. Ceci a déclenché des affrontements entre l'APC de Nyamwisi et les forces de Lubanga qui se sont alors constituées en UPC et ont établi une base militaire à Mandro, à environ quinze kilomètres de Bunia. L'UPC a pris au RCD-ML le contrôle d'une partie de la ville de Bunia. Les deux groupes se sont livrés à des abus contre les populations civiles, sans que les forces de l'UPDF n'interviennent pour les empêcher.

En juin, Lubanga et huit de ses aides ont été arrêtés lors d'un séjour à Kampala, la capitale de l'Ouganda, par un ministre ougandais qui les a livrés aux autorités congolaises.

L'UPC prend Bunia
Malgré la détention de Lubanga à Kinshasa, la capitale congolaise, début août 2002, ses forces de l'UPC et l'UPDF ont attaqué, le 6 août, le camp militaire Ndoromo à Bunia où l'APC formait environ 1 200 combattants issus des groupes ethniques Lendu et Ngiti. Selon des sources locales, l'UPC a utilisé des mines antipersonnel et l'une d'entre elles a blessé un soldat de l'APC. Après quatorze heures de combats, l'APC a repoussé les attaquants, affirmant avoir tué parmi eux deux soldats de l'UPDF. Les familles des combattants Lendu et Ngiti ont fui et trouvé refuge dans la résidence du gouverneur à Bunia.

Les 7 et 8 août, la milice UPC a tenté d'occuper certains quartiers de Bunia et au cours de cette tentative, a tué des civils Lendu et d'autres de groupes ethniques différents, comme les Nande et les Bira, perçus comme des alliés des Lendu. La milice Lendu a tué des douzaines de civils Hema dans le quartier de Mudzi Pela ainsi que dans d'autres quartiers majoritairement Hema comme Saio, Rwambuzi et Simbiliabo. Dans les jours qui suivirent, l'UPC a tué des Lendu, des Nande et des Bira à Mudzi Pela. Les deux parties ont incendié des maisons, causant le déplacement d'un nombre important de civils.

La milice Lendu a tué au moins trente civils Hema qui avaient cherché refuge dans la ferme de Tibasima Ateenye, à Lengabo, un chef Hema autrefois affilié au RCD-ML mais vivant désormais à Kinshasa après sa rupture avec Nyamwisi. La milice aurait tué deux soldats UPDF qui avaient protégé les Hema et aurait chassé les autres.

Le 9 août, la milice UPC et les troupes UPDF ont tué environ quarante-cinq civils lors d'attaques lancées contre le quartier résidentiel connu sous le nom de la sous-région où vivaient les responsables du RDC-ML et le gouverneur. Alors que l'UPDF utilisait des tanks et des armes lourdes pour lancer l'assaut contre la résidence du gouverneur, le gouverneur Molondo et de nombreux soldats de l'APC se sont enfuis à pied dans la direction de Beni. Après leur départ, l'UPC a continué de tuer des civils Lendu, Nande et Bira près de l'hôpital principal, dans le quartier de Bigo. D'autres ont été tués près de la prison centrale. Les forces de l'UPDF qui accompagnaient l'UPC n'ont pas réussi à arrêter les meurtres et les autres abus et se sont jointes à l'UPC dans le pillage des boutiques des commerçants Nande.

Selon la MONUC, 110 personnes sont mortes au cours des violents évènements du mois d'août mais des sources locales ont estimé le nombre de morts à au moins 150, la plupart des civils. Plusieurs tombes collectives ont été découvertes, deux près de la résidence du gouverneur et d'autres près de la prison et de l'hôpital. Selon des témoins, certaines victimes ont été jetées dans la rivière Chari.

Le gouvernement congolais a envoyé plusieurs fois à Bunia son ministre des droits humains, Ntumba Lwamba, pour tenter une médiation entre les différents groupes en guerre. Le 29 août, Lwamba est rentré à Bunia avec Lubanga, le chef de l'UPC qui était censé persuader l'UPC de participer à une conférence de paix à Kinshasa. L'UPC a alors pris en otages le ministre et un journaliste de son entourage et les a libérés après avoir obtenu en échange la liberté pour Lubanga. Par ce coup et par la prise militaire de Bunia, début août, l'UPC s'est affirmée comme la force assurant le contrôle de la situation à Bunia.

Le RCD-ML et la milice Ngiti attaquent Nyankunde
Le 5 septembre, l'APC et la milice Ngiti ont pris la ville de Nyankunde après avoir vaincu l'UPC et tué des centaines de civils. Un survivant décrit ainsi ce qu'il a vu :

Des centaines de Ngiti sont descendus en groupes pour piller : des hommes, des femmes et des enfants, tous armés de machettes, de haches, de couteaux, d'arcs et de flèches, de lances et d'armes à feu. L'attaque a tellement traumatisé la population tout entière que personne ne veut rentrer pour essayer de revivre à Nyankunde.

