Rapport Mondial 2005

Haïti

Le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, en 2004, a été une année d’agitation, d’anarchie et de catastrophe humanitaire. Le gouvernement intérimaire, qui avait pris le pouvoir en mars, a été incapable d’imposer son autorité et de faire respecter la loi dans de très nombreuses parties du pays. Ne disposant que de forces de police réduites, démoralisées et peu entraînées, le gouvernement a dû faire appel aux forces multinationales mandatées par les Nations Unies pour maintenir la sécurité. Mais celles-ci se sont avérées insuffisantes en nombre pour restaurer l’ordre public et la stabilité.

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En réponse à la montée de la violence, la police haïtienne a procédé à de nombreuses arrestations illégales, et même dans certains cas à des exécutions extrajudiciaires. La justice a sombré dans le chaos et même les crimes les plus graves sont restés impunis. L’état des prisons reste déplorable.  
 
Haïti a également connu en 2004 un désastre humanitaire qui a encore appauvri et déstabilisé le pays. Le cyclone tropical Jeanne a ravagé Haïti en septembre 2004, tuant au moins deux mille personnes, inondant certaines régions, allongeant ainsi encore le cortège de malheurs du pays. Des bandes armées, profitant du manque de sécurité, ont détourné l’aide humanitaire destinée aux victimes de la tempête. Les travailleurs humanitaires ont menacé de suspendre leurs activités si leur sécurité ne pouvait pas être garantie.  
 

Violence, anarchie et instabilité

 
En février 2004, les forces rebelles se sont emparées de certaines régions du pays et ont démis le Président Jean-Bertrand Aristide. Les rebelles, qui ont commencé à investir les postes de police dans la ville de Gonaives, au Nord, regroupaient un noyau dur d’anciens officiers et soldats de l’armée dissoute, ainsi que d’anciens paramilitaires responsables de très nombreuses atrocités sous le gouvernement militaire de Haïti, entre 1991 et 1994. Parmi eux se trouvait Louis Jodel Chamblain, l’un des fondateurs du Front révolutionnaire pour l’avancement et le progrès haïtien, FRAPH, condamné par contumace à la prison à vie en septembre 1993 pour le meurtre de l’activiste Antoine Izmery, ainsi que pour son implication dans le massacre de Raboteau, en 1994.  
 
Les scènes de violence les plus terribles se sont déroulées à Saint Marc, une ville qui se trouve à une heure au Sud de Gonaives. Pendant pratiquement tout le mois de février, la ville a été terrorisée par un escadron de la mort pro-gouvernemental très violent, appelé Bale Wouze, ou Clean Sweep. Les parents des victimes ont remis à Human Rights Watch une liste de trente-quatre personnes assassinées, y compris Kenol St. Gilles, qui a été brûlé vif par les membres de Bale Wouze le 11 février.  
 
La violence et l’instabilité en Haïti ne se sont pas arrêtées avec la mise en place du gouvernement intérimaire en mars 2004. Malgré l’arrivée des forces militaires internationales mandatées pour rétablir un environnement stable et sûr, la majeure partie du pays est restée sous contrôle de groupes armés irréguliers. La police nationale haïtienne – démoralisée et discréditée par la fin de la présidence d’Aristide— est peu nombreuse, mal entraînée et sans ressources. Son personnel n’est pas de taille et pas suffisamment armé face aux anciens soldats, aux bandes criminelles et autres groupes armés irréguliers. Malgré quelques faibles tentatives de désarmement, le pays reste inondé d’armes illégales.  
 
Les anciens soldats, réclamant leurs arriérés de solde et la restauration de l’armée, ont menacé à plusieurs reprises de se soulever contre le gouvernement et de prendre le pouvoir. Ils ont investi les postes de police, d’anciennes casernes et d’autres bâtiments dans diverses villes, les repeignant en jaune, la couleur traditionnelle de l’armée. Ils ont pris des postes de contrôle, patrouillé dans les rues, parfois avec des véhicules de l’Etat, et repris d’autres fonctions gouvernementales.  
 
Les bandes armées, dont certaines affirmant haut et fort leur affiliation au parti politique de l’ancien Président Aristide, ont provoqué une vague d’escalade de la violence début septembre 2004. Près de deux cent personnes ont été tuées aux mois de septembre et d’octobre. Le 30 septembre, trois policiers ont été abattus par balle à Port-au-Prince, deux d’entre eux ont été retrouvés décapités.  
 

