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Rapport Mondial 2002 : Congo FREE    Recevez des Nouvelles 
Violence sexuelle très répandue et impunie dans la guerre en République Démocratique du Congo
(Bruxelles, 20 juin 2002) -- Les forces appartenant à chacune des parties qui s'affrontent dans le conflit congolais ont commis des crimes de guerre contre des femmes et des filles, a affirmé Human Rights Watch dans un nouveau rapport de 62 pages paru aujourd'hui. Ce rapport apporte des informations sur un recours fréquent et parfois systématique au viol et à d'autres formes de violence sexuelle, dans les zones de l'est du Congo occupées par le Rwanda.


Sur le même thème

En français :
La guerre dans la guerre :
Violence sexuelle contre les femmes et les filles dans l'est du Congo

Rapport, juin 2002

Des extraits des témoignages récents

HRW documents sur L'Afrique Centrale



La guerre continue de faire rage dans l'est du Congo. Au cœur de cette guerre plus vaste, les combattants mènent une autre guerre, celle de la violence sexuelle contre les femmes et les filles.

Alison Des Forges, conseillère à la Division Afrique de Human Rights Watch


 
"La guerre continue de faire rage dans l'est du Congo. Au cœur de cette guerre plus vaste, les combattants mènent une autre guerre, celle de la violence sexuelle contre les femmes et les filles," a déclaré Alison Des Forges, conseillère à la Division Afrique de Human Rights Watch.

Le rapport, qui s'appuie sur de nombreux entretiens avec des victimes, des témoins et des responsables divers, détaille les crimes de violence sexuelle commis par des soldats de l'armée rwandaise et par son allié congolais, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) ainsi que par les groupes armés qui leur sont opposés - les rebelles congolais Mai-Mai et des groupes armés burundais et rwandais.

Ces combattants ont violé des femmes et des filles au cours d'opérations militaires lancées pour punir les populations civiles locales d'avoir soi-disant apporté leur soutien à "l'ennemi". Dans d'autres cas, des rebelles Mai-Mai et d'autres groupes armés ont enlevé des femmes et des filles et les ont forcées à fournir faveurs sexuelles et travail domestique, parfois sur des périodes de plus d'un an.

Certains violeurs ont attaqué leurs victimes avec une extraordinaire brutalité. Dans deux cas, les assaillants ont introduit une arme dans le vagin de leurs victimes et ont fait feu. Dans d'autres cas, des combattants ont mutilé les organes sexuels des femmes à l'aide de couteaux ou de lames de rasoir. Certains ont attaqué des filles âgées de cinq ans seulement et des femmes de quatre-vingts ans.

Les assaillants ont souvent attaqué des femmes et des filles alors qu'elles étaient occupées aux tâches habituellement requises pour assurer la survie de leur famille : travaux des champs, collecte de bois ou courses au marché. En agissant de la sorte, ces assaillants ont contribué à perturber encore davantage la vie économique déjà précaire de la région.

Les services médicaux dans l'est du Congo se sont pratiquement complètement effondrés, laissant peu d'espoir à la plupart des victimes de viols et d'autres actes de torture sexuelle de voir leurs blessures ou leurs maladies sexuellement transmissibles soignées et peu de possibilités de recourir à un dépistage du VIH/SIDA ou à un traitement après exposition au virus. Certains experts estiment que la prévalence du VIH, parmi les forces militaires dans la région, pourrait dépasser 50 pour cent. Dans de telles circonstances, un viol équivaut à une sentence de mort.

Le rapport apporte également des informations sur la façon dont des époux, des familles et des communautés au sens large ont rejeté certaines femmes et filles parce qu'elles avaient été violées ou parce qu'elles étaient soupçonnées d'être infectées par le VIH/SIDA. Une femme victime de cette forme d'ostracisme a déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch : "Mon corps est devenu triste. Je n'ai pas de joie."

Avec l'effondrement des services officiels, des églises congolaises et des organisations de la société civile ont utilisé leurs maigres ressources pour aider les victimes. Des organisations locales qui ont également fait des recherches sur la violence sexuelle dans la région ont contribué à ce rapport.

"Les commandants des unités militaires régulières ainsi que les chefs des groupes armés doivent rétablir l'ordre parmi leurs hommes," a déclaré Des Forges. "Les combattants doivent diriger leur violence contre des cibles militaires clairement identifiées, non contre des femmes et des filles sans défense qui par hasard, croisent leur chemin. Ceux qui agressent des femmes doivent être tenus pour responsables de leurs crimes."