Les assaillants ont tué des patients dans le centre médical dépendant de l'église, les massacrant dans leur lit. Ils ont également tué du personnel soignant et d'autres personnes. Ils ont brûlé vif le Pasteur Salomon Isevere et ont également tué Estelle Buma, une religieuse, une infirmière nommée Kabagambe et plusieurs enfants du personnel. Ils ont d'abord pris pour cibles des Hema puis ont tué des membres d'autres groupes ethniques qu'ils percevaient comme des " collaborateurs " des Hema, en particulier des Biras. Parmi les victimes Bira, se trouvait l'autorité locale la plus élevée, le chef de collectivité.

Les attaquants ont pillé le centre médical et incendié de nombreuses maisons. Les personnes déplacées ont fui en direction de la ville d'Oicha, un voyage de plus d'une semaine, à pied, par une route très dangereuse.

Les enjeux dans la province d'Ituri
La province d'Ituri, créée en 1999 à partir d'une portion de la province Orientale est riche en or, bois et coltan (contenant du tantale, un métal précieux). De plus, cette province produit des quantités substantielles de café. A cause de sa localisation proche du lac Albert et de la frontière ougandaise, Ituri est un lieu de commerce transfrontalier qui offre des opportunités lucratives pour transporter et taxer les marchandises.

Plusieurs groupes en rébellion contre le gouvernement de Kinshasa se sont affrontés et ont procédé à des scissions internes alors qu'ils luttaient pour obtenir et conserver le contrôle de cette région riche en ressources naturelles. Les conflits pour la domination politique et le contrôle des ressources se sont de plus en plus organisés le long de lignes ethniques et ont débordé jusqu'à inclure des groupes qui n'étaient pas initialement touchés par ces hostilités. Ainsi une ancienne rivalité entre les Hema et les Lendu sur le contrôle de la terre et l'accès à des droits de pêche a maintenant transporté la violence vers différents groupes comme les Nande, les Gegere, les Bira et les Alur, supposés être associés à l'un ou l'autre des opposants d'origine. Le conflit a d'abord impliqué environ 40 pour cent de la population locale, approximativement le pourcentage de Hema et de Lendu mais il est maintenant synonyme de dévastation pour un nombre beaucoup plus élevé de personnes. Avec l'augmentation des attaques et des victimes des deux côtés, la peur est beaucoup plus répandue, ce qui aide les chefs à mobiliser les gens autour de la violence, soi-disant comme une mesure permettant l'autodéfense.

Persistance du rôle douteux joué par l'armée ougandaise
Depuis 1998, lorsque ses troupes ont occupé pour la première fois le nord-est du Congo, l'Ouganda a prétendu promouvoir la paix dans la région. En certaines occasions, l'UPDF a de fait placé des forces entre des adversaires pour mettre un terme à la violence. En d'autres occasions, l'Ouganda a convoqué à Kampala des chefs politiques en plein désaccord et les a obligés à négocier sur ce qui les opposait. Dans ce sens, début 2001, les autorités ougandaises ont imposé que plusieurs groupes fusionnent pour devenir les Forces pour la Libération du Congo (FLC) sous la direction de Jean-Pierre Bemba, chef du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC). Cette solution, comme d'autres proposées par les Ougandais, s'est effondrée parce que plusieurs groupes tels que le RCD-ML et le RCD-N n'approuvaient pas que selon le nouvel arrangement, la part du pouvoir leur revenant fût nominal. C'est après cet échec que le RCD-ML de Nyamwisi a repoussé Bemba hors d'Ituri.

S'ils se présentent comme des artisans de la paix, de nombreux officiers ougandais ont alimenté les conflits locaux en soutenant politiquement et militairement des factions rebelles rivales. C'est un commandant UPDF en RDC, James Razini, qui en 1999 a créé la province d'Ituri, nommant comme gouverneur Adele Lotsove Mugisa, un chef identifié comme étant très proche des intérêts Hema. Les officiers UPDF ont parfois déployé des soldats pour combattre aux côtés des Hema contre les milices Lendu. Des soldats UPDF ont été impliqués dans plusieurs meurtres de civils Lendu en 1999 et 2000. Les Hema ont également recruté des soldats UPDF pour protéger leurs biens contre les attaques des Lendu. Human Rights Watch a recueilli des informations sur ces abus dans un rapport de mars 2001, L'Ouganda dans l'est de la RDC : une présence qui attise les conflits politiques et ethniques.