Abus policiers

 
En réponse à la vague de violence de septembre et octobre 2004, la police a arrêté et détenu des gens illégalement, procédant souvent à des arrestations sans mandat, et en omettant de présenter les détenus à un juge dans les quarante-huit heures comme l’exige la loi haïtienne. Parmi eux se trouvaient Yvon Fuille, le président du Sénat haïtien, et deux autres politiciens associés au gouvernement d’Aristide, arrêtés le 2 octobre à Radio Caraïbes, à Port-au-Prince. En effet, des centaines de partisans d’Aristide ont été arrêtés, soupçonnés d’implication dans les violences. Que la police ait eu des preuves ou non pour justifier certaines arrestations — comme celle du Père Gerard Jean-Juste, arrêté le 13 octobre dans sa paroisse, à Port-au-Prince— est une autre question sans réponse.  
 
La police a procédé à des passages à tabac et des exécutions extrajudiciaires. En novembre 2004, la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR), un groupe non-gouvernemental de défense des droits de l’homme, a plaidé pour l’établissement d’une commission indépendante pour enquêter sur la responsabilité de la police dans le meurtre de sept jeunes, à Fort National, le 26 octobre, une région pauvre de Port-au-Prince. Selon les rapports reçus de la NCHR, les jeunes ont été torturés par un commando de policiers masqués avant d’être tués.  
 

Justice

 
Le système judiciaire a été complètement détruit en février 2004, lorsque les tribunaux ont été pillés ou brûlés, ou les deux, dans diverses villes du pays, et que les archives juridiques ont été perdues. Les prisons du pays ont été intégralement vidées.  
 
Le nouveau gouvernement avait promis de reconstruire le système judiciaire et de mettre un terme à l’impunité régnant en Haïti. Mais les progrès sont lents. Bien que le gouvernement ait arrêté certaines personnes impliquées dans les tueries de février à Saint Marc, il n’a pas beaucoup avancé dans la poursuite de l’action en justice. A la fin du mois d’août 2004, un jury a acquitté l’ancien leader paramilitaire Louis Jodel-Chamblain et l’ex capitaine de police Jackson Joanis, accusés du meurtre en 1993 d’Antoine Izmery, marquant ainsi un recul dramatique de la justice, avec des simulacres de procès hâtivement expédiés.  
 
Les conditions dans les prisons sont désastreuses. De nombreuses installations ne fonctionnent pas, de sorte que les prisonniers sont sales et entassés, souvent sans installations sanitaires.  
 

Conditions électorales

 
Le premier ministre par intérim, Gerard Latortue, a promis d’organiser des élections en 2005. Mais à moins que le gouvernement et les forces des Nations Unies n’arrivent à stabiliser le pays, il est peu probable qu’Haïti retrouve la sécurité nécessaire pour des élections libres et honnêtes. En octobre 2004, compliquant encore le processus, la présidente du conseil électoral provisoire a démissionné à la suite d’un litige avec le trésorier du conseil à propos d’une accusation de détournement de fonds.  
 

Défenseurs des droits de l’homme

 
Les défenseurs des droits de l’homme, travaillant dans un environnement dangereux, hautement politisé, et doivent faire face à des menaces et des intimidations. Des menaces de mort anonymes ont été proférées contre Renan Hedouville, le chef du Comité des Avocats pour le Respect des Libertés Individuelles (CARLI), et Mario Joseph, un avocat du Bureau des Avocats Internationaux (BAI).  
 

Acteurs internationaux clefs

 
Les troupes multinationales sont arrivées en Haïti juste après le départ du Président Aristide. En avril 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé l’envoi d’un peu de plus de 8.300 forces de maintien de la paix pour Haïti: 6.700 militaires et 1.622 policiers civils. Le déploiement des troupes en Haïti est dirigé par le Brésil, qui souhaite occuper un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Malheureusement, à la mi-octobre, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) comptait bien moins d’effectifs que prévu: à peine trois mille forces militaires et 650 policiers civils. Le Brésil mais aussi l’Argentine, le Chili, le Népal, le Pérou, le Sri Lanka et l’Uruguay ont envoyé des troupes.  
 
Malgré la situation catastrophique des droits de l’homme et des conditions humanitaires en Haïti, les Etats-Unis continuent à refuser aux Haïtiens une protection temporaire sur le territoire américain pour leur éviter d’être déportés en Haïti. Ils interceptent également les Haïtiens qui fuient leur pays et les rapatrient immédiatement. A la fin février 2004, violant manifestement le principe de protection internationale des réfugiés, les garde-côtes américains ont déposé des centaines de demandeurs d’asile dans le port principal de Port-au-Prince, un endroit où règne la violence et où les pillages s’effectuent à grande échelle.  
 
Le Caribbean Community and Common Market (CARICOM), un groupe de quinze pays des Caraïbes, a suspendu ses relations avec Haïti lorsque le Président Aristide est parti en exil. En novembre, les chefs du CARICOM ont décidé de maintenir cette suspension, sur base des “principes fondamentaux du respect des droits de l’homme, de l’application régulière de la loi et du bon gouvernement.”  
 
En octobre, la Commission inter-américaine pour les droits de l’homme (IACHR) a exprimé son inquiétude face à la situation des droits de l’homme en Haïti.