Violence sexuelle à l'est du Congo: témoignages récents

Voici des extraits de témoignages sur la violence sexuelle dans la guerre au Congo. Tous les noms ont été changés pour protéger l'identité des victimes et des témoins.

Delphine W., âgée de vingt-et-un ans, sur son viol en septembre 2001 à Goma : Je ne savais pas quelle heure il était, je dormais. Quatre hommes, des soldats, sont venus pour voir ce qu'ils voulaient voler. Ils étaient armés de couteaux. Ils parlaient kinyarwanda et kiswahili, les deux langues de l'armée. Certains étaient rwandais, d'autres congolais. Certains étaient en civils, d'autres en uniformes militaires. J'étais seule à la maison avec ma mère. Ils ont forcé la porte de la maison. J'étais au lit. Quand la porte s'est ouverte, j'ai crié. Ils ont dit qu'ils avaient besoin de la fille. Trois des hommes m'ont violée. Ils n'ont pas violé ma mère. Ils ont dit qu'ils n'avaient pas besoin de la mère, juste de la fille. Ils ont demandé si j'étais mariée et j'ai dit non. Ils ont demandé si j'avais déjà été prise par un homme et pourquoi. [L'un des hommes] a dit quelle fille n'a jamais été prise par des hommes ? C'était la première fois que je couchais avec des hommes. Ils ont dit que si je refusais, ils me tueraient. Le premier qui m'a prise m'a frappée avec ses mains. Il m'a prise de force. Je lui ai demandé d'avoir pitié de moi. Il a dit que si je ne le laissais pas faire, il me tuerait. J'ai refusé. Il m'a frappée alors j'ai accepté. J'étais encore au lit. Les autres ne m'ont pas frappée. Le second voulait mettre sa chose dans ma bouche, j'ai refusé. Les trois m'ont violée, le quatrième est parti. Quand ils m'ont prise, je me suis sentie mal. Dans la nuit, j'ai pleuré et j'ai demandé à Dieu : "Pourquoi as-tu voulu qu'il en soit ainsi ? J'ai refusé tellement d'hommes. Et il a fallu que j'accepte des hommes que je n'avais jamais rencontrés, je ne connaissais même pas leurs visages."Ma mère m'a dit que je devrais remercier Dieu d'être encore en vie. Elle m'a dit d'être courageuse et de ne rien dire aux autres familles pour ne pas perdre ma réputation. Elle a dit que si je racontais ce qui m'était arrivé, j'aurais du mal à trouver un mari. Ils pourraient dire que j'avais des maladies parce que j'étais avec des soldats. J'ai été malade pendant trois jours. J'avais froid. C'était comme s'ils avaient mis du piment en moi, ça brûlait. Je saignais beaucoup. Au matin, ma mère m'a donné de l'eau pour me laver, juste de l'eau. Je n'ai pas vu un docteur ou une infirmière.

Une mère sur l'assassinat de sa fille, Monique B., âgée de vingt ans, à Kabare : Le 15 mai de cette année [2001], quatre combattants fortement armés - c'était des Hutu - sont venus chez nous à 9 heures du soir. Tout le monde dans le quartier avait pris la fuite. J'ai voulu cacher mes enfants mais je n'ai pas eu le temps. Ils ont pris mon mari et l'ont attaché à un pilier dans la maison. Mon bébé de quatre mois a commencé à pleurer et je l'ai mis au sein. Et ils m'ont laissée seule. Ils sont partis chercher ma fille et je savais qu'ils la violeraient. Mais elle a résisté et a dit qu'elle préférerait mourir que d'avoir des relations avec eux. Ils lui ont coupé le sein gauche et lui ont mis dans la main. Ils ont dit, "Tu veux encore nous résister ?" Elle a dit qu'elle aimerait mieux mourir que d'être avec eux. Ils ont coupé ses lèvres génitales et les lui ont montrées. Elle a dit, "Par pitié, tuez-moi." Ils ont pris un couteau et l'ont mis sur son cou et ensuite ils ont fait une longue incision verticale en descendant sur sa poitrine et ont ouvert son corps. Elle pleurait mais finalement, elle est morte. Elle est morte avec son sein dans la main. Des officiers du RCD sont venus et ont regardé le corps. Puis ils sont partis et je pense qu'ils n'ont jamais rien fait à ce sujet. Je n'ai pas parlé à d'autres autorités parce que je pensais que c'était une affaire militaire. Il n'y a pas l'électricité là-bas et on ne voyait pas grand chose mais on pouvait entendre ses cris et voir ce qui s'était passé quand on a vu son corps le matin. Je n'ai jamais revu les attaquants mais je ne les voyais même pas bien cette nuit-là. Ils ne sont pas restés après avoir tué ma fille.