Occasionnellement, des soldats de l'UPDF ont aidé les milices Lendu. Le Colonel Peter Kerim, perçu par certains Lendu comme leur protecteur aurait formé des milices Lendu au cours de l'année 1999. Nommé par les autorités ougandaises pour superviser la réconciliation entre les Hema et les Lendu en mars 2002, Kerim a ensuite quitté Bunia après que les Hema l'aient accusé de favoriser les Lendu et l'aient menacé de mort. Kerim et ses troupes sont stationnés à Paida, en Ouganda, près de la frontière congolaise. Des groupes Hema continuent de l'accuser d'armer les milices Lendu.

Les recherches de terrain conduites par Human Rights Watch dans la région ont montré qu'au cours de l'année 2000, les troupes de l'UPDF ont formé et armé des jeunes hommes tant Hema que Lendu afin qu'ils fassent partie d'une force pour le RCD-ML. Nombre d'entre eux n'avaient pas dix-huit ans et entrent donc dans la catégorie des enfants soldats. Après la scission du RCD-ML, ces jeunes hommes ont fait profiter les milices ethniques de leurs connaissances militaires et de leurs armes. Ils s'affrontent maintenant et commettent aussi des abus contre les populations civiles.

Compte tenu de sa tendance ancienne à alimenter les conflits locaux, et notamment, plus récemment, son incapacité à empêcher la violence à Bunia et Nyankunde, on ne peut compter sur l'UPDF pour maintenir la paix et protéger les civils dans la province d'Ituri.

Les crises humanitaires issues des affrontements récents
Environ 11 000 Congolais ont fui les combats du sud Kivu et se sont rendus au Burundi et des milliers d'autres ont cherché la sécurité en brousse ou dans des villes éloignées des zones de combat. Les organisations humanitaires qui prennent en charge les 430 000 personnes déjà déplacées vers ces endroits ont suspendu leurs activités dans les zones de combat et les blessés et déplacés ne reçoivent pas l'assistance dont ils ont besoin.

Des sources humanitaires rapportent que des milliers de personnes déplacées, épuisées et affamées, ayant fui la province Orientale se sont éparpillées à travers la région alors que d'autres ont cherché refuge de l'autre côté de la frontière, en Ouganda. Dans la province d'Ituri, les civils ont fui les combats à Bunia, Nyankunde et les zones avoisinantes, s'ajoutant aux quelque 500 000 personnes déjà déplacées dans la région avant les combats d'août-septembre, avec un accès limité à de la nourriture, de l'eau ou des soins médicaux. D'autres ont fui vers l'Ouganda. Les milices Lendu qui disputent à l'UPC le contrôle de Bunia ont coupé l'approvisionnement en eau de la ville pendant plusieurs semaines. Des représentants d'organisations humanitaires craignent toujours une épidémie de choléra et d'autres maladies compte tenu des conditions sanitaires très mauvaises.

Les zones de conflit au nord, en particulier, sont éloignées de centres comme Goma et Kisangani et les routes dans certains coins sont quasi impraticables. Des représentants d'organisations humanitaires estiment qu'il est extrêmement difficile de fournir l'assistance nécessaire, en particulier aux personnes qui ont fui vers les zones rurales.

Recommandations
  • Le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait augmenter les effectifs de la MONUC, comme recommandé par le secrétaire général afin que celle-ci puisse remplir son mandat " de protection des civils exposés à une menace imminente de violence physique ". Un nombre substantiel de ces nouvelles forces devrait être déployé dans l'est et le nord-est du Congo.
  • Si le gouvernement congolais établit une administration locale et une force de police comme il a affirmé qu'il le ferait dans la province d'Ituri, la MONUC devrait surveiller ce processus, apporter son assistance à la police congolaise et la former comme cela est fait à Kisangani.
  • Tous les groupes locaux devraient mettre immédiatement fin aux attaques contre les civils et se rencontrer pour chercher à aplanir leurs différences, s'appuyant sur l'expérience d'une réunion de la sorte tenue en 2001.
  • Les agences humanitaires locales et internationales doivent de toute urgence apporter l'assistance nécessaire en particulier aux personnes déplacées.
  • Les officiers humanitaires de la MONUC ainsi que ceux du bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme sur le terrain devraient commencer à enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans l'est et le nord-est du Congo afin de faciliter la future traduction en justice des personnes accusées de tels crimes.
  • Radio Okapi, la station de radio associée à la MONUC devrait commencer à diffuser dans les régions de l'est et du nord-est du Congo où elle n'est pas actuellement captée afin de disséminer une information exacte et de réduire les conflits entre les différents groupes.