Sophie W., une mère de Shabunda, âgée d'une trentaine d'années, sur son enlèvement : On est allé dans la forêt au début de la guerre. Mon mari pensait que la forêt était plus sûre et il n'y avait rien à manger en ville. Mais on est retourné en ville en 2000. En juillet 2000, les Mai-Mai sont venus et ont pris mon mari. Ils m'ont battue, ils ont tué mon mari par balle et ont coupé son corps devant moi. Ils ont dit que mon mari était un espion pour le compte des Tutsi. Il y avait huit Mai-Mai. Deux m'ont maintenue au sol et les autres m'ont violée. Ils ont posé deux couteaux sur mes yeux et m'ont dit que si je pleurais, ils me couperaient les yeux. Les Mai-Mai [qui m'avaient emmenée avec eux dans la forêt] parlaient kiswahili, kilenga, lingala et kinyarwanda. Ils étaient sales, ils avaient des puces. On n'avait pas d'abri. Il y avait juste des feuilles pour dormir dessus et quand il pleuvait, on était trempé. On avait des nattes avec nous mais les Mai-Mai nous les ont prises. Ils étaient nombreux pendant la période où j'étais dans la forêt, peut-être 150 ou plus. Ils nous nourrissaient parfois de petits animaux qu'ils tuaient mais ils ne nous donnaient pas beaucoup de nourriture.

Eléonore R, douze ans, sur une attaque contre sa maison à Goma, en aoft 2001 : Quatre [hommes] sont entrés dans la maison et il y en avait davantage dehors. Ils ont ouvert la porte, ont pris papa, l'ont attaché, ont frappé maman et ont tout pris dans la maison. Ils ont fait beaucoup de bruit. Je me suis cachée sous le lit. Ils sont ensuite entrés dans ma chambre. L'un était très grand, l'autre gros. Je ne les connaissais pas et ne les voyais pas vraiment. Ils avaient des fusils et des torches. Ils parlaient kinyarwanda et kiswahili. Quand j'ai refusé, l'un d'eux m'a frappée deux fois avec sa main. Puis il a commis l'acte. Il y avait quatre autres enfants dans la chambre, tous plus jeunes. L'homme qui l'a fait a dit aux autres de fermer leurs yeux. J'ai aussi fermé mes yeux. Ils ont cessé quand le sang a commencé à couler.

Une cultivatrice d'Uvira, âgée de quarante ans, sur une attaque en juillet 2001 : On était toutes aux champs, en train de travailler, quand des Banyamulenge armés et en uniformes nous ont encerclées. On a pris la fuite et on s'est caché mais ils ont pris la femme burundaise qui était avec nous. Ils ont accusé la femme d'être l'épouse d'un Mai Mai. Elle a dit, je suis venue me cacher ici. Sept soldats l'ont emmenée quelque part et l'ont violée. Après ils ont introduit un fusil dans son appareil génital et ont tiré. Quand ils sont partis , on l'a prise avec nous. Elle est morte en chemin [vers la ville].

Générose N., de Kabare, âgée de vingt ans, sur son enlèvement : J'étais sur la route de Kalonge à Mudaka. J'avais l'argent que m'avait donné mon fiancé pour acheter une robe de mariée. Un soldat m'a attaquée sur la route. Il a dit des choses en kinyarwanda. [Plus tard elle a déclaré qu'il était hutu.] Il m'a emmenée dans un endroit de la forêt où il y avait trois autres soldats. Ils m'ont violentée. C'était le 8 août [2001] et ils m'ont gardée jusqu'au 25 août et chacun d'entre eux m'a violée chaque jour. Il n'y avait pas vraiment de maison mais un abri sous des sheetings [des feuilles de plastique]. J'ai découvert qu'ils avaient là-bas une autre femme avant moi et je dormais là où elle dormait. Plus tard, ils prendraient une autre femme après moi. Je portais toujours les mêmes vêtements. Si j'essayais de parler, ils me battaient. C'était tous les mêmes, des hommes horribles. Finalement, ils m'ont juste renvoyée quand ils ont été fatigués de moi.